Proudhon Explained by Himself (Letter to Villaumé, 1856)

PROUDHON

EXPLIQUÉ PAR LUI-MÊME

LETTRES INÉDITES DE P.-J. PROUDHON

A M. N. VILLIAUMÉ

SUR L’ENSEMBLE DE SES PRINCIPES ET NOTAMMENT SUR SA PROPOSITION

LA PROPRIÉTÉ, C’EST LE VOL

1866

AVERTISSEMENT DE L’ÉDITEUR

Le 21 décembre 1855, M. Villiaumé, qui composait alors son Nouveau Traité d’économie politique, crut devoir interroger Proudhon touchant ses principes, qu’il avait à mentionner en traitant du communisme; car il craignait de se tromper sur le sens de ses livres, dont divers passages semblaient en contredire d’autres. Il lui écrivit à ce sujet. Proudhon répondit par la lettre suivante, qui est une exposition toute nouvelle de ses idées et un chef-d’oeuvre de style. M. Villiaumé en analysa quelques parties dans son célèbre ouvrage, qui parut l’année suivante.

Comme cette lettre est indispensable à l’intelligence des nombreux écrits de Proudhon, dont elle forme en quelque sorte la synthèse, et que d’ailleurs elle honore sa mémoire, nous la publions textuellement. Nous n’avons pas besoin d’avertir que M. Villiaumé a été autorisé, par Proudhon lui-même, à publier cette lettre, s’il le jugeait utile, et que Madame veuve Proudhon a bien voulu approuver cette publication.

G. R.

PROUDHON

EXPLAINED BY HIMSELF

UNPUBLISHED LETTERS BY P.-J. PROUDHON

To M. N. Villaumé

ON ALL OF HIS PRINCIPLES AND IN PARTICULAR ON ITS PROPOSAL

PROPERTY IS THEFT

1866

EDITOR’S FOREWORD

On December 21, 1855, M. Villiaumé, who was then composing his Nouveau Traité d’économie politique, thought it his duty to question Proudhon concerning his principles, which he had to mention in treating of communism; for he was afraid of being mistaken about the meaning of his books, in which various passages seemed to contradict others. He wrote to him about it. Proudhon replied with the following letter, which is an entirely new exposition of his ideas and a masterpiece of style. M. Villiaumé analyzed some parts of it in his famous work, which appeared the following year.

As this letter is essential to the understanding of the many writings of Proudhon, of which it forms in a way the synthesis, and as moreover it honors his memory, we publish it verbatim. We do not need to advise that Mr. Villiaumé was authorized, by Proudhon himself, to publish this letter, if he considered it useful, and that his widow Madame Proudhon agreed to approve this publication.

G. R.

LETTRES INÉDITES DE PROUDHON

Paris, 24 janvier 1856.

Mon cher Villiaumé,

Il ne m’est pas possible de vous donner les explications que vous souhaitez avec l’étendue, la précision et la rigueur de principes que vous voudriez que j’y misse; cela exigerait un travail approfondi, difficile et long, auquel mes occupations urgentes ne me permettent pas, en ce moment, de me livrer.

Ayez donc pour agréables, les quelques pages qui suivent, et permettez-moi de compter sur votre intelligence et votre bonne amitié pour ne pas me prêter des opinions qui ne seraient pas les miennes, ou m’imputer des conséquences que repoussent mes théories.

Voici donc ce que je crois devoir rappeler à vôtre critique impartiale :

De 1839 à 1852, mes études ont été de pure controverse, c’est-à-dire que je me suis borné à rechercher ce qu’étaient et ce que valaient les idées prises en elles-mêmes, quelle en était la signification et la portée, où elles menaient, où elles ne menaient pas; en un mot, j’ai tâché de me faire des notions exactes et complètes sur les principes, les institutions et les systèmes.

J’ai donc beaucoup nié, parce que j’ai trouvé que presqu’en tout et partout les théories n’étaient point d’accord avec leurs propres éléments, les institutions en harmonie avec leur objet ou avec leur fin, les auteurs suffisamment renseignés, indépendants et logiques.

J’ai trouvé que la société, en apparence paisible, régulière, sûre d’elle-même, était livrée au désordre, à l’antagonisme; qu’elle était aussi dépourvue de science économique que de morale; qu’il en était de même des partis, des écoles, des utopies et des systèmes.

J’ai donc commencé, ou recommencé, sur nouveaux frais, un travail de reconnaissance générale des faits, idées et institutions, sans parti pris et sans autre règle d’appréciation que la logique elle-même.

