The Anarchist Convicts of Guyana, “The Voice of the Penal Colony” (1893)

VOIX DU BAGNE

Pendant que les populations s’affolent et acclament le tzar pendeur, pendant que les bourgeois, gouvernementaux se félicitent du succès de leur ruse et constatent que la bêtise humaine est toujours aussi grande, il faut qu’une protestation, fière et énergique, vienne rappeler aux bourgeois, qu’il y a encore des hommes libres, même et surtout, dans leurs geôles et dans leurs bagnes.

Il faut rappeler à nos dirigeants qui, dans la joie de leur triomphe, lèchent les bottes du pendeur de nihilistes et fouetteur de femmes, que dans les bagnes français il se trouve aussi des hommes dont le crime a été de rêver une société de justice et d’égalité.

Les forçats anarchistes des bagnes de la Guyane nous adressent un manifeste dans lequel, en exaltant toujours et quand même les principes humanitaires qu’ils ont défendu par le fait et par la parole, devant la soi-disant justice bourgeois, ils nous font connaître les tortures ignobles, les moyens canailles et stupides qu’on emploie pour les conduire plus vite à la mort.

Même sous les fers ils sont encore ceux qui ont fait trembler les bourgeois capitalistes, et, c’est pour cela qu’on emploie, contre eux, tous les moyens pour les faire disparaître.

Leur protestation indignée sera connue leur parole sera entendu, en attendant l’heure, tant désirée, où nous pourrons, enfin, les venger.

         Cher Compagnons,

Nous profitons d’une occasion qui se présente pour vous faire parvenir quelques nouvelles de la situation qui nous est faite dans les bagnes où la bourgeois nous détient.

Quand les bourgeois, qui portent noms de magistrats, nous ont frappés, ils not pas osé nous frapper avec des lois spéciales édictant des châtiments créés pour nous ; ils sentaient qu’ils avait déjà quelque chose de malsonnant dans l’assemblage des mots forçats et anarchiste, et ils ont feint de nous appliquer leur fameuse égalité devant la loi.

Mensonge et hypocrisie, comme tout ce que fait un gouvernant. Ce n’était pas le bagne commun qu’on devait nous appliquer, mais un bagne où toute la lâcheté des tyrans et la haine des bourgeois devaient peser sur nous.—Vous avez su par nos lettres précédentes que le compagnon Duval, le premier qui a été envoyé à Guyane, avait eu à subir toutes sortes de tracasseries, aussi lâches les unes que les autres, que ces correspondances avaient été interceptées, et qu’enfin sans aucun motif, il avait été interné à l’ile Royale (ile du Salut). Cette ile que n’est qu’un rocher au milieu de l’Océan, a été choisie par l’administration pénitentiaire pour y détenir les forçats qualifiés incorrigibles, ainsi que ceux qui étant sur le continent, soit à Cayenne, soit au Maroni, se sont rendus coupables de tentatives d’évasion, de vols, ou crimes contre les personnes et one été condamnés de nouveau par le tribunal maritime spécial, chargé de juger les forçats. Sur cette ile, c’est un discipline plus féroce que partout ailleurs, et celui qui en est le commandant est une machine à distribuer le cachot et les fers.—Comme le compagnon Duval, les compagnons Pini et Girier, ainsi que le compagnon Simon arrivé par le dernier convoi, sont également internés sure ce rocher.

Notre conduite vis-à-vis du règlement n’a cependant jamais fourni de motifs pour que cet internement nous soit imposé, mais bien pour éviter la possibilité de tout évasion de notre part ; et nos geôliers ont jugé à propos de nous isoler au milieu de l’Océan et de nous faire subir une discipline de fer. Cette rigueur même ne leur a point paru suffisante ; depuis quelque temps, au lieu de coucher dans la case commune, sur un hamac, nous sommes contraints de coucher à la prison, dans des salle étroites et infectes où sont entassés les forçats que le tribunal spécial a condamnés à la réclusion. Là, pour hamac nous avons la planche, comme si ce n’était pas assez des portes bardées de fer, de barreaux et de l’Océan pour nous maintenir.

