La pensée et l’action
Certes, je ne suis point ennemi de la pensée ; je la veux grande, belle et surtout libre. Mais l’action, la pratique, est toujours supérieure à la théorie. Tant que les hommes ne s’occuperont que de critiquer ce qu’ils trouvent mauvais, sans s’efforcer de réaliser ce qu’ils considèrent comme le mieux, ils n’aboutiront pas à grand’chose.
Il y a encore trop de camarades qui agissent contrairement à leurs pensées ; je sais bien qu’il faut compter avec les circonstances qui sont souvent défavorables ; mais quelle peut être la valeur de la critique lorsqu’on accomplit soi-même ce que l’on reproche aux autres ?
Que tous ceux qui se déclarent adversaires des métiers inutiles n’en acceptent aucun. Que ceux qui s’affirment ennemis des religions n’en pratiquent aucune. Que ceux qui s’élèvent contre l’exploitation se refusent à être eux-mêmes des exploiteurs. Que ceux qui désapprouvent la politique, le vote, n’y prennent nulle part.
Le triomphe des anarchistes dépend de la multiplicité des actes raisonnés.
Maurice Imbard.
Maurice Imbard, “La pensée et l’action,” l’en dehors 4 no. 51 (15 Janvier 1925): 1.
Thought and Action
Certainly, I am not an enemy of thought; I want it to be large, beautiful and above all free. But action, practice, is always superior to theory. As long as we are only occupied with criticizing what we find bad, without striving to achieve what we think is good, we will not end up with much.
There are still too many camarades who act contrary to their thoughts; I know well that we must account for circumstances that are often unfavorable; but what can be the value of the critique when we accomplish ourselves what we reproach in others?
Let all those who declare themselves opponents of useless trades not accept any. Let those who claim to be enemies of religions practice none. Let those who speak out against exploitation refuse to be exploiters themselves. Let those who disapprove of politics, of voting, take no part in them.
The triumph of the anarchists depends on the multiplicity of reasoned acts.
Maurice Imbard.
Réflexion
Le capitaliste, le militaire, le politicien, ont la même mentalité que l’anthropophage : ils ne conçoivent leurs vies que dans la suppression d’une partie de leurs semblables.
A. Neblind.
A. Neblind, “Réflexion,” l’en dehors 4 no. 52 (5 Février 1925): 1.
Reflection
The capitalist, the military man and the politician have the same mentality as the cannibal: they only think of their lives in terms of the elimination of some portion of their fellows.
A. Neblind.
Réflexions
Les véritables artistes, les hommes supérieurs portent leurs richesses en eux-mêmes, les imbéciles les portent sur eux-mêmes, c’est plus facile.
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L’homme le plus libre, c’est-à-dire l’homme dans sa plus belle définition, est celui dont les facultés, les aptitudes, lui permettent de résister et de se développer dans tous les milieux et dans toutes les circonstances où les péripéties de la vie le peuvent placer.
A. Neblind.
A. Neblind, “Réflexions,” l’en dehors 4 no. 53 (22 Février 1925): 1.
Reflections
The true artists, the superior men carry their wealth within themselves. Fools wear them on themselves; it’s easier.
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The freest man, that is to say the man in his finest definition, is the one whose faculties, aptitudes, allow him to resist and to develop in all environments and in all circumstances where the vicissitudes of life can place him.
A. Neblind.
Libres propos
Il est du plus haut comique d’entendre dans les groupes anarchistes ou d’idées avancées, des individus discuter gravement d’antimilitarisme, alors qu’ils ne sont que d’anciens ou futurs soldats, alors que tel ou tel autre qui gueule comme un putois quand on parle de l’armée est parti bien sagement quand il a reçu sa feuille de mobilisation, et est prêt à en faire autant le cas échéant.
