Armand — collation of Initiation and WIaA?

Première partie — Les bases théoriques de l’individualisme anarchiste.

1. Esquisses du Milieu Social, L’Autorité néfaste.
  1. Le milieu social.
  2. La course à l’apparence.
  3. La complexité du problème humain.
  4. A qui ce livre n’est pas destiné.
  5. A qui s’adresse cet ouvrage.
  6. Notre position.
1. LA SOCIÉTÉ ACTUELLE
  1. Tableau de la société.
  2. La course à l’apparence.
  3. Complexité du « problème humain ».
  4. Les deux attitudes.
  5. A qui s’adresse cet ouvrage.

1) Le milieu social

Un chaos d’êtres, de faits et d’idées ; une lutte désordonnée, âpre, sans merci, un mensonge perpétuel ; une roue qui tourne aveuglément, juchant un jour celui-ci au pinacle et le lendemain l’écrasant sans pitié.

Une masse, riches et pauvres, esclaves de préjugés séculaires, héréditaires, les uns parce qu’ils y trouvent leur intérêt, les autres parce qu’ils sont plongés dans l’ignorance ou n’en veulent point sortir ; une multitude dont le culte est l’argent et l’aboutissant l’homme enrichi ; une foule abrutie par les préjugés, le système d’enseignement, une existence artificielle, l’abus de l’alcool ou l’usage des aliments falsifiés ; la cohue des dégénérés d’en haut et des dégénérés d’en bas, sans aspirations profondes, sans autre but que celui de « parvenir » ou de « se la couler douce ». Un provisoire qui menace sans cesse de se transformer en définitif et un définitif qui menace de n’être jamais qu’un provisoire. Des vies qui mentent aux convictions affichées et des convictions qui servent de tremplin aux ambitions louches. Des libres-penseurs qui se révèlent plus cléricaux que les cléricaux et des dévots qui se découvrent de grossiers matérialistes. Du superficiel qui voudrait passer pour du profond et du profond qui ne parvient pas à se faire prendre au sérieux.

Tableau vivant de la Société, cependant mille fois au-dessous de la réalité ! Pourquoi ? Parce que sur chaque visage un masque est plaqué ; parce que nul ne se préoccupe d’être, parce que tous aspirent uniquement à paraître. Paraître, voilà l’idéal suprême, et, si l’on désire si goulûment l’aisance ou la richesse, c’est afin de pouvoir paraître, puisqu’en les temps actuels, l’argent seul permet de faire figure !

[1. Tableau de la société.]

Un chaos d’êtres, de faits et d’idées, une lutte désordonnée, âpre, sans merci, un mensonge perpétuel, une roue qui tourne aveuglément, juchant un jour celui-ci au pinacle et le lendemain l’écrasant sans pitié, autant d’images qui pourraient dépeindre ce qu’est la société actuelle, si toutefois elle pouvait se dépeindre. Le pinceau du plus grand des peintres et la plume du plus grand des écrivains se briseraient comme verre si on les employait à traduire même un écho lointain du tumulte et de la mêlée que représente le choc des appétits, des aspirations, des haines et des dévouements qui heurtent et mêlent les différentes catégories entre lesquelles se répartissent les hommes.

Qui exprimera jamais exactement la bataille inachevée que se livrent les intérêts particuliers et les besoins collectifs ? les sentiments des individus et les logiques des généralités ? Tout cela constitue la société actuelle et tout cela ne suffit pas à la décrire. Une minorité qui possède la faculté de faire produire et consommer ou la possibilité d’exister à titre parasitaire, sous mille formes diverses : propriété foncière ou mobilière, capital-outils et capital-argent, capital enseignement et capital-éducation.

En regard, une majorité immense, qui ne possède rien, sinon ses bras ou son cerveau ou autres organes productifs, qu’elle est contrainte de louer, affermer ou prostituer, non seulement pour se procurer de quoi ne pas mourir de faim, mais encore afin de permettre à un petit nombre détenteur de la puissance propriété ou valeur d’échange, de vivre, à ses dépens, plus ou moins grassement. Une masse, riches et pauvres, esclaves de préjugés séculaires, héréditaires, les uns parce qu’ils y trouvent leur intérêt, les autres parce qu’ils sont plongés dans l’ignorance ou n’en veulent point sortir; une multitude dont le culte est l’argent et le prototype l’homme enrichi ; une foule abrutie par l’abus de l’alcool ou par celui de la débauche; la cohue des dégénérés d’en haut et des dégénérés d’en bas, sans aspirations profondes, sans autre but que celui de parvenir à une situation de jouissance et d’aise, quitte à broyer, s’il le faut, les amis d’hier, devenus les piétinés d’aujourd’hui.

Un provisoire qui menace sans cesse de se transformer en définitif et un définitif qui menace de n’être jamais qu’un provisoire. Des vies qui mentent aux convictions affichées et des convictions qui servent de tremplin aux ambitions louches. Des libres-penseurs qui se révèlent plus cléricaux que les cléricaux et des dévôts qui se découvrent de grossiers matérialistes. Du superficiel qui voudrait passer pour du profond et du profond qui ne parvient pas à se faire prendre au sérieux. Répéter que tout cela c’est le tableau vivant de la société nul n’y contredire. et il n’est cependant personne sachant réfléchir qui ne s’aperçoive que la peinture est mille fois au-dessous de la réalité. Pourquoi ? Parce que sur chaque visage un masque est plaqué; parce que nul ne se préoccupe d’être, parce que tous aspirent uniquement à paraître. Paraître, voilà l’idéal suprême, et si l’on désire si goûlument l’aisance ou la richesse, c’est afin de pouvoir paraître puisqu’en les temps actuels, l’argent seul permet de faire figure.

2) La course à l’apparence.

Cette manie, cette passion, cette course à l’apparence, à ce qui peut la procurer, elle dévore le plus riche comme le vagabond, le plus instruit comme l’illettré. L’ouvrier qui médit du contremaître souhaite de le devenir à son tour ; le négociant qui évalue si haut son honneur commercial ne regarde pas à passer des marchés fort peu honorables ; le petit boutiquier, membre des comités électoraux patriotes et nationalistes s’empresse de transmettre ses commandes aux fabricants étranger, dès qu’il y trouve son profit ; le député socialiste, avocat du prolétariat miséreux, entassé dans les parties empuanties de la ville, villégiature dans un château ou habite dans les quartiers aisés de la cité, où l’air s’épand, abondant et pur ; le révolutionnaire, qui criait à la persécution et qui s’efforçait d’émouvoir les cœurs sensibles quand la bourgeoisie, tenant en mains le timon de l’Etat, le traquait, l’emprisonnait, lui niait la liberté de parler et d’écrire, nous le retrouvons une fois qu’il s’est emparé du pouvoir et juché sur le siège dictatorial, aussi tracassier, aussi inquisiteur, aussi intolérant, aussi cruel — davantage parfois — que ceux dont il a pris la place. Le libre-penseur se marie encore volontiers à l’église et y fait souvent baptiser ses enfants. Ce n’est que quand le gouvernement est bien disposé que le religieux ose afficher ses idées et encore se tait-il là où il est bien porté de ridiculiser la religion. Où donc trouver la sincérité ? Partout s’étend la gangrène. Nous la rencontrons au sein de la famille où souvent père, mère, enfants se haïssent et se trompent tout en se disant qu’ils s’aiment, tout en faisant croire surtout qu’ils s’affectionnent. Nous la voyons à l’œuvre dans le couple où mari et femme, mal assortis, se trahissent sans oser rompre le lien qui les enchaîne, ou tout au moins sans s’expliquer franchement. Elle s’étale dans le groupement où chacun cherche à supplanter son voisin dans l’estime du président, du secrétaire ou du trésorier, en attendant de se hisser à leur place lorsqu’ils n’auront plus rien à en tirer. Elle abonde dans les actes de dévouement, les actions d’éclat, dans les conversations privées, dans les harangues officielles. Paraître ! paraître ! paraître : pur, désintéressé, généreux — quand on considère pureté, désintéressement, générosité comme de vaines sornettes ; — moral, honnête, vertueux, quand la probité, la vertu, la moralité sont le moindre souci de ceux qui les professent.

Où trouver quelqu’un qui échappe à la contagion ?

[2. La course à l’apparence.]

Cette manie, cette passion, cette course à l’apparence, à ce qui peut la procurer, elle dévore le plus riche, comme le vagabond, le plus instruit comme l’illettré. L’ouvrier qui médit du contremaître souhaite de le devenir à son tour; le négociant qui évalue à un coût sans égal son honneur commercial ne regarde pas à passer des marchés fort peu honorables; le petit boutiquier, membre des comités électoraux patriotes et nationalistes s’empresse de transmettre ses commandes aux fabricants étrangers, dès qu’il y trouve son profit ; le député socialiste, avocat du prolétariat miséreux, entassé dans les parties empuanties de‘ la ville, villégiature dans un château ou habite dans les quartiers aisés de la cité, où l’air s’épand, abondant et pur. Le libre-penseur se marie encore volontiers à l’église et y fait souvent baptiser ses enfants ; le religieux n’ose pas afficher ses idées parce qu’il est bien porté de ridiculiser la religion. Où donc trouver la sincérité. Partout s’étend la gangrène. Nous la rencontrons au sein de la famille où souvent père, mère, enfants se haïssent et se trompent tout en se disant qu’ils s’aiment, tout en faisant croire surtout qu’ils s’affectionnent. Nous la voyons à l’œuvre dans le couple où mari et femme, mal assortis, se trahissent sans oser rompre le lien qui les enchaîne. Elle s’étale dans le groupement où chacun cherche à supplanter son voisin dans l’estime du président, du secrétaire ou du trésorier, en attendant de se hisser à leur place lorsqu’ils n’auront plus rien à en tirer. Elle abonde dans les actes de dévouement, les actions d’éclat, dans les conversations privées, dans les harangues officielles. Paraître! Paraître ! paraître : pur, désintéressé, généreux — quand on considère pureté, désintéressement, générosité comme de vaines sornettes — moral honnête, vertueux — quand la probité, la vertu, la moralité sont le moindre souci de ceux qui les professent. —

Où trouver quelqu’un qui échappe à la corruption, qui consente à ne pas paraître ?

Nous ne prétendons pas n’en avoir jamais rencontré. Nous constatons que les personnes sincères, éminemment sincères sont rares. Nous affirmons que le nombre des êtres humains qui œuvrent de façon désintéressée est fort restreint. A tort ou à raison j’ai plus de respect pour l’individu qui m’avoue cyniquement vouloir jouir de la vie en profitant d’autrui que pour le bourgeois libéral et philanthrope, dont les lèvres résonnent de mots grandioses mais dont la fortune s’est édifiée sur l’exploitation dissimulée des malheureux.

3) La complexité du problème humain

On nous objectera que c’est traiter la question de trop haut, ou à un point de vue métaphysique, qu’il faut descendre sur le terrain des réalités ; que la réalité, la voici : c’est que la Société actuelle est le résultat humain d’un long processus historique, peut être à ses débuts, que l’humanité ou les différentes humanités en sont tout simplement à chercher ou à préparer leur voie, qu’elles tâtonnent, trébuchent, perdent leur chemin, le retrouvent, progressent, reculent, — qu’elles sont parfois secouées jusqu’à leur base par certaines crises, entraînées, lancées sur la route des destinées, pour ralentir ensuite leur marche ou battre la mesure sur place ; qu’en grattant un peu le poli, le vernis, la surface des civilisations contemporaines, on mettrait à nu les balbutiements, les enfantillages et les superstitions des préhistoriques, voire des anté-préhistoriques.

Se plaçant à un point de vue purement objectif, on nous dira : qu’ « actuelle » la « Société » englobe tous les êtres, toutes les aspirations, toutes les activités, — toutes les douleurs et toutes les souffrances aussi. Elle comprend les producteurs et les oisifs, les déshérités et les privilégiés, les sains et les mal portants, les sobres et les ivrognes, les croyants et les mécréants, les pires réactionnaires et les sectateurs des doctrines les plus invraisemblables. Elle se modifie, elle évolue, elle se transforme. Elle se détruit elle- même en de certains points, elle se régénère sur d’autres. Ici, elle est chaotique ; là, elle est ordonnée ; là-bas, elle est à la fois l’une et l’autre. Elle glorifie le dévouement, mais elle exalte l’intérêt, Elle est pour la paix, mais elle subit-la guerre. Elle est contre le désordre, mais elle accueille les révolutions. Elle s’en tient au fait établi, mais elle acquiert sans cesse de nouvelles connaissances. Elle hait tout ce qui dérange sa quiétude, mais elle suit volontiers ceux de ses enfants qui savent dissiper sa méfiance, ou éveiller sa curiosité par des promesses d’un genre ou d’un autre, ou endormir sa crainte du nouveau par l’appât d’un mirage. Elle maugrée contre les puissants, mais en fin de compte elle leur emboîte le pas, adopte leurs coutumes et règle ses opinions sur les leurs. Déchaînée par crise et portée aux pires excès, elle se retrouve naturellement vassale et serve dès que s’est dissipée la fumée des incendies. Elle est primesautière comme un enfant, sentimentale comme une jeune fille, hésitante comme un vieillard. Elle obéit aux instincts primordiaux, aux instincts qui guidaient les ancêtres lointains alors qu’il n’était pas de milieu social, — mais elle se plie à des disciplines rigoristes et à des règlements sévères. Elle exige que ceux qui la conduisent se sacrifient pour elle, mais elle ne regimbe pas quand ils l’exploitent. Elle est généreuse et avare. La rigidité des mœurs lui est insupportable, mais elle affiche la décence. Elle est pour le moindre effort, mais s’accommode du surmenage. Elle fuit la peine, mais danse sur les volcans. Elle est majoritaire, mais concède aux minorités. Elle se courbe devant les dictateurs, mais élève des statues à ceux qui les poignardent. Une mélodie mélancolique la jette dans les larmes, mais le battement d’un tambour réveille en le tréfonds de son être tout ce qui sommeillait, depuis des générations, de désirs de massacrer, de piller, de saccager en bande. Elle est cruelle et tendre, avare et prodigue, lâche et héroïque. Elle est un creuset où se rencontrent et fusionnent les éléments les plus disparates, les caractères les moins ressemblants, les énergies les plus contradictoires. Elle est une fournaise qui consume les activités corporelles et cérébrales de ses membres par pur plaisir de destruction. Elle est un champ toujours engraissé des acquis et des expériences des générations passées. Elle est comme une femme continuellement en état de grossesse et qui ignore de qui ou de quoi elle accouchera. Elle est la Société.

On nous concédera volontiers que tout n’est pas parfait dans la Société, mais n’est-ce pas le propre de ce qui est actuel d’être imparfait ? C’est par l’autorité qu’elle maintient les liens de solidarité qui unissent les hommes les uns aux autres — des liens parfois très lâches, mais on n’a point démontré encore que sans autorité il subsisterait de sociétés humaines. L’hypocrisie règne en maîtresse dans les rapports d’homme à homme, de milieu à milieu, de race à race ; mais on n’a point encore prouvé qu’elle ne constitue pas une nécessité voulue par la multiplicité des tempéraments humains, — un expédient instinctif destiné à amortir les chocs et à enlever un peu d’âpreté à la lutte pour la vie. Les conditions de la production et de la distribution des produits favorisent les privilégiés et maintiennent l’exploitation des non-privilégiés, mais il reste à examiner si dans les circonstances actuelles de la production industrielle, on pourrait, sans l’exploitation, obtenir du producteur le rendement nécessaire au fonctionnement économique des sociétés humaines ; — 2° si tout non-privilégié n’est pas en puissance un privilégié. c’est-à-dire n’aspire à supplanter ce dernier dans ses privilèges.

On nous objectera encore que c’est folie de chercher à découvrir, à établir la responsabilité de l’individu, qu’il est noyé, absorbé dans son environnement, que ces pensées reflètent les pensées et ses gestes les gestes de ceux qui l’entourent, — qu’il n’en peut être autrement et que si, du haut en bas de l’échelle sociale, l’aspiration c’est paraître et non être, la faute en est au stade actuel de l’évolution générale et non au constituant du milieu social, atome minuscule perdu, fondu, dans un agrégat formidable.

[3. Complexité du « problème humain ».]

On nous objectera que nous nous laissons entraîner par notre indignation; que rien ne prouve, tout d’abord, que notre colère ou nos invectives ne soient pas, elles aussi, une manière de paraître. Attention : ce qu’on trouvera dans ce livre ce sont des observations, des opinions, des thèses, il restera au lecteur à déterminer ce qu’elles valent. Les pages qui vont suivre ne sont point marquées au sceau de l’infaillibilité. Nous ne cherchons point à convertir qui que ce soit à notre point de vue. Nous avons constaté, noté, conclu et pas toujours encore. Notre but est d’amener à réfléchir ceux qui nous parcourent sous réserve d’admettre ou de rejeter ce qui ne cadre pas avec leurs propres conceptions.

On nous objectera encore que c’est traiter la question de trop haut, ou à un point de vue métaphysique, qu’il faut descendre sur le terrain des réalités concrètes; que la réalité, la voici: c’est que la société actuelle est le résultat d’un long processus historique, peut être à ses débuts, que l’humanité ou les différentes humanités en sont tout simplement à chercher ou a préparer leur voie, qu’elles tâtonnent, trébuchent, perdent leur chemin, le retrouvent, progressent, reculent, — qu’elles sont parfois secouées jusqu’à leur base par certaines crises, entraînées, lancées sur la route des destinées, pour ralentir ensuite leur marche ou battre la mesure sur place, — qu’en grattant un peu le poli, le vernis, la surface des civilisations contemporaines, on mettrait à nu les balbutiements, les enfantillages et les superstitions des préhistoriques. Qui le nie ? Nous convenons même que toutes ces choses rendent le « problème humain » singulièrement complexe.

On nous objectera enfin que c’est folie de chercher à découvrir, à établir la responsabilité de l’individu, qu’il est noyé, absorbé dans son environnement, que ses pensées reflètent les pensées et ses gestes, les gestes de ceux qui l’entourent, — qu’il n’en peut être autrement et que si, du haut en bas de l’échelle sociale, l’aspiration c’est paraître et non être, la faute en est au stade actuel de l’évolution générale et non à l’individu, au membre de la société, atome minuscule perdu dans un agrégat formidable.

4) A qui ce livre n’est pas destiné

Nous ne le nions pas. Nous sommes disposés à convenir que ces constatations rendent le problème humain singulièrement complexe, étrangement compliqué. On peut fort bien conclure qu’il n’y a rien à faire qu’à laisser se poursuivre lentement « l’inévitable évolution », à se courber lâchement devant les circonstances, à assister, passif, au défilé des évènements et admettre qu’en attendant mieux, tout est bien dans la meilleure des sociétés. Nos thèses, nos opinions, nos propositions n’intéresseront point ceux qui partagent cette façon de voir.

5) A qui s’adresse cet ouvrage.
Nous nous adressons donc ici à « ceux qui réfléchissent » ou sont « en voie de réfléchir ». — à ceux qui ne s’accommodent pas de l’apparence et que le stade actuel de l’évolution générale ne satisfait point. A ceux qui ont conscience de la domination qui les comprime, de l’exploitation qui les écrase. Nous écrivons aussi pour les curieux, les penseurs, les critiques, — ceux que ne contentent point les formules qui ne se laissent point discuter ou les solutions bouche-trous.
Nous ne nous adressons donc ni à ceux qui sont satisfaits ni à ceux qui ont là. foi. Nous nous adressons aux insatisfaits et à ceux qui doutent. Aux mécontents d’eux-mêmes, à ceux qui sentent que pèse sur eux le fardeau de centaines et de centaines de siècles de conventions et de préjugés ancestraux. A ceux qui ont soif de vie vraie, de liberté de gestes, d’activité réelle et qui ne rencontrent autour d’eux qu’insincérité, truquage, conformisme et servilité. A ceux qui voudraient se connaître davantage et plus intimement. Aux inquiets, aux tourmentés, aux chercheurs de sensations nouvelles, aux expérimentateurs de formules inédites de bonheur individuel. A ceux qui ne croient à rien de ce qui leur est démontré. Aux agités ; oui, aux agités, car je préfère l’onde qui bouillonne à l’eau stagnante. Les autres n’ont pas besoin de ce livre ; la Société les considère, tout le monde en dit du bien : ils sont les « satisfaits ». On pourrait nous faire remarquer que nous nous sommes laissés entraîner par notre indignation, que somme toute rien ne prouve que notre colère, nos invectives ne soient pas, elles aussi, une manière de paraître. Attention : ce qu’on trouvera dans ce livre, ce sont des observations, des opinions, des thèses, des indications, il restera au lecteur à déterminer ce qu’elles valent. Notre dessein est seulement d’amener ceux qui nous liront à penser plus profondément.

6) Notre position
Toutes les objections entendues, nous posons en thèse, que quiconque réfléchit, et considère attentivement les hommes et les choses, rencontre dans l’ensemble des manifestations sociales réunies sous le nom de « Société », une barrière à peu près infranchissable à la vie vraie, libre, individuelle, une barrière fondée sur un fait patent, indéniable : l’exercice de l’autorité. Cela suffit pour qu’il qualifie de mauvaise la société actuelle et qu’il en souhaite la disparition.

[4. Les deux attitudes / 5. A qui s’adresse cet ouvrage.]

Nous répondons franchement que nous n’entendons pas écrire pour tous les êtres qui constituent la société. Qu’on nous comprenne bien : nous nous adressons, répétons-le, à « ceux qui réfléchissent » ou « en voie de réfléchir », — à ceux qui s’impatientent d’être contraints d’attendre le grand nombre qui ne peut ou veut réfléchir, — à ceux qui ne s’accommodent pas de l’apparence et que le stade actuel de l’évolution générale ne satisfait point. Nous écrivons pour les curieux, pour les penseurs, pour les critiques, — pour ceux que ne contentent point les formules qui ne se laissent point discuter ou les solutions bouche—trous.
De deux choses l’une : Ou il n’y a rien à faire qu’à laisser se poursuivre lentement l’inévitable évolution, à se courber lâchement devant les circonstances, à assister, passif, au défilé des événements et admettre qu’en attendant mieux, tout est bien dans la meilleure des sociétés. — Nos thèses et nos opinions n’intéresseront point ceux qui partagent cette façon de voir. — Ou bien sans s’armer d’un optimisme exagéré, on peut s’écarter de la grande route, se retirer pour un moment sur une éminence, s’interroger, se sonder sur les racines de son propre malaise. Nous nous adressons à ceux que la société actuelle ne satisfait pas, — à ceux qui ont soif de vie vraie, d’activité réelle et qui ne rencontrent autour d’eux qu’artificiel et irréel. Il en est qui sont altérés d’harmonie et se demandent pourquoi, autour d’eux, abondent le désordre et les luttes fratricides. Ils trouveront peut-être dans le cours de ces pages, une réponse à leurs angoisses.

Concluons : l’esprit qui réfléchit et qui considère attentivement les hommes et les choses rencontre dans l’ensemble de faits qu’on nomme société, une barrière à peu près infranchissable à la vie vraie, libre, indépendante, individuelle. Cela suffit pour qu’il la qualifie de mauvaise et qu’il souhaite sa disparition. Il ne nous reste plus qu’a examiner si ce souhait est réalisable.

2. Les réformateurs et les transformateurs du milieu social.
  1. 7) La douleur universelle.
  2. 8) Réformateurs et transformateurs religieux.
  3. 9) L’expiation, le péché, le sacrifice.
  4. 10) L’aboutissant religieux.
  5. 11) L’idéal des réformateurs religieux.
  6. 12) Réformateurs et transformateurs légalitaires.
  7. 13) La loi et le « bon citoyen ».
  8. 14) Origine de la loi.
  9. 15) La loi dans son application.
  10. 16) L’idéal légalitaire.
  11. 17) Réformateurs et transformateurs économiques.
  12. 18) Les origines du socialisme. Les
  13. précurseurs socialistes.
  14. 19) Le fait économique.
  15. 20) Les divers aspects du socialisme.
  16. 21) Importance du socialisme.
  17. 22) Le syndicalisme.
  18. 23) L’organisation.
  19. 24) La dictature du prolétariat.
  20. 25) L’idéal socialiste.
2. LES RÉFORMATEURS DE LA SOCIETE
  1. On souffre moins parce que certains ont souffert davantage.
  2. Leurs illusions.
  3. Les réformateurs religieux et leurs idées. — Le croyant et le fait religieux.
  4. Les réformateurs légalitaires.
  5. D’où émane la loi.
  6. La loi dans la pratique.
  7. Le bon citoyen, l’état et le fait légal.
  8. Les réformateurs économiques.
  9. Origines du socialisme.
  10. Le fait économique.
  11. Différentes tendances socialistes.
  12. Des voix, non des hommes.
  13. Syndicalisme.
  14. L’idéal socialiste.

2. Les réformateurs et les transformateurs du milieu social.

7) La douleur universelle

Ils sont rares ceux qui, du haut d’un optimisme béat, proclament que la Société . est parfaite. Si bien que les réformateurs, améliorateurs ou transformateurs de la Société sont légion. Il est si peu exact que les hommes soient contents de leur sort, que tout le monde se plaint de son lot, même les mieux partagés. Sans rechercher le degré de sincérité que renferment ces lamentations, le fait est patent et la douleur se proclame « universelle ».

Que la civilisation contemporaine ait fait faillite, c’est un lieu commun que de l’écrire. Que les civilisations antérieures n’aient pas mieux réussi, nul ne saurait le nier. Elles ont, les unes et les autres, échoué en ceci : qu’elles n’ont jamais pu assurer aux êtres humains qu’elles rassemblaient sous leur égide une somme de bonheur suffisante pour que la vie — la vie individuelle et la vie collective — fût trouvée bonne et agréable à vivre. Il est vrai que les civilisations qui se sont succédé ne se sont pas toujours assigné clairement ce but, ou bien elles ne se le sont proposé que d’une façon parfois fort imparfaite, et il est évident qu’elles ont souvent exclu de la participation au bonheur, tel qu’elles se le représentaient, une portion considérable de sous-hommes : hors castes de toutes catégories, esclaves, serfs et autres. Cependant, plus ou moins complètement, avec plus ou moins d’exceptions, les grandes civilisations qui ont brillé sur la planète avaient en vue, d’une façon générale, le bonheur des peuples pour ou parmi lesquels elles florissaient.

Je prétends qu’elles ont échoué, misérablement échoué. Je concède volontiers que les conducteurs qui les orientaient aux époques les plus glorieuses, les plus remarquables, les plus prospères de leur histoire, ont fourni tout l’effort dont ils étaient capables. Je n’en maintiens pas moins que la vie « civilisée », la vie « sociale », jadis et aujourd’hui, est une charge, un fardeau, voire une douleur continue pour la plupart des vivants. Et cela à un tel point qu’on peut se demander si vie « en société » et malheur ne sont pas des termes synonymes. Sans doute y a-t-il des exceptions, mais il y en a si peu, et elles sont l’apanage d’un nombre si restreint de privilégiés, qu’elles ne font guère que confirmer la thèse de l’universelle souffrance.

II — LES RÉFORMATEURS DE LA SOCIETE

Ils sont rares, malgré tout, ceux qui, du haut d’un optimisme béat, proclament que la société est parfaite. Leur rareté est telle que les réformateurs, améliorateurs ou transformateurs de la société sont légion. Il n’est pas exact que tous les hommes soient contents de leur sort; à dire vrai, tout le monde se plaint de son lot, même les mieux partagés. Sans rechercher le degré de sincérité que renferment ces lamentations, le fait est patent et la douleur se proclame universelle. On peut dire que si, sous ses fermes les plus grossières, elle s’est atténuée quelque peu, le résultat en est dû aux quelques uns qui l’ont ressentie, traduite de façon plus aiguë, plus pénétrante, plus vibrante que le reste de leurs semblables. On souffre moins parce que certains ont souffert davantage. On nous fera remarquer que ces quelques-uns-là ont résumé, concrétisé, incarné la souffrance de tous ceux parmi lesquels ils vivaient — qu’ils ont été les porte-voix, les représentants, comme les délégués de la grande masse agonisante et broyée sous le faix de la douleur, incapable d’exprimer sa détresse autrement que par des clameurs confuses. Qui le sait? Ils ont affirmé, crié jusque dans les supplices avoir entendu les sanglots désespérés des multitudes. Nous avons leur témoignage, fort respectable, certes, mais nous ignorons s’ils n’ont pas dénommé souffrances de tous leurs propres souffrances.

C’est de leurs propres angoisses, de leurs propres désespoirs qu’ils nous font part et l’écho de la détresse universelle passe par le prisme de leurs observations, souvent de leurs sentiments généreux.

La vérité c’est que le plus grand obstacle à leur œuvre de libération a été cette foule même qu’ils voulaient affranchir. L’histoire tout entière s’en porte garant : à chaque page, on y raconte que des hommes supérieurs, de cœur et d’intelligence vastes, se sont donnés, sacrifiés, pour le plus grand nombre qui les trahit ou les abandonna lorsque sonna l’heure de Faction ou celle du péril.

Il devient secondaire, après cela, de s’inquiéter s’ils traduisaient les aspirations de gens qui les délaissaient au moment du besoin. Si nous pouvions projeter la lueur d’un fanal dans les profondeurs de leur être intérieur, nous y verrions ceci sans doute, c’est qu’en pourrissant au fond des cachots, en gravissant les marches des échafauds ou les degrés des buchers, ils goûtaient cette volupté âpre, profonde que ressent quiconque souffre parce qu’il a mis d’accord sa vie extérieure et ses convictions, ses persuasions intimes.

8) Réformateurs et transformateurs religieux.

Il serait fastidieux d’énumérer toutes les classes et sous-classes entre lesquelles se cataloguent les réformateurs et les transformateurs du milieu social. Un gros volume n’y suffirait pas et ce n’est pas le but de notre livre. Trois grandes divisions suffiront à les embrasser tous. Les plus anciens en date sont les réformateurs religieux.

Pour les esprits avertis, leurs thèses ne présentent plus qu’un intérêt rétrospectif. Leurs fantaisies eurent de la valeur dans les temps — pas toujours très reculés — où les hommes, même les mieux doués, craintifs en face des phénomènes mal expliqués ou des incidents fortuits de l’existence, cherchaient un recours, un appui, une réponse à leurs questions dans une intervention extra- humaine. Car c’est à une intervention extra-humaine, extra-naturelle, volonté de la divinité ou révélation de sa volonté qu’en reviennent toujours les réformateurs religieux. Le membre de la Société, ou plutôt la créature, est un jouet aux mains du créateur ; le grand drame de l’évolution historique des groupements humains, l’inégalité des naissances ou des aptitudes, la mainmise des puissants et des arrogants sur le reste des hommes, tout cela provient du bon vouloir de la divinité — c’est l’expression tangible de son ouvrage. « Que la volonté divine soit faite ! », voilà le dernier mot des âmes les plus spirituelles, les plus éperdument religieuses, même quand cette soi-disant volonté implique annihilement de la personnalité individuelle, acceptation passive de tout ce qui étouffe la croissance et l’épanouissement de la vie personnelle.

