Proudhon, “Political Contradictions,” pages 105-109 (1863-64)

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CHAPITRE V

CRITIQUE GÉNÉRALE DES CONSTITUTIONS


De l’unité et de l’indivisibilité organique : formule, conditions et limites de cette loi. Application à l’ordre politique. Grave erreur des publicistes, hommes d’État et auteurs de constitutions à ce sujet : exagération unitaire.


Maintenant, lecteur, nous avons passé le plus difficile. Ce qui me reste à vous dire ne sera plus que pour votre curiosité et amusement : je suppose, bien entendu, que la destinée des nations vous intéresse, et que les mystifications des hommes d’État vous amusent. Lisez donc, et quand vous serez à la fin, vous en saurez plus en fait de politique que personne avant vous n’en a jamais su.

Vous avez vu, au chapitre précèdent, que tout gouvernement est mobile de sa nature, et que le principe de son mouvement est en lui-même. Ce mouvement a pour cause la polarité, si j’ose ainsi dire, ou antinomie des notions sur lesquelles repose le système politique, et qui créent en lui une agitation ou mouvement perpétuel.

Cette autokinèsis constitue la vie sociale. Le mouvement est-il régulier, comme le pouls de l’homme en santé? On peut dire que la société se porte bien : son gouvernement s’exerce dans des conditions normales; elle possède la vie heureuse. Malheureusement, nous avons vu que ce cas a été jusqu’à présent fort rare, si tant est qu’il se soit jamais présenté. Notre activité est fiévreuse, pleine d’emportement ; tous nos établissements politiques, quelque soin que nous prenions de les équilibrer, sont toujours instables, à tel point que ce vertige gouvernemental, véritable pénitentiaire des nations, a paru à d’éminents esprits la condition providentielle ou fatale, on ne sait lequel, de notre existence terrestre.

Il s’agit de savoir une bonne fois à quoi nous en tenir sur cette prétendue damnation; si l’arrêt prononcé contre nous est irrévocable ; si ce martyre, qui dure depuis tant de siècles, est décidément sans remède? Et d’abord, le désordre qui nous tourmente vient-il du dedans ou du dehors? Mais qu’y-a-t-il hors de l’humanité qui puisse la troubler? Remarquez que les phénomènes révolutionnaires, quelque vacarme qu’ils produisent au dehors, sont, essentiellement de l’ordre animique et intellectuel : comment seraient-ils le fait d’une influence étrangère? C’est donc au dedans de nous-mêmes qu’il faut chercher la cause de nos douleurs ; dans cet organisme compliqué que nous connaissons à peine. Recommençons cet examen de conscience.

Tout organisme, a pour condition de durée l’unité et l’indissolubilité : la dissolution, c’est la mort. Ainsi la plante et l’animal sont exclusifs dans leur organisme et indissolubles. Séparez la tige de la racine, la fleur du bourgeon, faites couler à terre la sève, le pollen : les parties séparées sont détruites; la plante sèche, devient inféconde et meurt. Séparez dans l’animal le cerveau, le cœur, le poumon, l’estomac, etc., la mort s’ensuit immédiatement et irrévocablement. Il ne suffirait de rien, pour faire revivre l’être ainsi désorganisé, de replacer les parties chacune à la place qu’elle occupait auparavant. Supposez qu’au sein de l’organisme il s’en forme un autre ; un champignon, un tubercule, une vermine : si l’animal ou la plante n’a pas assez d’énergie pour expulser ou dissoudre cet organisme parasite, il périra.

La même chose a lieu pour les existences collectives, famille, tribu, compagnie, armée, église, etc. Séparez les uns des autres le père, la mère, les enfants : il n’y a plus de famille. Il est entendu qu’il s’agit ici de séparation morale, puisque les organismes dont nous parlons sont surtout de Tordre moral, spirituel. Rompez le lien hiérarchique entre le général, les officiers, sous-officiers et soldats ; jetez pêle-mêle infanterie, cavalerie, artillerie : au lieu d’armée, vous avez une cohue, une déroute. — Scindez., dans l’Église, la révélation, la tradition, et le sacerdoce ; laissez à l’arbitraire de chacun dogme, culte, morale, vous détruisez l’Église, et avec l’Église, la religion. Que dans un établissement industriel, l’entrepreneur, le contre-maître, les ouvriers, le comptable, agissent sans direction, l’établissement marche à sa ruine.

