Joseph Déjacque, “Scandal” (1858)

I have this nagging fear that perhaps readers of the blog have not been reading the translations by Joseph Déjacque. It’s hard for me to imagine any other reason for the failure of at least a minor Déjacque cult emerging. His work strikes me as an exciting amalgamation of revolutionary fervor and socialist social science, with literary qualities which range from the heights to the depths in entirely entertaining ways. This essay is from Le Libertaire No. 4 (August 2, 1858), and is a sort of explanation for his approach to anarchist propaganda. Along the way it includes one of the most interesting characterizations of “revolutionaries” I’ve ever seen. In the final section, we see the revolutionary idea make another appearance, although this time it is Scandal which is personified. (And if you missed the rather sexy personification of the Revolutionary Idea in the Prelude to Part II of The Humanisphere, go back and experience one of the strangest turns ever in the framing narrative for a utopia…)

Le Scandale.

Nous vivons une époque de décadence. Le monde n’est peuplé que de cadavres ambulants. Tout ce qui se meut, se meut avec lenteur. Une souveraine indolence pèse sur les nations et sur les individus. Cependant, en regardant profondément dans ce charnier humain, on aperçoit la vie souterraine qui s’agite, pullule, et s’aventure parfois à la surface. Notre siècle est un siècle de transition ; sous son apparente inertie s’opère une immense transformation. Ce n’est pas encore la mort entière du vieil ordre social, et déjà c’est le commencement du nouveau. L’opération, pour être latente n’en est pas moins réelle. Gouvernement, propriété, famille, religion, tout ce qui composait l’organisme des sociétés civilisées se détraque et tombe en pourriture. Il n’y a plus de morale ; la morale du passé n’a plus de sève, celle de l’avenir n’est encore qu’un germe. Ce qui pour l’un est le bien, pour l’autre c’est le mal. La justice n’a d’autre critérium que la force ; le succès légitime tous les crimes. La pensée comme le corps se prostituent dans le commerce des intérêts mercantiles. Il n’y a plus de joies possibles, si ce n’est les joies de la brute. La dignité, l’amitié, l’amour, sont bannis de nos mœurs, gisent séparés l’un de l’autre, ou périssent strangulés sitôt qu’ils veulent se faire jour à travers cette société officiellement bourgeoise. Il n’y a plus ni grâce ni beauté dans ce monde, ni naïf sourire ni délicat baiser. Le sentiment de l’art est remplacé par le goût de l’ignoble et du grotesque. La société, dans sa décrépitude, a recours à de sanglantes flagellations pour surexciter sa vieille carcasse et se donner parfois encore d’affreux semblants de virilité. L’atonie, la gangrène ont émoussé toutes ses facultés pour le travail comme pour le plaisir. Elle ne peut plus jouir de rien. Pour elle, le travail est une peine et le plaisir un travail. Elle ne sait ni ce qu’elle veut ni ce qu’elle ne veut pas. Tout lui pèse ; elle trébuche et s’affaisse dans toutes les débauches et toutes les lâchetés. Elle voudrait sortir de cet horrible cauchemar, secouer ce fardeau de dégradation qui l’étouffe ; elle a hâte de se réveiller ; elle sait qu’elle n’a qu’à ne dresser sur ses pieds pour anéantir cette oppression, et elle est tellement énervée qu’elle n’a pas la force de se relever, pas le courage de vaincre son engourdissement. Et cependant l’idée fermente en elle, et l’illumine intérieurement dans son sommeil, en attendant qu’elle soit assez puissante pour lui faire ouvrir les yeux et rayonner par sa prunelle. Un pan de sa vie, sa robe charnelle, est pris dans le sépulcre du passé ; un autre pan, son esprit flotte au vent de l’avenir.

C’est à nous, révolutionnaires, lambeaux de l’humanité que le souffle du progrès soulève, haillons sociaux que la lumière colore de ses feux pourpres, et qu’elle arbore au-dessus des civilisés comme un épouvantail ou un drapeau, – épouvantail pour ceux qui veulent rester stationnaires, drapeau pour ceux qui veulent s’élancer en avant, – c’est à nous d’activer l’œuvre de décomposition, à nous d’essayer de déceler la pierre qui retient l’Humanité dans l’immobilisme, à nous de lui frayer les voies de l’universelle régénération.

