OUR SURVEYS
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L’idéal anarchiste est-il réalisable ?
Dans son premier numéro, la « Revue Anarchiste » avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur le sujet suivant : L’idéal anarchiste est-il réalisable ? L’homme peut-il vivre sans autorité, à présent on dans l’avenir ? La suppression de toute contrainte ne sera-t-elle jamais que l’apanage d’infimes minorités ?
Il fut fait appel à des individualités ayant des conceptions philosophiques ou des opinions politiques assez différentes. Aujourd’hui, nous reproduisons les réponses, dans l’ordre où elles nous sont parvenues, en nous gardant — comme convenu — de tout commentaire, nous permettant seulement d’en remercier les auteurs.
La Rédaction.
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Is the Anarchist Ideal Achievable?
In the first issue, the “Revue Anarchiste” had announced the opening of a survey on the following subject: Is the Anarchist Ideal Achievable? Can man live without authority, at present and in the future? Will the elimination of all coercion ever be anything but the prerogative of miniscule minorities?
We called upon individuals having quite different philosophical ideas and political opinions. Today, we reproduce the responses, in the order that they reached us, refraining — as we had agreed — from all commentary, allowing ourselves only to express our thanks to the authors.
The Editors.
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Henri Barbusse.
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Chers camarades,
C’est très volontiers que je défère à l’amicale invitation de la Revue Anarchiste, en répondant à. l’enquête qu’elle a suscitée.
L’idéal anarchiste est-il réalisable ? En principe, sans aucun doute, il est réalisable. On peut, en effet, parfaitement concevoir sans sortir des vraisemblances pratiques qu’à un moment donné, chaque homme devenu suffisamment conscient de son rôle social, y conforme son activité individuelle, de lui-même, de sa propre volonté poussée par sa propre raison. Mais d’autre part, je pense que nous ne sommes pas arrivés encore à cette généralisation de la conscience sociale, généralisation qui demande une longue tâche de préparation dans l’ordre de la compréhension et dans l’ordre de l’action.
Les éléments qu’il faut posséder pour s’adapter spontanément, dans sa sphère personnelle, aux besoins et aux désirs de la collectivité, sont encore l’apanage de personnalités intellectuellement et surtout moralement très supérieures à la moyenne et dont l’exemple ne peut être suivi qu’avec une certaine lenteur par tout l’ensemble humain. C’est pourquoi, en rendant hommage à la beauté de l’idéal anarchiste et en reconnaissant volontiers qu’il constitue un stade particulièrement élevé de la réalisation sociale, je pense que cette théorie n’est pas actuellement viable. Il en résulte que ceux qui prennent l’initiative de la diffuser ne doivent jamais la considérer autrement que comme une formule à laquelle on ne peut que préparer, dans les circonstances présentes, les masses humaines, sans essayer de la réaliser d’une façon positive et concrète dans la société contemporaine. Il est à noter, en effet, que cette formule d’une simplicité suprême, couronnement de la vie commune des foules sur la terre, ne peut exister que si elle est unanimement acceptée. L’absence absolue de contrainte interdit la possibilité de scissions et d’exceptions dans l’organisme social.
Voilà, chers camarades, ce que je pense en bloc de la théorie anarchiste. Je vous adresse ce résumé avec mes fraternelles amitiés.
Henri Barbusse
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Dear comrades,
I very willingly defer to the friendly invitation of the Revue Anarchiste, responding to the survey that it has initiated.
Is the anarchist ideal achievable? Doubtless, in principle, it is achievable. We can, in fact, absolutely conceive, without departing from practical likelihoods, that at a given moment, of each man becoming sufficiently conscious of his social, adapting his individual activity to it, by himself, of his own will, pushed by his own reason. Bu, on the other hand, I think that we have still not yet reach that generalization of social consciousness, a generalization that demands a long work of preparation in the order of understanding as well as that of action.