Ce travail n’a pas toujours été compris, en quoi il y a eu sûrement de ma faute. Sur des questions qui touchent essentiellement à la morale et à la justice, il m’était impossible’ de garder toujours le sang-froid et l’indifférence philosophiques, surtout quand j’avais affaire à des contradicteurs intéressés et de mauvaise foi. J’ai donc passé pour pamphlétaire, alors que je ne voulais être que critique; agitateur, quand je me bornais à demander justice; homme de parti et de haine, quand ma véhémence n’allait qu’à repousser des prétentions mal fondées; écrivain versatile enfin, parce que j’étais aussi prompt à signaler la contradiction chez ceux qui se croyaient mes amis que chez mes adversaires. Le résultat de cette longue discussion, de cette analyse passionnée, a été ce qu’il pouvait être : fort instructif pour moi, qui crois y avoir découvert ce que je cherchais, savoir, le véritable sens et la détermination des choses en soi, et abstraction faite des traditions, institutions, théories et routines généralement reçues et consacrées; mais nul pour le public, qui ne me lisait qu’à bâtons rompus, et se demandait sans cesse où j’allais, et ce que je voulais.

Ainsi, tandis qu’il me semble, à moi, que la science économique et sociale, grâce aux travaux de classification que j’ai faits, peut être sérieusement abordée, et qu’il m’est possible d’en essayer une construction, le public, qui n’a pas suivi la marche de ma pensée, trouve que j’ai épaissi les ténèbres et accumulé le doute là où, du moins,’ on avait l’avantage, auparavant, de respirer et de vivre en toute sécurité et confiance.

Voilà donc où j’en suis, après treize ou quatorze ans de critique, ou, si vous voulez, de négation. Je commence mon étude _positive_, j’apprends la science, j’établis ce que j’appelle la vérité scientifique, ou, comme on dit vulgairement, après avoir passé la première partie de ma carrière à démolir, en ce moment je réédifie.

Ne perdez pas cela de vue, mon cher ami, si vous voulez être juste envers moi, et ne pas me condamner à tort, pas plus que me louer sans motifs. Sans que je prétende me comparer à un savant tel que Cuvier, je puis, du moins, vous avouer sans orgueil que j’ai cru suivre, dans mon exploration d’économiste, une marche analogue à celle que le grand naturaliste avait suivie pour ses fossiles. Le monde social m’apparaissait à l’état chaotique, comme le monde souterrain apparaissait à Cuvier; je m’emparai donc des idées, des institutions, des phénomènes, en cherchant le sens, la définition, la loi, les rapports, les analogies, etc., etc., étiquetant mes pièces, jusqu’à ce qu’il me fût possible de composer le tout, comme Cuvier composait le squelette du dinotherium ou de tout autre antédiluvien.

Ai-je réussi? me suis-je trompé? ai-je fait quelques découvertes ? Ce sont là d’autres questions dont l’avenir décidera. Ce que je puis dire, c’est que voilà ce que j’ai fait, ou, du moins, ce que je voulais faire.

Venons maintenant aux exemples :

UNPUBLISHED LETTERS OF PROUDHON

Paris, January 24, 1856.

My dear Villiaumé,

It is not possible for me to give you the explanations that you wish with the extent, the precision and the rigor of principles that you would like me to include; that would require a thorough, difficult and long work, in which my urgent occupations do not allow me, at the moment, to indulge.

So please enjoy the few pages that follow, and allow me to count on your intelligence and good friendship not to attribute to me opinions that are not mine, or to impute to me consequences that my theories reject.

Here then is what I think I should recall to your impartial critique:

From 1839 to 1852, my studies have been pure controversy, that is to say, I have limited myself to researching what ideas were and what were worth, taken in themselves, what was their meaning and scope, where they led, where they did not lead; in a word, I have tried to form exact and complete notions of principles, institutions and systems.

I therefore denied a lot, because I found that in almost everything and everywhere the theories did not agree with their own elements, the institutions were not in harmony with their object or with their end, the authors were not sufficiently informed, independent and logical.

I have found that society, apparently peaceful, regular, sure of itself, was given over to disorder, to antagonism; that it was as lacking in economic science as in morality; that it was the same with parties, schools, utopias and systems.

So I started, or started again, from scratch, a work of general recognition of facts, ideas and institutions, without bias and without any other rule of appreciation than logic itself.

This work was not always understood, which  was surely in part my fault. On questions that touch essentially on morals and justice, it was impossible for me always to maintain philosophical coolness and indifference, especially when I had to deal with self-interested opponents of bad faith. I therefore passed for a pamphleteer, whereas I only wanted to be a critic; an agitator, when I limited myself to asking for justice; a man of partisanship and hatred, when my vehemence only served to repel ill-founded pretensions; finally, a fickle writer, because I was as quick to point out the contradictions among those who thought they were my friends as among my adversaries. The result of this long discussion, of this passionate analysis, has been what it could be: very instructive for me, who believe I have discovered in it what I was looking for, knowledge, the true meaning and the determination of things in themselves, and leaving aside the traditions, institutions, theories and routines generally received and consecrated; but nothing for the public, who only read me casually, and constantly wondered where I was going, and what I wanted.

Thus, while it seems to me that economic and social science, thanks to the work of classification that I have done, can be seriously approached, and that it is possible for me to attempt a construction of it, the public, which has not followed the course of my thought, finds that I have thickened the darkness and accumulated doubt where, at least, we had the advantage, before, of breathing and living in complete security and confidence.