[AII-08]

J’en reviens aux « réformateurs de la société ». Il serait fastidieux d’en énumérer toutes les classes et sous—classes entre lesquelles ils se cataloguent. Un gros volume n’y suffirait pas et ce n’est pas le but de notre livre. Trois grandes divisions suffiront à les embrasser tous.

Les plus anciens en date sont les réformateurs religieux. Leur œuvre et leurs prétentions n’ont guère d’importance à l’heure actuelle, où, à la clarté de la libre-recherche et du libre-examen, les dogmes reculent et s’enfuient, honteux, dans les ténèbres du passé, telles des chauves-souris qui, surprises par une lueur aveuglante, battent en retraite dans l’ombre des cavernes. Leurs projets ne présentent plus qu’un intérêt rétrospectif. Leurs fantaisies eurent de la valeur dans les temps — pas toujours très reculés — où les hommes même les mieux doués, craintifs en face des phénomènes naturels mal expliqués ou des incidents fortuits de l’existence cherchaient un recours, un appui, une réponse à leurs questions dans une intervention extra-humaine. Car c’est à une intervention extrahumaine, extranaturelle, volonté de la divinité ou révélation de sa volonté qu’en reviennent toujours les réformateurs religieux. Le membre de la société, ou plutôt la créature, est un jouet aux mains du créateur; le grand drame de l’évolution des groupements humains, l’inégalité des naissances ou des aptitudes, la main mise des puissants et des arrogants sur le reste des hommes, tout cela provient du bon vouloir de la divinité — c’est l’expression tangible de son ouvrage. « Que sa volonté soit faite », voilà le dernier mot des âmes les plus spirituelles, les plus éperdument religieuses, même quand cette soi-disant volonté implique annihilement de la personnalité individuelle, acceptation passive de tout ce qui étouffe la croissance et l’épanouissement de la vie personnelle.

9) L’expiation, le péché, le sacrifice.

Mais il y a un autre point de vue qu’il faut étudier pour assimiler le problème religieux dans toute son étendue et bien comprendre l’ « état d’âme religieux ». L’être sincèrement, profondément religieux est dévoré par un besoin inextinguible, inassouvissable d’expiation. Même irréprochable au point de vue moral et social, il sent comme une aspiration. irrésistible au renoncement à ses facultés de réflexion pour trouver une joie âpre et obsédante dans un sentiment aigu de regret et de remords de ne point se trouver conforme à un certain idéal de valeur ou de niveau moral, soit qu’il se soit tracé lui-même cet idéal, soit qu’il lui ait été indiqué par le dogme ou montré par le prêtre. L’être sincèrement religieux place en un absolu de pureté et de sainteté qu’il dénomme Dieu la somme de toutes les valeurs spirituelles qu’il est capable de concevoir ou d’imaginer. Il se sent toujours impuissant et misérable par rapport à cet absolu spirituel, vis-à-vis duquel il a conscience d’être moralement responsable.

Il établit une telle différence entre l’être en proie aux passions sensuelles qu’il est et le fantôme extra-naturel qu’il a édifié, qu’il se sent sans cesse en état plus ou moins accentué de désobéissance. Qu’est-ce que « le péché » en effet, sinon d’avoir cédé à l’attirance des passions, c’est-à-dire avoir préféré les jouissances tangibles et les excitations qu’elles procurent, aux abnégations et aux anéantissements « de la chair », ou encore à l’observation de certains rites, de certaines cérémonies ? L’être foncièrement religieux est un tourmenté qui va dans la vie en se demandant toujours comment il s’y prendra pour expier son insuffisance, racheter son péché. Il va sans dire que le sacrifice d’une génisse ou d’un bouc, ou même d’une plaintive tourterelle, pour symbolique qu’il soit, ne saurait contenter la, délicatesse de conscience d’un être éminemment spirituel. Le sang seul, c’est-à-dire la vie, rachète le péché. Pour expier, l’homme à état d’âme religieux se sacrifiera, se consacrera, se renoncera. Il fera don de sa vie : de sa chair et de son sang, c’est-à- dire qu’il mortifiera sa chair en imposant silence au bouillonnement de son sang, dût-il pour cela s’infliger des souffrances corporelles. Il se consacrera au service de la divinité, s’imposera toutes sortes de privations, s’abstiendra — malgré le désir qui l’en dévore — de goûter aux joies de l’existence, angoissé jusqu’à l’heure de la mort par un doute poignant, ignorant s’il a accompli suffisamment ou de la bonne façon de quoi calmer la colère de Dieu, de cet Absolu jaloux qui réclame de ses fidèles ou de ses créatures une soumission, une dévotion complète.

10) L’aboutissant religieux

Les réformateurs religieux n’ont jamais atteint que deux résultats : ou, sous prétexte de réformes, plonger leurs disciples dans un abîme de résignation et d’atrophie plus profond encore que le gouffre d’où ils prétendaient les tirer, ou bien, s’ils ont montré quelque sincérité, amener leurs partisans à. les dépasser, à devenir non plus des modificateurs des formes religieuses, mais des critiques de la base religieuse elle-même. Tel fut le cas de la Réforme qui aboutit loin du but que lui assignaient ses initiateurs : aux libres-penseurs du dix-huitième siècle d’abord ; à la diffusion de l’esprit critique contemporain ensuite, à l’anarchisme enfin, que l’on peut considérer comme le point culminant, normal et logique de l’évolution de la libre-pensée. Nous y reviendrons.

Quelles réformes, quelles transformations nous ont proposées les réformateurs religieux ? Généralement, le retour à une conception religieuse de jadis, abandonnée ou défigurée par des zélateurs corrompus ou attiédis. Quels idéals ont-ils présentés ? Une divinité unique ou partagée, un panthéon de dieu ou de demi-dieux doués ou affligés de tous les attributs, de toutes les qualités, de tous les défauts, de toutes les sottises dont les mortels se parent ou se déparent. Ils en reviennent tous là : à des dieux œuvrant, besognant comme des hommes pour que les hommes deviennent des dieux. La grande marotte des réformateurs religieux, c’est de pousser l’homme à devenir semblable à Dieu ou à s’annihiler en lui, sinon en ce bas monde, du moins en l’autre, puisque — soupape de sûreté et encouragement à la résignation — un jour luira après la mort, où la créature élue contemplera le créateur « face à face », où l’âme se complaira en d’éternelles béatitudes, où l’esprit retournera à l’esprit. Qu’importe que le nom de ce lieu de délices varie selon les races ou les climats. Qu’il se nomme Champs-Élysées, Walhalla ou Nirvana, le Paradis se réalise toujours de l’autre côté du tombeau.

Nous entendons les objections : nous sommes trop exclusifs, nous faisons bon marché et de révélation où planent les métaphysiques théologiques et du grand mystère qui gît à la racine des religions, la lutte entre le bien et le mal, le beau et le laid, le grand et le vil, le pur et l’impur ! Les religions parlèrent le langage de leur temps, c’est entendu -nous fait-on remarquer- mais leur vision dernière c’était le triomphe du juste et du bon qu’elles symbolisaient en des images frappant l’imagination. Nous ne nierons pas l’importance des religions dans l’histoire du développement des hommes : c’est un stade par lequel il dut passer.

N’oublions pas que, dans la pratique, ce que les prêtres ont pour but, c’est surtout le triomphe du dogme sur la libre recherche, du tyran sur le révolté, de l’obéissance au mystère sur la divulgation de l’initiation. Pour l’individualiste, c’est Prométhée qui a raison contre Jupiter, Satan contre Jéhovah, Eblis contre Allah, Ahriman contre Ormuzd.

La grandeur de la théologie, en y regardant de près, s’évanouit en casuistique. Si jamais les subtilités religieuses avaient atteint le degré d’élévation qu’on prétend, il ne resterait qu’à en tirer une conclusion : le regret de savoir que des cerveaux bien doués se soient livrés à pareils jeux d’esprit. Finalement, nul ne songe. à nier le désintéressement, la sincérité, l’enthousiasme pur de maint réformateur religieux dont les idées ne purent dépasser les conceptions courantes. Ils ont droit à notre impartiale appréciation, à rien d’autre.

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Les réformateurs religieux n’ont jamais atteint que deux résultats : ou, sous prétexte de réformes, plonger leurs disciples dans un abîme de résignation et d’atrophie plus profond encore que le gouffre d’où ils prétendaient les tirer, — ou bien, s’ils ont montré quelque sincérité, amener leurs partisans à les dépasser, à devenir non plus des modificateurs des formes religieuses, mais des critiques de la base religieuse elle-même. Tel fut le cas de la Réforme qui aboutit loin du but que lui assignaient ses initiateurs : aux libres-penseurs du dix-huitième siècle d’abord, à la diffusion de l’esprit critique contemporain ensuite, à l’anarchisme enfin, que l’on peut considérer comme le point culminant, normal et logique, de l’évolution de la libre-pensée. Nous y reviendrons.

Quelles réformes, quelles transformations nous ont proposées les réformateurs religieux ? généralement, le retour à une conception religieuse de jadis, abandonnée ou défigurée par des zélateurs corrompus ou attiédis. Quels idéals ont-ils présentés ; Une divinité unique ou partagée, un panthéon de dieux ou de demi-dieux doués ou affligés de tous les attributs, de toutes les qualités, de tous les défauts, de toutes les sottises dont les mortels se parent ou se déparent. Scandinaves ou sémites, hindous ou américains, ils en reviennent tous là : à des dieux œuvrant, besognant comme des hommes pour que des hommes deviennent des dieux. La grande marotte des réformateurs religieux, c’est de pousser l’homme à devenir semblable à dieu ou à s’annihiler en lui, sinon en ce bas-monde, du moins en l’autre, puisque — soupape de sûreté et encouragement à la veulerie — un jour luira après la mort, où la créature élue contemplera le créateur « face à face », où l’âme se complaira en d’éternelles béatitudes, où l’esprit retournera à l’Esprit. Qu’importe que le nom de ce lieu de délices varie selon les races ou les climats et qu’il se nomme Paradis, Champs-Elysées, Walhalla ou Nirvana.

Nous entendons les objections : nous sommes trop exclusifs, nous faisons bon marché et de l’élévation où planent les métaphysiques théologiques et du grand mystère qui gît à la racine des religions, la lutte entre le bien et le mal, le beau et le laid, le grand et le vil, le pur et l’impur ! Les religions parlèrent le langage de leur temps, c’est entendu, nous fait-on remarquer, mais leur vision dernière c’était le triomphe du juste et du bon qu’elles symbolisaient en des images frappant l’imagination. Nous ne nierons pas l’importance des religions dans l’histoire du développement des hommes ; c’est un stade par lequel il dut passer. Pour le reste, ce que les prêtres acclamaient, c’était surtout le triomphe du dogme sur la libre recherche, du tyran sur le révolté. C’est Prométhée qui a. raison contre Jupiter et Satan, contre Jéhovah…

La grandeur de la théologie, en y regardant de près, s’évanouit en casuistique. Si jamais les subtilités théologiques avaient atteint le degré d’élévation qu’on prétend, il ne resterait qu’à en tirer une conclusion : le regret de savoir que des cerveaux bien doués se soient livrés à pareils jeux d’esprit. Finalement, nul ne songe à nier le désintéressement, la sincérité, l’enthousiasme pur de maint réformateur religieux dont les idées ne purent dépasser les conceptions courantes. Ils ont droit à notre appréciation, à rien d’autre.

11) L’idéal des réformateurs religieux.

Résumons : les réformateurs religieux ont :

a) pour Idéal humain le croyant : il leur est impossible de donner une éducation autre qu’une éducation basée sur la foi, cette vertu « indémontrable » ; le croyant « l’homme qui a la foi » — quelle que soit son instruction ou quelles que soient ses aptitudes — ne franchira jamais certaines frontières, n’osera pas goûter aux fruits que produit « l’arbre du bien et du mal », n’expérimentera. point toutes choses ; c’est un timoré : il a peur de se trouver face à face avec un fait qui détruise sa foi ;

b) pour idéal moral : Dieu, c’est-à-dire une entité fictive, scientifiquement indémontrable, prétendue extra humaine et en réalité créée par l’homme, produit de son imagination ;

c) pour idéal social : le règne de Dieu sur la terre, autrement dit une société où n’habiteraient plus que des prêtres chargés d’expliquer et de commenter la volonté de la divinité, et des croyants contraints à l’accomplir. En un mot, une société basée sur le « fait divin ».

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Résumons : les réformateurs religieux ont :

a) pour idéal humain le croyant : il leur est impossible de donner une éducation autre qu’une éducation basée sur la foi, cette vertu « indémontrable » ; le croyant, l’homme qui a la foi — quelle que soit son instruction ou ses aptitudes — ne franchira jamais certaines frontières, n’osera pas goûter aux fruits que produit « l’arbre du bien et du mal », n’expérimentera point toutes choses; c’est un timoré : il a peur de se trouver face à face avec un fait qui détruise sa foi ;

b) pour idéal moral : Dieu, c’est a dire une entité fictive, scientifiquement indémontrable, prétendue extra humaine et en réalité créée par l’homme, produit de son imagination;

c) pour idéal social : le règne de Dieu sur la terre, autrement dit une société où n’habiteraient plus que des prêtres, chargés d’expliquer et de commenter la volonté de la divinité, et des croyants contraints à l’accomplir : En un mot, une société basée sur le fait divin.

12) Réformateurs et transformateurs légalitaires.

Si ceux qui proposent une réforme religieuse de la Société perdent du terrain chaque jour, il n’en va pas de même pour les réformateurs légalitaires, autrement dit ceux qui ne sauraient concevoir la Société que basée sur un code de réglementations et d’ordonnances désignées par abstraction : la Loi. Les réformateurs légalitaires admettent que la Société actuelle n’est pas parfaite, qu’elle est loin de l’être, lui concèdent d’être perfectible, éminemment, infiniment perfectible ; ils prétendent en même temps que les imperfections de la Société proviennent des défectuosités des lois, insuffisamment ou injustement appliquées, mais ils ajoutent que si ces lois étaient modifiées, remaniées dans un sens plus généreux, plus équitable, appliquées plus humainement, cette même Société, sans en devenir parfaite, se transformerait en un séjour de plus en plus supportable et agréable à habiter.

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Si ceux qui proposent une réforme religieuse de la société perdent du terrain chaque jour, un terrain irrémédiablement perdu, il n’en va pas de même pour les réformateurs légalitaires, autrement dit ceux qui ne sauraient concevoir la société que basée sur un code de réglementations et d’ordonnances désignées par abstraction : la loi. Les réformateurs légalitaires admettent que la société actuelle n’est pas parfaite, qu’elle est loin d’être parfaite, lui concèdent d’être perfectible, éminemment, infiniment perfectible ; ils prétendent en même temps que les imperfections de la société proviennent des défectuosités des lois, insuffisamment. ou injustement appliquées, mais ils ajoutent que si ces lois étaient modifiées, remaniées dans un sens plus généreux, plus équitable, appliquées plus humainement, cette même société, sans en devenir parfaite, se transformerait en un séjour de plus en plus supportable et agréable à habiter.

13) La loi et le « bon citoyen ».

Nulle agglomération d’hommes, disent-ils, ne peut subsister sans lois écrites, réglementant les droits et les devoirs de « bon citoyen » : chacun en fixant les infractions déterminant leurs châtiments. Aux lois, à la loi, leur expression idéale, le citoyen doit obéir, comme le croyant obéit à la divinité. Aux commentateurs de la loi, il doit la même déférence respectueuse que le fidèle aux interprètes de la volonté divine. C’est à la conformité de ses actes extérieurs avec la loi qu’on reconnaît le citoyen modèle. L’idéal des légalitaires, l’idéal type, c’est le « bon citoyen » qui, par obéissance à la loi, par amour pour elle, fait litière de son indépendance, de ses aspirations personnelles même les plus légitimes, de ses affections, s’il le faut ; — se sacrifie lui-même et, le cas échéant, ceux qui lui sont les plus chers. Dura lex, sed lex.

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Nulle agglomération d’hommes, disent-ils, ne peut subsister sans lois écrites, réglementant les droits et les devoirs de chacun, en fixant les infractions, déterminant leurs châtiments. Aux lois, à la Loi, leur expression idéale, le citoyen doit obéir, comme le croyant obéit à la divinité. Aux commentateurs de la loi, il doit la même déférence respectueuse que le fidèle aux interprètes de la volonté divine. C’est à la conformité de ses actes extérieurs avec la loi qu’on reconnait le citoyen modèle. L’idéal des légalitaires, l’idéal type, c’est le « bon citoyen » qui, par obéissance à la loi, par amour pour elle, fait litière de son indépendance, de ses aspirations personnelles même les plus légitimes, de ses affections, s’il le faut; — se sacrifie lui-même et, le cas échéant, ceux qui lui sont les plus chers. Dura lex, sed lex.

14) Origine de la loi.

La loi peut émaner d’un seul, comme c’est le cas pour les aristocraties. En réalité, à part d’extraordinaires exceptions, elle n’émane jamais du monarque seul, même dans les régimes les plus absolutistes ; les lois en vigueur sont l’expression des intérêts ou des conceptions de la camarilla groupée autour du trône, des partisans de la dynastie régnante.

La loi peut encore émaner d’un petit nombre d’individus, influents dans l’Etat, dans les mains desquels se trouve concentrée la gestion gouvernementale, — que ces privilégiés soient des prêtres, comme dans le cas des théocraties, si fréquentes dans l’antiquité, où la loi. reposait le plus souvent sur des fondations mystiques ; ou des laïques, comme dans le cas des aristocraties ou des oligarchies dont l’exemple très étudié nous est fourni par les républiques italiennes du Moyen âge. Dans ce cas-là, les lois sont purement destinées à conserver en possession de la domination politique et économique un petit nombre de familles dont l’œuvre consiste à faire admettre, tantôt comme révélation divine, tantôt comme indispensable à la sûreté de l’Etat, la nécessité de la continuité de leur autorité.

La loi peut encore paraître émaner du plus grand nombre, de la majorité des citoyens, être l’expression de la « souveraineté populaire », comme on le prétend dans le cas des démocraties, monarchies constitutionnelles ou républiques. Ce n’est qu’une apparence, car dans nos collectivités contemporaines l’éducation dispensée aux masses fait d’elles un reflet des idées et des intérêts des « classes dirigeantes », de la « bourgeoisie » ; les lois démocratiques ne formulent que ces idées ou ces intérêts.

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La loi peut émaner d’un seul, comme c’est le cas pour les autocraties ; en réalité, à part d’extraordinaires exceptions, el-le n’émane jamais du monarque seul, même dans les régimes les plus absolutistes. Les lois en vigueur sont l’expression des intérêts ou des conceptions de la camarilla groupée autour du trône, des partisans de la dynastie régnante.

La loi peut encore émaner d’un petit nombre d’individus, influents dans l’État, dans les mains desquels se trouve concentrée la gestion gouvernementale, — que ces privilégiés soient des prêtres, comme dans le cas des théocraties, si fréquentes dans l’antiquité, où la loi reposait le plus souvent sur des fondations mystiques; ou des laïques, comme dans le cas des aristocraties ou des oligarchies dont l’exemple très étudié nous est fourni par les républiques italiennes du moyen âge. Dans ce cas-là, les lois sont purement destinées à conserver en possession de la domination politique et économique un petit nombre de familles dont l’œuvre consiste à faire admettre, tantôt comme révélation divine, tantôt comme indispensable à la sûreté de l’État, la nécessité de la continuité de leur autorité.

La loi peut encore paraître émaner du plus grand nombre, de la majorité des citoyens, être l’expression de la « souveraineté populaire», comme on le prétend dans le cas des démocraties, monarchies constitutionnelles ou républiques. Ce n’est qu’une apparence, car dans nos collectivités contemporaines l’éducation donnée aux masses fait d‘elles un reflet des idées et des intérêts des « classes dirigeantes », de la « bourgeoisie », les lois démocratiques ne formulent que ces idées ou ces intérêts.

15) La loi dans son application

Dans la pratique, la loi se résume en ceci : qu’étant admis certains principes régissant les sociétés : principes civiques, moraux, économiques, etc., il s’agit de formuler une règle d’application qui détermine les circonstances dans lesquelles le sujet ou le citoyen affermit ou met en danger lesdits principes.

Prenons le principe de la « propriété », pierre angulaire du droit civil ; la tâche de la loi consistera non seulement à confirmer en leurs droit ceux qui possèdent, mais encore à les protéger contre les attaques de ceux qui attenteraient à ces droits. La loi déterminera dans quelles conditions la propriété s’acquiert, se perd, se transmet ; elle énoncera en outre les châtiments qu’il convient d’infliger à ceux qui tentent de s’attribuer la propriété d’autrui ; elle établira la signification juridique des faits qualifiés « violence », « ruse », « fraude », « dol ». Elle n’ira pas au-delà. La loi ne s’occupera pas s’il est juste ou injuste que la propriété ou le capital soient concentrés dans les mains de quelques-uns, si cet accaparement lui-même n’est pas la cause des attaques à la propriété ; s’il y a une propriété équitable ou une propriété inique. Elle n’en a cure.

Autre exemple : les lois constitutionnelles françaises décrètent que tout citoyen est majeur à 21 ans et qu’il jouit à ce moment de ses droits civils et politiques. Elle ne se préoccupe pas de la capacité morale de l’individu mis ainsi à même de choisir les législateurs, elle ne s’inquiète pas s’il possède la moindre notion de la gestion des affaires publiques s’il peut être menteur, fourbe, lâche, ivrogne ; savoir à peine lire et écrire ; la loi n’en a cure.

Prenons encore le mariage, qui joue un très grand rôle dans le droit actuel. Deux êtres humains se présentent devant un officier d’état civil et les voici liés, — sinon pour la vie, puisque le divorce, tout long et coûteux qu’il soit à obtenir, peut dissocier le lien conjugal, — mais pour une période toujours assez longue durant laquelle l’un des conjoints, le mari, exerce sur l’autre une tutelle à laquelle ce dernier ne peut. que rarement ou exceptionnellement se soustraire. La loi ne s’inquiétera pas si c’est une union dictée par l’amour, un mariage de convenances, ou un accouplement arrangé par des parents soucieux bien plus d’unir des intérêts que des affections. Elle ne se demande pas s’il y a eu tromperie, dissimulation de caractère ou de tempérament, si les conjoints sont qualifiés pour remplir le rôle d’époux, si leur union est le fruit d’un attachement mutuel ou le résultat d’un entraînement sensuel ou passager. La loi n’en a cure.

Un criminel paraît devant un tribunal, peu importe le délit. Que va-t-il se produire ? Drapé dans sa robe de pourpre et d’hermine, défenseur de la Société, l’applicateur de la loi ne s’occupera ni de l’éducation de l’homme qui se présente à sa barre, ni des influences héréditaires qui ont pu déterminer ses actes, ni des péripéties de son existence. Il ne se demandera pas si avant de « tomber », le délinquant n’a pas résisté à cent tentations ; si les conditions d’existence du milieu lui-même ne l’ont pas entraîné à commettre le délit qu’on lui impute maintenant à défaveur. Il n’en a cure, il condamnera.

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Dans la pratique la loi se résume en ceci : qu’étant admis certains principes régissant les sociétés, principes civiques, moraux, économiques, etc., il s’agit de formuler une règle d’application qui détermine les circonstances dans lesquelles le sujet ou le citoyen affermit ou met en danger lesdits principes. Prenons le principe de la propriété, pierre angulaire du droit civil; la tâche de la loi consistera non seulement à confirmer en leurs droits ceux qui possèdent, mais encore à les protéger contre les attaques de ceux qui attenteraient à ces droits.

La loi déterminera dans quelles conditions la propriété s’acquiert, dans quelles conditions elle se perd, dans quelles conditions encore elle se transmet; elle déterminera en outre les châtiments qu’il convient d’infliger à ceux qui tentent de s’approprier la propriété d’autrui; elle établira la signification juridique des faits qualifiés « violence », « ruse », « fraude », « dol ». Elle n’ira pas au delà. La loi ne s’occupera pas s’il est juste ou injuste que la propriété ou le capital soient concentrés dans les mains de quelques-uns, si cet accaparement lui-même n’est pas la cause des attaques à la propriété. Elle n’en a cure.

Autre exemple : les lois constitutionnelles françaises décrètent que tout citoyen est majeur à 21 ans et qu’il jouit à ce moment de ce qu’on nomme ses droits civils et politiques. Elle ne se préoccupe pas de la capacité morale de l’individu mis ainsi à même de choisir les législateurs, elle ne s’inquiète pas s’il possède la moindre notion de la gestion des affaires publiques, il peut être menteur, fourbe, lâche, ivrogne, professer les idées les plus rétrogrades, savoir à peine lire et écrire, la loi n’en a cure.

Prenons encore le mariage, qui joue un très grand rôle dans le droit actuel. Deux êtres humains se présentent devant un officier d’état civil et les voici liés, — sinon pour la vie puisque le divorce, tout long et coûteux qu’il soit à obtenir, peut dissocier le lien conjugal, — mais pour une période toujours assez longue durant laquelle l’un des conjoints, le mari, exerce sur l’autre une autorité à laquelle ce dernier ne peut que rarement Se soustraire. La loi ne s’inquiètera pas si c’est une union dictée par l’amour ou un mariage de convenances, ou bien un accouplement arrangé par des parents soucieux bien plus d’unir des intérêts que des affection. Elle ne se demande pas s’il y a eu tromperie, dissimulation de caractère ou de tempérament, si les conjoints sont qualifiés pour remplir le rôle d’ép0ux, si leur union est le fruit d’un attachement mutuel, ou le résultat d’un entraînement sensuel, passager, flambée de paille. La loi n’en a cure.

Un criminel paraît devant un tribunal, peu importe le délit. Que va-t-il se produire î? C’est que mécaniquement, un juge, d’origine et d’éducation bourgeoises, lui infligera la peine que le code prescrit pour des fautes identiques à celle qu’on lui reproche. Ce n’est que dans certains cas et grâce au jeu de circonstances atténuantes arbitrairement et très souvent erronément appliquées qu’il adoucira le châtiment. Drapé dans sa robe de pourpre et d‘hermine, défenseur de la société et de la loi, il ne s’occupera ni de l’éducation de l’homme qui se présente a sa barre, ni des influences héréditaires qui ont pu déterminer ses actes, ni des péripéties de son existence. Il ne se demandera pas si avant de « tomber », le délinquant n’a pas résisté à cent tentations : il ne se demandera pas si la société elle-même ne lui a pas fourni les moyens de commettre le délit qu’elle lui impute maintenant à défaveur. Il n’en a cure, il condamnera.

16) L’idéal légalitaire

En résumé, les légalitaires présentent :

a) un idéal humain : le parfait citoyen, l’être qui obéit à la loi. Aussi, l’éducation légalitaire que l’Etat dispense au futur citoyen a t-elle pour but, selon un programme bien arrêté, de le pénétrer de respect à l’égard des faits, des gestes et des hommes qui consacrent, protègent et perpétuent les choses reconnues bien fondées par la loi ;

b) un idéal moral : la Loi, une abstraction, de création purement humaine, mais essentiellement restrictive des besoins, des aspirations du constituant de la Société envisagé comme individu ;

c) un idéal social : l’Etat, une Société où les rapports entre les hommes sont uniquement conçus et réalisés dans les limites établies par la loi, en d’autres termes, basée sur le « fait légal ».

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En résumé les légalitaires présentent:

a) un idéal humain : le parfait citoyen, l’être qui obéit à la loi. Aussi, l’éducation que l’État dispense au futur citoyen a-t-elle pour but, selon un programme bien arrêté, de le pénétrer de respect à l’égard des faits, des gestes et des hommes qui consacrent, protègent et perpétuent les choses reconnues bienfondées par la loi ;

b) un idéal morale : la loi, une abstraction, de création purement humaine, mais essentiellement restrictive des besoins, des aspirations du membre de la société envisagé comme individu ;

c) un idéal social : l’État, une société où les rapports entre les hommes sont uniquement conçus et réalisés dans les limites établies par la loi, en d’autres termes, basée sur le fait légal.

17) Réformateurs et transformateurs économiques.

En opposition apparente avec les théories des réformateurs religieux et légalitaires, avec le but évident de les évincer, se dressent, derniers venus et déjà puissants, ceux que nous dénommerons les réformateurs, transformateurs « économiques » ceux qui fondent la vie des agglomérations humaines sur l’arrangement de la production, de la distribution et de la consommation des choses nécessaires à la subsistance des membres des sociétés, autrement dit les « socialistes ».

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En opposition apparente avec les théories des réformateurs religieux et légalitaires, avec le but évident de les évincer, se dressent, derniers venus et déjà puissants, ceux que nous dénommerons les réformateurs économiques, ceux qui fondent la vie des agglomérations humaines sur l’arrangement de la production, de la distribution et de la consommation des choses nécessaires à la subsistance des membres des sociétés, autrement dit les socialistes.

18) Les origines du socialisme. Les précurseurs socialistes.

Bien que le socialisme collectiviste, le socialisme scientifique se targue d’origines récentes et que le .communisme, accomplissement du socialisme, ne prétende parfois remonter au début du XIXe siècle il est hors de doute que les différentes écoles socialistes comptent de nombreux précurseurs, surtout parmi les sectes chrétiennes du Moyen âge. En France, en Allemagne, dans les Pays Bas et ailleurs ont abondé les socialistes ou communistes qui prétendaient tirer des idées évangéliques leurs idées d’égalité économique, de mise en commun de la richesse collective. Ils ont d’ailleurs des successeurs contemporains. Les épisodes historiques auxquels Albigeois, Vaudois, Anabaptistes, Niveleurs et bien d’autres encore ont attaché leur nom et dû de passer à la postérité en sont une preuve suffisante ; au temps de Cromwell, Winstanley le piocheur rédigeait une charte collectiviste. Les annales judiciaires, cela va sans dire, nous représentent ces précurseurs comme des bandits de grand chemin ou des possédés du démon et il faut deviner plutôt que rétablir la vérité quand on parcourt le jargon juridique qui motive les condamnations à mort de tant d’entre eux.