Deux manières d’agir se présentent à celui qui veut se faire le propagateur des idées nouvelles. L’une, c’est la discussion calme, scientifique, qui sans rien abdiquer des principes, les expose, et les commente avec une exquise courtoisie, avec une ferme modération. Ce procédé consiste à infiltrer goutte à goutte la vérité dans les intelligences déjà préparées, intelligences d’élite, encore en proie à l’erreur, mais animées de bonne volonté. Missionnaires de la Liberté, prédicateurs au regard souriant, à la voix caressante, (mais non pas hypocrite,) ils versent avec le miel de leur parole la conviction dans le cœur de ceux qui les écoutent ; ils initient à la connaissance du vrai ceux qui en ont le sentiment. L’autre, c’est la discussion acerbe, bien que scientifique aussi, mais qui, campée dans les principes comme dans une cotte de mailles, s’arme du Scandale comme d’une hache pour frapper à coups redoublés sur les crânes bardés de préjugés, et les forcer à s’agiter sous leur épaisse enveloppe. Pour ceux-là, il n’y a pas de paroles assez acérées, pas d’expressions assez tranchantes pour faire voler en éclats toutes ces ignorances d’acier trempé, cette pesante et sombre armure qui aveugle et assourdit les lourdes masses populaires. Tout leur est bon – le dard aigu et l’huile bouillante – pour faire tressaillir jusque dans leur for intérieur et sous leur écaille de tortue ces intelligences apathiques, et faire résonner, en les déchirant, ces fibres qui ne résonnent pas. Circulateurs agressifs, damnés et damnateurs errants, ils marchent, sanglants et saignants, le sarcasme aux lèvres, l’idée au front, la torche au poing, à travers les haines et les huées, à l’accomplissement de leur fatale tâche ; ils convertissent comme l’esprit de l’enfer convertit : par la morsure et par le feu.

Les deux manières de procéder sont bonnes et utiles, selon le genre[s] d’auditeurs que l’on rencontre sur sa route. Il en faut des uns et il en faut des autres. C’est pour les uns et pour les autres une affaire de tempérament, une question de condition dans la société actuelle. On peut même alternativement être l’un et l’autre, selon la disposition d’esprit ou le milieu dans lequel on se trouve. Les uns comme les autres, s’ils ne bronchent pas dans les principes, s’ils restent fermes dans la liberté, sont les agents provocateurs de la Révolution. Seulement, dans nos sociétés civilisées, c’est le petit nombre qui est disposé à écouter, c’est le grand nombre qui fait la sourde oreille, et c’est par le Scandale qu’on lui perce le tympan.

Comment d’ailleurs, ne pas employer des mots forgés avec la langue du mépris pour pénétrer dans ce fumier du monde où se pavanent, comme des champignons vénéneux, les rondes et plates faces de l’ignominieuse bourgeoisie. Peut-on employer autre chose que les dents d’une fourche pour parler à ces végétations de matières légales ? Est-ce que tout cela a le sentiment ? est-ce que tout cela a la pensée ? Un homme de cœur peut-il vivre dans une pareille société ? Cela s’appelle-t-il vivre que de traîner ses jours parmi cette cohue immonde ? Est-ce ma faute à moi, est-ce notre faute à nous, qui avons au cœur la poésie de l’avenir, si la nature nous a donné des fibres pour aimer, une intelligence pour le bien, de l’enthousiasme pour le beau, et si nous ne rencontrons à chaque pas que des difformités intellectuelles et morales ? Est-ce notre faute à nous si dans pareille société nous ne trouvons à dépenser que de la haine, si nous ne pouvons nous y repaître que de dégoûts ?

O Scandale ! furie vengeresse, sois toujours ma compagne tant que ce monde sera le vieux monde, tant que l’obésité et l’obscénité bourgeoises s’épanouiront sur le velours de l’exploitation, tant que la servilité et la crétinité ouvrières ramperont dans l’ornière et sous le licou du capital !

Oui, il en faut comme moi, il en faut comme nous – les maudits, les rebelles – pour marcher inflexibles – dans la direction du progrès, pour remuer les blocs inertes, affronter les avalanches de cailloux et aplanir le chemin à ceux qui ont le même but, mais qui font la propagande avec des formes moins irritantes, de la polémique avec des épithètes plus pacifiques.

Scandale, furie vengeresse, à toi ma plume et ma lèvre !