So that’s where I am, after thirteen or fourteen years of criticism, or, if you like, of negation. I begin my positive study, I learn science, I establish what I call scientific truth, or, as it is commonly said, after having spent the first part of my career demolishing, at this moment I am rebuilding.

Bear this in mind, my dear friend, if you will be fair to me, and not condemn me wrongly, nor praise me without cause. Without claiming to compare myself to a scientist such as Cuvier, I can, at least, confess to you without pride that I believed I was following, in my exploration as an economist, a course analogous to that which the great naturalist had followed for his fossils. The social world appeared to me in a chaotic state, as the subterranean world appeared to Cuvier; I therefore seized ideas, institutions, phenomena, seeking meaning, definition, law, relationships, analogies, etc., etc., labeling my pieces, until it was possible for me to compose the whole, as Cuvier composed the skeleton of the dinotherium or any other antediluvian.

Did I succeed? am I mistaken? did I make any discoveries? These are other questions which the future will decide. What I can say is that this is what I did, or at least what I wanted to do.

Now let’s come to the examples:

I ° Vous me demandez ce que j’entends par cette proposition : La propriété, c’est le vol; et puis comment, ayant émis cette proposition, je me suis prononcé avec la même force contre le communisme?

Vous concevez tout de suite, d’après les explications qui précédent, que votre question peut avoir pour moi un double objet ou bien vous me demandez ce que j’ai voulu dire en tant qu’investigateur, classificateur et critique; ou bien vous désirez savoir comment je conçois définitivement le rôle de la propriété dans la société humaine.

Sur le premier point, à savoir ce que j’ai entendu affirmer par cette formule scandaleuse autant qu’énergique, la propriété, c’est le vol, je réponds que je m’en tiens aux conclusions de mon Mémoire de 1840 et à ma définition elle-même. Je crois que le principe de propriété (remarquez que je parle de principe, non de pratique ni d’intention) est bien réellement identique et adéquat à celui que la morale des nations a si justement condamné et flétri sous le nom de vol; qu’à cet égard, il n’y a pas de différence réelle entre le bien et le mal; qu’il en est de ces deux termes comme de la fornication et du mariage, entre lesquels il n’y a pas non plus de distinction physique ou passionnelle, et que si l’un est toléré, consacré même, pendant que l’autre est réprouvé et honni, cela tient, à d’autres causes qu’il convient d’examiner en leur lieu.

Remarquez que je n’entends pas applaudir à la fornication et annuler le mariage; je suis, très décidément, pour celui-ci et contre celle-là, et il en est de même pour ce qui regarde la propriété et le vol.

Ici, j’aurais à entrer dans de longues et sérieuses considérations sur l’utilité de révéler au public de pareils secrets, sur la persistance que j’ai mise à soutenir ma définition, la présentant quelquefois comme un cri de guerre contre toute une classe de citoyens. C’est à vous de suppléer ici ce que je m’abstiens de dire. Pour moi, il me suffit de vous répéter que, comme critique et déterminateur d’idées, je maintiens ma proposition de 1840, et n’entends la modifier en aucune sorte.

Reste donc à savoir comment je pense que le principe de la propriété, étant le même que celui du vol, je conçois qu’un pareil principe puisse devenir un élément de l’ordre social, une force ou faculté de notre économie.

Ici, mon cher Villiaumé, il faut absolument que vous vous contentiez de mon affirmation pure et simple. J’aurais besoin, pour m’expliquer, de remuer les plus formidables et les plus difficiles questions dont s’occupe l’esprit humain :la distinction du bien et du mal, la justice, la liberté, la religion, etc. Il faudrait ensuite vous donner une description de cette grande machine qui s’appelle la société, description faite, non sur un type conçu en mon imagination, mais sur toute société quelconque; car la société est la société; malgré des différences superficielles, elle est partout, toujours, et nécessairement identique et adéquate à elle-même, comme le corps humain est le corps humain, qu’il soit recouvert d’une peau blanche, rouge ou noire.

Vous comprenez qu’une pareille exposition m’est tout à fait impossible. Tout ce que je puis affirmer, c’est qu’en tout état de cause, en quelque société que ce soit, la propriété reste ce que j’ai dit qu’elle était; que c’est à cette condition qu’elle joue un rôle et exerce une action; que vouloir la corriger, c’est la détruire; du reste, que si, dans ce qu’on appelle propriété, les effets désastreux du vol cessent d’apparaître (et il le faut pour que le vol cesse d’être vol, et devienne, si j’ose ainsi dire, légitime ou propriété), cela résulte de l’intervention d’une autre puissance qui change la malfaisance du principe et lui donne une virtualité contraire.