The elements that must be possessed in order to adapt spontaneously, in the individual sphere, to the needs and desires of the collectivity, are still the prerogative of personalities intellectually and above all morally very superior to the average—personalities whose example can only be followed with a certain tardiness by the whole human ensemble. That is why, while rendering tribute to the beauty of the anarchist ideal and willingly recognizing that it constitutes a particularly elevated stage of social accomplishment, I think that this theory is not presently viable. It follows that those who take the initiative in disseminating it should never consider it except as a formula for which one can, in the present circumstances, only prepare the human masses, without attempting to realize it in a positive and concrete manner in contemporary society. It must be noted, indeed, that this formula of a supreme simplicity, crowning achievement of the common life of the crowds of the earth, can only exist if it is unanimously accepted. The absolute absence of constraint prohibits the possibility of scissions and exceptions in the social organism.
These, dear comrades, are my frank thoughts on the anarchist theory. I offer this summary to you with fraternal best wishes.
Henri Barbusse
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Han Ryner.
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Un idéal est un absolu et seul le relatif peut vivre. Mais on ne vit que dans la mesure où l’on se rapproche d’un absolu.
Il y a peu de vivants. Connaissez-vous des anarchistes pratiques qui n’imposent jamais d’exigences et qui méprisent en riant toutes celles qu’ils doivent subir ? Je le crois aussi rares que les vrais chrétiens ou les vrais stoïciens.
L’anarchie sans anarchistes a fait éclater jadis quelques bombes, comme le christianisme sans chrétiens a allumé d’innombrables bûchers, comme le stoïcisme professé paradoxalement par un empereur s’est compromis à des persécutions et à des guerres.
D’ailleurs, que nous importe un lointain avenir ? C’est aujourd’hui qui t’intéresse, camarade d’aujourd’hui. Et aujourd’hui, tu le vois trop, ne peut être beau qu’en toi. Sois donc chrétien jusqu’à mépriser le prêtre, stoïcien jusqu’à mépriser les crimes de Marc-Aurèle et les âneries de Loisel, anarchiste jusqu’à t’écarter en souriant de tous les groupes.
Han Ryner
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An ideal is an absolute and only the relative can live. But one lives only to the degree that one approaches as absolute.
There are few among the living. Do you know practical anarchists who never impose demands and who scorn, laughing, all those to which they must submit? I believe them as rare as the true Christians or true Stoics.
Anarchy without anarchists has burst some bombs, as Christianity without Christians has lit countless pyres, as stoicism, professed paradoxically by an emperor, has been compromised by persecutions and wars.
Indeed, what does a far future matter to you? It is today that interests you, comrade of today. And today, you see only too well, can only be beautiful in you. So be Christian enough to scorn the priest, Stoic enough to despise the crimes of Marcus Aurelius and the inanities of Loisel, anarchist enough to wander, smiling, away from all the groups.
Han Ryner
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Georges Pioch.
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On peut dire de l’idée, ou plutôt, des idées anarchistes, ce que Buffon a écrit du génie : qu’il est une longue patience.
Faire descendre ces idées de la conscience où elles planent pour leur donner, dans notre société, la vie du sentiment, cela, non seulement est possible, mais, pour l’honneur de l’esprit humain, cela se voit tous les jours.
Leur donner dans cette même société la vie de l’action, cela ne peut être encore que sporadique, si je puis aussi vilainement m’exprimer…, ce qui revient à dire qu’il est possible, et mieux : souhaitable, que des groupes se forment où ces idées seront, non seulement cultivées, mais rassérénées par ceux-là mêmes qui les ont élues.
Je voudrais que ces groupes eussent le souci d’accorder ce que leur effort a de juste et de noblement viril avec ce que Beethoven appelait « l’unique signe de supériorité » : la bonté.
Voilà, certainement, une des tâches les plus difficiles, mais, aussi, les plus belles, qui puissent se proposer à l’activité et à la passion d’un groupe de jeunes hommes, ou d’un jeune homme seul.
Il faut que ceux-là se fassent dès l’abord une raison ; et cette raison, je la vois précisée dans cette formule bien connue, qui est de Guillaume d’Orange et de Nassau dit le Taciturne :
« Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Faut-il donc désespérer ? Non, je vous l’ai dit en commençant : les idées anarchistes sont une longue patience.