On nous enchaine par les pieds à une barre de fer, que dans le langage du bagne on appelle la « broche » — C’est une broche, en effet, à laquelle nous sommes serrés comme du gibier prêt à rôtir, tandis que nos bourreaux, à l’abri d’une moustiquaire, reposent sur des couchettes moelleuses que cette bonne Administration leur fournit avec l’argent des contribuables.

En présence de cette dernière mesure de cruauté, nous en avons demandé le pourquoi au commandant qui nous a répondu avec le langage du bourreau qui se croit à l’abri des vengeances de ses victimes. J’ai, nous a-t-il répondu, demandé cette mesure à l’Administration supérieure pour sauvegarder ma sécurité personnelle, et nous avons d’ailleurs le droit de prendre des mesures de sûreté vis-à-vis des hommes dangereux, et vous en êtes puisque vous êtes des anarchistes.

Dangereux !!! vous lisez compagnons, dangereux les anarchistes, mais pas dangereux ceux qui ont volé les femmes et les enfants ; pas dangereux ceux qui ont coupé des femmes en morceaux ; pas dangereux le cousin du politicien Reinach, le célèbre Altmayer ; de ces gens-là les administrateurs s’en entourent, ils s’en font de fidèles serviteurs qui ont pour mission de doubler la chiourme en mouchardant le paroles et les faits que peuvent accomplir les forçats anarchistes, qui ont su conserver un certain respect à ceux qui sont chargés de leur appliquer la torture.—Ils ont raison d’ailleurs, ce sont ceux qui savent lever la tête et se faire respecter, qui sont dangereux et pas ceux qui rampent comme la vipère ou qui vont comme les chiens lécher la main de ceux qui les frappent. Aussi, malgré le danger qu’il y a à rester homme, nous ne faiblirons pas dans l’adversité et nous montrerons à nos tyrans que la blouse du forçat n’est pas encore assez épaisse pour cacher le cœur d’un anarchiste.

Nous ne pouvons ici vous dépeindre toutes les vexations dont nous sommes l’objet, il faudrait pour cela entrer dans les détails de la vie du bagne et ça nous mènerait trop loin, et ce serait trop écœurant, mais ce qu’il importe de vous signaler, car nous tenons à ce que cela se sache, c’est la barbarie avec laquelle l’Administration nous prive de nos correspondances. Le compagnon Girier, à la Guyane, est depuis 18 mois sans aucune nouvelle de sa famille, une seule lettre lui a été remise à son arrivée, et depuis rien.

Pour vous signaler tous les crimes qui s’accomplissent au nom de la loi dans ce pays de mort, il faudrait des volumes.—Alors vous verriez défiler devant vos yeux des malheureux enchainés et roués de coups par la chiourme, et les lâches forçats chargés de les aider à mettre leurs férocités à exécution !

Vous verriez aussi, chose incroyable, vous verriez un malheureux attaché à un arbre au pied duquel se trouve une fourmilière, et la chiourme lui faire enduire les jambes et les cuisses de cassonade destinée à attirer les fourmis manioc, grosses comme le petit doigt et armées d’antennes aigues et puissantes.

Nous pourrions continuer sur ce sujet, mais à quoi bon ; quand vous saurez qu’il y a des sauvages soi-disant civilisés, capable de commettre les atrocités que nous vous citons, vous vous imaginerez facilement ce qui peut naitre dans ces cerveaux barbares.

Nous nous arrêtons-là, en vous autorisant à donner à notre lettre toute la publicité que vous pourrez, car il est temps que le peuple sache quels crimes se commentent en son nom ; il pèse sur lui une grave responsabilité puisque c’est lui qui donne le pouvoir à d’autres hommes qui en usent pour le triomphe de ignominie.

Toutes les hommes de cœur ont le devoir de songer que ceux que la magistrature condamne au nom du peuple n’ont eu, sils étaient coupables, qu’une lueur du crime dans la pensée, et n’ont été criminels qu’un instant ; et la société encore plus criminelle, se venge lâchement sur ces malheureux en accomplissant des crimes sur leur personne pendant toute la durée de leur existence.