En résumé, la propriété, dans le régime imparfait de notre société, mal gouvernée par la liberté, la justice, etc., produit fréquemment, habituellement même, les effets du vol pur; elle est, pour ainsi dire, à l’état de nature; tandis que, dans la société bien réglée, elle passe de cet état de nature sauvage à l’état d’une nature civilisée et juridique, sans que pour cela elle cesse d’être elle-même, à peu près comme l’éducation fait passer l’individu, de l’état de sauvagerie à l’état policé, sans qu’il cesse d’être lui-même, sans qu’il puisse abdiquer sa race et son tempérament.

Tout cela, mon cher ami, doit vous sembler étrangement paradoxal; mais, vous le savez, tout dans la science est d’abord paradoxe. Malgré les évolutions qu’a subies déjà la propriété, nous ne la connaissons encore que.par le droit païen (jus quiritum) et le droit canonique, ce qui est toujours la même chose; l’un et l’autre reposant sur la force, quand ils ne reposent pas sur le mystère. Or la force et le mystère, le sabré et la foi ne sont pas des arguments valables en philosophie.

1. You ask me what I mean by this proposition: Property is theft; and then how, having made this proposition, did I declare myself with the same force against communism?

You conceive immediately, according to the explanations which precede, that your question can have for me a double object: either you ask me what I wanted to say as investigator, classifier and critic; or else you want to know how I definitively conceive the role of property in human society.

On the first point, namely what I meant to affirm by this formula, as scandalous as it is energetic, property is theft, I answer that I stick to the conclusions of my Memoir of 1840 and to my definition itself. I believe that the principle of property (note that I speak of principle, not of practice or intention) is really identical and adequate with that which the morality of nations has so justly condemned and stigmatized under the name of theft; that in this respect there is no real difference between good and evil; that it is with these two terms as with fornication and marriage, between which there is no physical or passional distinction either, and that if one is tolerated, even consecrated, while the other is reproved and reviled, this is due to other causes, which it is appropriate to examine in their place.

Notice I don’t mean to applaud fornication and annul marriage; I am, very decidedly, for the latter and against the former, and it is the same with regard to property and theft.

Here I would have to enter into long and serious considerations on the usefulness of revealing such secrets to the public, on the persistence with which I have maintained my definition, presenting it sometimes as a battle cry against a whole class of citizens. It is for you to supply here what I refrain from saying. For me, it is enough for me to repeat to you that, as a critic and determiner of ideas, I maintain my proposal of 1840, and do not intend to modify it in any way.

It therefore remains to know how I think that the principle of property, being the same as that of theft, how I conceive that such a principle can become an element of the social order, a force or faculty of our economy.

Here, my dear Villiaumé, it is absolutely necessary that you content yourself with my pure and simple affirmation. I would need, to explain myself, to stir up the most formidable and the most difficult questions with which the human mind deals: the distinction of good and evil, justice, liberty, religion, etc. It would then be necessary to give you a description of this great machine that is called society, a description made, not of a type conceived in my imagination, but of any society whatsoever; for society is society; despite superficial differences, it is everywhere, always, and necessarily identical and adequate to itself, as the human body is the human body, whether covered with white, red or black skin.

You understand that such an exhibition is quite impossible for me. All I can affirm is that in any case, in whatever society, property remains what I said it was; that it is on this condition that it plays a role and exercises an action; that to want to correct it is to destroy it; moreover, that if, in what is called property, the disastrous effects of theft cease to appear (and this is necessary for theft to cease to be theft, and to become, if I dare say so, legitimate or property), this results from the intervention of another power that changes the maleficence of the principle and gives it a contrary virtuality.

To sum up, property, in the imperfect regime of our society, badly governed by liberty, justice, etc., frequently, usually even, produces the effects of pure theft; it is, so to speak, in a state of nature; while, in well-regulated society, it passes from this state of wild nature to the state of a civilized and juridical nature, without for that reason ceasing to be itself, much as education causes the individual to pass from a state of savagery to a civilized state, without his ceasing to be himself, without his being able to abdicate his race and his temperament.

All this, my dear friend, must seem strangely paradoxical to you; but, as you know, everything in science is first of all a paradox. In spite of the evolutions that property has already undergone, we still know it only by pagan right (jus quiritum) and canon right, which is always the same thing; both based on force, when they are not based on mystery. Now force and mystery, the sword and faith are not valid arguments in philosophy.

2° Ce que je dis de la propriété s’applique à d’autres principes d’action, dont la critique n’a pas eu le même retentissement, bien que le rôle qu’ils remplissent dans la société ne soit pas moindre. De ce nombre sont, par exemple, la division du travail, le monopole, la concurrence, le gouvernement, la communauté.

Il n’est pas un de ces principes qui, analysé en lui-même, ne soit radicalement, essentiellement nuisible, soit au travailleur ou à l’individu, soit à la société, et qui, par conséquent, ne mérite, dans une certaine mesure, l’anathème porté contre la propriété.