D’ailleurs, l’idée d’égalité économique a toujours persisté, latente, parmi les chrétiens hétérodoxes : c’est une tradition qui paraît remonter loin, à l’agglomération judéo-chrétienne de Jérusalem qui, au lendemain de la disparition du fondateur du christianisme, se constituait en groupement collectiviste volontaire. Légende, peut-être, qui ne ferait que prouver l’ancienneté de la tradition. Quoi qu’il en soit, la forme scientifique du collectivisme ou du communisme contemporain n’est qu’une adaptation économique à l’esprit des temps actuels du christianisme, surtout du catholicisme. Sous une terminologie différente le socialisme et le christianisme préconisent l’amour entre les hommes, tous les hommes, qu’ils appellent chacun et tous au banquet de la vie sans réclamer d’effort autre qu’une adhésion extérieure à un programme, nous allions dire l obéissance à un credo. C’est avec raison qu’on a pu qualifier le socialisme : « la religion du fait économique ».

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Bien que le socialisme collectiviste, le socialisme scientifique se targue d’origines récentes et que le communisme, nuance du socialisme, ne prétende parfois remonter au delà du début du XIXe siècle, il est hors de doute que les différentes écoles socialistes comptent de nombreux précurseurs, surtout parmi les sectes chrétiennes du moyen-âge. En France, en Allemagne, dans les Pays-Bas et ailleurs ont abondé les socialistes ou communistes qui prétendaient tirer des idées évangéliques leurs idées d’égalité économique, de mise en commun de la richesse collective. Les épisodes historiques auxquels Albigeois, Vaudois, Anabaptistes, Niveleurs et bien d’autres encore ont attaché leur nom et dû de passer à la postérité en sont une preuve suffisante ; au temps de Cromwell, Winstanley le piocheur rédigeait une charte collectiviste. Sans aucun doute ces épisodes nous parviennent sous une forme légendaire, ou tronquée et défigurée par la malignité des chroniqueurs contemporains; les annales judiciaires, cela va sans dire, nous représentent ces précurseurs comme des bandits de grand chemin ou des possédés du démon et il faut deviner plutôt que rétablir la vérité quand on parcourt le jargon juridique qui motive les condamnations à mort de tant d’entre eux. Il nous reste les romans des utopistes dont nous prendrons Thomas Morus comme type.

D’ailleurs l’idée d’égalité économique a. toujours persisté, latente, parmi les chrétiens hétérodoxes : c’est une tradition qui parait remonter loin, à commencer par l’agglomération judéo-chrétienne de Jérusalem, qui au lendemain de la disparition de Jésus de Nazareth se constituait en groupement collectiviste volontaire. C’est peut-être une légende, qui ne ferait que prouver l’ancienneté de la tradition. Quoiqu’il en soit, la forme scientifique du collectivisme ou du communisme contemporain n’est qu’une adaptation à l’esprit des temps actuels du christianisme, considéré économiquement; nous ne soulevons cette thèse qu’en passant, mais il est curieux et instructif de constater qu’à l’instar du christianisme, surtout du catholicisme — et sous une terminologie autre — le socialisme et le christianisme préconisent l’amour entre les hommes, tous les hommes, qu’ils appellent chacun et tous au banquet de la vie sans réclamer d’effort autre qu’une adhésion extérieure à un programme, nous allions dire à un credo. C’est avec raison qu’en a pu qualifier le socialisme : « La religion du fait économique ».

19) Le fait économique.

Sous sa forme actuelle, le socialisme affirme et se fait fort de prouver que le problème humain est uniquement d’ordre économique. L’homme n’intéresse le socialisme qu’envisagé sous son double rôle, sous sa double fonction de producteur et de consommateur. La Société fonctionnera donc parfaitement dès que les socialistes ou communistes se trouveront dans les conditions requises pour y organiser le travail et y répartir les produits.

[AII-19]

Sous sa forme actuelle, le socialisme affirme et se fait fort de prouver que le problème humain consiste uniquement en un fait économique, que si la répartition de la production humaine s’opérait équitablement, grâce à une organisation adéquate, chacun recevrait la part représentant sa consommation, que du même coup se trouveraient résolues les aspirations ou les difficultés d’ordre éthique, intellectuel, sentimental même. L’homme n’intéresse le socialisme qu’envisagé sous son double rôle, de sa double fonction de producteur et de consommateur. La société fonctionnera donc parfaitement dés que les socialistes se trouveront dans les conditions requises pour y organiser le travail et y répartir les produits.

20) Les divers aspects du socialisme.

Nombreux sont les moyens proposés pour atteindre ce but, tout différents qu’ils soient selon les périodes et les races. La thèse est d’une simplicité enfantine : qu’on nous mette à même, disent les socialistes, de nous emparer de la puissance nécessaire pour administrer la Société et, bon gré, mal gré, nous appliquerons nos doctrines. En dépit d’un antagonisme apparent, on s’aperçoit bientôt, à l’étude, que loin de se combattre les moyens proposés pour conquérir cette puissance se complètent. Parmi les socialistes, les uns veulent employer la violence révolutionnaire et s’emparer par la force de l’administration des choses, les autres comptent sur le bulletin de vote pour parvenir plus rapidement à ce qu’il est d’usage de nommer « la conquête des pouvoirs publics ». Ici, le socialisme se proclame matérialiste, est violemment athée et sensualiste ; là il est .moniste, teinté d’un mysticisme mécaniste ; ailleurs il fraye volontiers avec le christianisme, s’intitule même « chrétien social » ou « socialiste chrétien ».

On a vu le socialisme se commettre avec les antimilitaristes, les antipatriotes et même les syndicalistes anarchisants ; on l’a vu caporaliste, partisan de la « défense nationale », fuir les anarchistes comme la peste et, possédant le pouvoir, les traquer comme n’importe quel gouvernement bourgeois.

N’importe où, d’ailleurs, en temps d’élection, un candidat socialiste sait changer de veste, d’antimilitariste avéré se transformer en un vague pacifiste et faire risette aux capitalistes de la circonscription ; ne s agit-il pas avant tout de ne point effrayer !’électeur ? Dans le catholicisme on rencontre ainsi des confesseurs d’une austérité remarquable ; et d’autres, coulants, qui s’entendent à merveille à absoudre les mondaines de leurs péchés mignons.

Tout cela est logique. Une chose importe : conquérir une position permettant d’organiser la production et la répartition des produits indispensables à l’alimentation des sociétés, Qu’il s’agisse de la manière forte, chère aux socialistes ou communistes révolutionnaires antiparlementaires, qu’il s’agisse d’une saturation lente et progressive des populations et des assemblées parlementaires, selon le rêve des socialistes opportunistes, tout en revient au transfert de la puissance gouvernementale des mains de la « bourgeoisie » capitaliste (de la classe qui détient le « capital » espèces et le « capital » outils) à celles du « prolétariat » (classe des salariés et ouvriers de toute catégorie, représentée par ses dirigeants).

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Nombreux sont les moyens proposés pour atteindre ce but, tout différents qu’ils soient selon les périodes et les races. Pour revenir à une idée que nous n’avons fait qu’effleurer, le socialisme a ceci de commun avec le catholicisme qu’il renferme en ses rangs tous les tempéraments, tous les caractères imaginables, toutes les mentalités; on ne peut s’en étonner puisque l’unique lien qui réunit les socialistes est un lien purement extérieur; La thèse est d’une simplicité enfantine : qu’en nous mette à même, disent les socialistes, de nous emparer de la puissance nécessaire pour administrer la société et, bon gré, mal gré, nous appliquerons nos doctrines.

En dépit d’un antagonisme apparent, on s’aperçoit bientôt, à l’étude, que loin de se combattre les moyens proposés pour conquérir cette puissance se complètent. Parmi les socialistes, les uns veulent employer la violence révolutionnaire et s’emparer par la force de l’administration des choses, les autres comptent sur le bulletin de vote pour parvenir plus rapidement à ce qu’il est d’usage de nommer« la conquête des pouvoirs publics ». En France et dans les pays latins, le socialisme se proclame matérialiste, il est violemment athée et sensualiste; en Allemagne, il est moniste et haeckelien ; dans les pays anglo-saxons, il fraye volontiers avec le christianisme et on peut citer des « leaders » socialistes qui, le dimanche matin, prêchent le sermon dans quelque temple indépendant.

En France, le socialisme se commet avec les antimilitaristes, les antipatriotes et même les syndicalistes anarchisants.

En Allemagne, il est caporaliste et fuit les anarchistes comme la peste.

N’importe où, d’ailleurs, en temps d’élection, un candidat socialiste sait changer de veste, d’antimilitariste avéré se transformer en un vague pacifiste et faire risette aux capitalistes de la circonscription; ne s’agit-il pas avant tout de ne point effrayer l’électeur ? Dans le catholicisme on rencontre ainsi des confesseurs d’une austérité remarquable et d’autres, coulants, qui s’entendent à merveille à absoudre les mondaines de leurs péchés mignons.

Tout cela est logique. Une chose importe : conquérir une position permettant d’organiser la production et la répartition des produits indispensables à l’alimentation des sociétés. Qu’il s’agisse de la manière forte, chère aux socialistes révolutionnaires antiparlementaires, qu’il s’agisse d’une saturation lente et progressive des populations et des assemblées parlementaires, selon le rêve des opportunistes tout en revient à une question de chiffres. Le socialisme n’est pas pour une élite, il est pour tous.

De quelle importance peuvent être les sentiments religieux, les concepts patriotiques ou autres, le maintien des préjugés privés ? Ils n’enlèvent rien à ce fait : c’est que plus le nombre des socialistes croitra, plus rapidement s’avoisinera l’avènement de la Cité Socialiste — non sans avoir traversé toutes les phases de progrès et de recul inséparables d’un mouvement embrassant de vastes collectivités. Qu’importe donc la valeur personnelle de l’électeur socialiste, sa mentalité, son courage ? En temps de scrutin, une voix est .une voix et le bulletin d’un alcoolique vaut celui d’un génie. D’ailleurs qu’auraient à réclamer les impatients, les têtes chaudes du socialisme : ils sont le petit nombre et possèdent leurs représentants dans les conseils du parti.

21) Importance du socialisme.

Il serait puéril de nier l’influence qu’a acquis le socialisme. Il a suscité dans les couches profondes du prolétariat, dans mainte âme généreuse, l’enthousiasme et les espérances que souleva le christianisme parmi les esclaves de l’empire romain. En des temps de superstition, tandis que croulait le prestige des dieux, le christianisme proclama, par la voix d’apôtres d’abord ardents et désintéressés, que devant Dieu, créateur des cieux et de la terre, tous les hommes étaient égaux, chanson douce à l’oreille des déshérités.

De nos jours, alors que le christianisme a fait faillite, que la Révolution française a promulgué, sinon réalisé, l’égalité politique, qu’à mesure que diminue le respect du passé, l’instruction se répand ; de nos jours, le socialisme fait appel aux nécessités immédiates : à. celles qui tombent sous les sens. La question sociale, clame-t-il, c’est une question de ventre, Magerfrage, une question d’estomac ! Dans une Société où s’affirment sans cesse des besoins nouveaux, — parfois artificiels, c’est entendu, mais qui n’en réclament pas moins impérieusement satisfaction, — comment cet appel ne rencontrerait-il pas d’écho, d’autant plus que pour le répandre et le commenter, le socialisme n’a manqué ni de talents, ni de dévouements ?

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Il serait puéril de nier l’influence qu’a acquis le socialisme. Il a suscité dans les couches profondes du prolétariat, dans mainte âme généreuse aussi, l’enthousiasme et les espérances que souleva le christianisme parmi les esclaves de l’empire romain. En des temps de superstition, tandis que croulait le prestige des dieux, le christianisme proclame, par la voix d’apôtres d’abord ardents et désintéressés, que devant Dieu, créateur des cieux et de la terre, tous les hommes étaient égaux, chanson douce à l’oreille des déshérités !

De nos jours, alors que le christianisme a fait définitivement faillite, que la révolution française a promulgué, sinon réalisé l’égalité politique, qu’à mesure que diminue le respect du passé l’instruction se répand, de nos jours, disons-nous, le socialisme fait appel aux nécessités immédiates; à celles qui tombent sous les sens : la question sociale, clame-t-il, c’est une question de ventre, Magerfrage, une question d’alimentation ! Dans une société où s’affirment sans cesse des besoins nouveaux, — parfois artificiels, c’est entendu, mais qui n’en réclament pas moins impérieusement satisfaction, comment cet appel ne rencontrerait-il pas d’écho, d’autant plus que pour le répandre et le commenter le socialisme n’a manqué ni de talents, ni de dévoûments.

22) Le syndicalisme.

Sous l’appellation de syndicalisme manifestée une activité révolutionnaire, d’abord hostile à l’action parlementaire et politique, — s’efforçant de grouper les ouvriers en syndicats professionnels et d’entretenir dans le monde ouvrier une agitation continuelle. Les moyens préconisés par le syndicalisme consistent à présenter aux employeurs et salarieurs des revendications toujours croissantes, augmentation de salaires, diminution des heures de travail, etc., etc.,.- à pousser employés et salariés à la grève en cas de refus ou de retour sur les concessions octroyées, de façon à infliger des pertes plus ou moins graves aux capitalistes qui voient ainsi leurs capitaux, espèces ou moyens de production, demeurer plus ou moins longtemps improductifs. Le syndicalisme avancé a préconisé l’action directe, le « sabotage », s’est affiché antimilitariste, etc. Fils du socialisme, il place à la base de sa conception de la Société le fait économique. On peut dire qu’à l’égard du socialisme le syndicalisme remplit le rôle d’aiguillon et on conçoit parfaitement que dans les milieux ouvriers révolutionnaires, son succès ait été vif.

[AII-22]

Sous l’appellation de syndicalisme s’est manifestée récemment une activité révolutionnaire, hostile à l’action parlementaire et politique, — s’efforçant surtout de grouper les ouvriers en syndicats professionnels et d’entretenir dans le monde ouvrier une agitation continuelle. Les moyens préconisés par le syndicalisme consistent à présenter aux employeurs et salarieurs des revendications toujours croissantes, augmentation de salaires, diminution des heures de travail, etc., etc. — à pousser employés et salariés à la grève en cas de refus, de façon à infliger des pertes plus ou moins graves aux capitalistes qui voient ainsi leurs capitaux, machines, outils ou champs, demeurer plus ou moins longtemps improductifs. Le syndicalisme avancé préconise l’action directe, le sabotage, s’affiche antimilitariste, etc. Fils du socialisme, il place à la base de sa conception de la société le fait économique. On peut dire qu’à l’égard du socialisme le syndicalisme remplit le rôle d’aiguillon et on conçoit parfaitement que dans les milieux ouvriers révolutionnaires, son succès ait été vif.

23) L’organisation.

Il convient d’ajouter ici que les réformateurs ou transformateurs socialistes du milieu social ne conçoivent pas cette réforme ou transformation sans une « organisation », c’est-à-dire sans l’existence d’organes directeurs représentés par toutes sortes de commissions administratives et légiférantes, par une multitude de fonctionnaires exécutifs d’un ordre ou d’un autre — rouages qu’ils affirment indispensables au fonctionnement de cette grande machine animée qu’est l’organisme sociétaire.

« S’organiser » — voilà le grand mot d’ordre socialiste. « Organisez-vous » ont crié socialistes, communistes et syndicalistes à la « classe » des prolétaires et des déshérités des biens de la terre. S’organiser — pour la conquête des pouvoirs — pour l’obtention de la nationalisation d’un service public — pour le vote d’une réforme — pour le gain d’un salaire plus élevé peut-être ; s’organiser implique non seulement une hiérarchisation de fonctions, mais encore — et inévitablement — la reconnaissance d’une norme juridique avec le corollaire inévitable des obligations et des sanctions.

24) La dictature du prolétariat.

La bourgeoisie ne possède pas de doctrine bien définie et bien établie pour justifier sa mainmise sur les hautes fonctions administratives des Sociétés humaines, et son accaparement du capital-espèces et du capital-outils, avec leurs cortèges de monopoles et de privilèges. En dehors de l’affirmation théocratique, que si les choses sont telles, c’est que Dieu l’a voulu — et ils y ont rarement recours — les « capitalistes » n’ont que des lieux communs à invoquer pour expliquer la situation privilégiée qu’ils occupent dans le milieu social. En fin de compte, c’est sur la répression légale, les mesures exceptionnelles, la force armée, l’appui que leur prêtent les plus rampants d’entre les salariés adaptés au système dominant et intéressés à sa durée, sur la veulerie des multitudes, que s’appuie la « classe » capitaliste pour maintenir ses prérogatives.

Les « leaders » du prolétariat ont donc eu beau jeu pour édifier et propager de nouveaux systèmes d’administration du milieu humain où le fait économique jouerait le premier rôle, et qui réorganiseraient sur un plan tout autre la production et la répartition des utilités de consommation : le capital et la puissance qu’il procure passant, bien entendu, aux mains de la nouvelle gestion sociétaire. Pour parvenir à ce résultat, force était de déposséder de sa situation dirigeante la catégorie sociale occupante, et cela sans pitié ni arrière-pensée. Autrement dit, il était indispensable que le prolétariat s’emparât de l’administration des choses, éliminât du pouvoir et contraignit au silence tous ceux qui seraient hostiles ou feraient mine d’être hostiles à sa domination de classe.

Il est indubitable que les chefs des masses prolétariennes crurent un moment pouvoir atteindre ce but grâce au jeu des institutions représentatives ; certains voient encore dans ces institutions un puissant auxiliaire. On s’aperçut bien vite, à cause de l’inertie des masses populaires insouciantes ou corrompues par le capitalisme, d’une part ; à cause de l’influence démoralisante exercée sur les élus ouvriers par l’atmosphère parlementaire, d’autre part, que le bulletin de vote se révélait insuffisant pour assurer le succès de la transformation attendue.

Pour faire triompher les revendications socialistes et les ambitions expropriatrices du prolétariat la grande ressource est de s’emparer violemment des rênes de l’Etat, avec l’appui de l’Armée, de décréter la révolution sociale à l’état permanent,. d’instituer « une dictature du prolétariat » — ou plutôt de son « élite », personnifiée, par ses meneurs — administrative et économique, refluant balayant, supprimant toutes les résistances de ceux qui ont intérêt à la perpétration du régime capitaliste, toutes les oppositions de nature à mettre en danger le régime nouveau ou même à faire douter de son efficacité.

25) L’idéal socialiste.

Résumons : Les socialistes présentent :

a) Un idéal humain : le parfait producteur et le consommateur parfait, l’être humain dont la vie intégrale consisterait à s’adapter à une organisation de l’activité productrice telle que sa consommation lui soit assurée. L’enseignement socialiste vise à rapporter au fait économique tous les aspects du développement des sociétés humaines : politiques, éthiques aussi bien qu’économiques ;

b) Un idéal moral : le droit pour tous à la consommation, à la vie économique et, avec des nuances, la disparition des inégalités sociales, présentées comme fruit du capitalisme, et l’abolition de la propriété, présentée comme fruit de l’exploitation ;

c) Un idéal social : l’Etat collectiviste ou la Société communiste. Une Société basée sur le fait économique ; en d’autres termes, une Société où les rapports entre les hommes étant déterminés par la réglementation mathématique ou scientifique de la satisfaction des besoins de chacun, on ne reconnaîtrait plus ni « concurrence » économique, ni « lutte pour la vie ».

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Résumons : Les socialistes présentent :

a) Un idéal humain: le parfait producteur et le consommateur parfait, l’être humain dont la vie intégrale consisterait à s’adapter à une organisation de l’activité productrice telle que sa consommation lui soit assurée. L’enseignement socialiste tend â rapporter au fait économique tous les aspects du développement des sociétés humaines : éthiques aussi bien qu’économiques;

b) Un idéal moral : le droit pour tous à la vie économique, la disparition des inégalités, fruit du capitalisme, et l’abolition de la propriété, fruit de l’exploitation ;

c) Un idéal social : l’état collectiviste. Une société basée sur le fait économique; en d’autres termes une société où les rapports entre les hommes étant déterminés par la réglementation mathématique ou scientifique de la satisfaction des besoins de chacun, on ne connaîtra plus ni concurrence économique ni lutte pour la vie.

3. L’Anarchisme. L’individualisme antiautoritaire ou anarchiste. Ses aspirations.

26) L’anarchisme.
27) Définition : anarchie, anarchiste, anarchisme.
28) Origine de l’anarchisme.
29) L’anarchisme et la première Internationale.
30) Les anarchistes et la société.
31) L’individualisme anarchiste.
32) Le fait individuel.
33) Le domaine du « Moi ».
34) La pensée et l’œuvre individualiste.
35) Propriété du moyen de production et libre disposition du produit.
36) Les individualistes et le révolutionnarisme systématique.
37) Conditions d’existence et d’évolution de l’Individualiste.
38) « Notre » individualiste.
39) Les aspirations individualistes anarchistes.

3. LES ANARCHISTES ET LA SOCIETE
  1. Une lacune comblée.
  2. Anarchie, anarchiste, anarchisme, définitions étymologique.
  3. Les origines de l’anarchisme.
  4. L’anarchisme et l’Internationale.
  5. De déterminé à déterminant.
  6. L’anarchiste, l’individu conscient et la société anarchiste.

3. L’Anarchisme. L’individualisme antiautoritaire ou anarchiste. Ses aspirations

26) L’anarchisme

Il semblerait qu’après avoir parlé des réformateurs ou transformateurs de la Société, considérée au triple point de vue religieux, légalitaire et économique, la liste en fût close. Nullement. En examinant à fond les projets proposés, on découvre bien vite une lacune : les réformateurs religieux considèrent l’individu comme une occasion pour la divinité de manifester ses desseins ; les légalitaires l’envisagent comme fonction de la loi ; les socialistes le regardent comme un administré-fonctionnaire, un outil, une sorte de machine à produire et consommer ; les révolutionnaires comme un soldat de la révolution. Les uns et les autres négligent l’individu considéré en dehors de l’autorité ; ils l’ignorent en tant qu’unité individuelle soustraite à une domination, à une contrainte d’un genre ou d’un autre : Or, c’est cette lacune que comble l’anarchisme.

On a beaucoup ergoté et discuté sur le rôle, la valeur et la signification réelle du mouvement anarchiste.

Nous allons tenter de jeter quelque clarté dans cette confusion voulue par certains, exploitée par beaucoup.

III — LES ANARCHISTES ET LA SOCIETE

Une lacune comblée. — Anarchie, anarchiste, anarchisme, définitions étymologique. — Les origines de l’anarchisme. — L’anarchisme et l’Internationale. — De déterminé à déterminant. — L’anarchiste, l’individu conscient et la société anarchiste.aa

[AII-26]

Il semblerait qu’après avoir parlé des réformateurs ou transformateurs de la société, considérés au triple point de vue religieux, légalitaire et économique, la liste en fut close. Nullement. En examinant à fond les projets proposés, on s’aperçoit bien vite d’une lacune : les réformateurs religieux considèrent l’individu comme une occasion pour la divinité de manifester ses desseins, les légalitaires l’envisagent comme fonction de la loi et les socialistes le regardent comme un outil, une sorte de machine à produire et consommer. Les uns ct les autres négligent l’individu considéré en tant que personne ; ils proclament sa responsabilité tantôt vis à vis de dieu, tantôt vis à vis de la loi, tantôt vis à vis de la société, jamais vis à vis de soi-même; ils voudraient en faire un instrument malléable, utile à leurs fins, ils l’ignorent en tant qu’être individuel. Or, c’est cette lacune que comble l’anarchisme.

On a beaucoup ergoté et discuté sur le rôle, la valeur, la signification réelle du mouvement anarchiste. On l’a catalogué à tort et à raison. On l’a assimilé au terrorisme et au nihilisme; on l’a rattaché au socialisme, dont il devenait le franc-tireur; on l’a englobé dans le syndicalisme révolutionnaire; on l’a rendu synonyme d’individualisme. On l’a fait découler de Babeuf, de Saint-Simon, de Fourier, de Proudhon, de l’Internationale, du christianisme original. On l’a accommodé à toutes sortes de sauces.

Nous allons tenter de jeter quelque clarté dans cette confusion voulue par certains, exploitée par beaucoup. Il n’est pas notre intention de formuler un dogme ou de fournir les bases d’un code anarchiste; nous ne serions heureusement pas suivis, puis nous suivons un plan qui écarte toute idée d’exclusivisme, puisqu’il consiste à présenter des Opinions, des thèses, à en tirer des conclusions qu’il est facile de vérifier, d’admettre ou de rejeter.

27) Définition : anarchie, anarchiste, anarchisme.

Le vocable anarchie vient de deux mots grecs qui signifient à peu près négation ou absence de gouvernement, d’autorité, de commandement. Il est pris parfois dans le sens de désordre, signification qui ne nous intéresse pas. Cependant, c’est un terme foncièrement négatif. Par extension, il désigne une certaine conception philosophique de la Société ou de la vie qui exclut l’idée de gouvernement ou d’autorité ; — l’anarchiste, c’est le protagoniste, le « réalisateur » des idées ou des faits conséquence de l’anarchie ou y aboutissant — l’anarchisme, c’est — examiné au point de vue spéculatif ou pratique ou encore descriptif — l’ensemble des idées et des faits qui résultent de l’anarchie ou y amènent. Dans le sens où nous les entendons, anarchiste et anarchisme sont synonymes d’antiautoritaire et d’anti-autoritarisme.

Pratiquement, on peut, nous semble-t-il, considérer comme anarchiste tout être que son tempérament ou une réflexion sérieuse, consciente, a conduit à nier, à rejeter toute autorité ou coercition extérieure à soi, que cette autorité soit d’ordre gouvernemental, éthique, intellectuel ou économique. On peut dire encore qu’est anarchiste quiconque rejette consciemment la domination de l’homme ou du milieu social sur l’homme, et son corollaire économique : l’exploitation de l’homme par l’homme ou le milieu social.

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Le vocable anarchie vient de deux mots grecs qui signifient à peu près négation ou absence de gouvernement, d’autorité, de commandement. Il est pris parfois dans le sens de désordre, signification qui ne nous intéresse pas. Par extension, il désigne une certaine conception philosophique de la société ou de la vie individuelle qui exclut l’idée de gouvernement ou d’autorité; — l’anarchiste, c’est le protagoniste, le « réalisateur » des idées ou des faits conséquence de ou aboutissant à l’anarchie; — l’anarchisme, c’est — examiné au point de vue spéculatif ou pratique ou encore descriptif — l’ensemble des idées et des faits qui résultent de ou amènent à l’anarchie.

Pratiquement, on peut, nous semble-t-il, considérer comme anarchiste tout être qu’une réflexion sérieuse, consciente, a conduit à rejeter, à nier toute autorité ou coercition extérieure à soi, que cette autorité soit d’ordre gouvernemental, intellectuel ou économique.

On peut commenter cette explication de plusieurs façons : on peut dire qu’est anarchiste quiconque rejette consciemment la domination de l’homme sur l’homme et son corollaire économique : l’exploitation de l’homme par l’homme, ou qu’est anarchiste quiconque conçoit la société comme un fait de libres ententes individuelles.

28) Origine de l’anarchisme

Il est difficile de définir l’origine historique du mouvement anarchiste. Fut sans contredit anarchiste, le premier homme qui réagit consciemment contre l’oppression d’un seul ou d’une collectivité.

La légende et l’histoire citent des noms d’anarchistes : Prométhée, Satan, Epictète, Diogène, Jésus même, peuvent être considérés à différents points de vue comme des types d’anarchistes antiques. Les sectes dérivées du christianisme primitif ont compté certainement des anarchistes, relatifs bien entendu à leur époque. Les débuts philosophiques du mouvement anarchiste actuel semblent remonter à la Renaissance, plus exactement à la Réforme, laquelle semant dans les esprits les idées de libre examen et de libre recherche en matière biblique, dépassa le but de ses initiateurs et aboutit à la diffusion de l’esprit critique dans tous les domaines, à la libre pensée, laquelle, au lieu de se développer, d’aller jusqu’à la critique rationnelle des institutions et des conventions humaines, s’est attardée à la dissection des fables puériles sur lesquelles les croyants orthodoxes édifient leur foi. Survint le mouvement anarchiste, complétant et achevant l’œuvre de la libre pensée, soumettant à l’analyse individuelle chartes et lois, morales et programmes d’enseignement, conditions économiques et rapports sociaux de toute espèce ; l’anarchie est devenue la manifestation d’opposition la plus dangereuse qu’aient jamais rencontrée les tyrannies gouvernementales.

[AII-28]

Il est difficile de définir l’origine historique du mouvement anarchiste. Fut sans contredit anarchiste le premier homme qui réagit consciemment contre l’oppression d’un seul ou d’une collectivité ; cela nous mènerait par delà les temps préhistoriques. La légende et l’histoire citent des noms Diogène, Robin Hood, peuvent être considérés à différents points de vue comme des types d’anarchistes. Les débuts philosophiques du mouvement anarchiste actuel semblent remonter à la Renaissance, plus exactement à la Réforme laquelle, semant dans les esprits les idées de libre-examen et de libre-recherche en matière biblique, dépassa le but de ses initiateurs et aboutit à la diffusion de l’esprit critique dans tous les domaines. Le mouvement de la libre-pensée était né, mais au lieu de se développer, d’aller jusqu’à la critique rationnelle des institutions et des conventions humaines, il n’est plus qu’un instrument docile aux mains d’un parti politique, il s’est attardé à la dissection des fables puériles sur lesquelles les chrétiens orthodoxes édifient leurs croyances. Ce mouvement s’est arrêté là et n’a pas suivi les plus hardis de ses propagandistes.

Survient le mouvement anarchiste, complétant et achevant l’œuvre de la libre-pensée, soumettant à l’analyse individuelle chartes et lois, morales et programmes d’enseignement, conditions économiques et rapports sociaux de toute espèce; l’anarchie est devenu le mouvement d’opposition le plus dangereux qu’aient jamais rencontré les tyrannies gouvernementales. Aussi les anarchistes ont-ils vu se déchaîner sur eux d’inimaginables persécutions et cela dans la mesure où, conséquents avec leurs déclarations, ils allaient jusqu’au bout dans leurs attaques et leur résistance: ils se sont vus mettre au ban de la société civilisée, traquer comme des bêtes fauves, sans autre motif souvent que des paroles ou des écrits véhéments.

29) L’anarchisme et la première Internationale.

On a coutume de rattacher historiquement l’anarchie au mouvement ouvrier qui, sous le nom d’Internationale fleurit vers la fin du règne de Napoléon III. C’est inexact. La haine et les invectives dont Karl Marx poursuivit Michel Bakounine n’eurent pas pour cause des divergences profondes de vues intellectuelles ou éthiques. Bakounine et ses amis furent expulsés de l’Internationale en 1872, parce que fédéralistes, décentralisateurs, autonomistes hostiles à la forme étatiste-conquête des sièges parlementaires qu’allait prendre l’activité socialiste au cours des cinquante années suivantes.