La société politique, ou la cité, se comporte absolument de même. Elle est une et indivisible par nature : pour la détruire, vous n’avez à faire qu’une chose, qui est d’y semer la discorde, ou d’y faire naître une société rivale. Tout royaume divisé périra, dit la Sagesse; Satan lui-même, selon Jésus-Christ, ne saurait se soutenir dans la division.

Tout cela est élémentaire : personne n’a jamais nié ce principe; et moi-même, qui professe en politique l’anarchie, qui me suis déclaré décidément anti-unitaire, je n’ai garde de le nier non plus. L’unité, dans l’organisme politique, est, à peine de perdition, inviolable.

Voici maintenant où commencent les difficultés.

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CHAPTER V

GENERAL CRITIQUE OF CONSTITUTIONS


Organic unity and indivisibility: formula, conditions and limits of that law. Application to the political order. Grave error of the journalists, statesmen and authors of constitutions on this subject: exaggeration of the unitary.


Now, reader, we have passed the most difficult. What remains for me to tell you will quite simply be for your curiosity and amusement: I suppose, of course, that the destiny of nations interests you, and that the mystifications of the men of State amuse you. So read, and when you are done you will in fact know more of politics than anyone before you has every known.

You have seen, in the preceding chapter, that every government is mobile by nature, and that the principle of its movement is within itself. This movement is caused by the polarity, if I dare put it that way, or antinomy of the notions on which the political system rests, which creates within it a perpetual agitation or movement.

That autokinèsis forms the social life. Is the movement regular, like the pulse of a healthy man? We can say that say that the society takes care of itself: its government works in normal conditions; it has the good life. Unfortunately, we have seen that, thus far, this case has been very rare, if it has every appeared at all. Our activity is feverish, filled with outbursts; all our political establishments, whatever care we take to balance them, are always unstable, to such a point that this governmental vertigo, true prison of the nations, has appeared to eminent minds as the providential or fatal condition, we know not which, of our terrestrial existence.

It is a question of knowing once and for all what this so-called damnation holds us to; if the judgment pronounced against us is irrevocable; if this martyrdom, which has lasted so many centuries, is truly without remedy? And first, does the disorder that torments us come from within or without? But what is there outside of humanity that could disturb it? Remark that the revolutionary phenomena, whatever din they produce outside, are essentially of the emotional and intellectual order: how could they be the effect of a foreign influence? So it is within ourselves that we must seek the cause of our sufferings; in this complicated organism that we hardly know. Let us begin again that examination of consciousness.

To endure, every organism requires unity and indissolubility: dissolution is death. Thus, the plant and the animal are exclusive in their organism and indissoluble. Separate the stem from the root, the flower from the bud, make the sap and pollen sink to the earth: the separate parts are destroyed; the dried plant becomes infertile and dies. In the animal, separate the heart, the brain, the lungs, the stomach, etc., death follows immediately and irrevocably. It would not suffice, to revive the being disorganized in this way, to replace each of the parts in the place that it occupied before. Suppose that in the heart of the organism another forms; a fungus, a tubercle, an infestation: if the animal or plant does not have enough energy to expel or dissolve that parasitic organism, it will perish.

The same thing occurs for collective existences, family, tribe, company, army, church, etc. Separate father, mother and children from one another: there is no more family. It is understood that it is a question here of moral separation, since the organisms of which we speak are particularly of the moral, spiritual order. Break the hierarchical link between the general, the officers, non-commissioned officers and soldiers; throw together, willy-nilly, infantry, cavalry, artillery: instead of an army, you have a crush, a debacle. — In the Church, divide revelation, tradition and priesthood; leave dogma, worship and morals to the will of each: you destroy the Church and, with the Church, religion. In an industrial establishment, let the owner, the foreman, the workers and the bookkeeper work without direction, and the establishment marches towards its ruin.

Political society, or the city, behaves in just the same way. It is one and indivisible by nature: to destroy it, you only have to do one thing, which is to sow discord within it or give rise to a rival society. Every kingdom divided will perish, says Wisdom; Satan himself, according to Jesus Christ, could not support himself in division.

All of this is elementary: no one has every denied this principle; and I, myself, who professes anarchy in politics, who has declared myself decidedly anti-unitary, I do not deny it either. In the political organism, the unity is, on pain of ruin, inviolable.

This, now, is where the difficulties begin.

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