Et comme, dans l’état de choses actuel, rien n’arrête l’essor désordonné de ces principes, ce n’est pas sans raison que, tantôt les économistes, tantôt les moralistes, tantôt les philanthropes ou les libéraux les réprouvent. Cependant il est certain qu’on doit les considérer comme des forces ou facultés inhérentes à la constitution sociale, également exposée à périr, soit qu’elle les exclue, soit qu’elle s’y abandonne.

Je ne saurais mieux comparer la propriété et les principes dont je parle qu’aux sept péchés capitaux : orgueil, avarice, envie, gourmandise, luxure, colère et paresse. Assurément, il n’est personne qui en prenne la défense, et le christianisme en a fait sept diables d’enfer. Or il est certain, en bonne psychologie, que l’âme humaine ne subsiste que par ces fameux péchés ou passions fondamentales; que tout l’art du moraliste consiste, non à détruire ou extirper radicalement, mais à morigéner, de façon à en tirer les vertus mêmes qui distinguent le mieux l’homme des animaux : la dignité, l’ambition, le goût, l’ amour, la volupté, le courage. Je ne parle pas de la paresse, ou inertie, qui est l’absence de vitalité et la mort même.

Entre le vice et la vertu, pas de différence essentielle; ce qui fait l’un ou l’autre, c’est le condiment, c’est le régime, c’est le but, c’est l’intention, c’est la mesure, c’est une foule de choses.

Pareillement, entre la propriété et le vol, pas de différence quant au principe; ce qui fait la justice de l’une et l’infamie de l’autre, ce sont les conditions qui les accompagnent, ce sont les circonstances qui les conditionnent.

Il faut avouer, mon cher ami, que l’on est bien loin aujourd’hui de concevoir ainsi les choses, et que, dans l’obstination du préjugé traditionnel, chrétien et féodal, on est tout disposé, au contraire, à faire de la propriété une chose sacro-sainte, intégralement juste, bonne et vertueuse, comme on fait de la vertu une inspiration du ciel, du gouvernement un droit divin, de l’autorité une loi absolue.

Dans une société où l’on se fait de la propriété, du gouvernement, et de toutes les choses dont je parle, des notions aussi peu vraies, il est immanquable qu’il ne surgisse d’épouvantables abus, une tyrannie hideuse dont on ne parviendra à se débarrasser par aucune révolution; avant tout, il faut rectifier les concepts, et ramener les faits à leurs définitions légitimes.

2. What I am saying about property applies to other principles of action, the criticism of which has not had the same impact, although the role they fulfill in society is no less. Of this number are, for example, the division of labor, monopoly, competition, government, community.

There is not one of these principles that, analyzed in itself, is not radically and essentially harmful, either to the worker or to the individual, or to society, and which, consequently, does not deserve, in a certain measure, the anathema brought against property.

And as, in the present state of things, nothing stops the disorderly development of these principles, it is not without reason that sometimes the economists, sometimes the moralists, sometimes the philanthropists or the liberals reprove them. However, it is certain that they must be considered as forces or faculties inherent in the social constitution, equally liable to perish, whether it excludes them or abandons itself to them.

I could not better compare the property and the principles of which I speak than to the seven deadly sins: pride, greed, envy, gluttony, lust, anger and laziness. Assuredly, there is no one who defends them, and Christianity has made them seven devils in hell. Now it is certain, in good psychology, that the human soul subsists only by these famous sins or fundamental passions; that the whole art of the moralist consists, not in destroying or radically eradicating, but in rebuking, so as to draw from them the very virtues that best distinguish man from animals: dignity, ambition, taste, love, voluptuousness, courage. I am not talking about laziness, or inertia, which is the absence of vitality and even death.

Between vice and virtue, there is no essential difference; what makes one or the other is the condiment, it is the diet, it is the goal, it is the intention, it is the measure, it is a host of things.

Similarly, between property and theft, there is no difference in principle; what constitutes the justice of the one and the infamy of the other is the conditions that accompany them, it is the circumstances that condition them.

It must be admitted, my dear friend, that we are very far today from conceiving things in this way, and that, in the obstinacy of traditional, Christian and feudal prejudice, we are quite disposed, on the contrary, to make property something sacrosanct, completely just, good and virtuous, just as we make virtue an inspiration from heaven, government a divine right, authority an absolute law.

In a society where one makes of property, of government, and of all the things of which I speak, such untrue notions, it is inevitable that there will arise appalling abuses, a hideous tyranny that one will not succeed in getting rid of by any revolution; above all, it is necessary to rectify the concepts, and to bring back the facts to their legitimate definitions.

3° Socialisme.

Dans mes Contradictions, je me suis également moqué, dites-vous, des Socialistes et des Économistes; après 1848, j’ai affirmé le Socialisme. Cette variante vous préoccupe, et vous en demandez l’explication.

Tout mot d’une langue est sujet à des acceptions très différentes, quelquefois même opposées.

Entend-on par Socialisme la philosophie qui enseigne la théorie de la société ou la science sociale? J’affirme ce Socialisme.