Ce furent des fédéralistes qui traduisirent et répandirent dans les pays méditerranéens le « Capital », l’œuvre maîtresse de Marx. Certes, Bakounine fut un anarchisant, violemment souvent et profondément parfois, bien plus que ne le furent maints de ses continuateurs, mais si on étudie soigneusement le mouvement de la Fédération Jurassienne, on y rencontre toutes les réminiscences du socialisme d’autrefois : croyances en l’égalité, la fraternité entre tous les hommes, idées de solidarité et d’amour universels, de Société future, de la révolution salvatrice et transformatrice immédiate du genre humain, conceptions qui n’ont rien de spécifiquement anarchiste. La vérité, c’est que les fédéralistes de l’Internationale se montrèrent anarchisants quant à la conception de la tactique et de l’organisation du mouvement socialiste. Pour le reste, rien ne les différenciaient des socialistes révolutionnaires d’alors.

[AII-29]

On a coutume de rattacher historiquement l’anarchie au mouvement ouvrier qui sous le nom d’Internationale fleurit vers la fin du règne de Napoléon III. C’est inexact: La haine et les invectives dont Karl Marx, le grand prophète du socialisme scientifique, poursuivit Michel Bakounine n’eut pas pour cause des divergences profondes de vues intellectuelles ou éthiques. Bakounine et ses amis furent expulsés de l’Internationale parce que fédéralistes, décentralisateurs, insurrectionnels, hostiles à la forme étatiste — conquête des sièges parlementaires — qu’allait prendre l’activité socialiste. Les amis de Bakounine, les fédéralistes,. se proclamaient nettement collectivistes et certains d’entre eux reprochent aujourd’hui au socialisme d’avoir accaparé ce qualificatif; ce furent des fédéralistes qui traduisirent et répondirent dans les pays méditerranéens le Capital, l’œuvre maîtresse de Marx. Certes, Bakounine fut un anarchisant, violemment souvent et profondément parfois, bien plus que ne le sont maint de ses continuateurs, mais si on étudie soigneusement le mouvement de la fédération jurassienne (et loin de nous la pensée de méconnaître l’œuvre qu’elle fît en son temps), on y rencontrera toutes les réminiscences du socialisme d’autrefois, croyances en l’égalité, la fraternité entre tous les hommes, idées de solidarité et d’amour universels, de société future, de la révolution salvatrice et transformatrice immédiate du genre humain, conceptions que l’anarchisme soumet comme les autres à l’analyse individuelle et qui n’ont rien de spécifiquement anarchiste. La vérité, c’est que les fédéralistes de l’Internationale se montrèrent anarchisants quant à la conception de la tactique et de l’organisation du mouvement socialiste. Pour le reste, rien ne les différenciait des socialistes révolutionnaires d’alors.

30) Les anarchistes et la société.

En dehors, hors parti, sorte d’enfants perdus, antithèses vivantes du socialisme, les anarchistes se trouvent, sur tous les points, en désaccord avec la Société actuelle. S’ils nient la loi, s’élèvent contre l’autorité de ses représentants, contre les actes des exécutifs gouvernementaux, c’est parce qu’ils affirment, parce qu’ils veulent pouvoir se servir de loi à soi-même et trouver en soi le ressort nécessaire pour exister et se conduire.

Les Sociétés où il se développe ont besoin, pour se perpétuer, pour continuer d’exister, de faire appel à mille genres d’autorités : autorité des dieux, autorité des législateurs, autorité de la richesse, de la considération, de la respectabilité, des ancêtres, des meneurs, des conducteurs, des programmes de toute espèce. Tous les hommes demandent ou acceptent d’être déterminés par leur milieu : l’anarchiste s’efforce, lui, — sous les réserves inéluctables d’ordre physique — de se déterminer à. l’écart de toute autorité.

[AII-30]

En-dehors, hors parti, sorte d’enfants perdus, antithèses vivantes du socialisme, comme nous espérons le faire clairement ressortir de cette série d’études, les anarchistes se trouvent, sur tous les points, en désaccord avec la société actuelle. Si c’est le besoin, l’envie, la démangeaison de paraître qui caractérise les hommes de nos jours, c’est la passion d’être qui distingue l’anarchiste. Avant tout, surtout, l‘anarchiste est ou en voie d’être (wird). Parce qu’il se place au delà des règles courantes, des autorités qui les régissent, l’anarchisme n’est pas uniquement une doctrine, une attitude, c’est une vie. Ce n’est pas un système, un recueil de prescriptions, une philosophie stérile, c’est une application constante, une réalisation, une activité de chaque jour ! Si l’anarchiste nie la loi, s’élève contre l’autorité de ses représentants, contre les actes des exécutifs de la société, c’est parce qu’il affirme pouvoir se servir de loi à soi-même et trouver en soi le ressort nécessaire pour exister et se conduire, cela sans intervention extérieure, sans compromissions non plus. Il ne conçoit de sociétés, autres, avons-nous dit, que des groupements de camarades unis par la commune entente et le libre travail. Les sociétés où il se développe ont besoin pour se perpétuer, pour continuer d’exister, de faire appel à mille genres d’autorités: autorité de dieu, autorité de législateurs, autorité de la richesse, de la considération, de la respectabilité, des ancêtres, des programmes de toute espèce. L’anarchiste, se réclamant de soi-même, examine, considère toutes choses, accepte ou rejette selon que les idées proposées ou exposées cadrent ou non avec sa conception de la vie ou ses aspirations individuelles. Tous les hommes acceptent d’être déterminés par leur milieu; l’anarchiste s’efforce, lui — sous les réserves inéluctables d’ordre physique — d’abord de se déterminer soi-même, ensuite de jouer le rôle de déterminant du milieu.

31) L’individualisme anarchiste.

L’anarchisme, nous venons de le voir, est la philosophie de l’anti-autoritarisme. L’individualisme anarchiste est une conception pratique de cette philosophie, postulant qu’il appert à chaque unité humaine, prise en particulier, de traduire dans sa vie quotidienne et pour elle-même, cette théorie en gestes et en actes.

32) Le fait individuel

Les individualistes anarchistes basent leur conception de la vie et, fondent leurs espérances sur le « fait individuel ».

Que faut-il entendre, selon nous, par le « fait individuel » ?

Ceci : c’est — en dépit de toutes les abstractions, de toutes les entités laïques ou religieuses, de tous les idéaux grégaires — qu’à la base des collectivités, des sociétés, des associations, des agglomérations, des totalités ethniques, territoriales, économiques, intellectuelles, morales, religieuses, se trouve l’unité-personne, la cellule-individu. Sans celle-ci, celles-là n’existeraient point.

C’est en vain que l’on objectera que, sans un milieu social ou sociétaire l’individu-cellule ne saurait ni subsister ni se développer. Non seulement cela est dépourvu d’exactitude au sens littéral du mot, — l’homme n’a pas toujours vécu en société — mais qu’on retourne la question sous toutes ses faces, on ne sortira pas de cette constatation que sans individus, il n’y aurait pas de milieu social ou sociétaire.

C’est l’être humain qui est l’origine, le fondement de l’humanité. L’individu a préexisté au groupe, c’est évident. La Société est le produit d’additions individuelles.

33) Le domaine du « Moi ».

On peut faire l’unité humaine synonyme de « Moi ». Or, l’individualiste ne pose aucune borne au développement de son du « moi », aucune limite au déplacement de sa personnalité sur le plan social, sauf ceci : ne pas envahir le domaine où évolue son camarade. L’Individualisme, le « domaine du Moi », revendique cette conception des rapports du « moi » avec le « non moi » :

C’est qu’un homme, quel que petit ou insignifiant qu’il soit, ne peut être sacrifié à un autre quelconque de ses semblables, si grand qu’il puisse être ; ni à un groupe d’hommes, ni à la majorité du milieu où il se développe, ni même à l’ensemble de ce milieu.

34) La pensée et l’œuvre individualiste.

L’œuvre maîtresse, essentielle de l’individualisme est de développer chez ceux que sa propagande atteint, la haine, le dégoût, le mépris personnels de la domination de l’homme sur ou par l’homme, des collectivités sur ou par l’individu.

C’est de créer chez ceux qui l’adoptent — et nous est avis qu’il faut une prédisposition spéciale pour s’y rallier — un esprit de critique permanent et irréductible à l’égard des institutions qui enseignent, maintiennent, préconisent la domination des humains sur leurs semblables. Et non seulement contre les institutions, mais contre les hommes qui représentent ces institutions, car c’est par ceux-là que nous connaissons celles-ci.

C’est encore d’amener en ceux qui se sont assimilé — par réflexion ou par tempérament — la pensée individualiste, un désir impérieux de vivre les phases de leur vie de tous les jours en dehors de toute autorité extérieure, sans tenir compte des institutions qui maintiennent la domination, sans exercer d’influence coercitive sur ceux de leurs camarades qui conçoivent autrement qu’eux les détails de l’existence quotidienne.

C’est, enfin, de faire de chaque individualiste, un propagateur personnel, un porteur de la pensée individualiste.

Résumons : le mouvement individualiste anarchiste consiste en une activité intellectuelle visant à susciter des êtres s’assimilant, expérimentant, propageant, chacun à sa guise, l’anti-autoritarisme dans les différentes carrières où se donne cours l’activité humaine : éthique, intellectuelle, sociale, économique. Et pratiquement, en la résolution personnelle — dans le sens anarchiste — des problèmes que posent les manifestations de ladite activité.

La définition de l’individualisme donnée ci-dessus ne signifie pas pourtant que ceux qui s’en réclament vivront forcément comme des isolés et sans jamais s’associer. Certains trouvent qu’isolés, ils sont plus forts qu’associés. Quand elle attaque, disent-ils, l’autorité est plus forte contre les associés que contre les isolés. Et quand elle se défend, elle est plus faible. Les isolés prétendent que lorsqu’on agit deux de concert, on ne sait jamais si votre partenaire ne sera pas un traître, même involontairement, Les autres affirment que l’association permet d’obtenir une plus grande somme de résultats, un plus grand rendement de travail, dans un laps de temps plus restreint, avec moins d’efforts, Il en est enfin pour lesquels l’association constitue comme une nécessité instinctive.

Au fond, c’est affaire de disposition individuelle.

En pratique, dans les circonstances actuelles, les individualistes bataillent contre les dominants, ils luttent contre les institutions autoritaires, diminuant lambeau par lambeau l’emprise du milieu coercitif, pour acquérir la possibilité de vivre à leur guise, en groupe d’affinités plus ou moins vastes, ou encore isolément, concluant entre eux telles ententes qui leur paraissent les plus propres à assurer leur bien-être et à sauvegarder leur autonomie.

Il va sans dire que l’individualiste ne saurait être considéré seulement comme un négateur personnel d’autorité, il est aussi un négateur personnel d’exploitation. L’exploitation, c’est la domination de l’homme sur l’homme transportée sur le terrain économique. Un individualiste ne veut pas plus être exploiteur qu’exploité.

35) Propriété du moyen de production et libre disposition du produit.

L’individualiste se différencie du communiste anarchiste (l’anarchiste de la Fédération Jurassienne et de ses continuateurs), en ce sens qu’il considère — en production et dehors de la propriété des objets de jouissance formant prolongement de la personnalité — la propriété du moyen de production et la libre disposition du produit comme la garantie essentielle de l’autonomie de la personne. Etant entendu que cette propriété se limite à la possibilité de faire valoir (individuellement, par couples, par groupement familial, etc.), l’étendue de sol ou l’engin de production indispensable aux nécessités de l’unité sociale ; sous réserve, pour le possesseur, de ne point l’affermer à autrui ou de ne point recourir pour sa mise en valeur à quelqu’un à son service.

36) Les individualistes et le révolutionnarisme systématique.

D’une façon générale, les individualistes ne sont pas révolutionnaires au sens systématique et dogmatique du mot. Ils ne pensent pas qu’une révolution puisse amener, pas plus qu’une guerre, une véritable amélioration de la vie individuelle. En temps de révolution, les fanatiques des partis rivaux et des écoles en lutte se préoccupent surtout de s’entre dominer et, pour y parvenir, se déchirent avec une violence et une haine qu’ignorent souvent des armées ennemies. Comme une guerre, une révolution peut se comparer à un accès de fièvre au cours duquel le malade se conduit tout autrement que dans son état normal. L’accès de fièvre passé, le patient revient à son état ordinaire. Ainsi l’histoire nous montre que les révolutions ont toujours été suivies de retours en arrière qui les ont fait dévier de leur but primitif. C’est par l’individu qu’il faut commencer. C’est d’individu à individu que doit d’abord se propager cette notion que c’est un crime de forcer quelqu’un à agir autrement qu’il le croit utile, ou avantageux, ou agréable pour sa propre conservation, son propre développement ou son propre bonheur, — que ce crime soit commis par l’Etat, la loi, la majorité ou un isolé quelconque. C’est d’individu à individu que doit se communiquer l’idée de l’individuel réagissant sur le social. Ces conceptions doivent être le fruit de la réflexion ou la conséquence d’un tempérament qui s’étudie, non point le résultat d’une surexcitation passagère et étrangère à la nature normale de celui qui les professe.

37) Conditions d’existence et d’évolution de l’Individualiste.

L’individualisme anarchiste ne présente pas de plan réglant, d’avance, dans ses moindres détails, un milieu où l’individu — ayant le pas sur l’agrégation humaine, et ne voulant ni servir ni asservir, on ne connaîtrait ni domination du social ou de l’homme sur l’homme, ni domination de l’homme sur l’homme ou le social — ni exploitation

de l’homme par l’homme ou le social, ou réciproquement, — un milieu où chacun vivrait, sans autorité ni législation, la vie qui convient le mieux à son tempérament et à ses aspirations, sans avoir à rendre compte à qui que ce soit de ses faits et gestes, dès lors qu’il use de réciprocité à l’égard d’autrui. Il s’agit d’une orientation nouvelle et profonde des mentalités, bien plus que de l’établissement factice d’une nouvelle société.

Quand on le pousse à de plus amples explications ; l’individualiste reconnaît franchement qu’il ne pourrait logiquement exister, évoluer à l’aise que dans une humanité où fonctionneraient côte à côte simultanément, une infinité de groupes ou d’individualités isolées, se réalisant comme ils l’entendraient, pratiquant toutes sortes de combinaisons ou de concepts économiques, politiques, scientifiques, affectifs, littéraires, récréatifs. Une forêt de réalisations individualistes ou collectives. Ici, chacun recevant selon ses besoins. Là, chacun acquérant selon son effort. Ici, le troc : produits contre produits. Là, l’échange : produits contre valeur représentative. Ici, la propriété du produit au producteur. Là, l’abandon du produit à l’ensemble. Ici, l’omnivorisme. Là, le végétalisme ou je ne sais quel arrangement hygiénique ou culinaire en « isme ». Ici, le couple et la famille. Là, la liberté ou même la promiscuité sexuelle. Ici, des matérialistes. Là, des spiritualistes. Ici, progéniture à la mère. Là, les enfants au groupe. Ici, la recherche des émotions artistiques ou littéraires. Là, la recherche des expérimentations scientifiques. Ici, des instituts de volupté. Là, des écoles d’austérité… Pourvu qu’il soit entendu que chacun ait la faculté de passer d’un milieu à l’autre ou de s’isoler de tout milieu. Cela sans qu’il puisse venir aux ensembles les plus forts la tentation d’accaparer les ensembles les plus faibles, ou aux groupes celle d’englober violemment les individualités isolées.

38) « Notre » individualiste.

L’individualiste tel que nous le concevons, — notre individualiste — aime la vie la force. Il proclame, il exalte la joie, la jouissance de vivre. Il reconnaît sans détours qu’il a pour fin son propre bonheur. Il n’est pas une manière d’ascète et la mortification charnelle lui répugne. Il est passionné. Il se présente sans fard, le front couronné de pampres et chante volontiers en s’accompagnant de la flûte de Pan. Il communie avec la Nature dans son énergie stimulatrice des instincts et des pensers. Il n’est ni jeune ni vieux ! Il a l’âge qu’il se sent. Et tant qu’il lui reste une goutte de sang dans les veines, il combat pour conquérir ou consolider sa place au soleil. Il ne s’impose pas, mais il ne veut pas qu’on lui en impose. Il répudie les maîtres et les dieux. Il sait aimer, mais il sait haïr. Il est plein d’affection pour les siens, ceux de son monde, mais il a horreur des faux-frères. Il est fier et il a conscience de sa dignité personnelle. Il se sculpte intérieurement et il réagit extérieurement. Il se recueille et il se dépense. Il s’insoucie des préjugés et ricane du qu’en dira-t-on. Il goûte l’art, les sciences, les lettres. Il aime les livres, l’étude, la méditation, le travail. Il est artisan, non pas manœuvre. Il est généreux, sensible et sensuel. Il est affamé d’expériences nouvelles et de sensations fraîches. Mais s’il s’avance dans la vie sur un char rapide comme un tourbillon, c’est à condition de se sentir le maître des coursiers qui l’emportent, c’est animé par la volonté d’assigner à la sagesse et à la volupté, selon son déterminisme, la part qui échet légitimement à chacune d’elles au cours de son évolution personnelle.

39) Les aspirations individualistes anarchistes.

Conclusions : Les individualistes anarchistes présentent :

a) Une aspiration humaine et morale à la fois : l’individualiste anarchiste, l’ individu niant l’autorité et son corollaire économique : l’exploitation et se refusant à les exercer ; l’être dont la vie consiste en une réaction continuelle contre un milieu qui ne peut, qui ne veut ni le comprendre ni l’approuver, puisque les constituants de ce milieu sont les esclaves de l’ignorance, de l’apathie, des tares ancestrales, du respect des choses établies ; tendant vers la réalisation d’un type nouveau : l’homme qui ne ressent aucun besoin de réglementation ou contrainte extérieure, parce qu’il possède assez de puissance de volition pour déterminer ses besoins personnels et garder sa puissance de résistance individuelle ;

b) Une aspiration morale et sociale à la fois : un concept de milieu individualiste anarchiste impliquant spécialement, au point de vue économique : propriété du moyen de production. et libre disposition du produit, envisagées comme garantie essentielle de l’autonomie de la personne. Ledit milieu existant et évoluant au sein d’une humanité dont les composants détermineraient leur vie, sous ses aspects intellectuels, éthiques, économiques, par un contrat librement consenti et appliqué, impliquant la liberté de tous sans nuire à la liberté d’aucun ; humanité où pourraient s’épanouir- concurremment et simultanément tous les essais, tous les systèmes, toutes les méthodes d’existence individuelle ou plurale, toutes les associations concevables, sans autre restriction ou limite que le contrepoids de leur fonctionnement respectif.

c) Une aspiration individuelle et sociale à la fois : l’association individualiste anarchiste, assurance destinée non seulement à accroître et porter au maximum la liberté, le rendement, le bien-être et la jouissance de vivre de chacun de ceux qui la contractent, mais encore à sauvegarder et à garantir leur autonomie personnelle contre tous empiétements, envahissements, réquisitions du non moi, quels qu’ils soient.

[AII-39]

Concluons : Les anarchistes présentent :

a) Un idéal humain : l’anarchiste, l’individu niant l’autorité et son corollaire économique l’exploitation; l’être dont la vie consiste en une réaction continuelle contre un milieu qui ne peut, qui ne veut ni le comprendre ni l’approuver, puisque les constituants de ce milieu sont les esclaves de l’ignorance, de l’apathie, des tares ancestrales, du respect des choses établies;

b) Un idéal moral : l’individu conscient, en voie d’émancipation, tendant vers la réalisation d’un type nouveau : l’homme qui ne ressent aucun besoin de réglementation ou contrainte extérieure parce qu’il possède assez de puissance de volition pour déterminer ses besoins personnels et garder son équilibre individuel ;

c) Un idéal moral: la société anarchiste, une société où les hommes détermineraient leur vie, sous ses aspects intellectuels, éthiques, économiques, par une entente librement consentie et appliquée, respectant la liberté de tous sans nuire à la liberté d’aucun.

4. Les individualistes et les réformateurs du milieu social. La loi du progrès continu.

40) Dernières arguties des réformateurs religieux.
41) Mon athéisme.
42) Le contrat social.
43) Arguties des démocrates et des révolutionnaires de dictature.
44) Démocratie égale dictature.
45) Producteurs inutiles et consommations superflues.
46) La loi du progrès continu.

4. L’ANARCHISTE ET LES RÉFORMEURS DE LA SOCIÉTÉ
  1. Dernières arguties des réformateurs religieux.
  2. Le contrat social.
  3. Producteurs inutiles et besoins superflus.
  4. La solidarité.
  5. Réponse de l’ « anarchiste ». — Argument scientifique.

4. Les individualistes et les réformateurs du milieu social. La loi du progrès continu.

40) Dernières arguties des réformateurs religieux.

L’exposé que nous venons de tracer explique l’attitude de l’individualiste anarchiste vis-à-vis des réformateurs de la Société. Puisque tous les systèmes de renouvellement ou d’amélioration proposés rejettent à l’arrière plan l’individu, comment l’individualiste pourrait-il ressentir autre chose que méfiance ou hostilité à leur égard ? En vain les réformateurs ou novateurs religieux — dernière ressource — viendront-ils affirmer que la volonté, le dessein suprême de la toute sagesse divine est de réaliser sur la planète l’entente entre les hommes, de supprimer les inégalités de fortune, d’éducation ; en vain diront-ils que les étapes douloureuses qui constituent la marche de l’humanité vers ce « millénium » étaient nécessaires, indispensables à la perfectibilité collective ; en vain proclameront-ils leur foi inébranlable en l’avènement du « règne de Dieu », synonyme de la cité d’harmonie, d’équité et de fraternité ; l’individualiste demandera par quels moyens tangibles ce dieu tout amour leur communique sa pensée, quelles notions scientifiques ils ont de son existence, de quel. pouvoir il dispose et comment il l’exerce.

Acculés, les derniers représentants du mysticisme religieux balbutieront peut-être que Dieu est un sentiment intérieur à l’individu, l’idéal, une catégorie de l’idéal, qu’il n’est pas encore complètement manifesté, qu’il « devient » ; ils se serviront d’autres expressions nuageuses de la même farine qui peuvent satisfaire des croyants très peu orthodoxes, mais pieux encore, et dont un esprit affranchi ne peut se contenter. L’individualiste répondra simplement qu’il n’est pas d’idéal qui ne soit une création du cerveau humain. Dire que Dieu est un phénomène de la vie intérieure, une manifestation de la pensée individuelle, c’est dire qu’il n’est pas extra humainement ; or, quel besoin a-t-on d’appeler « Dieu » une aspiration ou un sentiment personnel ?

IV — aL’ANARCHISTE ET LES RÉFORMEURS DE LA SOCIÉTÉ

Dernières arguties des réformateurs religieux. — Le contrat social. — Producteurs inutiles et besoins superflus. — La solidarité. — Réponse de l’ « anarchiste ». — Argument scientifique.

[AII-40]

L’exposé rapide que nous venons de tracer explique l’attitude que prend l’anarchiste vis à vis i des réformateurs de la société. Puisque tous les systèmes de renouvellement ou d’amélioration proposés rejettent à l’arrière plan l’individu, la cellule de l’organisme société, comment l’anarchiste pourrait — il ressentir autre chose qu’indifférence ou hostilité à leur égard. C’est placé sur un plan différent qu’il considère les êtres et les choses.

En vain les réformateurs ou novateurs religieux — dernière ressource — viendront-ils affirmer que la volonté de Dieu, le dessein suprême de la toute sagesse divine c’est de réaliser sur la planète l’entente entre les hommes, de supprimer les inégalités de fortune, d’éducation ; en vain diront-ils que les étapes douloureuses qui constituent la marche de l’humanité vers ce « millénium » étaient nécessaires, indispensables à la perfectibilité collective ; en vain proclameront-ils leur foi inébranlable en l’avènement de ce qu’ils appellent, nous l’avons vu, « le règne de Dieu», synonyme de la cité d’harmonie, d’équité et de fraternité: l’anarchiste demandera par quels moyens tangibles ce dieu tout-amour leur communique sa pensée, quelles notions scientifiques ils ont de son existence, de quel pouvoir il dispose et comment il l’exerce. Acculés, les derniers représentants du mysticisme religieux balbutieront peut-être que Dieu est un sentiment intérieur à l’individu, l’idéal, une catégorie de l’idéal, qu’il n’est pas encore complètement manifeste, qu’il « devient » et autres expressions nuageuses de la même farine qui peuvent satisfaire des croyants très peu orthodoxes, mais pieux encore, et dont un esprit affranchi ne peut se contenter. L’anarchiste répondra simplement qu’il n’est pas d’idéal qui ne soit une création de la volonté humaine. Dire que Dieu est un phénomène de la vie intérieure, une manifestation de la pensée individuelle, c’est dire qu’il n’est pas extra-humainement; or, quel besoin a-t-on d’appeler « Dieu » une aspiration personnelle ?

41) Mon athéisme.

Je suis athée, c’est-à-dire que non seulement je ne crois pas en la divinité, sous quelque nom ou espèce qu’on la présente, mais encore que je suis résolument hostile à toute conception impliquant l’existence d’un dieu ou de plusieurs. Je suis athée parce que je suis individualiste, spécialement parce qu’individualiste anarchiste.

Il va sans dire que mon athéisme n’a pas pour cause le fait que des soi-disant représentants de Dieu se montrent de détestables échantillons de l’espèce humaine. Il y a des croyants en Dieu qui semblent valoir peu de chose ; il yen a d’autres qui apparaissent être — individuellement supérieurs à la moralité moyenne générale. Je suis trop persuadé que les êtres humains sont déterminés par leur tempérament pour attacher grande importance aux inconséquences des chrétiens, des musulmans ou des bouddhistes. Pas plus que ne m’épouvantent les différences que la vie quotidienne de certains individualistes peut présenter avec les théories dont ils se réclament. Je comprends fort bien qu’il soit plus facile de s’abstraire cérébralement du milieu que de triompher des sollicitations que l’ambiance adresse aux sens.

Je ne suis pas athée non plus à cause de l’impossibilité qu’éprouvent les déistes à répondre à certaines, « colles » qui amusent la galerie aux dépens de ceux qui en sont victimes. Dieu, au dire des théologiens, étant omnipotent et omniscient, et bien d’autres choses encore, on voit d’ici les prétextes que ces attributs fournissent à l’orateur libre-penseur démonstrateur des preuves d’inexistence du malencontreux « vertébré gazeux ». Il n’y a qu’à prendre le « problème » de la souffrance. Dieu, donc, qui sait tout, prévoit tout, est tout puissant, peut l’abolir, puisqu’il est aussi infiniment bon, juste, etc. S’il ne la supprime pas, c’est qu’il n’est point tout puissant, à moins qu’il ne soit cruel. Ou bien il n’a su la prévoir la souffrance, et alors il n’est nullement tout sachant. Pour irréfutables qu’ils paraissent, ces arguments me toucheraient fort peu si j’étais déiste. Dieu, la « cause première intelligente », la cause « permanente et consciente », « créatrice et agissante », aurait, je suppose, si elle existait, une conception tout autre que celle que se font ses défenseurs et ses détracteurs — minuscules parasites de la planète Terre — du bien, du mal, de la joie, de la souffrance, de la matière et même de sa propre existence. Ce ne sont pas les arguments scolastiques qui font de moi un athée.

Malgré l’importance que j’attache aux démonstrations d’ordre scientifique, je ne suis pas non plus un athée parce que « scientifique ». Pour éviter toute équivoque, je ne confonds pas la science,- recueil d’observations pratiques, aux applications profitables et utiles, avec la Science spéculative (avec un S capitale). De la science, Haeckel disait qu elle est « impossible sans hypothèse » et pour elle, Henri Poincaré proclamait l’hypothèse « indispensable ». Je pense, à la suite de philosophes et de savants contemporains éminents, que le fait scientifique est un phénomène humain, essentiellement relatif, dont le commentaire varie selon l’intellectualité des interprétateurs. Si je m’occupais de Science autrement qu’en profane, j’entendrais passer au crible de ma critique individuelle, et avec la même sévérité, et les hypothèses religieuses et les hypothèses scientifiques.

Je suis athée parce qu’individualiste. Le cerveau humain ne peut concevoir Dieu qu’anthropomorphiquement, sous les espèces dune sorte de dictateur autoritaire et despotique. Or, je suis un négateur d’autorité ; je ne veux ni Dieu ni maître ; je ne veux pas plus d’un patron dans l’univers que d’un patron à l’atelier. Bakounine a dit quelque part : « Si Dieu existe, l’homme est esclave ; si l’homme est libre, Dieu n’existe pas. » Je ne veux pas discuter ici ce qu’il faut entendre par liberté de l’homme. Après Proudhon, je répète : « Si Dieu existe, il est l’ennemi de l’homme. » Je ne veux pas d’un Dieu qu’il faut craindre pour être sage. On ne craint que les tyrans, ceux qui ont le pouvoir d’ôter à leurs semblables la liberté, voire l’existence, c’est-à-dire les policiers, les juges, les geôliers, les. bourreaux, Dieu, tous les dieux sont le symbole suprême de tous ces êtres, qui sont eux-mêmes l’incarnation de la contrainte organisée, Je proclame l’insurrection contre les dieux qu’il faut craindre pour être catalogué comme sage. Pas de conciliation possible entre mon anti-autoritarisme, ma haine de la domination, ma révolte contre l’exploitation et une conception quelconque de la divinité.

Et non seulement, individualiste, je nie, je rejette Dieu, mais pratiquement, je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas besoin de l’hypothèse Dieu créateur, provident ou législateur pour me sentir exister, pour me développer intellectuellement, pour évoluer physiquement, pour constater, méditer, me mouvoir, aimer, etc. Tout cela, je puis le faire en me refusant à croire en la toute puissance de ce produit de la crainte ou de l’ignorance d’ancêtres insuffisamment éclairés. Je n’ai pas besoin de Dieu pour connaître une vie intérieure profonde, qui résiste aux assauts des désillusions provenant de l’extérieur ou de mes propres erreurs, Je n’ai pas. besoin de Dieu pour persévérer ou m’en aller sur la route de la vie Individuelle, glanant les expériences, appréciant les jouissances, en quête d’expansion et d’activité pour mon cerveau et pour mes sens. Je n’attache pas grande importance, je le répète, aux arguments scolastiques, mais, pour me conduire dans la vie, je ne me sens pas le besoin du tout d’être guidé par un directeur moral, qui pour ramener à lui ses créatures, ou les punir de leurs désobéissances, les livre aux hécatombes, aux raffinements de cruauté des guerres contemporaines et aux souffrances qui en sont la conséquence.