C’est par toi que la honte entre dans le cœur de l’homme. C’est par toi que son esprit s’éveille à la lumière. C’est par toi que le méchant tremble, c’est par toi que le bon espère.

S’il y a encore, ou plutôt s’il y a déjà quelque pudeur dans le monde, Scandale, furie vengeresse, grande redresseuse des mœurs, c’est à toi qu’on le doit.

C’est toi qui force les ennemis de l’idée nouvelle de servir cette idée en la critiquant. Tout ce qui parle de socialisme, en bien ou en mal, propage le socialisme en propageant son nom. Tôt ou tard la vérité se dégage de la contre-vérité, elle a raison à la longue de ses détracteurs. Le mutisme seul lui est nuisible, et c’est toi, Scandale, qui impose la parole aux muets et, bon gré mal gré, les contraint à se faire les héraults de ce qu’ils persécutent.

Scandale, autorité anarchique, tu es plus puissante que toutes les autorités du monde officiel. Les rois et les bourgeois, les empereurs et leurs sujets ne peuvent que mettre le baillon de la mort sur la bouche des hommes ; toi, voix stridente, fibre électrique, tu fais parler même les bornes !

O Scandale ! grand éducateur des sourds et muets, souffle révolutionnaire, déité satanique, déploie tes a[î]les et vibre sur le monde ; fais jaillir l’idée de tous ces cerveaux de granit, comme les sons sibyllins du fond des grottes.

Scandale, tu es l’orgue qui fait que les fronts des civilisés se prosternent dans leur opprobre et que leur pensée s’élève jusqu’aux sphères de l’harmonie future.

Mugis et tonne encore, tempête provocatrice. L’éclat de tes mugissements est un hymne salutaire.

A toi ma plume et ma lèvre, Scandale !

SCANDAL

We live in an era of decadence. The world is peopled only with walking corpses. Everything that moves, moves slowly. A sovereign indolence weighs on nations and individuals alike. However, looking deeply into this human charnel house, we glimpse the subterranean life that stirs, swarms and sometimes ventures to the surface. Our century is a century of transition; beneath its visible inertia an immense transformation is taking place. This is not yet the complete death of the old social order, but it is already the beginning of the new. The operation, although it is latent, is nonetheless real. Government, property, family, religion, everything that makes up the organism of the civilized societies breaks down and begins to rot. There are no more morals; the morals of the past no longer have any sap; those of the future are still only a sprout. What is good for the one is evil for the other. Justice has no criterion other than force; success legitimates all crimes. Mind and body are prostituted in the commerce of mercantile interests. Pleasures are no longer possible, if they are not the pleasures of the brute. Dignity, friendship, and love are banished from our customs, lie separated from one another or perish, strangled, as soon as they arise, all across this officially bourgeois society. There is no more grace or beauty in this world, no naïve smile or delicate kiss. The feeling for art is replaced by the taste for the disgusting and grotesque. Society, in its decrepitude, resorts to bloody flagellation to over-stimulate its old carcass and sometimes still give itself some dreadful semblance of virility. Atony and gangrene have blunted all its capacities for labor and pleasure alike. It can no longer enjoy anything. For it, work is a punishment and pleasure a labor. It does not know what it wants or what it does not want. Everything weighs on it; it stumbles and sinks in every sort of depravity and cowardice. It wants to escape from this horrible nightmare, to shake off the burden of degradation that suffocates it; it looks forward to waking up. It knows that it only has to stand up on its feet to destroy this oppression—but it is so drained that it does not have the strength to rise or the courage to conquer its numbness. And yet the idea ferments in it, and enlightens it internally in its sleep, until it is powerful enough to make society open its eyes and to shine from its pupils. One side of its life, its robe of flesh, is left in the sepulcher of the past; the other side, its mind or spirit, floats on the winds of the future.

It is up to us, revolutionaries, tatters of humanity whom the breath of progress lifts, social rags that the light of understanding colors with its purple fires, rags that it displays above the Civilized like a scarecrow or a flag,—a scarecrow for those who want to remain stationary, and a flag for those who want to press forward,—it is up to us to stimulate the work of decomposition, up to us to try to show what stone holds Humanity immobile, up to us to open the paths of universal regeneration.