Les sociétés évoluent et, par cela même, elles progressent… Malgré elles, presque toujours… mais c’est un fait : qu’elles évoluent et progressent…
Il arrive ainsi qu’elles s’assimilent, oh ! sans y prendre garde, un peu ou beaucoup, selon les individus ou les groupements d’hommes, des idées anarchistes qu’elles ont tenues pour folles et dont elles ont, incompréhensives et absurdes, persécuté les propagateurs.
Je ne vais pas jurer hélas ! que les idées anarchistes se réaliseront toutes, et pleinement dans une société d’hommes.
Mais je dis, et ce m’est ici une conviction profonde, que ceux qui travaillent, peinent et souffrent, pour ces idées, ne perdent pas leur temps, et que leur œuvre est bonne, belle, grande, nécessaire.
Mon bon maître et ami Anatole France professait que l’effort des hommes raisonnables, ou qui, du moins, se targuent d’être tels, n’aboutit, socialement, qu’à donner la vie du réel aux utopies de quelques sages méconnus.
Que mes camarades de la Revue Anarchiste, qui sont plus vieux, ou plus jeunes que moi, — sait-on jamais ? — reçoivent, en manière de salutation, le vœu que forme pour eux une telle espérance.
Qu’ils aident à faire réussir dans le temps les nobles utopies dont ils sont les gardiens.
Georges Pioch
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We can say of the anarchist idea—or, rather, anarchist ideas—what Buffon has said of genius: that it is a long patience.
To cause these ideas to descend from the consciousness where they soar, in order to give them, in our society, life in sentiment, that is not only possible, but, to the credit of the human spirit, it is seen every day.
To given them, in that same society, the life of action, is still only possible sporadically, if I may express myself so badly…, which amounts to saying that it is possible—and more, desirable—that groups form where these ideas will not only be cultivated, but reassured by those who have chosen them.
I would want these groups to take great care to harmonize what is just and nobly virile in their effort with what Beethoven called “the unique sign of superiority”: goodness.
That is, certainly, one of the most difficult tasks, but also one of the most attractive, that can suggest itself to the activity and passion or a group of young men or of one young man alone.
It is necessary that, from the first, they have a reason; and I see that reason clarified in this well-known phrase, spoken by William of Orange and Nassau, known as the Taciturn:
“It is not necessary to hope in order to undertake, nor to succeed in order to persevere.”
So must we despair? No. I said it at the beginning: anarchist ideas are a long patience.
Societies evolve and, as a result, they progress… Despite themselves, almost always… but it is a fact that they evolve and progress…
So it happens that they assimilate—oh! carelessly, a little or a great deal, depending on the individuals or groups of men—anarchist ideas that they have taken for follies, whose propagators they have persecuted, irrationally and without comprehension.
I will not swear—alas!—that all the anarchist ideas will be realized, and realized fully, in a society of men.
But I say, and this here is my deep conviction, that those who work, struggle and suffer for these ideas will not waste their time, and that their work is good, beautiful, grand and necessary.
My good friend and teacher Anatole France taught that the effort of reasonable men—or of those who at least pride themselves on being such—only succeed, socially, in giving a real life to the utopias a few unsung sages.
Let my comrades of the Revue Anarchiste, who are older or younger than me, — do we ever know? — receive, by way of greeting, the wish that forms for them such a hope.
That they help to bring about the success, in time, of the noble utopias of which they are the guardians.
Georges Pioch
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E. Armand.
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Je suis embarrassé pour répondre comme il le faudrait à l’enquête de « La Revue Anarchiste ». Y a-t-il un idéal anarchiste ? L’anarchisme est-il un idéal ? S’il y a un idéal anarchiste, lequel est-ce, puisqu’il y a plusieurs tendances ou courants dans l’anarchisme ?
Il est vrai que la suite de la question posée par « La Revue Anarchiste » semble délimiter ou définir l’idéal anarchiste : « sans autorité » — « suppression de tonte contrainte ».
Il faut lire sans doute : « de toute autorité politique » — de « toute contrainte d’ordre étatiste, gouvernemental et tout ce qui s’y rapporte », car nous savons que l’homme « n’est pas libre », biologiquement parlant : il est soumis aux indications de son déterminisme.