Je ne déteste pas méchamment le croyant. Mon point de vue est celui de l’individualiste anarchiste Benj. Tucker : « Bien que voyant, dit-il, dans la hiérarchie divine une contradiction de l’Anarchie, tout en ne croyant pas, les anarchistes ne sont pas moins partisans de la liberté de croire. Ils s’opposent absolument à toute négation de la liberté religieuse. Et de même qu’ils proclament le droit pour l’individu d’être ou de choisir son propre médecin, ils revendiquent son droit d’être ou de choisir son propre prêtre. Pas plus de monopole ou de restriction en théologie qu’en médecine ». Bien que je sois mécaniste, c’est-à-dire que je considère l’idée philosophique la plus ingénieuse, l’hypothèse métaphysique la plus audacieuse, la théorie scientifique la plus curieuse, comme un résultat normal du fonctionnement de l’activité cérébrale, à l’individuel comme au collectif — je suis prêt, personnellement, à coopérer pour une besogne déterminée avec des spiritualistes « individuels », c’est-à-dire n’appartenant à aucune organisation ecclésiastique et fonciers adversaires des exploitations et des autorités étatistes ou sociales.

l’anarchie 7 no. 361; “Mon athéisme”

42) Le contrat social.

En vain les légalitaires affirmeront-ils que le but de la loi est, non pas d’opprimer l’individu, mais de lui assurer, selon ce dénomme le « contrat social », les possibilités de vivre dans la Société, — possibilités qu’en fait la loi délimite, codifie, n’établissant les droits et les devoirs de chacun vis-à-vis de la Société et de la Société vis-à-vis de chacun. L’individualiste demandera qui a promulgué ce soi-disant contrat social et aura bientôt fait de démontrer, preuves historiques à l’appui, qu’il a toujours été imposé aux différentes collectivités par une minorité d’êtres forts ou rusés, prêtres ou mages, soldats heureux ou conquérants, familles renommées, capitalistes puissants. Jamais, nulle part, aucun contrat social n’a été proposé librement, consenti librement, appliqué librement. Ce que nous connaissons tous du contrat social, c’est son appareil de contraintes et de châtiments ; ce sont ses exécutifs et ses souteneurs : mouchards, gendarmes et justiciers ; ce sont les institutions sur lesquelles il se fonde : tribunaux, maisons de détention et bagnes. C’est son enseignement soi-disant laïque, en réalité aussi dogmatique, aussi déprimant, aussi intolérant que l’enseignement clérical.

Pour l’individualiste, l’Etat est la forme laïque de l’église comme l’église fut la force religieuse de l’Etat, ce son deux ennemis qui se réconcilient toujours sur le terrain de la domination. Qui eut nié jadis la divinité de Jésus, la Trinité ou le mystère de la transsubstantiation, eût été condamné à périr dans les flammes. Qu’on attaque un peu violemment le dogme propriété ou le dogme parie, uniquement par la parole et par l’écrit — ou l’un quelconque des dogmes sur lesquels s’étayent les institutions civiles du XXe siècle- et vous verrez, l’exemple est là, si la prison ne châtie pas le mécréant coupable d’un tel forfait. Qui parle de contrat social ? Des morales désuètes, des préjugés ridicules qui sonnent faux en face des connaissances actuelles et dont, à l’école, on enseigne encore le respect : voilà en réalité le contrat social.

[AII-42]

En vain les légalitaires affirmeront-ils que le luit de la loi est non pas d’opprimer l’individu, mais de lui assurer, selon ce qu’on dénomme le « contrat social », les possibilités de vivre dans la société, possibilités qu’en fait la loi codifie, catalogue, en établissant les droits et les devoirs de chacun vis à vis de la société et de la société vis à vis de chacun. L’anarchiste demandera qui a promulgué ce soi disant contrat social et aura bientôt fait de démontrer, preuves historiques à l’appui qu’il a toujours été imposé aux différentes collectivités par une minorité d’êtres forts ou rusés, prêtres ou mages, soldats heureux ou conquérants, familles renommées, capitalistes puissants. Jamais, nulle part, aucun contrat n’a été proposé librement, consenti librement, appliqué librement. Ce que nous connaissons tous de la société, c’est son appareil de contraintes et de châtiments, ce sont ses exécutifs et ses souteneurs, policiers, gens d’armes et de justice, ce sont ses maisons d’arrêts et ses tribunaux. C’est son enseignement soi-disant laïque, en réalité aussi dogmatique, aussi déprimant, aussi intolérant que l’enseignement clérical.

Pour l’anarchiste, l’état est la forme laïque de l’église comme l’église fut la forme religieuse de l’État, ce sont deux ennemis qui se réconcilient toujours sur le terrain de la domination; qui eût nié jadis la divinité de Jésus, la Trinité ou le mystère de la transsubstantiation, eût été condamné a périr dans les flammes. Qu’on attaque aujourd’hui un peu violemment le dogme propriété ou le dogme patrie, uniquement par la parole et par l’écrit — ou l’un quelconque des dogmes sur lesquels se fondent les institutions civiles au xx° siècle et, vous verrez, l’exemple est là, si la prison ne châtie pas le mécréant coupable d’un tel forfait. Qui parle de contrat social? Des morales désuètes, des préjugés ridicules qui sonnent faux en face des connaissances actuelles et dont, à l’école, on enseigne encore le respect; voilà en réalité le contrat social.

43) Arguties des démocrates et des révolutionnaires de dictature.

Vainement, les « réformistes », les « progressistes » viendront-ils exposer qu’il n’y a plus de rois absolus, plus de castes hermétiquement closes, plus de classes sociales dont on ne puisse franchir les barrages. La démocratie, selon l’expression d’un illustre politicien, la démocratie « coule à pleins bords ». Plus on s’avance, nous-détaillent-ils, et plus les décisions du peuple sont souveraines — c’est l’opinion publique qui est sans appel, et non le caprice d’un Maître. Il est entendu que les révolutions populaires sont frappées au coin de la mentalité moyenne — c’est- à-dire qu’en période normale elles se tiennent à l’écart des solutions extrêmes. Mais c’est l’affaire des extrémistes d’avant ou d’arrière garde de faire se modifier cette mentalité. Il est aussi entendu qu’en régime démocratique, ce sont les décisions de la majorité qui l’emportent et qui s’imposent, mais comme l’a fait judicieusement remarquer en plein parlement un homme d’Etat célèbre on n’a pas trouvé jusqu ici de meilleur moyen d’assurer le fonctionnement de l’organisme social. Il est enfin. entendu que tout n’est pas pour le mieux dans la meilleure des démocraties, mais il faut du temps pour éclairer la masse, beaucoup de temps même.

Les préoccupations qui agitaient l’esprit du démos antique ou moyenâgeux n’étaient pas les mêmes que celles qui se posent devant le démos contemporain. La marche de l’évolution humaine se précipitant avec une vitesse inconnue à nos ancêtres, force est de reconnaître que les problèmes qui travaillent l’intelligence des humains d’aujourd’hui se renouvellent et se transforment constamment. De là la nécessité d’une éducation politique et économique destinée à mettre le peuple en situation de solutionner rapidement les problèmes nouveaux qui lui sont présentés. C’est l’affaire d’un petit nombre de générations, une goutte d’eau dans l’océan des siècles. Somme toute, une fois écartés le caprice du prince et l’arbitraire des tyrannies théocratiques ou oligarchiques, c’est encore le régime démocratique qui permet au développement de l’espèce humaine de se poursuivre le plus normalement et à l’individu, de jouir d’un bonheur, moyen.

Vainement, les « révolutionnaires de dictature » démontreront-ils que l’expérience historique suffit à indiquer combien peu il faut faire fond sur le régime démocratique, sur l’opinion publique. Le peuple est soumis à toutes sortes d’influences contradictoires et vacille au gré des passions, des colères, des fantaisies collectives. Les caprices de la démocratie ne le cèdent en rien à ceux du prince — un beau discours, une belle prestance, un bel uniforme, un beau cheval, une formule ronflante suffit à retourner de fond en comble « la mentalité moyenne » et à lui faire avaler aujourd’hui avec délices le breuvage politique, économique, intellectuel qu’elle vomissait hier avec dégoût. Un siècle d’exercice a suffi pour consacrer le fiasco du suffrage universel masculin et il ne semble pas que l’accès du beau sexe à l’électorat le réhabilite. Le propre des assemblées représentatives a toujours été de se diviser en fractions qui, malgré des divergences apparentes, avaient ceci de commun entre elles, c’est qu’elles cherchaient à se dominer et à se supplanter les unes les autres, et à s’imposer leurs opinions respectives.

Nous ne nions pas, ajoutent les révolutionnaires dont s’agit, que généreuses, de grandioses, de bienfaisantes aspirations ne soient pas en gestation dans les entrailles de la démocratie contemporaine, mais ces aspirations, il est nécessaire de les accoucher. Or, cet accouchement, c’est l’affaire d’une minorité convaincue, d’une élite consciente du but à atteindre : le bonheur de l’espèce humaine. En attendant que les aspirations à un état de choses nouveau prennent corps, pénètrent et saturent l’esprit et les sens du peuple, un régime dictatorial est de rigueur. C’est par la dictature des plus intelligents, et des mieux doués de ses éléments d’avant- garde que le bonheur de l’ensemble social sera organisé et réalisé, de gré ou de force. Il importe peu que le peuple encore inéduqué doive être mené, tambours battants et la crosse aux reins, vers le paradis social. Il remerciera plus tard l’élite dictatoriale de son énergie et de sa détermination.

44) Démocratie égale dictature.

Si les individualistes s’accordent avec les protagonistes de la dictature des éléments avancés de la démocratie pour reconnaître que le suffrage universel, le parlementarisme et l’opinion publique sont de ridicules panacées ou de redoutables trompe-l’œil, ils s’en séparent lorsque ceux-ci tentent de présenter leur conception dictatoriale comme une nouveauté. Démocratie et dictature sont termes synonymes. Le peuple n’a jamais marché que sous l’aiguillon d’une dictature — occulte ou affichée. La démocratie, à toutes les périodes de l’histoire, a réglé son allure sur les injonctions de la dictature de l’un de ses éléments privilégiés. Le motif en est bien simple : le peuple — pris en tant que masse — est incapable de penser pour et par soi-même. Il ne réfléchit pas parce qu’il ne peut pas réfléchir — parce qu’une collectivité d’êtres humains de mentalité moyenne aspire normalement à un état d’équilibre qui lui épargne des décisions de nature à troubler sa stabilité. Lorsqu’une collectivité humaine modifie son statu quo, c’est sous l’influence d’une individualité, d’un certain nombre de ses composants, d’un parti ou encore parce qu’elle se trouve sous l’empire d’une surexcitation anormale. Mais elle en revient toujours à la stabilité, cette stabilité résidât-elle dans la soumission à une solution extrémiste, à un parti terroriste, à un autocrate fantaisiste. Les collectivités tendent vers le repos, vers l’oubli, vers la stagnation. C’est pour cela qu’elles ont toujours constitué de merveilleux instruments au service des absolutismes et des tyrannies de toute espèce.

Il n’y a pas de mœurs, de politique, d’économie, d’éducation démocratique. Le peuple, en ces matières, pense comme ses dirigeants, ses gouvernants, ses exploiteurs le désirent. Depuis la révolution de 1789 la démocratie a pensé ce que lui dictaient les articles de journaux, les maîtres d’école, les orateurs de réunion publiques, les hommes d’Etat. Les partisans de la dictature de l’élite populaire ou prolétarienne n’innovent donc rien. Les individualistes admettent volontiers que c’est très rarement que les éléments avancés ont pu s’emparer du gouvernail, mais ils se refusent à voir un ordre de choses nouveau dans l’ascension au pouvoir de l’élite ouvriériste ou révolutionnaire. Il s’agit de déposséder de leur situation gouvernementale les meneurs de la bourgeoisie et de les remplacer par les conducteurs du quatrième état. Les individualistes ne voient là qu’une modification de personnel. La démocratie reste ce qu’elle était : un instrument de dictature ; le peuple ne change pas de rôle : il ne change que de bergers.

45) Producteurs inutiles et consommations superflues.

Aux purs socialistes prétendant que le fait économique domine tous les détails de l’évolution de l’humanité, l’individualiste objectera que c’est là pure hypothèse, que, sans négliger un seul instant la valeur du facteur économique, puisqu’il s’agit d’abord de se sustenter, on ne peut admettre qu’il ait été l’unique cause de tous les événements historiques ; à vrai dire, selon les circonstances, les événements ont eu tantôt une origine politique, tantôt un motif religieux, tantôt un mobile économique, — cela sans parler des influences climatériques. Il a été longtemps d’usage de rapporter toute l’histoire à des causes politiques, de même qu’auparavant on la considérait comme les gestes de « Dieu » parmi les hommes ; la métaphysique socialiste voudrait, elle, tout ramener au fait économique. Il est considérablement exagéré de soutenir que la philosophie, les arts, la littérature aient constamment dépendu du fait économique, alors que certaines de leurs périodes indiquent, pour citer un exemple, une influence nettement religieuse.

Examinant de façon critique la question de production et de consommation, l’individualiste prétend qu’il est visiblement outrancier, dans la société actuelle, de grouper les hommes par professions ou métiers, que c’est en régime de surproduction et d’exploitation capitaliste une classification arbitraire, dangereuse, malsaine même.

Exalter le producteur dans l’état actuel des choses est un pur sophisme. Dans nombre de cas, il produit des objets ou des valeurs inutiles, sinon nuisibles ; ou il accomplit un travail sans portée individuelle ni sociale. Les métallurgistes qui travaillent dans les arsenaux, dans les manufactures d’armes ou dans les fonderies de canons font-ils besogne utile ? Les gardiens de prison, douaniers, gratte-papiers des administrations officielles, receveurs d’octroi ou percepteurs de contributions accomplissent-ils œuvre utile ? Les ouvriers adonnés à la fabrication des apéritifs, amers, « vitriols » de toute espèce, font-ils travail utile ? Les employés de chemins de fer occupés au transport de tant d’objets de luxe superflus, à manutentionner les denrées frelatées ou à envoyer les soldats vers la boucherie remplissent-ils une fonction de quelque utilité ? En vain, les maçons qui construisent des prisons, des casernes ou des églises se groupent-ils en syndicats révolutionnaires ; en vain, les confectionneurs de mitrailleuses, de fusils Lebel, Maennlicher ou Vetterli, d’uniformes, adhèrent-ils aux Confédérations du Travail. Avant, comme après, ce sont des producteurs inutiles.

Ce qui est vrai, au point de vue individualiste, c’est qu’une grande partie des producteurs vivent en parasites au compte des consommateurs puisqu’une grande partie de la consommation se relative à des objets ou à des valeurs qui, directement ou indirectement, perpétuent la dépendance de l’unité humaine. Ce qui est vrai encore, c’est qu’un grand nombre de consommateurs entretiennent, grâce à leur mentalité servile et moutonnière, une foule de producteurs inutiles.

[AII-45]

Aux socialistes prétendant que le fait économique domine tous les détails de l’humanité, l’anarchiste objectera que c’est là pure hypothèse, que sans négliger un seul instant la valeur du facteur économique, puisqu’il s’agit d’abord de se sustenter, on ne peut admettre qu’il ait été l’unique cause de tous les événements historiques ; selon les circonstances, les évènements ont eu tantôt une origine politique, tantôt un motif religieux, tantôt un mobile économique, — cela sans parler des influences climatériques. Il a été longtemps l’usage de rapporter toute l’histoire à des causes politiques, de même qu’auparavant on la considérait comme les gestes de « Dieu » parmi les hommes ; la métaphysique socialiste voudrait, elle, tout relier au fait économique. Il est considérablement exagéré de soutenir que la philosophie, les arts, la littérature aient constamment dépendu du fait économique, alors que certaines de leurs périodes indiquent, pour citer un exemple, une influence nettement religieuse.

Examinant de façon critique la question de production et de consommation, l’anarchiste prétend qu’il est visiblement outrancier, dans la société actuelle, de grouper les hommes par professions ou métiers, que c’est en régime de surproduction et d’exploitation capitaliste une classification arbitraire, dangereuse, malsaine même. Le producteur de blé ou de céréales — un des producteurs les plus utiles — ne fait-il pas vivre à ses dépens et à ceux des consommateurs, des intermédiaires et des courtiers de toute espèce ?

Exalter le producteur dans l’état actuel des choses est un pur sophisme. Dans nombre de cas, il produit des objets ou des valeurs inutiles, ou il accomplit un travail sans portée individuelle ni sociale. Les métallurgistes qui travaillent dans les arsenaux, dans les manufactures d’armes ou dans les fonderies de canons font-ils besogne utile ? Les gardiens de prison, douaniers, gratte-papiers des administrations officielles, receveurs d’octroi ou percepteurs de contributions accomplissent-ils œuvre utile ? Les ouvriers adonnés à la fabrication des boissons alcooliques, des apéritifs, amers, « vitriols » de toute espèce, font-ils travail utile ? Les employés de chemin de fer occupés au transport de tant d’objets de luxe superflus, à manutentionner les denrées frelatées ou à envoyer les soldats vers la boucherie remplissent-ils une fonction de quelque utilité ? En vain les maçons qui construisent des prisons, des casernes ou des églises se groupent-ils en syndicats révolutionnaires; en vain les confectionneurs de mitrailleuses, de fusils Lebel ou Vetterli et d’uniformes adhèrent-ils aux Bourses du Travail ? Avant comme après ce sont des producteurs inutiles.

Ce qui est vrai, c’est qu’une grande partie des producteurs vivent en parasites au compte des consommateurs puisqu’une grande partie de la consommation a trait à des besoins artificiels; ce qui est vrai encore, c’est qu’un grand nombre de consommateurs entretiennent, grâce à leurs besoins artificiels, une foule de producteurs inutiles.

46) La loi du progrès continu.

Enfin, nous n’ignorons pas la thèse des tenants de la loi du « progrès continu » ; idée qui n’est pas neuve, et dont on trouve le germes en Grèce et à Rome, et plus tard chez les mystiques du Moyen Age, lesquels annonçaient que de même que le royaume du Fils avait succédé au royaume du Père, au royaume du Fils succéderait le royaume du Saint-Esprit ou âge de l’Evangile éternel, où il n’y aurait plus ni erreur ni péché. Sortant du mysticisme, cette conception s’éclaircit, se précise, s’affirme, philosophiquement d’abord avec les Bacon et les Pascal ; se généralise ensuite avec les Herder, les Kant, les Turgot, les Condorcet, les Saint-Simon, les Auguste Comte et leurs successeurs, les écoles socialistes utopiques et scientifiques, enfin les évolutionnistes-finalistes de tout ordre.

On n’ignore pas que l’idée de la loi du progrès constant et ininterrompu a été acceptée, exaltée, vulgarisée par les poètes, les littérateurs, les philosophes, les propagandistes et maint savant. Elle a joué parmi les hommes le rôle consolateur tenu jadis par la religion dans les siècles de foi. Mais en l’examinant de près, on s’aperçoit bientôt que rien n’est moins fondé, scientifiquement parlant, que cette prétendue loi.

En premier lieu, il est impossible de prouver expérimentalement que les actes de chaque unité humaine, de chaque race, de toutes les races, sont des effets invariables et incontestables des antécédents primitifs et des circonstances originelles. Nous ignorons, en effet, de façon indiscutable, et le point de départ de l’humanité et le point ou les points vers lesquels elle s’avance. Même si nous connaissions exactement ce point de départ, nous ne possédons aucun critère scientifique nous permettant de distinguer ce qui est progrès d’avec ce qui ne l’est pas. Nous pouvons constater un déplacement, rien d’autre. Selon leurs aspirations ou le parti auquel ils appartiennent, les humains dénomment ce déplacement « progrès » ou « recul », voilà tout.

Au cœur de cette conception du progrès continu et inéluctable, sous son apparence la plus scientifique, sommeille une arrière-pensée mystique et finaliste. Ici, nous la voyons rattachée à cette idée que l’homme est la nature prenant conscience d’elle-même. Là, nous la voyons accompagnée de cette autre idée que toute l’évolution animale postule, annonce, prophétise le bipède à station droite et doué de parole qu’est l’être humain. On nage en plein anthropocentrisme et on oublie la réalité, bien simple, qui est ceci : c’est que sur un des corps les plus infimes qui parsèment le Cosmos, au fond de la buée qui l’environne comme une vapeur diaphane, végètent, grouillent ou rampent une multitude de parasites. Un accident géologique a surexcité, vraisemblablement, l’intelligence d’une des espèces parasitaires de ce corps — la Terre — et lui a permis de dominer sur les autres espèces, Fut-ce pour le bonheur ou le malheur des habitants de la planète ? nous ne le savons pas. Nous ignorons totalement ce qui serait résulté de l’avènement d’une autre espèce de vertébrés, l’éléphant, le cheval, par exemple, ou des variétés auxquelles elle aurait pu donner naissance. Rien ne prouve que la nature n’aurait pas bien mieux et plus supérieurement, « pris conscience d’elle-même » en ces races. Rien ne prouve qu’un nouvel incident géologique, météorologique au autre ne ravira pas au genre humain son sceptre, sa puissance et son outrecuidance. Mais les faits sont les faits. L’homme semble bien, au point de vue intellectuel, le mieux doué, actuellement, des parasites terriens. Inclinons-nous et revenons-en à la loi du progrès continu, à la thèse de l’évolution progressive et nécessaire. Or, on ne peut l’accepter sans admettre du même coup, non seulement que tous les événements qui ont eu et ont lieu ont été et sont nécessaires, mais encore qu’ils ont servi et servent forcément au développement, au bonheur de l’espèce humaine. C’est là où aboutissait logiquement Auguste Comte, et Taine a formulé cette idée en une phrase lapidaire : « Ce qui est a le droit d’être ». Tout est donc bien et pour le mieux dans la meilleure des évolutions. Dans le passé et dans le présent. Les violences faites aux corps et les violences faites aux opinions ; l’inquisition, les conseils de guerre, les guerres et les épidémies ; l’étouffement de la pensée contraire, les bûchers où brûlaient les contradicteurs ; les pelotons d’exécution qui les trouent de projectiles ; les jets de liquide enflammé, les gaz asphyxiants, les avions de bombardement, le « nettoyage » des tranchées à grands coups de coutelas. Tout est bien. Les prisonniers de guerre massacrés malgré la promesse de la vie sauve, les chrétiens de Rome jetés aux bêtes féroces, les exterminations des Albigeois et des anabaptistes, les lettres de cachet, la raison d’Etat et les lois scélérates. Tout est bien, tout a servi au développement de l’humanité, tout a concouru à la marche du progrès, tout cela a facilité et préparé la venue du bonheur inéluctable, final et universel.

Eh bien ! non. Notre raison s’insurge, se rebelle contre cette idée.

Nous nous penchons sur l’abîme sans fond dans lequel tour à tour ont roulé les civilisations fameuses, les âges grandioses : sur le gouffre où se rejoignent les périodes historiques colossales et retentissantes ; et ce qu’on entend monter de ces profondeurs insondables, ce ne sont ni des hymnes de joie, ni des soupirs de jouissance — c’est tout au contraire un concert inharmonique et effroyable de protestations, de plaintes, de lamentations, de sentiments, d’aspirations, de besoins entravés, mutilés, froissés, meurtris. Vainement les clameurs féroces et un peu forcées des arrivés et des pourvus s’essayent-elles à couvrir, à étouffer les cris de rage de ceux auxquels l’occasion de se satisfaire n’a jamais été offerte ou a toujours manqué — elles n’y parviennent pas !

Figures de rhétorique ? Arguments sentimentaux ? Je le veux bien. Mais étayés, mais appuyés pourtant sur les données, sur les documents de l’expérience historique. A n’importe quelle période du développement d’une civilisation quelconque — quelle que fût l’influence qui avait présidé à sa croissance — des protestataires, des anticipateurs, des « en dehors » d’un genre ou d’un autre ont surgi, disséminés ou groupés, des humains se sont dressés et ont proclamé que leur bonheur se situait aux antipodes ou en marge de ce que définissaient comme tel les dogmes, les conventions, les lois, les décrets, les dictatures, les réalisations de la mentalité moyenne, du milieu ou de l’élite sociale. La flamme de la résistance et du non conformisme ne s’est jamais éteinte complètement, même aux jours les plus sombres de l’évolution de l’humanité. Sans doute le flambeau de l’aspiration à un bonheur tout autre que le bonheur officiel, le bonheur juste milieu, n’a pas toujours lui du même éclat. II n’en a pas moins éclairé la voie de l’insoumission, de l’autonomie individuelle, la route où s’est toujours engagée la meilleure portion du genre humain, selon ses connaissances du moment tout au moins. S’il y avait loi, ce serait à celle de la « persistance continue » de l’esprit de non conformisme qu’il conviendrait d’attribuer les améliorations ( ?) que certains veulent voir dans les rapports entre les constituants des mêmes milieux sociaux.

[AII-46]

Mystiques, légalitaires, socialistes, écrivent et discourent sur une solidarité qui lierait tous les hommes: ceux-ci parce qu’ils se basent sur cette affirmation gratuite que « Dieu » est le père du genre humain, ceux-là parce que la loi est le lien qui rattache les hommes les uns aux autres puisqu’il leur permet de vivre en société, les autres parce que production et consommation sont si inextricablement liées que le producteur est indispensable au consommateur et vice-versa. « Dieu », la loi ou le fait économique, il faut se courber et obéir toujours.

L’anarchiste, lui, ne se courbe pas et, froidement, loyalement, il soumet à la critique cet argument formidable. Solidarité obligée, dit-il, équivaut à point de solidarité du tout : « Je ne suis nullement solidaire de celui qui contribue à maintenir et la domination et l’exploitation et d’une ; je ne suis pas solidaire davantage de quiconque perpétue la survivance des préjugés qui entravent le développement individuel, et de deux; je ne suis pas solidaire ni des consommateurs artificiels ni des producteurs inutiles : je n’en suis solidaire présentement que parce que j’y suis forcé et chaque fois que je trouve l’occasion de m’évader de cette contrainte, j’en profite. Je ne connais de solidarité que celle que j’ai acceptée, débattue, consentie, l’ayant d’abord examinée consciemment. Je ne suis solidaire que de ceux qui conçoivent comme moi la solidarité. » Et devant cette réponse, la « solidarité universelle » se révèle ce qu’elle est réellement : un fantôme.

La tendance de toutes choses semble être de débuter par le diffus, le composé, le grégaire pour tendre au simple à l’unique. L’agrégat tend à se résoudre en unités, le firmament le porte gravé en caractères indélébiles. Jadis, l’homme ne pensait pas ou n’agissait pas individuellement; la tribu ou le clan pensait, agissait pour lui, puis ce furent les chefs de groupe, les matriarches, les patriarches, les pères de famille qui pensèrent ou agirent pour leurs administrés, leurs enfants, leur clientèle (cliens). En d’autres termes, la cellule individu fut à l’origine noyée dans l’organisme-société ou l’organisme-famille; elle tend, malgré tout, à s’affranchir des « archées » ou des « craties » de toute espèce, à se sentir soi-même, à disposer de son sort, à s’unir à qui l’attire. En devançant le temps, à leurs risques et périls les anarchistes pourraient dire qu’ils agissent « scientifiquement», s’ils ne tenaient beaucoup plus à agir en hommes libres.

Deuxième partie — Les thèses pratiques de l’individualisme anarchiste.

5. Le Christianisme et les Individualistes. La tournure d’esprit païenne.

47) Le christianisme primitif.
48) Le fondateur du christianisme et son œuvre.
49) Saul de Tarse. L’influence grecque.
50) Une irrémédiable incompatibilité.
51) Le communisme des premiers chrétiens.
52) La tournure d’esprit païenne.

5. LES CHRÉTIENS ET LES ANARCHISTS
  1. Le christianisme primitif.
  2. Jésus.
  3. Un pont infranchissable.
  4. Anarchisme et christianisme sont inconciliables.
  5. Tolstoi et l’idée de la « non-résistance au mal par la violence ».
  6. L’anarchisme chrétien.
  7. Résistez.

5. Le Christianisme et les Individualistes. La tournure d’esprit païenne

47) Le christianisme primitif.

Y a-t-il un lien de parenté quelconque entre le christianisme et l’anarchisme ? Peut-on les concilier ? Peut-on soutenir que les anarchistes-individualistes ou communistes — sont ce que seraient devenus les chrétiens si le christianisme avait suivi son évolution normale au lieu de se cristalliser en des formules et en des rites ?

Il n’est personne de bonne foi qui entende concilier avec le socialisme ou l’anarchisme le christianisme d’aujourd’hui, le christianisme officiel des églises, soutien du coffre-fort. et admirateur de la violence gouvernementale. Quand on parle de christianisme anarchiste, social, révolutionnaire même, on n’entend jamais que le « christianisme primitif ». La grande difficulté, c’est que sur cette période de l’histoire chrétienne, nous ne possédons guère de documents authentiques, probants, auxquels on puisse ajouter absolument foi. Les éléments critiques manquent, les écrits hostiles au christianisme ayant été soigneusement anéantis par les chrétiens devenus victorieux. Les documents ne deviennent historiques qu’au moment où le mouvement chrétien s’est transformé en une organisation religieuse, un église qui prétend conquérir le monde, qui vise à la suprématie spirituelle et temporelle, grâce à une hiérarchie formidablement agencée. A ce moment-là, l’église parait surtout préoccupée de s’assimiler les croyances, les superstitions mythologiques, afin de rallier les dernières oppositions et ses divisions intestines servent de manteau à des desseins politiques.

[AII-47] Le christianisme primitif.

Y a-t-il un lien de parenté quelconque entre le christianisme et l’anarchisme? Peut-on les concilier? Peut-on soutenir que les anarchistes sont ce que seraient devenus les chrétiens si, au lieu de se cristalliser en des formules et en des rites, poteaux-frontières, le christianisme avait suivi son évolution normale.

Personne n’entend concilier avec le socialisme ou l’anarchisme le christianisme d’aujourd’hui, le christianisme officiel des églises, soutien du coffre-fort et admirateur de la violence gouvernementale. Quand on parle de christianisme anarchiste, social, révolutionnaire même, on n’entend jamais que le « christianisme primitif ». La grande difficulté, c’est que sur cette période de l’histoire chrétienne, nous ne possédons guère de documents sérieux, probants, auxquels on puisse ajouter foi. Les documents ne deviennent historiques qu’au moment où le mouvement chrétien s‘est transformé en une organisation religieuse, une église qui prétend conquérir le monde, qui vise à la suprématie spirituelle et temporelle, grâce à une hiérarchie formidablement agencée. A ce moment là, l’église parait surtout préoccupée de s’assimiler les croyances, les superstitions païennes afin de rallier les dernières dissidences et ses divisions intestines servent de manteau à des desseins politiques. Plus on recule et plus on s’en trouve réduit à des conjectures, qu’on se trouve face à face avec des légendes inconstantes, fuyantes, contradictoires ; nous n’avons même aucune preuve absolument vérifiable de l’existence du fondateur du christianisme, et ses biographes sont si occupés à faire triompher leur peint de vue particulier ou à favoriser les idées du parti qu’ils représentent qu’on a peine à retrouver sons le vernis dont ils recouvrent son histoire la physionomie réelle de Jésus.