Veut-on désigner, non plus la philosophie ou la science, mais l’école, la secte, le parti qui admet cette science, qui la croit possible et qui la cherche? Je suis de cette opinion. C’est en ce sens que le Peuple et le Représentant du peuple, en 1848, étaient deux organes du Socialisme.

Aujourd’hui même, je fais hautement profession de Socialisme, et plus que jamais, je crois à son triomphe.

Mais, dans les discussions économiques, il arrive qu’on appelle Socialisme la théorie qui tend à sacrifier le droit individuel au droit social, de même qu’on appelle par contre Individualisme la théorie qui tend à sacrifier la société à l’individu. Dans ce cas je nie le Socialisme comme je nie l’Individualisme; en cela, je ne fais que suivre l’exemple de Pierre Leroux, qui, tout en se déclarant Socialiste, ainsi que moi, en 1848, n’en a pas moins combattu, dans ses livres, le Socialisme, et réclamé la prérogative individuelle.

3. Socialism.

In my Contradictions, I equally mocked, you say, the Socialists and the Economists; after 1848, I affirmed Socialism. This variation concerns you, and you ask for an explanation.

Any word in a language is subject to very different, sometimes even opposing meanings.

Do we understand by Socialism the philosophy which teaches the theory of society or social science? I affirm this Socialism.

Do we want to designate, no longer the philosophy or the science, but the school, the sect, the party that accepts this science, that believes it possible and seeks it? I am of this opinion. It is in this sense that the Peuple and the Représentant du peuple, in 1848, were two organs of Socialism.

Even today, I loudly profess Socialism, and more than ever, I believe in its triumph.

But, in economic discussions, it happens that we call Socialism the theory that tends to sacrifice individual right to social right, just as we call Individualism, on the other hand, the theory that tends to sacrifice society to the individual. In this case I deny Socialism as I deny Individualism; in this, I am only following the example of Pierre Leroux, who, while declaring himself a Socialist, as I did in 1848, none the less fought against Socialism in his books, and demanded individual prerogative.

4° Banque du peuple ou Crédit gratuit.

Sur cette question, je ne puis mieux faire que de vous renvoyer aux articles publiés dans la Presse par M. Darimon. L’idée d’une institution de crédit, organisée sous la surveillance de l’État, et fonctionnant, non plus au profit d’une compagnie privilégiée de commanditaires, mais au compte de la nation, et au plus bas escompte possible, est désormais une idée vulgaire, que la raison publique s’est assimilée ; qui, chaque jour, suggère de nouveaux modes d’application, et sur laquelle il ne m’appartient plus d’avoir à moi un système.

Tant que l’idée mère a été contestée, combattue, calomniée, je pouvais, je devais affirmer et soutenir ce que l’on appelait alors le Système de la Banque du peuple.

Maintenant que l’opinion a marché, qu’à un même problème vingt solutions se produisent, que la réalisation ne tient plus qu’à l’initiative de quelques centaines de producteurs, ou au bon plaisir du gouvernement ; maintenant que la seule cause d’hésitation provient de la chaîne de privilèges qui, par le fait de ce nouveau principe, va se trouver rompue et dispersée, je n’ai plus à m’inquiéter de ce que deviendra l’idée; bien moins, encore dois-je lui chercher une formule spéciale.

L’idée est dans le domaine public, comme celle de la liberté et de l’égalité qu’on n’en ôtera jamais; la formule, c’est à la raison générale de la choisir, comme à chaque théoricien de la varier.

4. Bank of the People or Free Credit.

On this question, I can do no better than to refer you to the articles published in La Presse by M. Darimon. The idea of a credit institution, organized under the supervision of the State, and functioning, no longer for the benefit of a privileged company of sponsors, but on behalf of the nation, and at the lowest possible discount, is henceforth a vulgar idea, which public reason has assimilated; which, each day, suggests new modes of application, and on which it is no longer up to me to have a system of my own.

As long as the fundamental idea was challenged, fought, slandered, I could, I had to affirm and support what was then called the System of the Bank of the People.

Now that public opinion has advanced, now that twenty solutions are produced for the same problem, now that the realization depends only on the initiative of a few hundred producers or on the good pleasure of the government; now that the only cause for hesitation comes from the chain of privileges which, by the fact of this new principle, will be broken and dispersed, I no longer have to worry about what will become of the idea; much less do I still have to find a special formula for it.

The idea is in the public domain, like that of liberty and equality, which will never be taken away; it is up to the general reason to choose the formula, as it is up to each theoretician to vary it.

5° Exploitation des instruments d’utilité publique.

Comme vous le dites, il y a trois manières d’exploiter les objets d’utilité publique : par l’État, comme aujourd’hui la poste; par des compagnies de capitalistes, comme tous les chemins de fer le sont actuellement; enfin, par des associations ouvrières.

Ce troisième mode étant le seul qui n’ait pas reçu d’application, il reste à son égard quelque obscurité que je vais m’efforcer de dissiper.