Être anarchiste, c’est nier, rejeter l’arché, la domination politique, légale ; l’appareil du pouvoir. C’est plus encore, c’est nier, rejeter l’utilité de l’État pour ordonner les rapports entre les hommes. Mieux : c’est se passer, pour s’entendre avec autrui, de l’intervention et de la protection des institutions archistes.
Comment puis-je savoir si dans l’avenir « l’homme » pourra se passer de l’autorité politique, de toute autorité imposée ? Comment puis-je savoir si la « suppression de toute contrainte » ne sera jamais que l’apanage d’infimes minorités ? À en juger par l’apparence, je ne vois aucun homme se passer d’autorité — je n’aperçois aucune minorité soustraite à « toute » contrainte.
Au fait, je m’en insoucie.
Je me sens anarchiste et cela me suffit. Je me sens gêné, entravé, emmailloté, limité, restreint par les multiples liens forgés par les institutions de l’État. Je m’insurge contre ces contraintes, je m’en évade aussitôt que je puis en trouver l’occasion. Chaque fois que je veux traiter avec un être humain ordinaire (?) — je le découvre imbu de conventions, de préjugés, de croyances, de parti-pris, de points de vue à lui inculqués par les agents de l’archisme. J’essaie de libérer ceux que je rencontre de ces suggestions étrangères.
Je ne vis pas « sans autorité », hélas ! À chaque coin de rue, à chaque carrefour, je dois subir sa représentation visible. Et si ce n’était que cela ! Cependant, dans mes relations quotidiennes avec les antiétatistes de mon bord, je fais de mon mieux pour m’entendre avec autrui en ne tenant pas compte du jeu des institutions gouvernementales. Cela me réussit plus ou moins, mais je persévère. Et je ne me préoccupe guère si les rapports que j’entretiens avec « les miens » cadrent ou non avec l’éducation, la moralité économique ou sexuelle, l’enseignement de l’État ou de l’Église (aspect spirituel, doublure de l’État).
Si nous en venions à l’individualisme anarchiste ?
L’individualisme anarchiste est non pas un idéal, mais une activité, un état de lutte ouverte ou occulte, mais continuel, contre toute conception de vie qui subordonne l’individu à l’autorité gouvernementale, qui le considère en fonction de l’État, qui le relative à une contrainte sociale et à des sanctions légales dont il n’a jamais pu et ne peut peser ou examiner le bien ou mal fondé par rapport à son développement personnel.
J’ignore si ceux qui le constituent forment « une élite », mais je maintiens qu’il existe tout à travers le monde un milieu individualiste anarchiste, un milieu de « camarades », lequel, par tous les moyens en son pouvoir, s’emploie à ne tenir aucun compte des conditions sociales, morales, intellectuelles sur lesquelles repose la société archiste. Se servant de la ruse, si l’évasion à ciel ouvert n’est pas possible.
On ne vit pas d’hypothèses, ni de conjectures. Si idéal anarchiste il y a, je me propose de réaliser de lui tout ce que je pourrai immédiatement, sans attendre, sans me demander si je fais partie ou non d’une élite, en m’associant avec des « camarades » athées, matérialistes, présentéistes, jouisseurs comme moi, pressés de mettre les bouchées doubles, comme je le suis. Tout le reste est distraction ou métaphysique.
Remercions « La Revue Anarchiste » de nous avoir fourni l’occasion de nous distraire, en camarades.
E. Armand
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I am embarrassed, attempting to respond as I should to the survey of La Revue Anarchiste. Is there an anarchist ideal? Is anarchism an ideal? If there is an anarchist ideal, which is it, since there are several tendencies or currents in anarchism?
It is true that the continuation of the question posed by La Revue Anarchiste seems to delimit or define the anarchist ideal: “without authority” — “elimination of all constraint.”
It is doubtless necessary to read: “of all political authority” — of “all constraint of the statist, governmental order and everything related to it,” for we know that man “is not free,” biologically speaking: he is subject to the direction of his determinism.