48) Le fondateur du christianisme et son œuvre.

Jésus, de naissance irrégulière, (peut-être avec du sang grec dans les veines), parait avoir eu davantage de ressentiment contre les pseudo-croyants Juifs que contre les oppresseurs romains de la Judée. Nourri de la lecture des grands prophètes israélites, mêlée peut-être à une connaissance de la philosophie grecque, bercé sûrement dès l’enfance par les apocalypses juives, croyant en la fin prochaine du monde, doué sans doute de facultés qu’on rattacherait aujourd’hui aux phénomènes de l’hypnotisme, il semble qu’il se soit cru appelé à renouveler les prophètes de jadis, si bien qu’avant ou au lieu de prêcher la révolte contre les étrangers, il préconisa une régénération « intérieure ». Jésus nous apparaît encore comme un homme d’origine modeste, élevé chez un charpentier ou même dans une ferme, comme le voulait E. Crosby, mais que les soucis d’une éducation qu’il n’a due qu’à lui-même, ou peut-être de lointains voyages, auraient éloigné du contact immédiat d’autrui. Tout en partageant maintes des superstitions et en épousant les théories cosmogoniques de son époque, il se montre en possession d’une indéniable valeur individuelle et exerce une profonde influence sur son entourage ; on nous le dépeint comme doué de beaucoup de sensibilité, d’un vif enthousiasme, débarrassé des conceptions étriquées, polémiste et abhorrant l’esprit mercantile qui rendait ses compatriotes si détestables.

N’ayant point trouvé d’écho chez les gens aisés, à part deux ou trois bourgeois libéraux ou rabbins, Jésus s’en alla recruter des amis parmi les « péagers et les gens de mauvaise vie » : chemineaux, vagabonds, mendiants, prostituées, névropathes et autres « gens sans aveu » auxquels se mêlèrent plusieurs de ces juifs attendant la venue d’un Messie qui les délivrerait du joug des légions césariennes. Jésus ne semble pas avoir attaché beaucoup d’importance aux lois civiles, à la propriété, et l’épisode des deux sœurs qu’il aimait tendrement indique des mœurs libres. Deux ou trois femmes qu’il avait guéries de maladies nerveuses, subvenaient à ses besoins et à ceux du petit groupe qui le suivait partout 4. Bref, avec sa poignée de gens inavouables et de fanatiques, il se jeta à l’assaut de l’ecclésiastisme, du formalisme et de l’hypocrisie israélites, formidable forteresse.

En opposition avec l’enseignement des rabbins, l’enseignement officiel, Jésus en adopta un qui dut avoir comme base ce conseil : « Si tu fais ceci ou cela, fais-le, non parce qu’on t’a dit de le faire, mais parce que, en ton for intérieur, tu le trouves bon. » Plus nouveau que bien compris, cet enseignement suscita l’attention et on se pressa relativement autour du jeune propagandiste, dont les invectives contre les puissants et les riches — Jésus ne semble pas avoir reculé devant les propos démagogiques — flattaient l’oreille des déshérités qui l’écoutaient. On dut aimer sa simplicité : un bateau, une terrasse, un monticule lui tenaient lieu de chaire. D’ailleurs, il ne semble pas avoir fait œuvre de propagande illimitée : il se contentait de semer paroles et idées : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende » : la semence peut tomber sur le bord de la route où les oiseaux la mangeront, sur le terrain pierreux où le soleil la dessèchera, tant pis ! Si elle tombe en bonne terre, elle produira au centuple. Sympathique à la populace, car nullement ascète, il mangeait et buvait dans les carrefours, avec toute espèce de monde, sa conversation attirait : il parlait de champs, de fleurs, de moissons, du ciel étoilé… quelle différence avec les prêtres empesés et le rituel de la synagogue !

Un trait ineffaçable du caractère de Jésus, ce fut sa confiance en ceux qui le suivirent, sa patience à leur égard, disons-le, son amour pour eux. Courageusement, il entreprit leur éducation, excusant leur lâcheté, leur ignorance ; leurs ambitions mesquines, leurs rivalités puériles ne le rebutèrent pas. Bien que ses biographes passent rapidement sur ces côtés de sa physionomie morale, ils ressortent à tel point qu’ils éclipsent sans pitié tous les prétendus miracles auxquels les évangélistes donnent tant de place.

Un beau jour éclata la crise inévitable. Grisé par l’enthousiasme, s’attendant probablement à une manifestation en sa faveur et en sa personne d’une puissance extra-humaine, Jésus monta vers Jérusalem au moment des fêtes de Pâques, alors que la ville regorgeait d’israélites venus de tous les points de l’Empire romain. Il se rendit au Temple, haranguant, discutant, provoquant le tumulte. Belle occasion pour les chefs de la synagogue de se débarrasser de l’importun et des conséquences fâcheuses qu’auraient pu avoir ses discours enflammés. En ayant eu vent, il semble que Jésus se cacha avec quelques amis ; sans doute trahi, il fut vite découvert, appréhendé, arrêté et les autorités romaines et juives tombèrent de suite d’accord pour le faire périr. Il subit son sort avec une certaine faiblesse, semble- t-il, causée probablement par la chute de ses espérances en une intervention de la divinité et aussi à l’abandon de ses disciples, qui s’étaient terrés. D’ailleurs, pour les frapper et éviter qu’ils en fissent un prophète, on avait pris soin de ridiculiser leur chef et de lui infliger un supplice d’ordinaire réservé aux malfaiteurs.

Exemple point neuf : loin d’abattre les siens, le supplice de leur ami ranima leur courage, les électrisa. Hallucinés par l’influence qu’il avait exercée sur eux de son vivant, influence que leur pitoyable conduite grandissait encore, ils se retrouvèrent, s’assemblèrent, reconquirent courage et assurance. Le christianisme était né.

Des récits de l’activité de Jésus, on peut tirer bien des aspects contradictoires de sa personnalité. Sans doute, il est anarchiste, révolutionnaire, il rejette et combat l’autorité des prêtres, la morale hypocrite et officielle, le traditionalisme, la loi écrite et imposée ; mais il est venu aussi pour accomplir « la loi » et « les prophètes » et non pour les « abolir ». Il y a tant de manipulations, d’interpolations dans les textes, qu’on a bien de la peine à savoir à quoi s’en tenir.

[AII-48]

Jésus, de naissance irrégulière (peut-être avec du sang grec dans les veines), semble avoir eu davantage de ressentiment contre les pseudo-croyants juifs que contre les oppresseurs romains de la Judée. Nourri de la lecture des grands prophètes israélites, mêlée peut-être à une connaissance de la philosophie grecque, bercé sûrement dès l’enfance par les apocalypses juives, il semble qu’il se soit cru appelé à renouveler les prophètes de jadis, si bien qu’avant ou au lieu de prêcher la révolte contre les étrangers, il préconisa une révolution intérieure; nous dirions aujourd’hui qu’il fit appel à l’éducation avant de faire appel à la révolution. Jésus nous apparait encore comme un homme d’origine modeste, élevé chez un charpentier ou même dans une ferme, comme le voudrait feu E. Crosby, mais que les soucis d’une éducation qu’il s’est due à lui-même ou des voyages ont éloigné du contact immédiat d’autrui. Tout en partageant maintes des superstitions et en adoptant les théories cosmogoniques de son époque, il paraît avoir possédé une haute valeur individuelle et surtout exercé une sérieuse influence sur son entourage; on nous le montre doué de beaucoup de sentiment, d’un vif enthousiasme, débarrassé des conceptions étriquées, abhorrant l’esprit mercantile qui rendait ses compatriotes si détestables.

N’ayant point trouvé d’écho chez les gens aisés, à part deux ou trois bourgeois libéraux ou rabbins, Jésus s’en alla recruter des amis parmi les « péagers et les gens de mauvaise vie » chemineaux, vagabonds, filles publiques et autres gens sans aveu auxquels se mêlèrent plusieurs de ces juifs attendant la venue d’un Messie qui les délivrerait du joug des légions césariennes. Jésus ne semble pas avoir attaché beaucoup d’importance aux lois civiles, comme la propriété, et l’épisode des deux sœurs qu’il aimait tendrement indique Lies mœurs libres. Bref, avec sa poignée de gens inavouables et de fanatiques, il se jeta à l’assaut de l’ecclésiasticisme, du formalisme et de l’hypocrisie israélites, formidable forteresse.

Comme tous les réformateurs religieux, il accusait avec véhémence les pratiquants d’avoir perverti le sens primitif de leur religion, abandonné la vie intérieure et remplacé l’esprit par la lettre, le texte froid, stérile, qui dessèche et qui tue : leur prétendue austérité cachait un sensualisme effronté. Et en opposition avec l’enseignement des rabbins, l’enseignement officiel, Jésus en adopta un qui dut avoir comme base ce conseil: « Si tu fais ceci ou cela, fais-le non parce qu’on t’a dit de le faire mais parce qu’en ton for intérieur tu le trouves bon. » Plus nouveau que bien compris, cet enseignement suscita l’attention et on se pressa relativement autour du jeune propagandiste, dont les invectives contre les puissants et les riches — n’oublions pas que Jésus était doublé d’un démagogue — flattaient l’oreille des déshérités qui l’écoutaient. Les prêtres et les bourgeois ont du sans douté être confondus de l’audace d’un pareil personnage, de mœurs douteuses, aux suiveurs plus douteux encore, qui allait racontant que c’est à l’individu intérieur qu’il faut regarder et non à son apparence extérieure, et qui, d’ailleurs, les avait rabroués assez vertement dans plusieurs rencontres contradictoires. En province, il dut obtenir autant de succès qu’à Jérusalem; on aimait sa simplicité: un bateau, une terrasse, un monticule lui tenaient lieu de chaire. Jésus d’ailleurs ne semble pas avoir fait œuvre de propagande illimitée : il se contentait de semer paroles et idées : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende » : la semence peut tomber sur le bord de la route où les oiseaux la mangeront, sur le terrain pierreux où le soleil la dessèchera, tant pis ! si elle tombe en bonne terre, elle produira au centuple. Il dut d’être sympathique à ce que, nullement ascète, il mangeait et buvait dans les carrefours, avec toute espèce de monde ; sa conversation attirait : il parlait de champs, de fleurs, de moissons, du ciel étoilé… quelle différence avec les prêches empesés de la synagogue.

Un des beaux traits, un trait ineffaçable du caractère de Jésus, ce fut sa confiance en ceux qui le suivirent, sa patience a leur égard. Courageusement, il entreprit leur éducation, excusant leur lâcheté, leur ignorance ; leurs ambitions mesquines, leurs rivalités puériles ne le rebutèrent pas. Bien que ses biographes passent rapidement sur ces côtés — les meilleurs — de sa physionomie morale, ils ressortent à tel point qu’ils éclipsent sans pitié tous les prétendus miracles auxquels les évangélistes donnent tant de place. Le résultat fut qu’alors même que ses partisans ne le comprirent pas, ils ne se séparèrent pas de lui, entendons-nous, jusqu’au danger exclusivement.

Un beau jour éclata la crise inévitable. Grisé par l’enthousiasme, s’attendent probablement à une manifestation en sa faveur et en sa personne d’une puissance extra-humaine, Jésus monta vers Jérusalem au moment des fêtes de Pâques, alors que la ville regorgeait d’israélites venus de tous les points de l’Empire romain. Il se rendit au Temple, haranguant, discutant, provoquant le tumulte. Belle occasion de se débarrasser de l’importun et des conséquences fâcheuses qu’auraient pu avoir ses discours enflammés. En ayant eu vent il semble que Jésus se cacha avec quelques amis; peut-être trahi, il fut vite découvert, appréhendé, arrêté et les autorités romaines et juives tombèrent de suite d’accord pour le faire périr. Il subit son sort avec une certaine faiblesse, due probablement à la chute de ses espérances en une intervention de la divinité et aussi à l’abandon de ses disciples, qui s’étaient errés. D’ailleurs, pour les frapper et éviter qu’ils en fassent un prophète, on avait pris soin de ridiculiser leur chef et de lui infliger un supplice d’ordinaire réservé aux malfaiteurs.

Exemple point neuf, loin d’abattre les siens, le supplice de leur ami ranima leur courage, les électrisa. Hallucinés par l’influence qu’il avait exercé sur eux de son vivant, influence que leur pitoyable conduite grandissait encore, ils se retrouvèrent s’assemblèrent, reconquirent courage et assurance. Le christianisme était né.

Voilà très probablement ce que fut le christianisme à son origine : il se confond avec la personnalité de son initiateur. Que Jésus fut un révolutionnaire, un anarchiste en ce sens qu’il répudia ou combattit l’autorité des prêtres, la morale hypocrite et officielle, la loi écrite et imposée, on peut l’admettre, mais en faisant remarquer que son existence historique importe peu en elle-même. Le fait intéressant — et bien que pour notre part nous pensions que Jésus ait vécu — c’est qu’à un moment donné de l’histoire, en‘ Asie Mineure, des hommes se rencontrèrent qui créèrent un pareil individu-type. Nous avons personnellement entendu des protestants très libéraux déclarer que Jésus était un idéal imaginé par l’âme humaine pour répondre a ses aspirations intérieures.

49) Saul de Tarse. L’influence grecque.

Ce qui rend difficile une détermination exacte du « christianisme primitif », c’est qu’immédiatement après la mort, présumée ou réelle de son fondateur, Il subit l’influence d’un homme fort instruit pour son époque : Juif de naissance, Grec d’éducation, un dialecticien hors, ligne, discuteur au premier chef, un enthousiaste visionnaire doublé d’un organisateur consommé, qui le transforma bientôt en une religion universelle et l’achemina vers le catholicisme, — nous voulons parler de Saul de Tarse, autrement dit Saint Paul. Amené au christianisme sous l’empire d’une hallucination mystique, il parcourut en propagandiste le monde romain, présentant Jésus aux uns comme le « Dieu inconnu », aux autres — les israélites et les judaïsants — comme une sorte de thèse théologique, incarnation de l’accomplissement des prophéties juives antiques.

Le supplice de l’agitateur galiléen devint la rançon de l’humanité séparée de « Dieu » par le péché originel ; le sang répandu sur le mont Golgotha symbolisa le dernier et suprême sacrifice exigé par l’implacable justice de Jéhovah ; plus tard, Jésus s’éleva jusqu’au rang d’Oint du Seigneur, de Christ, de Fils de Dieu, jusqu’à être une personne de Dieu lui-même. Des églises chrétiennes s’établirent partout ; les mystiques s’en mêlèrent ; devant pareil succès, les Grecs d’Alexandrie tentèrent de concilier le christianisme avec leurs idées philosophiques. Dans l’évangile attribué à Jean, Jésus est devenu l’incarnation du Verbe, du Logos, de la Raison, et c’est « au dedans de nous » qu’est le Royaume des Cieux.

[AII-49]

Ce qui rend difficile une détermination exacte du caractère social du « christianisme primitif », c’est qu’immédiatement après la mort présumée ou réelle de son initiateur, il subit l’influence d’un homme fort instruit, Juif de naissance, Grec d’éducation, un dialecticien de premier ordre, discuteur au premier chef, un enthousiaste visionnaire doublé d’un organisateur consommé, qui le transforma bientôt en une religion universelle et l’achemina vers le catholicisme, — nous voulons parler de Saul de Tarse, autrement dit saint Paul. Amené au christianisme dans des circonstances étranges, sous l’empire d’une hallucination mystique, il parcourut le monde romain présentant Jésus aux uns comme le « Dieu » inconnu; aux autres — les israélites et les judaïsants — comme une sorte de thèse théologique.

Le supplice de l’agitateur galiléen devint la rançon de l’humanité séparée de «Dieu» par le péché originel, le sang répandu sur le mont Golgotha, symbolisa le dernier et suprême sacrifice exigé par l’implacable justice de Jéhovah; plus tard, Jésus s’éleva jusqu’au rang d’Oint du Seigneur, de Christ, de Fils de Dieu… jusqu’à être une personne de Dieu lui-même. Des communautés chrétiennes s’établirent partout; les mystiques s’en mêlèrent ; devant pareil succès les Grecs d’Alexandrie tentèrent de concilier le christianisme avec leurs idées philosophiques : Jésus devint l’incarnation du Verbe, du Logos, de la Raison. Arrêtons, nous nous noierions dans les ondes d’un mysticisme sans fond.

50) Une irrémédiable incompatibilité.

Deux principes vicièrent le christianisme à son origine : sa haine, non pas uniquement du monde, mais de la vie, mais de la chair ; et sa soumission aveugle à la soi-disant volonté de « Dieu ». « Que ta volonté soit faite », s’écriait Jésus au jardin de Gethsémani : voilà l’abîme infranchissable qui éloignera toujours des chrétiens les individualistes, les hommes d’initiative, les indépendants, les réfractaires, les révoltés. En vain on torturera les textes pour les jeter comme un pont ; le pont croulera.

La position de l’homme à genoux est une attitude d’esclave : la morale chrétienne n’est pas seulement une morale d’esclaves, mais à l’usage de gens persuadés qu’ils n’ont plus que très peu de temps à passer sur la terre et qui se trouvent dans l’attente continuelle d’un bouleversement général, spirituel et cosmique. Il est hors de doute que les chrétiens primitifs — assez longtemps même après la disparition de Jésus — étaient des hommes s’attendant à la fin du monde précédant de peu la venue du Messie, c’est-à-dire le retour du Christ et l’établissement du Royaume de Dieu sur le globe. C’est ce qu’on désigne sous le nom de Parousie. Tout ce qui est physique, charnel, va faire place à l’esprit, à l’immatériel. En raison de l’imminence de cette fin, du « jugement universel » qui devait s’ensuivre, il devenait urgent de se « repentir », de sacrifier le Désir, de mortifier l’Instinct, de renoncer au palpable et au tangible. Voilà l’éthique des premiers chrétiens.

Quoi qu’il en soit, le christianisme a valu pour son temps ; si à une époque de l’histoire de l’humanité, il a joué un rôle, admettons libérateur, ses mérites passés ne pourront nous faire oublier tout le mal qu’il a infligé aux penseurs indépendants, aux amants de l’existence pour l’existence. Torquemada, Calvin, Luther, Henri VIII, Loyola, les Jésuites, le Saint-Office, le Saint-Synode russe, les dragonnades anglicanes, les missionnaires bottés… « …On reconnaît l’arbre à ses fruits », les fruits, les voilà ; certes, ils sont amers. Fruits encore du christianisme, fruits pourris, ce piétisme, ces mômeries, ce moralitéisme, toute cette hypocrisie protestante qui ne considère que l’apparence, qui ne regarde qu’à la respectabilité, qui veut mutiler l’individu sous prétexte de l’affranchir des franches passions qui sont l’essence de la vie et ne réussit qu’à en faire un être dévoyé, malsain, attristé, ennuyeux.

Deux principes vicièrent le christianisme à son origine : sa haine, non du monde, mais de la vie et sa soumission aveugle à la soi-disant volonté de « Dieu ». « Que ta volonté soit faite », s’écriait Jésus au jardin de Gethsémani : voilà l’abime infranchissable qui éloignera toujours des chrétiens les hommes d’initiative, les indépendants, les réfractaires, les révoltés. En vain on torturera les textes pour les jeter comme un pont: le pont croulera. Nous 1Ie voulons pas d’un être surnaturel qui sait le nombre des cheveux de notre tête, mais nous dénie le droit de disposer de nous-mêmes : si un tel Être existait quelque part dans l’Univers notre premier, notre plus impérieux devoir serait de nous insurger contre lui. Point de maîtres, ni de dieux dont ils reflètent l’image. La position de l’homme à genoux est une attitude d’esclave !

Et puis, si le christianisme a valu pour son temps, si à une époque de l’histoire de l’humanité, il a joué un rôle, admettons libérateur, ses mérites passés ne pourront nous faire oublier tout le mal qu’il a infligé aux penseurs indépendants, aux amants de la vie. Il nous semble encore voir luire la flamme des bûchers et entendre les cris de désespoir qui s’élèvent du fond des cachots des inquisitions catholiques, grecques, protestantes. Torquemada, Calvin, Luther, Henri VIII, Loyola, le Saint-Office et le Saint-Synode russe, les dragonnades anglicanes, les missionnaires bottés.

«. . . On reconnaît l’arbre à ses fruits », les fruits, les voilà; certes, ils sont amers. Fruits encore du christianisme, fruits pourris, ce piétisme, ces mômeries, ce moralitéisme, toute cette hypocrisie protestante qui ne considère que l’apparence, qui ne regarde qu’à la respectabilité, qui veut mutiler l’individu sous prétexte de l’affranchir des passions saines qui sont la vie et ne réussit qu’à en faire un être dévoyé, malsain, vicieux.

51) Le communisme des premiers chrétiens.

Tolstoï, des socialistes et des anarchistes « chrétiens » ont cru que le christianisme primitif, avait visé à une action économique, sociale — sorte de « communisme » — autre que la pratique de la charité. Un examen critique de ce qui est parvenu jusqu’à nous des rares documents fondamentaux du christianisme montre que ce point de vue n’est pas exact.

La prédication de l’Évangile est marquée au coin de l’individualisme le plus authentique. Le Salut est une question de foi, strictement personnelle et non collective.

Les épîtres pauliniennes ne laissent aucun doute à ce sujet. Il est vrai que les judéo-chrétiens de Jérusalem, dans l’attente de la fin toute proche du monde, vendirent leurs propriétés — du moins la majorité d’entre eux — et en mirent le produit en commun. Mais cette fin du monde tardant à venir, cette église ou communauté tomba dans la misère et fut obligée d’avoir recours aux autres communautés ou églises chrétiennes — point communistes celles-là — pour se tirer d’affaire. Les « communautés religieuses » sont d’existence ultérieure. Même alors que l’on admettait que Jésus fît partie de la secte juive, communiste et monacale des Esséniens, le communisme « chrétien » n’a jamais été prêché ou pratiqué que par des sectes hérétiques voulant porter dans le domaine économique l’égalité spirituelle que devant Dieu le christianisme accorde aux hommes. Et les églises orthodoxes se sont toujours montrées implacablement hostiles à ces déviations sociales du christianisme.

Si nous insistons plus qu’il ne conviendrait peut être, c’est que nous ne pouvons oublier qu’entraîné par les idées d’un homme d’une grande valeur et d’une excessive véhémence intellectuelle — Léon Tolstoï — nous avons cru possible une conciliation de l’anarchisme avec un certain christianisme épuré. Tolstoï a d’ailleurs trop contribué en un temps à notre émancipation intellectuelle pour que nous ne le reconnaissions pas ici même.

Nul ne niera que le puissant écrivain russe se soit montré profondément anarchiste en appelant l’attention sur l’importance de la responsabilité personnelle dans l’œuvre de la libération collective. Le « salut est en nous » rien de plus exact, et esclave est qui le cherche ailleurs. Mais, en fin de compte, où donc aboutit Tolstoï, après avoir dépouillé le christianisme de son manteau de dogmes et de surnaturel ? Non seulement au mépris de l’amour de la femme, par exemple, au renoncement à l’intensité de la vie, mais encore à la théorie de la « non résistance au mal par la violence ». Loin de nous l’idée de méconnaître ou de diminuer la valeur de la « résistance passive », de l’opposition morale, persévérante, inlassable, lorsqu’elle se traduit par des actes isolés ou collectifs comme le refus du service militaire celui de participer à des fonctions administratives, à la fabrication d’objets inutiles au développement de l’homme : armes, imprimés rétrogrades, ornements d’église, uniformes de toute espèce, — ou bien l’abandon de la culture des champs appartenant aux gros propriétaires fonciers, du travail dans les usines ou ateliers patronaux, ou encore le refus de prendre part à la construction d’églises, casernes, prisons, etc. Cet appel à l’initiative consciente est anarchiste au plus haut point.

52) La tournure d’esprit païenne.

Ce n’est pas en quelques pages qu’on peut résumer un mouvement de l’importance du christianisme et esquisser l’influence qu’il a exercée sur le développement des sociétés humaines. Mais ce que nous en avons dit nous permettra de comparer la tournure d’esprit post judaïque « chrétienne » avec la tournure d’esprit « païenne ». La tendance de la morale païenne, c’est de développer dans l’être humain, à un degré égal, l’aspiration à la Sagesse — l’esprit — et à la Volupté — la chair. Ne pas être tout sage et tout voluptueux, mais s’orienter également vers l’esprit et la chair, deux ordres de jouissance dont la connaissance est indispensable à la véritable, à l’intégrale science de la vie. Quel abîme entre cette conception, la conquête de la vie sous son double aspect psychique et physique, et l’ascétisme de la conception chrétienne.

L’homme à tournure d’esprit païenne veut exister pleinement, vivre sa vie dans toute sa plénitude, dans tout son épanouissement, et si son imagination le porte à concevoir un Absolu personnalisé, l’idée maîtresse du culte qu’il lui rend consiste à jouir, pour lui être agréable, le plus intensément possible, des bonnes choses que la planète réserve çà et là à ceux qui foulent son sol. Intensément, non pas anormalement ou morbidement.

Si le stade d’évolution où il se meut le pousse donc à imaginer des divinités, ces divinités ne sont autres que le symbole des forces naturelles qui procurent ou rappellent les jouissances ou les douleurs de la vie — ou encore les facultés inhérentes à la nature humaine. Il n’ignore pas qu’il n’est que passager sur la terre ; mais ce passage, il essaie de le traverser, en dépit des circonstances contraires, le plus allègrement, le plus avantageusement, le plus intelligemment possible — le plus sagement aussi. Il aime tout autant ce qui parle à l’intellect, à l’aspect psychologique du « moi », — que ce qui s’adresse aux sens — à l’aspect physiologique du « moi ». Il aime l’art, la poésie, la philosophie, l’étude, les sciences abstraites ou appliquées. Il aime la forme, la beauté, l’harmonieux, le grandiose et les produits du sol, d’autant mieux qu’ils seront davantage achevés. Il admire les facultés de l’esprit ; il est sensible aux charmes de l’amitié, il se complait dans le commerce des êtres expérimentés. La cruauté, la bassesse d’esprit, la violence, la tyrannie, le dogmatisme, l’esprit de domination lui font horreur, justement parce qu’ils restreignent les quelques joies qu’accorde l’existence. Tout cela, d’ailleurs, sans oublier la profondeur dans le raisonnement et même pour des tempéraments particuliers, une certaine dose de spiritualité, proche parfois du mysticisme.

Dans l’idée païenne de la vie — telle qu’on la peut déduire de ceux qui l’ont le mieux exposée — il n’y a rien de sombre, de rigide, d’accompli sous l’empire de la crainte de déplaire à un Absolu extra naturel. Rien dans la tournure d’esprit païenne qui implique le renoncement au Désir. Accomplir le Désir jusqu’aux limites dernières de son expansion normale — mais en en demeurant le maître, en ne lui permettant. pas, quelles que soient sa puissance et sa violence, d’échapper au contrôle individuel, voilà le commencement et la fin de la sagesse païenne qui est en opposition absolue avec l’austérité chrétienne. La mort viendra, — regrettée si elle vient trop tôt, alors qu’on est encore en possession de trop de facultés pour ne pas apprécier et goûter ce qu’il y a de bon dans la vie — accueillie avec soulagement lorsque les souffrances de la maladie ou la perte des facultés font de la vieillesse un état indésirable. D’ailleurs, un homme à tournure d’esprit païenne, s’il ne cède pas à un accès de découragement tant qu’il lui reste une goutte de sang dans les veines, n’hésitera pas à aller au devant de la mort s’il sent que la vie ne peut désormais que lui être à charge.

[See l’en dehors 3 no. 47 for commentary by E. A. on this section]

Mais les anarchistes entendent résister à l’oppression, à la tyrannie, aux autorités de toutes sortes, résister par la violence s’il le faut, même grâce à la ruse (qui est une forme de la résistance passive), c’est à dire selon les moyens à leur disposition. Qui donc les empêcherait de porter les premiers coups, le cas échéant. Décidément l’ « anarchisme chrétien », l’anarchisme non résistant est un non sens, un contre sens. Par tous les moyens, les anarchistes résistent, et, à ce malencontreux avis : ne « résistez pas au méchant », ils préféreraient adopter la fière devise qu’au temps des dragonnades, les héroïques emmurés de la tour de Constance tracèrent à l’aiguille sur la terrasse de leur donjon : Résistez.

6. L’Autorité, la Domination, l’Exploitation : Origine, Evolution, Aspects et Définitions.

53) Les individualistes anarchistes et l’autorité.
54) Que faut-il entendre par domination ? Qu’est-ce que l’autorité ?
55) L’exercice de l’autorité.
56) Origine et évolution de la domination.
57) Insuffisance de l’expression « domination de l’homme sur l’homme. »
58) Que faut-il entendre par exploitation ?
59) Esclavage et salariat.
60) L’exploiteur et l’exploité.
61) L’abolition de l’exploitation. L’exploitation corollaire de la domination.
62) Insuffisance de l’expression « exploitation de l’homme par l’homme . » Nouvelles définitions de l’exploitation.
63) Le cas de contribution ou rétribution volontaire. La caractéristique de l’exploitation.
64) Les exploités « volontaires. »

6. L’Autorité, la Domination, l’Exploitation : Origine, Evolution, Aspects et Définitions

53) Les individualistes anarchistes et l’autorité

Il est incontestable que l’activité, la propagande, les aspirations des individualistes antiautoritaires ou anarchistes reposent sur une base connue : la négation, le rejet de l’autorité, la lutte contre l’exercice de l’autorité, la résistance à toute espèce d’autorité. On trouvera dans le cours de cet ouvrage les raisons d’ordre sentimental, rationnel, éthique ou autre qui amènent les individualistes à considérer l’exercice ou la pratique de la domination comme éminemment préjudiciable et néfaste au développement, à l’évolution, à l’épanouissement de la personne humaine. D’ailleurs, les individualistes vont jusqu’à admettre qu’ils pourraient se tromper s’ils prétendaient que les hommes, pour se conduire dans la vie, pour régler leurs rapports mutuels — quels que soient ces rapports — n’ont, actuellement, absolument que faire de l’autorité, des institutions autoritaires, des méthodes d’autorité. Ils n’ont jamais émis pareille prétention. Ils ont simplement revendiqué pour eux — soit que leur tempérament, leurs réflexions ou leurs aspirations les aient amenés à cette conception — ils ont revendiqué, ils revendiquent pour eux la faculté de vivre et d’évoluer sans faire intervenir, dans leur façon d’être personnelle et à l’égard d’autrui le facteur autorité. Ils n’ont jamais eu la pensée ni l’arrière-pensée d’imposer leur point de vue à ceux qui déclarent ne pouvoir se dispenser des œillères de l’autorité.