Publiez cette lettre afin que tous les compagnons sachent aussi comment nous sommes traités, et que ceux qui croient encore à quelque chose de bon chez les bourgeois, arrache le dernier bandeau qui les aveugle.

Qu’ils soient tous convaincus aussi que nous avons conservé tout notre courage et notre amour pour l’anarchie et qu’ils ne croient pas que les hommes tombés dans la lutte soient des hommes perdus pour l’avenir. C’est faux, notre courage est plus grand que jamais, et nous avons en plus aujourd’hui la haine que nos bourreaux ont versée dans nos cœurs.

Compagnons, en avant, n’ayez point peur de venir nous rejoindre, luttez. Nous sommes malheureux ici, notre nourriture est infecte, nos logements insalubres, le climat meurtrier, les hommes sont la peste pour nous, mais tout cela ne peut pas faire souffrir un anarchiste, car au milieu de ces misères, nous avons intérieurement une joie profonde d’avoir lutté pour la vérité.

Et nous avons le bonheur d’apprendre que d’autres luttent encore, et le ferme espoir de lutter plus tard.

Courage donc, compagnons, frappez fort sur le monstre autorisé, brisez la machine exploitation, écrasez le chancre religion, et déployez sans crainte l’étendard de l’Anarchie.

Le cœur des forçats anarchistes accompagne us combat.

Vive l’Anarchie !

Les Forcats anarchistes de la Guyane

THE VOICE OF THE PENAL COLONY

While the populations panic and cheer the hangman tsar, while the bourgeois and the governmentals congratulate themselves on the success of their stratagems and observe that human stupidity is always so great, a protest must come, proud and energetic, to remind the bourgeois that there are still free men, even, and especially, in their prisons and their penal colonies.

We must remind our leaders, who, in the joy of their triumph, lick the boots of the hangman of nihilists and whipper of women, that in the French penal colonies are also found those whose only crime has been to dream of a society of justice and equality.

The anarchist convicts in the penal colonies of Guyana address to us a manifesto in which, still and always glorifying the humanitarian principles that they have defended by deed and by word, before the so-called bourgeois justice, they make known to us the foul tortures, the vulgar and stupid means employed to conduct them more rapidly to death.

Even in irons they are still those who have made the bourgeois capitalists tremble, and that is why every means is used against them, in order to make them disappear.

Their outraged protest will be known, their words will be heard, while we await the hour, so much desired, when we can finally avenge them.

         Dear Comrades,

We take advantage of an occasion that presents itself to bring you some news of the situation we face in the penal colonies where the bourgeois detain us.

When the bourgeois, who bear the name of magistrates, have struck at us, they have not dared to strike us with special laws enacting punishments created for us; they sense that they have already done something offensive in the joining together of the words convicts and anarchist, and they feign to apply to us their famous equality before the law.

Lies and hypocrisy, like everything done by a ruler. It is not the common penal servitude that they apply to us, but a penal servitude where all the cowardice of the tyrants and the hatred of the bourgeois weigh upon us.—You know by our previous letters that comrade Duval, the first who has been sent to Guyana, had to submit to all sorts of nuisances, each one as cowardly as the others, that his correspondence had been intercepted, and that finally, without any reason, he had been confined to the Île Royale (one of the Îles du Salut). That island, which is nothing but a rock in the middle of the ocean, has been chosen by the prison administration for the detainment of the convicts considered incorrigible, as well as those on the continent, either at Cayenne or at Maroni, who have been guilty of escape attempts, thefts crimes against persons and have been condemned again by the special maritime tribunal charged with judging the convicts. On that island there is a discipline more savage than anywhere, and the commandant there is a machine for handing out solitary confinement and irons.—Like comrade Duval, the comrades Pini and Girier, as well as the comrade Simon [Biscuit, accomplice of Ravachol], arrived in the last convoy, are all confined on that rock.

Our conduct with regard to the regulations, however, has never provided reasons for the internment imposed on us, but is instead to avoid the possibility of any escape on our part; and our jailers have judged it proper to isolate us in the midst of the ocean and to subject us to an iron discipline. Even that rigor does not seem to have satisfied them; for some time, instead of sleeping in the common hut, on a hammock, we are forced to sleep in the prison, in the narrow, filthy room where they cram the convicts condemned by the special tribunal to seclusion. There, we have a plank for a hammock, as if the ironclad doors, the bars and the ocean were not enough to hold us.