To be anarchist is to deny, to reject the arché, political and legal domination, the machinery of power. And it is more; it is to deny, to reject the utility of the State for ordering the relations between men. Better yet, it is to get along with one another without the intervention and protection of archist institutions.
How can I know if, in the future, “man” could do without political authority, without any imposed authority? How can I know if the “elimination of all constraint” will ever be anything but the prerogative of tiny minorities? Judging by appearances, I do not see any man doing without authority — I do not catch sight of any minority shielded from “all” constraint.
In the end, I am unconcerned.
I feel that I am anarchist and that is enough for me. I feel hemmed in, fettered, enveloped, limited and restrained by the multiple bonds forged by the institutions of the State. I rise up against these constraints; I slip free as soon as I can find the occasion. Each time I wish to deal with an ordinary (?) human being, I find them imbued with conventions, prejudices, beliefs, biases and points of view inculcated by the agents of archism. I try to liberate those that I meet from these foreign suggestions.
Alas! I do not live “without authority.” On each corner of the road, at each crossroads, I must submit to its visible representation. And if it was only that! However, in my daily relations with the anti-statists on my side, I do my best to get along with others by taking no account of the play of governmental institutions. I succeed to a greater or less extent, but I persevere. And I am hardly concerned whether the relations that I maintain with “my own” tally or not with the education, the economic or sexual morality, the education of the State or the Church (spiritual aspect, stand-in for the State).
If we turn to anarchist individualism?
Anarchist individualism is not an ideal, but an activity, a state of struggle—open or masked, but continual—against every conception of life that subordinates the individual to governmental authority, which considers the individual as a function of the State, which subjects it to social constraint and legal sanctions whose grounds, good or bad, individuals have been able and are still unable to weigh or examine it relation to their individual development.
I do not know if those who constitute it make up an “elite,” but I maintain that there exists all across the world an anarchist individualist milieu, milieu de camarades, which, by all the means in its power, strives to ignore the social, moral and intellectual conditions on which the archist society rests. Using stratagems, if open escape is not possible.
We do not live by hypotheses, nor by conjectures. If there is an anarchist ideal, I intend to achieve all of it that I can immediately, without waiting, without asking myself whether or not I make up part of an elite, by associating myself with the atheist, materialist, presentist, pleasure-seeking comrades like myself, eager to redouble their efforts, as I am. All the rest is distraction or metaphysics.
Let is thank La Revue Anarchiste for having furnished us with the occasion to distract ourselves, as comrades.
E. Armand
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Sébastien Faure.
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Oui ; l’Idéal anarchiste est réalisable.
Depuis plus de quarante ans, je suis anarchiste. Je ne le suis pas devenu à la faveur d’une soudaine révélation, mais lentement et après avoir parcouru, étape après étape, toute la distance qui sépare l’esclavage total auquel la religion catholique astreint ses fanatiques de l’indépendance sans limite que l’Idéal anarchiste, seul, accorde à ses adeptes.
J’ai soumis loyalement mes convictions libertaires à l’épreuve des événements qui, depuis cette époque, déjà lointaine, ont impressionné la vie sociale ; et, bien loin d’affaiblir ces convictions, mes constatations n’ont cessé de les fortifier.
On peut hardiment en conclure que l’Idéal anarchiste est, à mon sens, réalisable ; car, si, par nature, je cède volontiers à l’attraction de l’Idéal et si mon coeur se sent d’autant plus attiré vers celui-ci, qu’il me paraît — c’est le cas de l’Idéal anarchiste — plus équitable, plus fraternel, plus noble et porteur de promesses plus fécondes, ma raison m’eût empêché et, l’âge aidant, elle ne manquerait pas de m’interdire de travailler — encore plus que jamais — au triomphe d’un Idéal dont la réalisation m’apparaîtrait impossible.
Je ne suis ni une imagination déréglée, ni un esprit chimérique et l’effort que j’estime inutile ne m’intéresse pas.
Ma conviction est donc que l’Idéal anarchiste est réalisable. J’ai l’inébranlable certitude que l’évolution des sociétés humaines y conduira fatalement les générations futures et que, ainsi, cet Idéal deviendra une réalité.