Le fait que dans certains détails de leur manière de se comporter, ils ne seraient pas débarrassés de certaines réminiscences autoritaires, du jeu d’une influence atavique ou d’un travers de leur caractère — ce fait même ne prouverait rien contre leurs revendications. Ils évoluent dans un milieu saturé, pourri d’autoritarisme, ils sont issus d’êtres qui ont subi ou exercé l’autorité, qui se sont tout au moins courbés sous le préjugé autoritaire — il n’est pas surprenant que l’emprise de l’ambiance ne se soit pas entièrement desserrée. L’important est de savoir dans quel sens s’exerce constamment leur influence et se consacrent leurs efforts — si c’est en faveur ou au détriment de l’autorité, s’ils sont pour ou contre l’autorité sous tous ses aspects.

Dès lors que leur activité, leurs efforts sont dirigés contre l’autorité, ce qui leur importe, c’est d’avoir raison, quant à eux. L’avis des autres est plus que secondaire. On pourrait ergoter et démontrer que, après tout, la grande majorité des hommes est présentement hors d’état de se passer de l’autorité -. personnellement et pluralement. Pour les individualistes doués d’un tempérament propagandiste, la constatation d’une semblable mentalité les incitera tout simplement à intensifier leur propagande, à se demander à quels moyens nouveaux il leur faudra recourir pour faire se révéler à eux-mêmes les antiautoritaires qui hésitent ou qui s’ignorent.

Les individualistes n’ont, en aucun cas, à se demander si l’autorité exercée par tel ou tel au profit de telle personnalité ou de tel parti vaut mieux que lorsque c’est tel autre qui l’exerce ou qui en bénéficie. Leur siège est fait. Ils sont, quant à eux, parvenus à cette conclusion que l’autorité, la domination, les institutions, les méthodes qui la prennent pour base ou pour étai sont nuisibles à la vie et au développement de l’être individuel, des milieux humains. Fractionnée ou non, l’autorité n’a point leur approbation, ne peut concilier leur sympathie, désarmer leur répugnance ou leur inimitié. Pour eux, il n’y a pas d’autorité pire ou meilleure qu’une autre, il n’y a pas pour eux d’autorité bonne, acceptable, passable.

Certains qui comptèrent parmi les leurs peuvent découvrir qu’ils se sont leurrés, reconnaître au facteur autorité une valeur qu’ils lui avaient niée auparavant. C’est affaire à eux. Pour les individualistes, la situation reste nette. Tant qu’ils se déclarent antiautoritaires, anarchistes — tant que dans leurs revendications, leur propagande : par le geste, le verbe ou la plume, ils font profession d’anti-autoritarisme — qu’ils nient, dénoncent, critiquent, incriminent l’autorité, les méthodes ou les systèmes d’autorité — qu’ils combattent la domination, la maîtrise et ceux qui les utilisent ou l’exercent — leur position ne saurait varier. Non seulement ils bataillent en toutes circonstances, contre toutes les manifestations de l’autorité — mais encore ils se méfient de ses promesses, ils tiennent en suspicion ses réalisations, ils se situent en état de légitime défense contre ses décrets, ses oukases et ses empiètements. C’est la logique même.

La question n’est donc pas de se demander s’ils sont « rêveurs » ou « idéalistes », si « provisoire » l’autorité vaut mieux que « définitive ». Ou s’il y a des parlementarismes, des cléricalismes, des dictatures moins détestables ou meilleurs les uns que les autres.

Non, pour eux, il s’agit de reconnaître, chacun pour soi-même, quelles sont les conditions qui enlèvent à une action son caractère antiautoritaire, anarchiste.

La réponse n’est pas, ne peut pas être douteuse. Toute action, toute série d’actions, basée sur l’exercice de la domination, sur le recours à l’autorité, n’est pas anarchiste, est incapable de contribuer en rien à l’avènement d’une mentalité ou d’un état de choses antiautoritaire, anarchiste.

[commentary: l’en dehors 4 no. 60]

54) Que faut-il entendre par domination ? Qu’est-ce que l’autorité ?

Dominer, c’est faire peser sur autrui un pouvoir, une contrainte qui l’oblige ou l’amène, sans discussion ni opposition possible à accomplir des actes, des gestes que de son plein gré, ou laissé à lui-même, il n’accomplirait pas.

La domination est le fait de détenir et d’exercer ce pouvoir d’obligation, cette puissance de contrainte — plus ou moins arbitrairement, plus ou moins brutalement — que ce soit à son propre profit ou à celui d’une individualité ou d’une collectivité quelconque. Dans cet ouvrage nous faisons « domination » synonyme d’autorité. Selon son degré de brutalité ou ses bénéficiaires, on l’appelle aussi oppression, tyrannie, maîtrise, dictature, loi.

L’autorité consiste, conséquemment, en l’oppression qui pèse sur un individu ou une collectivité pour les forcer ou les amener à acquérir des habitudes de penser, à accomplir des gestes, à se conformer aux termes de contrats qui n’ont jamais été véritablement soumis à leur examen.

[see l’en dehors 2 no. 9]

55) L’exercice de l’autorité

Des confusionnistes objecteront qu’il s’agit de définir clairement ce qu’il faut entendre par « l’exercice de l’autorité. »

Pour les individualistes il y a exercice, emploi de l’autorité, lorsqu’un homme, un groupe d’hommes, un État, un gouvernement, une administration quelconque, se sert de la puissance qu’il détient pour contraindre une unité ou une collectivité humaine à accomplir certains actes ou gestes qui lui déplaisent ou sont contraires à ses opinions, ou encore qu’elle accomplirait autrement si on lui laissait la faculté de se comporter à sa guise ; ou enfin à remplir les clauses d’un « contrat » qu’elle n’a pu discuter, accepter ou rejeter.

Il y a exercice ou emploi de l’autorité lorsqu’un homme, un groupe d’hommes, un État, un gouvernement, une administration quelconque, utilise la puissance qu’il détient pour interdire à une unité humaine ou à une association d’unités humaines de se comporter à sa guise, lui inflige certaines restrictions, lui oppose certaines entraves, lors même que cette unité ou collectivité humaine agit à ses risques et périls, sans imposer ses vues à qui que ce soit évoluant en dehors d’elle.

Quiconque se réclame du qualificatif anarchiste (qu’il soit communiste ou individualiste d’ailleurs) ne peut comprendre autrement l’exercice de l’autorité, quelle que soit la sphère de l’activité humaine envisagée : intellectuelle, économique, politique, éthique, récréative ou autre.

56) Origine et évolution de la domination

La domination s’est exercée primitivement d’homme à homme. Le plus fort physiquement, le mieux armé dominait le plus faible, le moins défendu — le forçait à accomplir sa volonté. L’homme qui n’avait pour toute défense qu’une massue de bois durci dut, de toute évidence, céder devant celui qui le poursuivait armé d’une lance pointée de silex, d’un arc et de flèches. Plus tard — parallèlement peut-être — un autre facteur détermina l’exercice de la domination de l’homme sur l’homme : la ruse. Des êtres humains surgirent qui parvinrent à persuader leurs semblables qu’ils étaient en possession de certains secrets magiques capables de faire beaucoup de mal. de causer un grand tort à la personne et aux biens de ceux qui regimberaient contre leur autorité. Il se peut, d’ailleurs, que ces sorciers fussent eux-mêmes convaincus à l’origine de la réalité de leur pouvoir. Quoi qu’il en soit, c’est à ces deux sources : la violence et la ruse que se peuvent ramener, à toutes les époques et dans tous les lieux, les aspects divers de la Domination.

Dans nos sociétés humaines actuelles, la domination s’exerce rarement — en temps normal — avec autant de brutalité, d’être humain à être humain. Lorsqu’elle se pratique ainsi, c’est grâce à l’usage, à la sanction morale ou légale, à un état de choses anormal. On rencontre bien des mères qui frappent leurs enfants parce qu’ils leur désobéissent, des maris qui battent leurs conjointes parce qu’elles refusent l’obéissance légalement due, des policiers qui tirent sur des prisonniers en fuite ou vice versa. Mais ou cela est toléré par les mœurs ou exceptionnel. Quand la domination est exercée sur une collectivité humaine au profit d’un chef ou autocrate, c’est parce que celui-ci est appuyé par un nombre assez grand de complices ou de satellites ayant intérêt à ce que subsiste son autorité, lesquels complices opèrent eux-mêmes ou se font assister d’une troupe armée, soudoyée, assez forte pour rendre toute résistance inutile.

La domination ne s’exerce plus très souvent au profit d’un autocrate. Tout au moins directement. Elle s’exerce plus généralement au bénéfice d’une caste, d’une classe, d’une coterie politique, d’un groupe financier, d’une élite sociale, — de la majorité d’une collectivité humaine. Elle se fonde sur des réglementations d’ordre politique ou économique ; civil, militaire ou religieux ; légal ou moral. Elle est consacrée par des institutions régies par les mandataires des bénéficiaires de l’autorité, mandataires ayant à leur disposition et sous leur dépendance une force armée, exécutive — force de police et de justice — organisée pour réduire à l’impuissance, priver de leur liberté et même de leur vie ceux qui, non seulement transgressent effectivement, mais, dans des cas extrêmes, émettent ou favorisent l’intention de transgresser la puissance dominatrice.

Il est évident que les forces de justice et de police dont dispose l’Autorité, pour nombreuses et bien armées qu’elles soient, seraient incapables de réduire à l’impuissance et au silence les transgresseurs de la loi et des règlements, si elles n’étaient aidées puissamment par d’autres forces, des « impondérables » d’ordre intellectuel et « moral ». C’est ainsi que les éducateurs religieux et laïques, bourgeois et socialistes, la presse, les hommes influents au point de vue de la situation politique, de la fortune ou les hauts fonctionnaires des Administrations de l’État, parviennent à implanter dans les intelligences, à inculquer à la mentalité générale une conception arbitraire et toute conventionnelle du « bien » et du « mal » qui se trouve absolument conforme aux vues et aux desseins des gouvernants et des maîtres. Nous voici ramenés aux deux points de départ de la Domination : Violence et Ruse, Force et Suggestion.

57) Insuffisance de l’expression « domination de l’homme sur l’homme. »

Déclarer qu’on nie, qu’on rejette, qu’on combat « la domination de l’homme sur l’homme » est une expression prêtant à confusion et qui a besoin d’être complétée. Nous avons vu qu’en réalité, l’homme qui use « légalement » de la violence ne le qu’à titre de fondé de pouvoir de l’autorité ; aussi les individualistes déclarent-ils que, non seulement ils se dressent contre la domination de l’homme sur son semblable, mais encore qu’ils se situent en état de légitime défense et de lutte à l’égard de la domination de l’État, d’un gouvernement, d’une administration, d’une institution ou d’une organisation sociale quelconque sur l’unité humaine. Toute autre attitude est ambiguë. Cette attitude ne varie pas s’il s’agit de la domination de l’homme sur le milieu ou le groupe social. Puisque les individualistes considèrent la domination comme éminemment hostile et nuisible à l’accomplissement du déterminisme personnel, il est clair que cette domination est aussi dangereuse et redoutable quand elle s’exerce au bénéfice d’un seul qu’au profit d’une collectivité ou d’une majorité d’êtres humains.

Revenons maintenant à la définition de la Domination exposée au commencement de ce chapitre : Exercice sur l’unité humaine — isolée ou associée — d’un pouvoir l’obligeant, la contraignant, sans discussion ou opposition valable — à des actions ou à des gestes que, de son plein gré, elle n’accomplirait pas.

Pour légèrement modifiée qu’elle soit cette définition a encore elle-même besoin d’être supplémentée. Nous avons vu que la Domination ne s’exerce pas seulement de façon brutale, violente ; elle s’exerce aussi par la ruse et par la suggestion.

Ainsi il n’existe pas que la domination politique ou économique, civile ou militaire, avec les sanctions qu’elle comporte. Il est aussi une domination religieuse, morale, intellectuelle. Il y a l’autorité des préjugés, des coutumes, des habitudes et des conventions, des mœurs, des traditions de la famille ; l’autorité des formules, des dogmes, des professions de foi, des programmes. Il y a la domination des écoles, des églises, des partis, des sectes, des chapelles, des groupes, que sais-je encore ? Et il est indéniable, malgré l’absence de sanctions légales, que ces modalités de l’Autorité exercent une influence funeste sur la formation de la mentalité individuelle, sur la croissance et la sculpture de la personnalité humaine. Aussi les individualistes. les combattent-ils avec autant d’énergie et d’acharnement que les autres manifestations, plus grossières, de la Domination. Toute autre attitude de leur part serait contraire à la plus élémentaire logique.

58) Que faut-il entendre par exploitation ?

Les individualistes anarchistes sont les adversaires de l’exploitation au même titre qu’ils sont les ennemis de la domination. L’exploitation leur répugne autant que l’autorité. Ils nient qu’elle joue un rôle utile dans la formation et l’accomplissement de l’être individuel ; ils se refusent absolument à la considérer comme un facteur d’affranchissement et d’émancipation de la personne humaine ; ils la tiennent, tout au contraire, comme éminemment malfaisante et nuisible au développement normal, à la croissance de l’unité humaine. Ils la regardent comme le succédané, comme un autre aspect de l’esclavage et du servage, comme un système d’oppression destiné à consolider, à maintenir la servitude et la dépendance économique de l’homme.

Mais il ne suffit pas de nier et combattre l’exploitation, il est nécessaire de se rendre un compte exact de ce que signifient exactement les termes « exploiteur » et « exploité », si ressassés dans les journaux « populaires », les réunions publiques et qui sont prétextes à tant de déclamations.

En fait que faut-il entendre par exploitation ?

Dans le sens que lui donnent les individualistes, l’exploitation est un « système grâce auquel un homme, un milieu, une institution sociale peut — et cela en toute sécurité — capter, accaparer, réquisitionner, détourner, prélever à son profit tout ou partie de la production individuelle d’un être humain, malgré sa résistance, son opposition ou ses protestations, alors que laissé indépendant, il disposerait à son gré ou à son avantage tout autrement qu’il y est contraint — de ladite production. »

Il est juste de faire remarquer qu’il n’y a jamais eu captation ou accaparement total par un homme, un milieu, l’État, du résultat du travail ou de la production d’un être individuel. Même aux plus sombres époques de l’esclavage, le propriétaire d’esclaves nourrissait, vêtait, logeait ses esclaves — d’une façon parfois trop insuffisante ou trop sommaire, c’est entendu — mais les frais entraînés par cet entretien constituaient bien une partie du prix de revient de la production de ces temps-là et la partie principale dans bien des cas, le coût de la matière première d’alors étant souvent peu élevé.

En se plaçant au point de vue spécial des conditions économiques actuelles, on peut définir également l’exploitation — et c’est une conséquence de l’explication ci-dessus — comme « un système grâce auquel le possesseur ou détenteur de capitaux espèces, engins ou moyens de production — le patron, l’employeur, le salarieur — particulier, milieu, institution sociale — peut, en toute sécurité, prélever un bénéfice net sur la production du salarié dont il afferme ou loue le travail, lequel bénéfice est constitué par la plus-value que laisse la vente ou l’utilisation de ladite production, une fois déduits la rétribution du salarié, les frais généraux, l’intérêt, l’amortissement, la réserve, le coût de la matière première et tous autres aléas dont l’ensemble constitue le prix de revient. »

[see l’en dehors 2 no. 7]

59) Esclavage et salariat.

Pour en revenir à la forme d’exploitation qui prédominait dans l’antiquité, il faut se rendre compte que la différence entre ce système et le salariat (nom de la dépendance économique contemporain.) ne consiste pas seulement en ce que l’exploité antique, l’esclave, était considéré comme un objet mobilier cessible et transmissible ainsi qu’une propriété mobilière, comme une pièce de bétail ; alors qu’il est regardé actuellement comme une personne s’appartenant politiquement et juridiquement — mais surtout, parlant d’une manière générale, en ce que le maître, le patron actuel n’intervient pas dans la vie privée de son ouvrier ou employé et ne se préoccupe pas de son entretien.

Le salaire ou la rétribution que le loueur de services paie à l’homme dont il utilise le travail, les contributions, qu’il verse dans certains cas déterminés pour se conformer aux lois sociales, le déchargent de toute responsabilité ultérieure.

Enfin — ce qui n’avait pas lieu dans l’antiquité, ou ce qui ne se produisait que très exceptionnellement — il y a lutte constante entre le salarieur et le salarié : le premier visant généralement et sans cesse à ce que la rétribution qu’il consent à celui dont il loue le travail ne dépasse pas ce dont ce dernier a strictement besoin pour son entretien ; le salarié résistant de toutes ses forces. La concurrence entre salarieurs force ceux-ci, pour ainsi dire automatiquement, à réduire autant que faire se peut les prix de vente de leurs marchandises, et par suite leur prix de revient, afin d’en écouler la plus grande quantité possible et de retirer l’intérêt ou le bénéfice le plus élevé qui soit du capital argent ou outils qu’ils ont consacré à leur entreprise ou qu’ils y ont placé.

Dans les meilleures périodes de l’antiquité, le propriétaire d’esclaves avait un intérêt évident à ce que ses esclaves fussent bien nourris et même bien traités, surtout là où la main-d’œuvre n’abondait pas. Il agissait à l’égard de son bétail humain comme à l’égard de son bétail animal. Du traitement de l’esclave dépendait la qualité de la production.

C’est pourquoi l’esclavage comprend toute une gradation : de l’esclave bâtonné, mené à coups de fouet, constamment sous la menace de la mort à l’esclave jouissant d’un bien-être comparable à celui d’un domestique de bonne maison bourgeoise ou encore escomptant, attendant l’affranchissement : récompense de ses services ou prime à ses facultés intellectuelles.

Le salarieur contemporain n’agit d’ailleurs pas autrement que le propriétaire d’esclaves. L’employeur s’insoucie de l’entretien de qui il emploie, de la valeur nutritive des aliments que celui-ci consomme, mais il augmente la rétribution de ceux de ses salariés dont il escompte ou désire une production de qualité supérieure, ou dont les connaissances ou les aptitudes techniques sont plus sûres ou plus vastes que celles de la moyenne des travailleurs dont il exploite les capacités. L’employeur n’ignore pas qu’il obtiendra un rendement meilleur, supérieur, du salarié un peu moins misérable, un peu mieux favorisé que ses compagnons d’exploitation.

De même, un patron n’hésitera pas à augmenter les salaires de ceux dont-il loue les services lorsque, par suite d’une circonstance nouvelle — consommation considérable, débouchés nouveaux, émigration d’ouvriers — la main-d’œuvre se raréfie.

60) L’exploiteur et l’exploité.

Revenons à nos définitions, ce qui est d’autant plus utile que maints de ceux qui tonnent contre l’exploitation ne savent pas toujours définir avec clarté les termes « exploiteur » et « exploité ».

Nous avons expliqué l’exploitation comme une captation, un accaparement, une réquisition, un détournement ou un prélèvement de partie ou totalité du travail ou de la production strictement individuelle au profit d’un homme, d’un milieu humain, d’une institution sociale.

L’exploiteur est donc celui au bénéfice de qui se pratique le système de l’exploitation.

L’exploiteur est aussi celui qui possède ou détient davantage de moyens de production — outils, engins, sol, etc. — qu’il n’est apte à actionner ou faire valoir par lui-même. Ou qui possède plus de capital-espèces qu’il ne lui aurait été possible d’en accumuler s’il ne s’était trouvé dans cette situation favorisée. C’est le Privilégié, le Monopoleur, auquel la surabondance, l’accaparement de capitaux-espèces ou engins de production permet de louer, affermer, rétribuer — aux fins d’en tirer bénéfice — le labeur, les aptitudes d’autrui.

Est un exploité quiconque, se trouvant dénué ou privé du moyen de production, est contraint ou obligé de louer ou affermer à un Privilégié quelconque ses aptitudes cérébrales ou musculaires ; situation inférieure qui le fruste de la jouissance ou de la disposition de l’intégralité de son effort.

Est également un exploité quiconque est empêché — quelle que soit la forme ou la source de l’entrave, de l’empêchement, de la restriction — de jouir ou de disposer comme il l’entend de son produit personnel, alors même qu’il détiendrait le moyen de production.

61) L’abolition de l’exploitation. L’exploitation corollaire de la domination.

Il est évident, en s’en rapportant à ces différentes définitions, que la disparition du système de l’exploitation est consécutif à la possession, à titre définitif et inaliénable par le producteur — isolé ou associé — des moyens de production — outils, engins, sol — qu’il est capable d’actionner ou de faire valoir par lui- même.

Le jour où la mentalité générale serait telle que nul ne pourrait détenir davantage de moyens de production que ce qu’il est apte à actionner ou mettre en valeur par lui-même, il n’y aurait plus ni privilège ni monopole.

L’abolition de l’exploitation est également liée à l’abolition de la domination.

L’exploitation n’est autre chose, en effet, que la domination transplantée en terrain économique : le jour où la mentalité générale — s’il s’agit de l’humanité — particulière, s’il s’agit d’un milieu sélectionné — serait telle qu’elle ne pourrait pas tolérer la domination, elle n’admettrait pas non plus l’exploitation.

Sans doute, l’employeur n’a plus droit de vie ou de mort sur celui qu’il emploie ; mais sous obligation de mourir de faim ou d’attenter violemment à l’ordre économique, celui qui ne possède ni argent ni moyens de production doit finalement se louer, et se louer au prix que voudra bien lui offrir le salarieur.

Sans doute, le salarieur n’a pas le droit de contraindre le déshérité ou prolétaire individuel à travailler pour lui : il ne possède pas la puissance de réquisition, monopole réservé à l’administration étatiste ou gouvernementale.

Mais cette objection est purement théorique ; en pratique, le pouvoir que confère à l’employeur, au patron, la possession du capital-espèces et des moyens de production en abondance est tel qu’à un moment donné le salarié, une fois ses faibles ressources épuisées, est obligé de se soumettre aux conditions imposées par l’exploiteur.

Il est vrai que les exploiteurs ont la faculté de se coaliser contre leurs salarieurs, qu’ils ont usé de cette faculté avec des résultats divers, qu’ils ont lutté pour arracher aux exploiteurs des concessions d’un genre ou d’un autre : augmentations de salaires, diminution des heures de travail, part dans la gestion des entreprises qui les emploient ou dans les bénéfices réalisés par celles-ci.

Mais les salarieurs se sont coalisés également, ayant comme alliés ou comme complices les gouvernements qui n’ont jamais hésité à jeter dans la balance le poids de leur influence, influence s’exerçant, bien entendu, au bénéfice des employeurs, quels qu’ils fussent — de l’intervention de la force armée à l’arbitrage imposé et obligatoire.

L’exploitation est si bien le corollaire de la domination sur le terrain économique que ceux qui se regimbent ou murmurent contre elle se trouvent exactement dans la même situation que ceux que la domination gène ou mécontente.

Les exploités, dans l’ordre économique, se trouvent sur le même plan que les dominés dans l’ordre politique ou social : force leur est d’accepter un contrat économique dont ils n’ont pu discuter ou arrêter les termes, et dont ils ne peuvent s’évader qu’illégalement, alors même qu’ils se rendent compte que ce contrat économique est établi au profit exclusif des Privilégiés et des Monopoleurs. Force leur est d’abandonner à qui les salarie le surplus dont il a été question ci-dessus, surplus qu’ils entendraient faire servir à leur bien-être, de la façon qui leur agréerait, si on ne les contraignait pas à y renoncer.

62) Insuffisance de l’expression « exploitation de l’homme par l’homme . » Nouvelles définitions de l’exploitation.

Se déclarer contre « l’exploitation de l’homme par l’homme » ou « par son semblable » est une expression insuffisante.

Ce n’est pas seulement par son semblable — particulier — que l’être humain est ou peut être exploité.

Il peut l’être tout autant par un milieu social dont il est obligé de faire partie. Il peut aussi bien l’être par une institution sociale quelconque — État, gouvernement, administration, organisation d’un genre ou d’un autre.

L’expression se déclarer, se situer, se dresser « contre l’exploitation de l’unité humaine par son semblable, le milieu ou une institution sociale » expose bien plus clairement le point de vue des individualistes.

Ainsi, selon eux, il y a exploitation de l’être individuel, lorsqu’une unité humaine, isolée ou associée — est forcée de contribuer ou participer à des taxes, à des impôts, des contributions — contrainte de subir des réquisitions de quelque espèce que ce soit, destinées au fonctionnement d’institutions ou de services, à la rétribution ou à la solde d’agents ou de fonctionnaires dont il ne fait aucun usage, dont il nie, conteste ou réprouve l’utilité.

Il y a également exploitation lorsqu’un être individuel — un producteur, un travailleur quelconque est obligé de parfaire, supplémenter ou compléter, par suite d’une mainmise légale ou administrative sur tout ou partie du résultat de son effort personnel — la part de production ou d’entretien d’un de ses semblables, quel qu’il soit, dont le rendement est inférieur ou inégal au sien.

Il y a aussi exploitation lorsqu’un producteur — quel qu’il soit — isolé ou associé, ne peut disposer de sa production, du produit de son effort personnel comme il l’entend ou comme il l’agrée, c’est-à-dire sans subir une intervention ou une taxation quelconque, gouvernementale ou administrative.

Il y a enfin exploitation lorsqu’il ne peut l’aliéner à titre gratuit ou onéreux, le transmettre ou le léguer, traiter de gré à gré pour sa cession avec qui lui plaît, sans être forcé de rendre des comptes à un homme, au milieu ou à une institution.

63) Le cas de contribution ou rétribution volontaire. La caractéristique de l’exploitation.

Au point de vue où se placent les individualistes, l’exploitation se manifeste toujours accompagnée de coercition, de contrainte, d’obligation, de violence d’une sorte ou d’une autre. C’est ainsi qu’il n’y a pas d’exploitation dans le fait de rétribuer volontairement les efforts ou les services d’un ou plusieurs de ses semblables dont l’activité ou la profession sont utiles ou agréables à celui ou à ceux qui y ont recours. Il n’y a pas exploitation lorsqu’un isolé ou des associés rétribuent volontairement le travail d’un transporteur, d’un colporteur, d’un mandataire, d’un instituteur, d’un médecin, d’un artiste, d’une association se chargeant d’un service public ou privé quelconque. Il n’y a pas d’exploitation dans le cas d’une subvention ou contribution volontaire destinée par exemple à permettre à un savant d’accomplir certaines recherches scientifiques, à un peintre ou à un musicien d’étudier ou de voyager pour se perfectionner dans son art, à un journal de se fonder ou d’étendre son rayon d’influence, à un sanatorium de s’édifier ou de s’agrandir, à une association quelconque de poursuivre ou réaliser le but pour lequel elle s’est créée, etc., etc.

Ces exemples sont assez clairs pour bien faire comprendre le caractère obligatoire et spoliateur qui, pour les individualistes, doit inéluctablement qualifier l’exploitation de l’homme par son semblable, le milieu ou une institution sociale.

64) Les exploités « volontaires. »

Ceci bien entendu, on peut se demander s’il n’existe pas des hommes, en bien plus grande quantité qu’on ne l’imagine, lesquels laissés entièrement à eux-mêmes, seraient disposés à louer leurs services à un salarieur ; c’est-à-dire préfèrent le système du salariat avec tous les inconvénients et les imperfections qu’il comporte, à la méthode individualiste de la mise en valeur du moyen de production et de la libre disposition du produit, soit isolément, soit en association. On peut se demander également si le nombre n’est pas aussi grand de ceux qui, à la méthode individualiste, préfèrent encore être exploités par une organisation ou une administration sociale, par crainte de l’effort et de l’initiative que réclament la libre production, le jeu de la concurrence-émulation, les tractations de gré en gré qu’elle nécessite entre producteurs et consommateurs, isolés ou groupés en associations.

Les individualistes n’éludent pas la question. Ils n’ont jamais contesté que le nombre est considérable, très considérable de ceux qui s’imaginent ne pouvoir subsister, agir ou se comporter sans être dominés ou exploités, sans qu’interviennent en leurs affaires le Gouvernement, le Milieu humain, une Institution sociale d’un genre ou d’un autre. Que ceux qui ne peuvent ou ne veulent se passer d’un système d’exploitation quelconque se fassent exploiter comme bon leur semble. Les individualistes anarchistes s’abstiendront de s’immiscer dans leurs combinaisons économiques, ils peuvent en être certains ; n’entendant, ne voulant s’imposer à autrui d’aucune façon, ils ne réclament d’autrui que la réciproque, c’est-à-dire de pouvoir évoluer à. l’écart de toute contrainte, à l’abri de toute confiscation ou diminution de leur autonomie, « autrui » signifiât-il la majorité des terriens, l’organisation ou l’administration sociale la plus colossale qui ait jamais existé. Les individualistes anarchistes ne réclament de ceux qui ne peuvent subsister sans exploitation que de les laisser exister, se façonner, agir, besogner, se conduire selon leur conception particulière de la vie économique. Ils ne demandent de ceux auxquels la dépendance, en cette matière, est indispensable pour croître et se développer que de ne point les forcer, sous une forme ou sous une autre, à se conformer, participer ou coopérer aux obligations ou charges qu’impliquent les différents aspects de l’exploitation, tels qu’ils ont été présentés ci-dessus.

7. L’Individualisme anarchiste et le Communisme. L’idée de valeur. Les revendications individualistes dans le domaine économique.
65) Critique du communisme.
66) La mise et la prise au tas.
67) La possession du moyen de production et la libre disposition du produit.
68) Point de vue individualiste de l’association.
69) Le Producteur rationnel et la production rationalisée.
70) Le nivellement perpétuel.
71) La thèse individualiste dans le domaine économique.
72) Un point de vue individualiste de la valeur.
73) Valeur intrinsèque et Valeur mesurable.
74) La Valeur mesurable et le point de vue individualiste.
75) Définition actuelle de la Valeur mesurable.
76) Abolition de la Valeur mesurable.
77) L’abolition de la valeur mesurable et ses conséquences.
78) Les Bons de consommation.
79) Influence du Monopole et du Privilège dans la fixation actuelle de la valeur.
80) Une définition individualiste de la valeur.
81) Régulateurs de la valeur.
82) raison d’être de la valeur mesurable.
83) Divers étalons de la mesure de la valeur.
84) Autre opinion individualiste sur la valeur. Objections. Le rôle de la mentalité dans l’absence de contrainte.
85) L’être et l’avoir condition d’exercice de la réciprocité.
86) L’absence de réciprocité comme caractéristique de l’exploitation.
87) La libre disposition du produit et l’objection de l’accumulation.
88) Le contrat de travail.
89) Les revendications individualistes dans le domaine économique.