They chain us by the feet to an iron bar, which in the language of the penal colony is called the “spit.” — It is a spit, in fact, to which we are secured like game ready for roasting, while our persecutors, in the shelter of a mosquito net, rest on soft bunks that this good Administration furnishes them with the taxpayers’ money.

In the face of this last measure of cruelty, we have demanded the reasons of the commandant, who has responded to us in the language of the torturer who believes himself sheltered from the vengeance of his victims. I have, he responded to us, demanded this measure of the higher Administration in order to safeguard my personal security. We have the right to take such measures with regard to dangerous men, and you are dangerous since you are anarchists.

Dangerous!!! Read it, comrades! The anarchists are dangerous, but not those who have snatched women and children; not those who have chopped women in bits; not the cousin of the politician Reinach, the famous Altmayer. The administrators surround themselves with those men, and they have made them faithful servants whose mission is to double the guard by spying on the words and deeds that can be accomplished by the anarchist convicts, who have been able to preserve a certain respect with those charged with torturing them.—They are right to do so, by the way, as it is those who know how to hold up their heads and make themselves respected who are dangerous, not those who crawl like vipers or who come like dogs to lick the hands of those who strike them. So, despite the danger that there is in remaining men, we will not weaken in the face of adversity and we will show our tyrants that the smock of a convict is still not thick enough to hide the heart of an anarchist.

We cannot depict for you here all the vexations of which we are the object. That would require entering into the detail of life in the penal colony and that would lead us too far afield, but what it is important to make known to you, because we want it to be known, is the barbarity with which the Administration has deprived us of our correspondence. Comrade Girier, in Guyana, has had no news of his family in 18 months. A single letter was given him on his arrival, and nothing since.

To inform you of all the crimes committed in the name of the law in this country of death would take volumes.—So you will see défiler before your eyes some wretches chained and pummeled with blows by the guard, and the cowardly convicts charged with aiding them in accomplishing their ferocities!

You will also see—an unbelievable thing!—you will see tied to a tree, at the foot of which is found an anthill, arms and legs plastered with brown sugar destined to attract the manioc ants, big as your little fingers and armed with sharp, powerful antennae.

We could continue on this subject, but what would be the use? When you know that there are so-called “civilized” savages, capable of committing the atrocities that we have cited, you will easily imagine what can arise from these barbaric brains

We will stop there, authorizing you to give our letter all that publicity that you can, for it is time that the people know what crimes are committed in their name; it places a grave responsibility on them, since they are the ones who give the power to other men who use it for the triumph of disgrace.

All men with a heart have the duty to think that those condemned by the magistrates in the name of the people have, if they were guilty, only had a glimmer of crime in their thoughts, and have only been criminals for a moment; and the still more criminal society avenges itself in a cowardly manner on these wretches by committing crimes against their persons for the full duration of their existence.

Publish this letter so that all the comrades also know how we are treated, and so that those who still believe there is something good in the bourgeois tear off the last blindfold that blinds them.

Let them all also be convinced that we have preserved all our courage and our love for anarchy, and let them no believe that the men fallen in the struggle are men doomed for the future. That is false. Our courage is greater than ever, and today we also have the hatred that our persecutors have poured into our hearts.

Forward, comrades, have no fear of coming to join us, but fight. We are wretched here, our food is disgusting, our lodgings unhealthy, the climate murderous, the men are like a plague for us, but all of that cannot make an anarchist suffer, for in the midst of these miseries, we have within us a deep joy from having struggled for the truth.

And we have the good fortune to know that others still fight, and the firm hope of fighting once again.

Courage then, comrades, strike hard against the monster of authority, break the machine of exploitation, squeeze the canker of religion, and fly without fear the flag of Anarchy.

The hearts of the anarchist convicts accompany you in the battle.

Long live Anarchy!

The Anarchist Convicts of Guyana

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Independent scholar, translator and archivist.