Mais ne me demandez pas à quelle date cette réalisation de l’Idéal anarchiste sonnera au cadran de l’histoire. Je ne le sais pas plus que je ne puis savoir à quel âge mourra tel homme jeune, vigoureux et sain.
Ce que je sais, c’est que je puis, sans crainte de me tromper, affirmer qu’il mourra. De même, je puis affirmer, sans plus d’hésitation, que les régimes d’Autorité mourront et que l’avènement d’un milieu social basé sur la liberté, c’est-à-dire « anarchiste » succédera à leur disparition.
Pour moi, cet avènement n’est pas une simple espérance, une probabilité, mais une certitude.
§ § § § §
J’estime que, dès aujourd’hui, l’homme peut vivre sans autorité. Il est évident que, en raison des siècles de servitude qui pèsent lourdement sur l’homme du 20e siècle, l’instauration immédiate d’un milieu social sans contrainte ne laisserait pas que de soulever de nombreuses difficultés, et que le jeu des passions subitement débridées chez des individus insuffisamment préparés ou totalement inéduqués entraînerait des actes regrettables.
Mais ces difficultés : bien plus aisément surmontables que ne se plaisent à le dire — on devine pourquoi — les tenants de l’Autorité, ne résisteraient pas longtemps à l’effort loyal, sérieux et persistant des hommes de bonne volonté devenus les maîtres de leurs propres destinées.
Quant aux violences, excès, débordements et crime, dont l’absence de toute Autorité donnerait le signal, je considère :
D’une part, que la responsabilité de ces actes répréhensibles sera imputable à l’esprit d’Autorité dont ils exprimeront la survivance et que, la cause étant supprimée, l’effet ne tardera pas à disparaître ;
D’autre part, que ces violences, excès, débordements et crimes seront loin, bien loin d’atteindre le niveau des sauvageries, iniquités et forfaits dont l’Autorité est comptable et dont le procès n’est plus à faire : crédulité, misère, ignorance, fourberie, brutalité, prostitution, jalousie, haine, vengeance, guerre, rapine et brigandage de toute nature.
Sébastien Faure
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Yes. The Anarchist Ideal is achievable.
For more than forty years, I have been an anarchist. I did not become one as the result of a sudden revelation, but slowly and after having crossed, step by step, the whole distance that separates the total slavery to which the catholic religion constrains its fanatics from the independence without limits that the Anarchist Ideal, only, grants its disciples.
I have honestly subjected my libertarian convictions to the proof of the events, since that time, already far off, have made an impression on social life; and, very far from weakening these convictions, my observations have not ceased to strengthen them.
We can boldly conclude that the Anarchist Ideal is, in my opinion, achievable; for if, by nature, I willingly yield to the attraction of the Ideal and if my heart feels itself that much more attract to it, as it appears more equitable, more fraternal, more noble and bearing more fecund promises, — and this is the case with the Anarchist Ideal, — my reason would prevent me and, age aiding, it would not fail to forbid me from working — now more than ever — for the triumph of an Ideal that appears to impossible.
Mine is neither a disturbed imagination, nor a fanciful mind and an effort that I consider useless does not interest me.
So my conviction is that the Anarchist Ideal is achievable. I have an unshakeable certainty that the evolution of human societies will inevitably lead future generations there and that, thus, this Ideal will become a reality.
But do not ask me at what hour that realization of the Anarchist Ideal will strike on the dial of history. I do not know that, any more than I could know at what age a young, vigorous and healthy man might die.
What I do know is that I can, without fear of being mistaken, affirm that it will die. And I can affirm, with no more hesitation, that the regimes of Authority will pass away and that the coming of a social milieu based on liberty, an “anarchist” milieu, will succeed their disappearance.
For me, this coming is not a simple hope, a probability, but a certainty.
§ § § § §
I reckon that, from this day forward, man can live without authority. It is obvious that, as a result of the centuries of servitude that weigh heavily on the man of the 20th century, the immediate establishment of a social milieu without constraint would necessarily give rise to numerous difficulties, and that the play of passions suddenly unbridled among individuals insufficiently prepared or totally uneducated will lead to unfortunate acts.