* * *
Je ne peux m’empêcher de rire quand je vois des copains vouloir influencer les autres par la largeur de leurs pantalons, de leurs cravates ou de leurs chapeaux, c’est-à-dire aboutir à créer un uniforme anarchiste, dont je n’ai que faire.
Liberto.
Liberto, “Libres propos,” l’en dehors 4 no. 53 (22 Février 1925): 2.
Free Remarks
It is most comical to hear, in anarchist groups or groups committed to advanced ideas, individuals seriously discussing antimilitarism, when they are only former or future soldiers, while some others, screaming like a polecat when it comes to the army, quite wisely left when they received thier mobilization notices, and are ready to do it again if necessary.
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I can’t help laughing when I see friends wanting to influence others by the width of their pants, ties or hats, that is to say, ending up creating an anarchist uniform, which I don’t care about.
Liberto.
L’autoritarisme scientifique est néfaste comme tout autoritarisme. Il n’est pas scientifique d’être autoritaire. La vraie science n’est point autoritaire.
Gérard de Lacaze-Duthiers, [Citation], l’en dehors 4 no. 54 (12 Mars 1925): 1.
Scientific authoritarianism is as harmful as every form of authoritarianism. It is not scientific to be authoritarian. True science is not authoritarian.
L’Inexprimable est en moi
Des poètes ont chanté sur tous les tons l’amour
Les vertus et la gloire, et la splendeur du jour,
Et la sérénité de la nuit paisible
Et les religions, l’Evangile et la Bible.
Depuis des milliers d’ans des poètes ont chanté,
Sur d’innombrables tons leurs luths ont varié;
— Mais aucun n’a pu dire le délicat poème
L’inexprimable émoi que je sens en moi-même.
L’Inexprimable est en moi.
Pervenche
Pervenche, “L’Inexprimable est en moi,” l’en dehors 4 no. 55/56 (31 Mars 1925): 1.
The Inexpressible Is Within Me
Poets have sung in every way
Of love, the virtues, glory,
Of the splendor of the day,
And the serenity of the peaceful night,
Of religions, the Gospel and the Bible.
For thousands of years poets have sung,
Their lutes varying in innumerable ways;
— But none could speak the delicate poem,
The inexpressible emotion that I feel in myself.
The inexpressible is within me.
Pervenche.
Apolis
Alors, vous croyez vraiment que je dois avoir à cœur de porter, épinglée, l’étiquette « Français » plutôt que l’étiquette « Allemand » où « Italien », « Suédois » où « Esthonien » ?
Mais, sérieusement, que voulez-vous que cela me fasse ?
Je ne me sentirai ni agrandi ni diminué, ni exhaussé ni abaissé, parce que mon étiquette sera remplacée par une autre.
Pour le monde je ne changerai pas, et pour moi le monde ne changera pas.
Mon sang deviendra-t-il autre ? Ma pensée deviendra-t-elle autre ? Mes sentiments deviendront-ils autres? Tout ce qui fait que je suis « moi », tout cela deviendra-t-il autre ?
La courbe d’une mélodie ou d’un rameau chargé de fleurs; la richesse polychrome d’un accord ou du ciel ; le rythme de la poésie et de la chair, de la pensée et des étoiles, tout cela sera-t-il change ?
Aurai-je moins de joie à respirer une belle fleur ou une belle âme ? Aurai-je moins de joie à boire l’ardeur du soleil et de mon amour ? Aurai-je moins de joie à mordre un fruit velouté ou les lèvres plus veloutées encore de mon bien-aimé ?
Axieros.
Axieros, “Apolis,” l’en dehors 4 no. 55/56 (31 Mars 1925): 3.
Apolis
So, do you really think that I should be keen to carry, pinned upon me, the “French” label rather than that of “German” or “Italian”, “Swedish” or “Estonian”?
But, seriously, what do you want it to do for me?
I will not feel enlarged or diminished, elevated or lowered, because my label should be replaced by another.
For the world, I will not change, and, for me, the world will not change.