Two manners of acting present themselves to those who wish to become propagators of new ideas. One is calm, scientific discussion that, without renouncing anything of principles, exhibits them and comments on them with a fine courtesy and firm restraint. This process consists of injecting truth drop by drop into minds that are already prepared, elite intelligences, still beset by error, but animated by good will. Missionaries of Liberty, preachers with smiling faces and caressing voices, (but not hypocrites,) with the honey of their words they pour conviction into the hearts of those who listen to them; they initiate into the knowledge of truth those who have a feeling for it. The other is bitter argument, although scientific as well, which, standing firm in its principles as in a coat of mail, arms itself with Scandal as with an axe, to strike redoubled blows on the skulls of the prejudiced and force them to shake within their thick casing. For thosewho choose this path, there are no words blistering enough, no expressions cutting enough to shatter all this ignorance, hardened like steel, this dark and ponderous armor that blinds and deafens the dull masses of the people. Everything is good for them—the sharp sting and the boiling oil—if it makes apathetic intelligences tremble in their heart of hearts, beneath their tortoise shells, and makes ring out, by tearing at them, those fibers that do not resonate. Aggressive circulators, wandering damned and damnators, they march, bloodthirsty and bleeding, sarcasm on their lips, the idea before them, torch in the hand, through hatreds and hisses, to accomplish their fated task. They convert as the spirits of hell convert: by bites and and by flame.

Both approaches are good and useful, depending on the sorts of listeners we encounter along our way. Some require one and some require the other. For both, it is a matter of temperament, a question of their condition in the current society. They can even be alternately applied, according to the disposition of the mind or the environment in which we find ourselves. Both, if they do not back down from the principles, if they cling firmly to liberty, are agents provocateurs [in the sense of inciting agents] of the Revolution. However, in our civilized societies, it is the smallest number who are disposed to listen. The greatest number turn a deaf ear, and it is by Scandal that one pierces the eardrum.

How, anyway, are we to avoid employing words forged with a scornful tongue to penetrate into this dunghill of the world where strut, like poisonous mushrooms, the round, flat faces of the ignominious bourgeoisie. Can we employ anything but the teeth of a pitchfork to speak of legal matters to these vegetables? Do they feel? Do they think? Can a man with a heart live in such a society? Is he called to live only to drag out his days among that filthy rabble? Is it my fault, it is our fault—we who have in our heart the poetry of the future—if nature has given us some disposition to love, an understanding of the good and an enthusiasm for the beautiful, while, at every step, we encounter only intellectual and moral deformities? Is it our fault if, in such a society, we only find hate to dispense, if we can only delight in disgust?

O Scandal! Vengeful fury, be my companion as long as this world remains the old world, as long as bourgeois obesity and obscenity blossom in the shelter of exploitation, as long as, servile and stupid, the workers grovel in their place, under the halter of capital!

Yes, there must be some like me, like us—the cursed, the rebels—to march, unbending, in the direction of progress, to move the inert blocks, to face the avalanches of stones and smooth the way for those who have the same goal, but who make propaganda in less irritating forms, who engage in polemics on more peaceful terms.

Scandal, avenging fury, my pen and my lips are yours!

It is through you that shame enters the hearts of men. It is through you that their minds awaken to enlightenment. It is through you that the wicked tremble and through you that the good hope.

If there is still, or rather if there is already some modesty in the world, Scandal, avenging fury, great redresser of morals, it is to you that it is owed.

It is you who forces the enemies of the new idea to serve this idea by criticizing it. All who speak of socialism, for good or evil, spread socialism by spreading its name. Sooner or later truth emerges from untruth. It gets the better of its detractors in the long run. Only silence is harmful and it is you, Scandal, who imposes speech on the mute and, whether they like it or not, forces them to make themselves heralds of the thing they persecute.

Scandal, anarchic authority, you are more powerful than all the authorities of the official world. The kings and the bourgeois, the emperors and their subjects can only put the gag of death on the mouths of men; you—strident voice, electric fiber—you make even the stones speak!

O Scandal! Great educator of the deaf and mute, revolutionary breath, satanic deity, spread your wings and resonate across the world; draw out the idea from all these granite skulls, like the sibylline sounds from the depths of the grottos.

Scandal, you are the organ that makes the Civilized bow down their heads in their shame, and that raises up their thought to the spheres of future harmony.

Howl and rumble on, provocative storm. Your thunder-bursts are a salutary anthem.

My pen and my lips are yours, Scandal!

[Working translation by Shawn P. Wilbur; revised May 8, 2020]

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Independent scholar, translator and archivist.