But these difficulties, much more easily overcome than the upholders of Authority like to say, — you will guess why — would not long resist the honest, serious and persistent effort of men of good will, having become the masters of their own destinies.
As for the acts of violence, excesses, misbehaviors and crime, for which the absence of all Authority will give the signal, I consider:
On the one hand, that the responsibility for these reprehensible acts will be imputable to the spirit of Authority, of which they are relics, and that, the cause being eliminated, the effect will not be slow to disappear;
On the other hand, that these acts of violence, excesses, misbehaviors and crimes will be far, very far from reaching the level of the savageries, iniquities and crimes for which Authority is accountable and for which the trial is concluded: credulity, poverty, ignorance, deceit, brutality, prostitution, jealousy, hatred, vengeance, war, rapine and brigandage of every sort.
Sébastien Faure
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Romain Rolland.
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Vous me demandez : « L’idéal anarchiste est-il réalisable ?… »
Je répondrai d’abord : « Le propre d’un idéal est de n’être pas réalisé. Son objet est de susciter nos énergies vers un but, qui recule toujours devant l’effort humain. Si elle avait atteint son but, la vie n’aurait plus aucun prix. Elle ne serait même plus. La vie est dans l’élan, dans la lutte et l’effort. Le but atteint est la mort. »
Mais revenons à « l’anarchie » ! Il faudrait s’entendre sur une solide définition de l’idéal que ce mot représente. Je le prends dans le sens d’un libre et plein développement de l’individualité. « Ce développement est-il possible ? », demandez-vous, « l’homme peut-il vivre sans autorité ? » Je précise : « sans autorité du dehors ». Car il est bien évident qu’à toute diminution de l’autorité du dehors doit correspondre une augmentation proportionnelle et progressive de l’autorité du dedans, de la maîtrise intérieure. L’homme n’existe, en fait, que dans un milieu social. Entre le milieu et lui, il y a un inter échange constant d’actions et de réactions. Pour qu’elles s’harmonisent, il faut un ordre, venu ou du dedans, ou du dehors. L’ordre du dedans est le plus beau, mais il est infiniment plus difficile à conquérir. Il suppose des personnalités extrêmement évoluées. Et il ne suffit même pas qu’un petit nombre d’hommes parviennent à cet état supérieur, puisqu’ils sont, bon gré, mal gré, enclavés dans le bloc humain. Il faudrait que ce bloc aussi fût arrivé à an haut degré d’évolution. Sinon, les personnalités libres seront écrasées.
Je crois donc illusoire d’espérer que des individus pourront réaliser l’idéal anarchiste pour eux-mêmes, sans avoir formé le milieu social capable de les laisser vivre et s’accomplir dans leur plénitude. À moins de se borner une platonique indépendance de pensée muette, qui se satisfait de son inoffensive liberté, bouche close et bras enchaînés, l’homme qui veut la liberté pour soi doit non seulement la conquérir pour les autres, mais travailler au progrès social qui apprenne aux autres à la tolérer : car c’est ce qu’ils savent le moins.
Permettez-moi maintenant de vous exposer en quelques mots mon point de vue propre :
Je ne suis pas anarchiste. Je ne suis pas socialiste, ni de quelque groupe social que ce soit. Je suis le petit-fils de mon grand-père Colas des Gaules, dont l’expérience s’exprimait sous le voile d’ironique bonhomie de ce vieux proverbe français : « Faut de tout pour faire un monde ! » — Bien entendu, à condition que de ce tout on réussisse à faire une harmonie. La vie, le monde, la société, l’esprit, m’apparaissent comme un état perpétuellement instable, une polyphonie en mouvement, dont la fixation ou l’arrêt serait la mort. Il s’en suit que l’équilibre vivant exige le contrebalancement des forces opposées. L’évolution actuelle des peuples vers le socialisme réclame et suscite la vigoureuse réaction vitale de l’individualisme anarchiste. La victoire de l’une ou de l’autre des forces qui s’entrechoquent disloquerait tout l’édifice. Il faut leur coexistence et leur lutte. Il en est ainsi de tous les autres principes qui se livrent combat dans notre esprit et dans la société, — laquelle est toujours le reflet de celui-ci : — ils coopèrent, sans que nous le sachions, au maintien de la voûte. Chacune des poussées nécessite une égale contre-poussée. C’est pourquoi mon idéal personnel de paix et d’harmonie pourrait paradoxalement s’exprimer par l’image de deux béliers qui s’affrontent au-dessus de l’abîme. — Mais qu’est-ce autre chose, une cathédrale ?..