Comme pour la Banque, on peut procéder de plusieurs manières, surtout en ce qui concerne la formation du capital :

Je me bornerai à en indiquer une.

Je suppose qu’en 1840, lorsque fut faite la concession du chemin du Nord, le gouvernement, se jugeant au-dessous de l’entreprise, ait voulu tout à la fois offrir un bénéfice aux capitaux privés, et y faire participer le travail; voici, ce me semble, ce que, sans difficulté, il aurait pu faire.

La Société aurait existé, non-seulement entre les actionnaires fournissant le capital social, mais entre les actionnaires et les ouvriers.

Les bénéfices de l’exploitation, partagés entre les ouvriers et les actionnaires, selon une proportion déterminée.

La part de bénéfices revenant aux travailleurs, répartie ensuite entre eux, proportionnellement à la fonction, au grade, etc., etc.

Les ouvriers représentés dans le Conseil d’administration par la moitié ou le tiers des membres dudit Conseil.

La direction, confiée à un ou plusieurs directeurs, appartenant à la catégorie ouvrière (c’est-à-dire ingénieurs, architectes, commissionnaires, etc.).

A l’expiration de la concession; la Compagnie, déchargée du service des intérêts et dividendes à payer aux actionnaires, ses tarifs sont dégrevés d’autant, et elle devient exclusivement ouvrière.

Dans cette condition nouvelle, la Société reste chargée de l’entretien du matériel roulant, du remplacement des véhicules, du renouvellement des voies et de leurs réparations, etc. — La nation est propriétaire du chemin, des bâtiments, et de tout le matériel et accessoires, que la Société doit représenter en bon état, à l’expiration de chaque bail, et d’après estimation d’arbitres.

Il est reconnu, en principe, à l’Etat, une part de… sur toutes les améliorations et réductions de frais qui peuvent être obtenues dans l’exploitation. Cette part de l’Etat servira chaque année à déterminer la réduction à opérer, s’il y a lieu, sur les tarifs.

L’Etat fait partie de droit du Conseil de surveillance et du Conseil d’administration, indépendamment de la haute surveillance, qui lui est reconnue sur toute société anonyme, par la loi.

Cette ingérence de l’Etat n’a point pour but de gêner la liberté de l’association, ni de la subordonner aux vues et à l’autorité administratives, mais uniquement de veiller à l’éducation économique et sociale de la classe ouvrière, au développement de ses idées, à la prudence de ses conseils, à la direction de ses moeurs, à l’observation des principes de liberté et d’égalité sur lesquels repose l’institution.

En principe, tous les ouvriers employés dans l’exploitation sont associés, c’est-à-dire participants. Cependant, eu égard à l’instabilité du service et à l’inégalité des travaux dans les diverses saisons, il sera facultatifs la Compagnie d’employer à son service, lorsque le besoin l’exigera, autant de salariés que commanderont les circonstances.

Des mesures seront prises pour tout ce qui regarde l’instruction, le perfectionnement et le bien-être des ouvriers; écoles, bibliothèques, bains, caisses de retraite, etc., etc.

C’est la pratique qui doit surtout fournir, en pareille matière, les lumières que ne donne jamais à priori la théorie.

En attendant, j’avoue que je ne saurais me figurer qu’il ne soit pas tout aussi aisé d’exploiter un chemin de fer par une Compagnie d’ouvriers, la plupart ignorants, je le veux, mais convenablement représentés et conseillés, que par une Compagnie d’actionnaires, qui ne s’occupent que de leurs dividendes, et laissent la gestion de leurs intérêts à des gérants présomptueux, et souvent infidèles.

Voilà, mon cher Villiaumé, ce que je puis vous dire; vous avez trop l’intelligence de ces choses pour ne pas comprendre qu’en pareille affaire on n’improvise rien, et que de longues études sont souvent nécessaires pour trouver une solution dont l’exposé exige à peine une ligne.

Avant tout, c’est le Droit qui doit nous occuper, en attendant que nous puissions en venir à la réalisation; et j’ose croire que l’association ouvrière est celle qui, en fait d’objets d’utilité publique, représente le mieux le Droit. Par ce système, le service public, la propriété nationale, le droit du travailleur, tout est garanti : où trouvez-vous aujourd’hui de pareils avantages?

Pardonnez-moi, mon cher ami, de ne pouvoir mieux répondre à vos interpellations; je crois fermement à la vérité, et je la défends avec énergie contre tout ce qui est mensonge, et que la contradiction, l’oppression, le privilège me signalent comme tel; mais je me flatte peu de la posséder toujours.

A vous.

P. J. _Proudhon_.

5. Operation of the instruments of public utility.

As you say, there are three ways of exploiting objects of public utility: through the State, like the post office today; through companies of capitalists, as all railroads are now; finally, through the workers’ associations.

This third mode being the only one that has not received an application, there remains some obscurity in its regard that I will endeavor to dissipate.