Will my blood change? Will my thought become different? Will my feelings become different? Everything that makes me “me,” will it all become something else?
The curve of a melody or a branch laden with flowers; the polychrome richness of a chord or of the sky; the rhythm of poetry and the flesh, of thought and the stars, will all this change?
Will I have less joy in breathing a beautiful flower or a beautiful soul? Will I have less joy in drinking the ardor of the sun and of my love? Will I have less joy in biting a velvety fruit or the even more velvety lips of my beloved?
Axieros
Réalisons !
Dans presque toutes les villes importantes, combien il de jeunes copains qui sont victimes de l’exploitation éhontée des marchands des soupe ou de sommeil ? Pourquoi ne s’entendraient-ils pas pour l’achat, la location ou la construction d’une maison qui les abriterait, eux et les copains qui passent toujours dans les grandes villes : une salle commune avec bibliothèque où l’on vient se retremper, la journée finie, où l’on retrouve des copains pour discuter un peu des événements journaliers. Ce serait là le véritable club anarchiste et il serait utile d’examiner cette question de façon à la rendre viable plutôt que de continuer à engraisser les marchands de sommeil.
Liberto,
Café-bar Charles, 16, place Clémenceau, Avignon.
Liberto, “Réalisons!,” l’en dehors 4 no. 55/56 (31 Mars 1925): 4.
Let’s Do It!
In almost all the major cities, how many of our young fellows are victims of the shameless exploitation of the soup or sleep merchants? Why would they not agree on the purchase, rental or construction of a house that would shelter them and the friends who always pass through the big cities: a common room with library where we come to be reinvigorated, when the day is over, where we meet up with friends to discuss daily events. This would be the real anarchist club and it would be helpful to look at this issue in a way that makes it viable rather than continuing to fatten the sleep merchants.
Liberto,
Café-bar Charles, 16, place Clémenceau, Avignon.
Aurore
Après la nuit le jour pointe, grandit, s’enfuit, puis c’est tous les jours… la même comédie.
Comédie naturelle, pleine d’enseignement pour l’homo qui pense.
Qui pense et agit simultanément, car penser sans agir c’est stérilité, léthargie !?
Allons, réveille-toi, dormeur qui rêvez…
Enfin, triomphe de ta nuit et réalise ton jour de beauté, humain qui veut vivre et voir la vie fleurir en tout et partout…
Et que chaque jour se lève l’aube nouvelle où sans crainte tu peux croire en toi, en l’aurore des « temps nouveaux ».
Ovide Ducauroy.
Ovide Ducauroy, “Aurore,” l’en dehors 4 no. 58 (7 Mai 1925): 4.
Daybreak
After the night, the day breaks, grows and disappears—every day… the same comedy.
A natural comedy, full of lessons for the thinking homo.
Who thinks and acts simultaneously, because to think without acting is sterility, lethargy!?
Come on, wake up, dreaming sleeper ..
Finally, triumph over your night and realize your day of beauty, human who wants to live and see life flourish in everything and everywhere …
And let each day bring the new dawm where, without fear, you can believe in yourself, in the daybreak of the “new times.”
Ovide Ducauroy.
On a préconisé, comme un moyen efficace de dominer son adversaire, un effort constant tendant à s’identifier à lui de telle sorte qu’on puisse par une sorte de lecture de pensée deviner ou prévoir ses plans d’offensive et ses projets d’attaque. On peut se demander si ce moyen de défense convient à l’être qui a conscience de sa valeur, et si son emploi ne porte pas au contraire atteinte au développement de l’Individu qui s’en sert.
E. Armand.
E. Armand, [Citation], l’en dehors 4 no. 59 (24 Mai 1925): 2.
Some have recommended, as an effective means of dominating one’s adversary, a constant effort to identify with them in such a way that one can, by some kind of thought-reading, guess or foresee their offensive programs and plans for attack. We might well wonder if this means of defense is suitable for a being who is aware of their own value, and if its use does not, on the contrary, undermine the development of the Individual who makes use of it.