« Cathédrale qui repose — sur le juste équilibre des forces ennemies ; — Rosace éblouissante, — où le sang du soleil — jaillit en gerbes diaprées, — que l’œil harmonieux de l’artiste a liées… » [1]
Donc, je vous dis : « Tendez vos forces, amis, ennemis ! Et qu’aucun de vous ne faiblisse ! De vos énergies accouplées dans le corps à corps naît la suprême harmonie. »
Romain Rolland
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You ask me: “Is the Anarchist Ideal achievable?…”
I would respond first of all: “The characteristic of an ideal is that it is not achieved. Its purpose is to arouse our energies towards an aim, which always withdraws before human efforts. If it had achieved its goal, life would no longer have any prize. It would no longer even be. Life is in the impetus, in the struggle and effort. The goal achieved is death.”
But let us return to “anarchy”! we must agree on a solid definition of the ideal that this word represents. I take it in the sense of a free and full development of individuality. “Is this development possible;” you ask, “can man live without authority?” I specify: “without outside authority.” For it is quite obvious that to every decrease of authority from without must correspond a proportional and progressive increase of authority from within, of internal mastery. Man only exists, in fact, in a social milieu. Between the milieu and man, there is a constant interchange of actions and reactions. In order for them to harmonize, an order is required, either from within or from without. Order from within the finest, but it is infinitely more difficult to win. It supposes extremely evolved traits. And it is not even enough that a small number of men attain that superior state, since they are, for better or worse, enclosed in the human bloc. It is necessary that this bloc also arrive at a high degree of evolution. If not, the free personalities will be crushed.
So I believe that it is illusory to believe that a few individuals could achieve the anarchist ideal for themselves, without having formed the social milieu capable of letting them live and be fulfilled in their fullness. Unless he confines himself to a platonic independence of mute thought, content with his inoffensive liberty, mouth closed and arms shackled, the man who want liberty for himself must not only win it for others, but labor at the social progress that teaches the others to tolerate it: car for it is what they know the least.
Permit me now to explain to you in a few words my own point of view:
I am not anarchist. I am not socialist, nor of any particular social group. I am the grandson of my grandfather Colas des Gaules, whose experience was expressed, under the veil of ironic bonhomie, with the old French proverb: “It takes all kinds to make a world!” — On the condition, naturally, that from this all one succeeds in making a harmony. Life, the world, society, the mind, appears to me as a perpetually unstable state, a polyphony in movement, the fixing or stoppage of which would be death. It follows that the living equilibrium demands the counterbalancing of opposed forces. The present evolution of the nations towards socialism requires and kindles the vigorous vital reaction of anarchist individualism. The victory of either of the forces that clash would smash the whole edifice. Their coexistence and struggle is necessary. It is thus with all the other principles that give combat in our mind and in society, — which is always the reflection of that former: — they cooperate, without us knowing it, in holding up the vault. Each pressure necessitates an equal counter-pressure. That is why my personal ideal of peace and harmony could be expressed paradoxically by the image of two rams that clash over the abyss. — But what else is a cathedral?..
“Cathedral that rests — on the just equilibrium of enemy forces; — dazzling rose-window, — where the blood of the sun — gushes in many-colored sheaves, — that the harmonious eye of the artist has linked… » (Ara Pacis)
So, I say to you: “Gather your strength, friends, enemies! And let none of you weaken! From your energies, joined in the body-to-body, is born the supreme harmony.”
Romain Rolland
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Working Translations by Shawn P. Wilbur
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