As with the Bank, there are several ways to proceed, especially with regard to capital formation:

I will confine myself to indicating one.

I suppose that in 1840, when the concession of the Chemin du Nord was made, the government, judging itself inferior to the enterprise, wanted at the same time to offer a profit to private capital, and to involve labor in it; here, it seems to me, is what, without difficulty, it could have done.

The Society would have existed, not only between the shareholders furnishing the social capital, but between the shareholders and the workmen.

The profits of the exploitation, shared between the workmen and the shareholders, according to a determined proportion.

The share of profits going to the workers, then distributed among them, in proportion to function, grade, etc., etc.

The workers represented on the Board of Directors by half or one third of the members of said Board.

Management, entrusted to one or more directors, belonging to the working class (ie engineers, architects, brokers, etc.).

At the expiration of the concession, the Company, relieved of the service of interest and dividends to be paid to shareholders, its rates are reduced accordingly, and it becomes exclusively working class.

In this new condition, the Company remains responsible for the maintenance of rolling stock, the replacement of vehicles, the renewal of tracks and their repairs, etc. — The nation is the owner of the road, of the buildings, and of all the equipment and accessories, which the Company must represent in good condition, at the expiration of each lease, and according to the estimate of arbitrators.

There is recognized, in principle, to the State, one part of… on all the improvements and reductions of costs that can be obtained in the exploitation. This portion belonging the State will be used each year to determine the reduction to operate, if necessary, on the tariffs.

The State is an ex officio member of the Supervisory Board and of the Board of Directors, independent of the senior supervision, which is recognized by law for any public limited company.

This interference by the State is not intended to hamper liberty of association, nor to subordinate it to administrative views and authority, but solely to watch over the economic and social education of the working class, the development of its ideas, the prudence of its advice, the direction of its mores, the observance of the principles of liberty and equality on which the institution rests.

In principle, all the workers employed in the operation are associated, that is to say, participants. However, in view of the instability of the service and the inequality of the work in the various seasons, it will be optional for the Company to employ in its service, when the need so requires, as many wage-earners as the circumstances require.

Measures will be taken for all that concerns the instruction, the improvement and the well-being of the workmen; schools, libraries, baths, retirement funds, etc., etc.

It is practice that must above all furnish, in such a matter, the enlightenment that theory never gives a priori.

In the meantime, I confess that I cannot imagine that it would not be quite as easy to operate a railway through a Company of workmen, most of them ignorant, I admit, but suitably represented and advised, as by a Company of shareholders, who concern themselves only with their dividends, and leave the management of their interests to presumptuous and often unfaithful managers.

That, my dear Villiaumé, is what I can tell you; you have too much understanding of these things not to understand that in such a matter nothing can be improvised, and that long studies are often necessary to find a solution whose explanation hardly requires a line.

Above all, it is Right that must occupy us, until we can come to its realization; and I dare to believe that the workers’ association is that which, in terms of objects of public utility, best represents Right. By this system, the public service, the national property, the right of the worker, everything is guaranteed: where do you find such advantages today?

Forgive me, my dear friend, for not being able to respond better to your interpellations; I firmly believe in the truth, and I defend it with energy against all that is falsehood, and that contradiction, oppression, privilege mark for me as such; but I do not flatter myself with possessing it always.

Regards,

P.-J. Proudhon.

Cinq jours après, M. Villiaumé reçut de Proudhon la lettre suivante, qui est la confirmation de la première :

Paris, 29 janvier 1856.

Mon cher Villiaumé,

Pensez-vous, comme vous m l’avez annoncé, pouvoir citer quelque chose de ma derrière lettre dans votre publication prochaine?

Dans ce cas, je vous serai très obligé de m’en envoyer les épreuves, afin que je me relise et m’explique, s’il y a lieu.

J’ai écrit tout d’un trait, après avoir assez longtemps réfléchi à ce que je vous disais. Je ne me suis pas relu; et, bien que je me sente moins que jamais en état de résumer en quelques pages toutes mes idées, cependant, je voudrais, autant que possible, rendre intelligibles celles que je vous ai adressées:

Que pensez-vous de la paix?

Allons-nous entonner le _réveil_?

Ou bien la réaction va-t-elle s’aggraver encore plus?

Bonjour,

P. J. _Proudhon_.

Five days later, M. Villiaumé received the following letter from Proudhon, which confirms the first:

Paris, January 29, 1856.

My dear Villiaumé,

Do you think, as you told me, you could quote something from my last letter in your next publication?

In this case, I would be very much obliged to you to send me the proofs, so that I can re-read and explain myself, if necessary. I wrote all at once, after having thought long enough about what I was telling you. I did not read myself again; and, although I feel less than ever in a condition to summarize in a few pages all my ideas, nevertheless, I would like, as much as possible, to make intelligible those that I addressed to you:

What do you think of the peace?

Will we sing the reveille?

Or will the reaction get even worse?

Greetings,

P.-J. Proudhon.

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