See Chapter 7

7. L’Individualisme anarchiste et le Communisme. L’idée de valeur. Les revendications individualistes dans le domaine économique

65) Critique du communisme.

Que les instruments de production, que le capital soient détenus par la minorité des possédants actuels ou qu’ils soient détenus par l’État, la Collectivité ou la Communauté, c’est le même résultat pour l’être individuel, aussi dépendant d’une façon que de l’autre. Que les monopoles et les privilèges soient transportés des grosses associations capitalistes à la Communauté, l’être individuel est toujours aussi dénué de ressources qu’auparavant. Au lieu d’être dominé économiquement par la minorité capitaliste, il l’est par l’ensemble communiste. Il n’a rien en propre. C’est un esclave.

Le Communisme n’est autre chose que la doctrine du monopole appliquée par le Peuple au lieu de l’être par les Monopoleurs. C’est l’ensemble social devenu, à son profit, le suprême exploiteur des forces et des énergies individuelles, à la place de la minorité des Privilégiés.

Qu’est, en résumé, le communisme ? C’est un système économique au moyen duquel toutes richesses naturelles et tous produits du travail, fournis par chacun « selon ses forces », sont distribués à chacun « selon ses besoins », d’après un mécanisme donné — du bureau de statistique centralisateur à la méthode de « mise et de prise au tas ».

En régime communiste libertaire, les individus sont censés jouir de toute liberté, sauf de celle de produire pour eux-mêmes et de disposer à leur gré de leurs produits, par exemple de les échanger avec leurs voisins en dehors d’un mécanisme réglé, fixé d’avance.

Que présente ce système d’anarchiste ? C’est du collectivisme déguisé, libéralisé, édulcoré. Qu’on retourne le communisme par tous les bouts, on arrivera toujours à un point où, bon gré, mal gré, l’individu devra se sacrifier à la Collectivité ou à la Démocratie communiste.

Tant qu’une société ne permettra pas à une unité humaine quelconque de manger, de se vêtir, de se loger, d’échanger ses produits, de disposer des résultats de son labeur personnel, de répandre et de vivre ses idées à sa guise et sans contrôle aucun — à condition qu’elle ne domine, qu’elle n’exploite personne — l’individualiste considèrera son fonctionnement comme archiste, autoritaire.

[see l’en dehors 2 no. 10]

66) La mise et la prise au tas.

A-t-on jamais défini sérieusement le système de « mise et prise au tas » ?

Il faudra, évidemment, une méthode d’emmagasinement pour chaque sorte de produits, chaque espèce d’utilité. Qui en surveillera la qualité ? Comment évitera-t-on la sur ou la sous-production ? Comment s’opposera-t-on à ce que les premiers venus n’emportent le meilleur et plus que leur compte ? Perquisitionnera-t-on chez X, sur dénonciation, pour vérifier s’il n’a pas conservé ou emporté partie de son produit, ou si tel objet possédé par Y a passé ou non par « le tas » ?

Pour conscientes que soient devenues les unités humaines, dès lors que l’aspect économique éclipse tous les autres aspects de l’existence, il n’y a que la contrainte qui puisse les empêcher de contrevenir à une règle donnée, dès qu’ils y ont avantage.

Le communisme n’est compatible qu’avec la morale du renoncement — c’est-à-dire avec une morale d’esclaves.

Pratiquée en grand, la méthode de mise et de prise au tas exige une administration des choses compliquée, tracassière et inquisitoriale comme le sont toutes les administrations.

Tout ce qui précède a été écrit avant que soient connus les procédés auxquels ont dû avoir recours les gouvernants communistes de la Russie, non seulement pour se maintenir au pouvoir, mais encore pour amener le triomphe au moins d’un minimum de leurs doctrines. Il est avéré, au moment où paraît ce livre, qu’ils n’ont pu arriver à se stabiliser dans la direction de l’administration des choses que grâce à une méthode de compression-restriction qui ne le cède en rien à l’absolutisme autocratique.

67) La possession du moyen de production et la libre disposition du produit.

Le communisme écarté, reste donc à découvrir une méthode qui, tout en ne laissant subsister aucun vestige d’exploitation de l’homme par l’homme (ou par la collectivité) ou de domination de l’homme (ou de la collectivité) sur l’homme, sauvegarde la dignité individuelle, s’accorde avec l’intérêt de chacun, ne lèse personne, du produit. ferme la porte au parasitisme, à l’oisiveté, à la paresse, ne fruste qui que ce soit du plaisir résultant de l’accomplissement de son propre effort en permettant à l’être individuel l’emploi le plus intense de ses facultés d’initiative. Jusqu’à ce qu’on en rencontre une meilleure, la méthode d’échange des produits de producteur à producteur-consommateur ou, naturellement, entre associations de producteurs-consommateurs, paraît répondre à ces desiderata.

Qu’on nous entende bien : les individualistes sont contre la domination de l’homme sur l’homme et l’exploitation de l’homme par l’homme. Ils en sont les irréconciliables adversaires, comme du parasitisme ; mais ce que l’individu a produit par son effort personnel, cérébral ou musculaire, sans exploiter autrui ou le faire travailler à son profit ; ce produit, quel que soit le système économique qui régisse le milieu social, ils en revendiquent pour lui la libre et entière disposition. Ils considèrent l’avoir comme la conséquence de l’être et ils ne pensent pas raisonnable ni concevable la liberté d’être sans la liberté d’avoir. Ils considèrent comme contraire à la dignité de l’individu tout système, tout arrangement politique ou social qui nie au travailleur la faculté de recevoir en raison de son effort. « A l’unité humaine selon son effort ». Voilà la formule qu’ils opposent à toutes celles qui, sous une apparence de générosité, voilent l’exploitation organisée du travailleur par l’État ou l’administration socialiste ou communiste. Ils n’admettent pas que celui qui peut produire 10, par exemple, soit forcé, contraint, obligé d’assurer les besoins de celui qui ne produit que 2. Cela leur semble une prime à la fainéantise. Ils n’admettent pas que celui qui apporte tous ses soins à obtenir un produit de qualité supérieure soit forcé, contraint, obligé de satisfaire les besoins de celui qui s’insoucie de la qualité de sa production. Ils veulent pouvoir traiter de gré à gré, producteurs, avec les consommateurs de leur produit, en discuter avec lui la valeur, sans ingérence légale ou administrative.

Ils comptent sur la concurrence entre producteurs pour empêcher cette faculté de dégénérer en une exploitation des consommateurs. Une concurrence basée surtout sur la qualité des produits et la possession par les producteurs concurrents — isolés ou associés — d’outils de production similaires, car si les individualistes, sont pour le produit au producteur et la concurrence dans la production, ils sont aussi contre les monopoles et les privilèges et ils ne comprennent la concurrence qu’avec équité au point de départ. Ils revendiquent, quel que soit le régime économique ou social, la faculté d’émettre ou faire circuler telle valeur d’échange représentative du montant des échanges entre producteurs et consommateurs, ayant cours libre — mais non légal ni forcé — entre les intéressés ou ceux à qui il convient de s’en servir.

Il va de soi que demeurant maître de son produit, en pouvant disposer à sa guise, certain de produire pour son compte et garanti contre l’exploitation d’autrui ou du milieu, le producteur apporterait toujours plus de soin à la confection de son produit, pourrait l’amener au degré de perfectibilité ou de qualité le plus élevé qu’il lui serait possible d’imaginer. Ce ne serait plus l’œuvre anonyme, dont on ignore la destination et qu’on bâcle, insoucieux d’éveiller chez le consommateur le désir d’utilités mieux conditionnées ou plus raffinées.

La libre disposition du produit entraîne la possession du moyen de production — qu’il s’agisse de l’outil ou du sol. Mais au sens individualiste anarchiste, la propriété n’a jamais consisté, il faut le réitérer, qu’en la possibilité de faire valoir individuellement, par couples, par familles, selon la nature ou l’élection, l’étendue de terrain indispensable aux nécessités de l’unité sociale ou de la famille. A condition de ne pas la faire exploiter par quelqu’un à son service ou de l’affermer. Cette possession n’empêche nullement que chaque fois qu’ils en trouveront l’occasion, les individualistes anarchistes s’unissent pour les travaux (battage, fauchage, récolte, etc.) susceptibles d’être effectués en association.

68) Point de vue individualiste de l’association.

D’ailleurs, les individualistes ne prétendent pas que l’individu isolé peut produire tout ce qui est nécessaire à sa consommation et que pour certaines productions surtout industrielles de grande envergure, force ne soit pas de recourir au travail en association. Mais ils souhaiteraient que le travail, en général, au lieu de s’accomplir dans les usines, dans les ateliers, en commun en un mot, tende toujours plus à s’individualiser, c’est-à-dire que la possession de l’instrument de production par le producteur soit le normal et non l’exceptionnel, de même que la création ou la distribution de la force motrice à domicile.

Comme maintes des expériences de la vie des hommes, les individualistes ont tendance à considérer l’association comme un pis aller, comme un expédient, car, même alors qu’elle lui est le plus favorable, l’individu y laisse toujours de son indépendance. Mais puisqu’il est impossible de s’en passer, que l’association soit alors à tendance franchement individualiste ; c’est-à-dire qu’elle soit conçue de telle façon que jamais l’associé ne soit placé dans un état d’infériorité à l’égard de l’association, mais que leurs rapports s’effectuent sur un pied d’égalité.

69) Le Producteur rationnel et la production rationalisée.

Actuellement, les outils de production sont confectionnés exclusivement en vue de faire prévaloir la production collective sur l’individuelle. La machine à vapeur, en instaurant le règne de la production en collectivité posait en même temps la première pierre des trois édifices qui symbolisent l’âge où nous évoluons : la caserne, l’usine, la prison modèles.

Peut être s’en est-il fallu de peu de chose que l’évolution humaine fût orientée dans un sens tout autre qu’elle l’est, c’est-à-dire dans le sens de l’indépendance de l’être individuel (considéré par rapport au milieu). Il semblait que le Moyen Age dans la période la plus florissante de l’artisanat, indiquât cette tendance et que l’affermît la Renaissance, époque où l’artiste prévaut. Mais voici qu’est advenu le règne de la Machine à vapeur, de la Production en séries, lequel en supprimant ou réduisant à un minimum l’initiative du producteur individuel. l’a réduit au rôle de conducteur ou surveillant de machine, d’automate ouvrier. Or, qui dit ouvriérisme dit en même temps ruine de l’artisanat, disparition de l’individualisme dans la production.

Plus le travail deviendra rationnel et plus il se restreindra à la production : 1° d’une alimentation, d’une vêture et d’un abri sains, hygiéniques, marqués au sceau de la personnalité ; 2° à l’entretien des moyens d’échanger la pensée. Plus s’accentuera la disparition d’une foule d’industries inutiles ou parasitaires.

Qui s’en plaindra ? Est préférable la restriction des besoins personnels, dans le sens de la suppression des besoins inutiles. à la restriction de la liberté de la personne. Les individualistes anarchistes sont des individualistes avant d’être des producteurs et des consommateurs. L’individualiste tendra à renoncer à toute consommation qui risque de l’asservir.

De même qu’il considère comme inique qu’on le force à payer un impôt pour un service public ou social qui l’indiffère, l’individualiste n’admettra jamais, en régime « libertaire », qu’on le force à contribuer à des productions qui lui paraissent sans utilité pour le développement normal des compagnons auxquels il s’associe. S’il ne voyage pas et qu’il ne tienne pas à recevoir de visiteurs éloignés, il n’entend pas qu’on le force à contribuer aux frais d’entretien des rapides et de leurs conducteurs. C’est à ceux qui voyagent ou qui tiennent à recevoir des visites d’étrangers qu’il échet de s’en préoccuper.

Quant aux moyens employés pour régler en toute période les conditions de l’échange des produits de gré à gré entre producteurs-consommateurs individuels ou groupés, une chose est certaine : c’est que si cette méthode est adoptée par des individualistes anarchistes, ce sera par libre entente et, de près ou de loin, rien n’y rappellera l’autorité ou l’exploitation. Il appartient ou appartiendra à ces camarades de régler volontairement, entre eux, les détails de leur activité économique.

D’ailleurs, une fois en possession du moyen individuel de production, peu importe le reste. Tant mieux pour le producteur individuel qui, sans faire œuvrer personne pour son compte, obtient un meilleur rendement que son camarade, peut-être parce que sa consommation est plus considérable que la sienne, peut-être parce qu’il tient à donner à l’œuvre de ses mains un cachet de fini dont son ami ne se soucie pas. Tant mieux pour ceux avec lesquels il échange ou troque des produits, si ses chaussures sont mieux cousues, son blé moulu à ravir, ses fruits délicieux, sa brochure admirablement tirée, sa tunique finement tissée. Cela ne peut qu’inciter les autres à mieux faire, leur servir de stimulant. Tant mieux pour lui s’il obtient en échange davantage de produits ou des produits plus finis. Il est équitable qu’il tire de son effort individuel tout ce que celui-ci peut lui procurer. L’individualiste ne saurait en être jaloux ; d’autant moins jaloux qu’il n’interviendra pas plus dans la consommation de son voisin que celui-ci n’interviendra dans sa production à lui.

La détermination des besoins est question d’appréciation personnelle et tel objet de consommation qui semble à l’un indispensable peut paraître à l’autre une superfluité. Il semble équitable que celui qui consomme davantage produise davantage. Un individualiste refusera, en bonne camaraderie, de produire, lui qui consomme peu ou qui raisonne sa consommation selon une conception personnelle, de produire obligatoirement pour le camarade qui consomme beaucoup ou selon une méthode qui, tout bonnement, ne lui plait pas. Le faire ne serait pas pratiquer la camaraderie, mais subir l’exploitation.

70) Le nivellement perpétuel.

D’autre part, le souci le plus grand des sociétés-futuristes communistes petits ou grands, c’est le nivellement sur toute la longueur de la route. Il est bien entendu que le producteur déposera tout ce qu’il aura produit au magasin collectif, au tas communiste ou dans la modeste chambre aux provisions. On peut même prévoir des fonctionnaires collecteurs qui ramasseront les produits remis au délégué, à la direction de chaque atelier ou section, et les centraliseront. Il est bien entendu qu’on partagera les produits entre tous, qu’on les distribuera à tous, avec ou sans contrôle ! Le rêve communiste, la poursuite de l’égalité chimérique, de l’égalité qui implique négation de l’individualité, puisque égalité égale nivellement — c’est de faire de la dépendance du milieu, de la sujétion à l’ensemble social, une méthode inévitable — sous prétexte que c’est plus rationnel — au lieu de la considérer comme un accident à éviter. C’est d’exiger en principe le sacrifice de l’Individu à la Masse.

Or, l’individualiste anarchiste est un être fier, un individu qui ne se sacrifie pas plus qu’il n’exige le sacrifice d’autrui, même s’il y trouvait son profit. Et il n’abandonnera pas bénévolement à tout le monde le produit de son effort, il le troquera, ou le cédera gratuitement, mais à qui lui plaît. N’ayant eu besoin d’exploiter personne pour transformer en objet de consommation la matière brute ou déjà travaillée qu’il a obtenue en échange ou don, il n’aura de compte à rendre à personne. Ce qui le fera bon camarade avec tous en vertu de ce que nous apprend l’expérience : que moins on est comptable à autrui, mieux on se trouve.

Pour imposer le sacrifice de l’effort individuel au milieu, l’autorité ou la suggestion sont nécessaires. Pour arracher à l’individu la plus-value résultant de son propre travail, il faut employer la violence. Le nivellement perpétuel postule l’État régulateur, sous une appellation quelconque.

71) La thèse individualiste dans le domaine économique.

Un état de choses mondial ou territorial dans lequel existerait l’équité au point de départ est-il possible ? La question est difficile à solutionner actuellement. Et nous y reviendrons. Ces lignes sont surtout écrites pour indiquer les différences qui séparent l’individualisme anarchiste du communisme anarchiste. Le premier repose sur une base essentiellement éthique : en premier lieu et avant tout l’individu libre, indépendant du milieu, même si c’est à son détriment matériel. Le second, hypnotisé par les conditions où s’opère la production-travail collectif par des engins actionnés par une force motrice commune, ne considère plus l’être individuel qu’en fonction du milieu social ; dès qu’il s’agit de l’augmentation du bien-être, il ne parle plus que de concessions ; il prétend que c’est plus raisonnable, plus scientifique : il ne fait plus appel qu’à l’intérêt, au moindre effort ; dès lors qu’il s’agit de l’économique, il n’est plus pour lui ni fierté, ni dignité individuelle.

L’individualiste anarchiste, lui, ne fait passer l’intérêt économique qu’en second lieu. Plutôt une hutte, un verre d’eau et une poignée de châtaignes, que la besogne en commun avec qui ne lui plait pas.

Que toute la civilisation périsse, avec ses maisons à vingt étages, ses ascenseurs, ses aérobus, ses rapides, son télégraphe sans fil, son cinéma, si tout cela doit augmenter la dépendance de l’individu. L’Individualiste ne veut pas que le Milieu social solutionne pour lui sa question économique ; il veut la résoudre lui-même, pour lui-même, par lui- même.

Voilà l’état d’esprit individualiste dont il faut bien se pénétrer pour comprendre la thèse individualiste anarchiste au point de vue économique.

72) Un point de vue individualiste de la valeur.

L’étude qui suit sur la valeur considérée en se plaçant à un point de vue individualiste va nous permettre de revenir sur des points qui n’ont été qu’effleurés dans les paragraphes précédents ; mais leur importance est telle qu’il nous a paru indispensable de leur donner tout le développement qu’ils réclament.

8. L’effort, le parasitisme, la joie de vivre. Les besoins factices.
90) Théorie de l’effort.
91) Les parasites.
92) Les inaptes à l’effort.
93) Les applications immédiates de l’effort.
94) Comment la vie est belle à vivre.
95) Le « moi » et la jouissance de vivre.
96) Qu’est-ce que vivre ?
97) Vivre pour vivre.
98) Jouir physiquement.
99) Les ancêtres. Le suicide.
100) Les vertus les « vices » la restriction des besoins.
101) L’éducation de la volonté.
102) La question des stimulants.
103) Anti-autoritarisme d’abord.

8. L’EFFORT ET LA JOIE DE VIVRE

Idée de l’effort. — Les parasites. — Les inaptes à l’effort. — La vie belle à vivre individuellement. — L’éducation de la volonté. — Us et non abus. — La joie de vivre.

9. Volonté de vivre et Volonté de se reproduire. La propagande individualiste.
104) La « volonté de se reproduire. »
105) Théorie de la propagande individualiste anarchiste.
106) La propagande vraie.
107) Les procédés et les résultats de la propagande individualiste.
108) Le péril médiocratique et les deux propagandes.

7. VOLONTÉ DE VIVRE ET VOLONTÉ DE SE REPRODUIRE

Volonté de vivre et lutte pour la vie. — Manifestations de la volonté de se reproduire. — L’individualiste est un type anormal. — La propagande. — L’individualiste bourgeois. — L’anarchiste-communiste.

10. L’Individualiste anarchiste comme réagisseur et comme réfractaire.
109) Théorie de la réaction individualiste au sein du milieu.
110) Persistance de la lutte contre l’uniformisme et le conformisme.
111) Réagir ou périr.
112) La vie et la Société.
113) L’individualiste considéré comme réfractaire.
114) L’attitude individualiste devant la science.
115) La famille, la patrie.
116) L’individualiste devant les contingences sociales.
117) La ruse comme arme défensive.
118) Aspects et résultats divers de l’attitude individualiste.

6. L’ANARCHISTE ENVISAGÉ COMME RÉAGISSANT CONTRE LA SOCIÉTÉ
  1. L’anarchisme comme vie et comme activité.
  2. La réaction au sein ou milieu. 
  3. pas de lutte, pas de vie.
  4. Attitude de l’anarchiste dans la société actuelle.
9. L’ANARCHISTE ENVISAGÉ COMME RÉFRACTAIRE
  1. L’anarchiste et la science.
  2. L’anarchiste et l’amour.
  3. Amour libre et liberté sexuelle.
  4. L’anarchiste et la famille.
  5. Emploi de la violence et usage de la ruse.
  6. Syndiqué et non syndicaliste.

11. Le geste révolutionnaire et l’esprit de révolte.
119) Les individualistes et l’action révolutionnaire.
120) La révolution et l’armée.
121) La « révolution » individuelle.
122) L’attentat individuel et l’ « attentäter »
123) L’abstentionnisme. La résistance passive.
124) Absence de dogmatisme à l’égard du geste révolutionnaire.
125) L’individualiste comme un révolutionnaire à l’état permanent.
126) Coopération des Individualistes à l’action révolutionnaire.

12. Le pis aller illégaliste.
127) Théorie de « l’illégalisme individualiste ».
128) Distinctions et critérium indispensables.
129) Les gestes illégaux question de tempérament.
130) Le meilleur camarade. Le « réfractaire économique ». La déformation professionnelle.
131) Des attitudes héroïques.
132) Valoir moins, valoir autant, valoir mieux.
133) Les Réserves que soulèvent la pratique de l’illégalisme.

10. L’ANARCHISTE ENVISAGÉ COMME RÉFRACTAIRE SUR LE TERRAIN ÉCONOMIQUE

Conditions du travail dans la société actuelle. — Un pis aller. — L’anarchiste n’est jamais Ni dupe ni complice. — Les « colonies communistes ». — Théorie De l’ « illégalisme anarchiste ». — Distinctions et critérium nécessaires.

13. Le problème de la transgression et l’abolition de la répression.
134) Y aura-t-il toujours des transgresseurs ? Le transgresseur dans la marche de l’humanité. La transgression en milieu individualiste.
135) La persistance du délit et l’inévitable sanction. La non résistance. Le transgresseur comme son propre juge.
136) Procédés individualistes en vue d’abolir la transgression.
137) L’arbitrage volontaire.
138) Critique individualiste du mécanisme judiciaire.
139) Les transgressions dans la société actuelle et en milieu individualiste.
140) L’échec de la répression pénale et les solutions individualistes.

14. La vie comme expérience et les réalisations individualistes.
141) Différentes conceptions de la vie.
142) Une conception individualiste de la vie.
143) Conditions, phases, valeur de l’expérience.
144) Bien vivre et mourir bien.
145) Aspects divers de la vie considéré comme une expérience.
146) La publicité de l’expérience.
147) L’individualiste anarchiste et le fait économique.
148) Comment l’individualiste se réalise “économiquement” dans le milieu social actuel.
149) Des réalisations en marge de la société.
150) Esquisse des conditions d’existence d’une “colonie individualiste”.

XI
DE LA VIE COMME EXPÉRIENCE

Différents aspects de la vie. — Une conception anarchiste de la vie. — Conditions, phases, valeur de l’expérience. — Bien vivre et mourir bien.

15. La vie intérieure, sensibilité et le sentimentalisme individualiste. Le problème de l’éducation.
151) La vie intérieure.
152) L’art pour l’artiste.
153) L’exagération “raisonnable”.
154) Le critérium de la diminution intérieure.
155) La sensibilité individualiste.
156) L’individualiste et les élans du cœur.
157) “L’idéalisme” individualiste.
158) La reddition de comptes.
159) La maison de verre.
160) L’évolution des opinions.
161) L’absolu. Le relatif. La doctrine. La formule.
162) Le problème de l’éducation. L’initiation individualiste.
163) Initiateur et non Éducateur. Le vrai sens de la vie.
164) Aspects pratiques de l’initiation individualiste.

XIV
DE LA VIE INTÉRIEURE

Point d’activité au dehors sans la vie au dedans. — Manifestations de la vie intérieure. — La vie du sentiment. — Le critérium de la « diminution intérieure. »

16. La solidarité. La sociabilité La camaraderie
165) L’obligatoire solidarité.
166) Les individualistes et la solidarité imposée.
167) La Solidarité volontaire.
168) De la solidarité imposée.
169) Les individualistes anarchistes considérés comme une “espèce”.
170) L’entr’aide dans l’espèce. La camaraderie.
171) L’individualiste et les « frères inférieurs ».
172) Vie privée et vie publique.
173) Les concessions au milieu.
174) Considérations sur la pratique de la camaraderie.
175) Nécessité de la critique des idées.
176) La déception de la camaraderie.
177) Mes ennemis et mes amis.
178) Citoyen de « mon » monde.

XII
LES ANARCHISTES ENVISAGÉS COMME ESPÈCE ET LA CAMARADERIE

Les anarchistes « une espèce. » parmi le genre humain. — Théorie et pratique de l’entr’aide ou « camaraderie ». — La vie privée. — Nécessité de la critique des idées anarchistes par les anarchistes eux-mêmes.

17. La réciprocité.
179) Recherche d’une base individualiste anarchiste des rapports et accords entre les hommes.
180) Théorie de la réciprocité.
181) Donner et recevoir. Aspects de leur équivalence.
182) Objections à la pratique individualiste de la méthode de la réciprocité.
183) La réciprocité dans la nature.
184) La réciprocité volontaire.
185) La question de la réciprocité telle que les individualistes la posent.

18. Le contrat. L’association. Le garantisme.
186) Le contrat individualiste.
187) Caractère anti-autoritaire du contrat individualiste.
188) De la rupture du contrat.
189) Objections à la dissolution du contrat. La rupture imposée.
190) Du contrat passé avec les autoritaires.
191) Thèse de l’association entre individualistes.
192) Pourquoi et comment s’associer.
193) Y a-t-il avantage à s’associer.
194) L’association comme « la chose » de l’associé.
195) Des moyens de « garantir » l’associé.
196) Les caractéristiques de l’association individualiste.
197) « Contrat d’association » et contrat social.
198) L’application actuelle de l’association individualiste.
199) Quand tu t’associes…
200) Le risque.
201) Analyse du risque héroïque.
202) Thèse du garantisme.
203) « Le garantisme » dans l’ambiance sociale.
204) Point de vue individualiste du garantisme.
205) Pratique individualiste du garantisme.
206) Applications dont le garantisme est immédiatement susceptible.
207) Garantisme appliqué et solidarité volontaire.
208) Garantisme et réformisme individualiste.

19. L’équité au point de départ. La concurrence. La méthode d’égale liberté.
209) L’inégalité naturelle.
210) Equité « au point de départ » et rétablissement de l’équité « en cours de route ».
211) Inégalité économique et nouvelle mentalité.
212) Tolérance et réciprocité.
213) Concurrence et non tolérance.
214) Thèse de la concurrence individualiste.
215) « La liberté de concurrence » individualiste.
216) Résultats de l’uniformisme industriel
217) L’exercice de la concurrence.
218) La méthode de l’égale liberté. Esquisse d’une table des revendications individualistes.

20. La question des rapports sexuels et le point de vue individualiste
219) Considérations sur l’idée de liberté.
220) Qu’est-ce que l’amour ?
221) Clarté du point de vue individualiste.
222) Le milieu social et les relations sexuelles.
223) Théorie de la liberté sexuelle.
224) Nuances et aspects de la vie sexuelle.
225) L’éducation sexuelle.
226) La cohabitation.
227) La jalousie.
228) Le stimulant sexuel.
229) Obscénité, pudeur et émancipation sexuelle.
230) Les détracteurs de la libre discussion en matière sexuelle.
231) Une opinion autorisée.
232) Lettre ouverte à une jeune camarade.

21. Le fait historique, le fait économique et l’attitude individualiste.
233) Les individualistes et l’histoire. Panorama de l’évolution historique contemporaine.
234) Le travail.
235) La production, la consommation.
236) La spéculation et la mentalité du producteur.
237) Le travailleur en régime de « contrainte sociale ».
238) Le travailleur manuel.
239) L’ouvriérisme, les syndicats.
240) L’ouvriérisme et la production individuelle.
241) Artiste ou manœuvre ?
242) Syndiqué et non syndicaliste.
243) L’individualiste et « sa » question économique.

22. Les inconséquences. Les défaillances. Les reculs. Les découragements.
244) Capacité de pensée et incapacité de réalisation.
245) Les inconséquences des individualistes.
246) Désillusions plurales et mécomptes individuels.
247) L’effort persévérant vers la concordance entre la théorie et la pratique.
248) Le « mauvais camarade ».
249) Les découragements. Examen critique de leurs causes.
250) L’ « harmonie » individualiste.
251) Les « déchéants » de l’individualisme.
252) La farce de la « révolution individuelle ».
253) « La Tour d’Ivoire ». Une calomnie réfutée.
254) Je n’ai pas toujours qu’une opinion.
255) Aie foi en toi.

XIII
LES INCONSÉQUENCES DES ANARCHISTES

On ne gagne bien a dissimuler ses fautes. — Mécomptes et désillusions. — Capacité de pensée et faculté de réalisation. — Une tendance fâcheuse. — L’effort persévérant.

23. La Lutte pour la vie individualiste.
256) « Leur » lutte.
257) L’activité critique des individualistes.
258) Nier pour s’affirmer.
259) L’objection de l’individualisme bourgeois.
260) L’objection de l’insuffisance économique.
261) L’objection de l’attitude stérile.
262) Je suis susceptible.

XVI
LA GRANDE LUTTE ET SES PÉRIPÉTIES

Panorama et caractère de la lutte. — l’irréductibilité anarchiste.

XVII
L’ANARCHISTE A L’ŒUVRE

24. Les propagandes à côté
263) L’individualiste et les « spécialités ».
264) Le féminisme.
265) Le néo-malthusianisme.
266) Le naturisme.
267) Est-ce cela que vous appelez « vivre » ?
268) Les questions d’hygiène et d’alimentation.

XVIII
L’ANARCHISTE ET LES « PROPAGANDES SPÉCIALES »

Danger des propagandes spéciales.— La question féministe. — L’ « union anarchiste ». — Le néo-malthusianisme. — Moyens anticonceptionnels et libre maternité.— La tendance naturienne. — Exagérations et bons cotés. — L’espérantisme. — Les langues auxiliaires.

25. Vers une humanité nouvelle ?
269) La question de la « société future ».
270) Les conducteurs de civilisation et la réalisation du bonheur.
271) L’individualiste par rapport à l’humanité future.
272) Les directives de l’« humanité future ».
273) La mentalité de l’« humanité future ».
274) La propagande indispensable à l’avènement de « l’humanité future ».
275) Le retour à « l’ordre naturel ».
276) Les faux annonciateurs de « l’humanité future ».
277) Attitude négative de certains individualistes à l’égard de « l’humanité future. »
278) En flagrant délit de société futurisme ?
279) La liberté comme ultime solution.

XIX
APPENDICE
ESQUISSE PROBLÉMATIQUE D’UNE “SOCIÉTÉ ANARCHISTE”

XV
LE BOURGEOIS LIBÉRAL ET SYMPATHIQUE

Son rôle et la valeur de son « anarchisme ». — Un danger. — La pierre de touche. — Une mise en demeure inévitable.

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