E. Armand.
Le but d’existence humaine n’est pas de suivre la tradition et de respecter les préjugés, mais de penser et d’agir par soi-même, en faisant chaque jour un effort plus grand vers la sagesse.
Gérard de Lacaze-Duthiers
Gérard de Lacaze-Duthiers, [Citation], l’en dehors 4 no. 59 (24 Mai 1925): 3.
The purpose of human existence is not to follow tradition and respect prejudices, but to think and act on one’s own, making each day a greater effort towards wisdom.
Gérard de Lacaze-Duthiers
Echapper le plus possible au milieu social en lui faisant le minimum de concessions inévitables, mettre ses actes en rapport avec ses conceptions, voilà ce que fait un anarchiste dans l’actuelle société.
Liberto.
Liberto, [Citation], l’en dehors 4 no. 64 (8 Août 1925): 4.
To escape as much as possible the social milieu, making a minimum of inevitable concessions, putting our acts in line with our ideas, that is what makes an anarchist in the present society.
Liberto.
Ici, à l’’EN DEHORS, nous ne nous abaissons pour ainsi jamais aux polémiques personnelles. Nous nous méfions des polémistes de ce genre, des intérêts que sous main ils défendent, des profits qu’hypocritement ils poursuivent sous leur masque bénévole d’accusateurs publics. Il nous suffit amplement que ceux que vise notre ligne de conduite soient atteints et le sentent.
l’en dehors 4 no. 65 (31 Août 1925): 3.
Here, at l’en dehors, we never stoop to personal controversies. We are wary of polemicists of that sort, of the hidden interests they defend, of the hypocritical profits they pursue under their benevolent mask of public accusers. It is more than enough for us that those targeted by our course of action are touched and feel it.
Les anarchistes sont plus souvent qu’à leur tour victimes de tapeurs qui, n’ayant past le courage d’opérer dans un autre milieu, viennent là où ils ne risquent que quelques coups de pied au… postérieur ; ce qui, en réalité, n’est guère payé. Débarrassons nos milieux de la naïveté et de la crédulité qui en font la faiblesses.
Liberto.
Liberto, [Citation], l’en dehors 4 no. 66 (20 Septembre 1925): 3.
The anarchists are, more often than is their share, victims of spongers who, not having the courage to work in another milieu, come where they only risk a few kicks in the… posterior, which, in reality, is hardly payment. Let us rid our milieus of the naïveté and credulity that are their weaknesses.
Liberto.
JUGER de la façon de se comporter d’un compagnon ou d’une compagne selon TON critère de la vie anarchiste, et non selon LE SIEN ou LA SIENNE, c’est faire besogne de législateur our de légiférant, mais non pas d’anarchiste. Alors, toi QUI JUGES, pourquoi te dire anarchiste ?
l’en dehors 4 no. 69 (31 Octobre 1925): 3.
TO JUDGE the behavior of a a comrade, male or female, according to YOUR criterion for anarchist life, and not according to THEIR OWN, is to do the work of a legislator or lawgiver, but not that of an anarchist. So, you WHO JUDGE, why do you call yourselves anarchists?
L’anarchie ne prétend pas supprimer les instituions en général ; mais les institutions qui violent la liberté et qu’on remplacerait par des institutions auxquelles les hommes se soumettraient librement, en vertu de raison. Il semble que la société d’hommes intelligents ne devrait pas être organisée autrement.
Léon Tolstoï, “Journal intime,” l’en dehors 4 no. 71/72 (10 Décembre 1925): 1.
Anarchy does not mean to suppress institutions in general, but the institutions that violate liberty, which would be replaced by institutions to which men would submit freely, by virtue of reason. It seems that the society of intelligent men shouldn’t be organized in any other way.
[Working translations and English adaptations by Shawn P. Wilbur]