Flowers of Solitude… — Chapter III — Love and Sexualism

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CHAPITRE III

Amour et Sexualisme

CHAPTER III

Love and Sexualism

LA FEMME DUPE DE L’HOMME

« La femme dupe de l’homme ». Cela est-il bien exact, et que faut-il entendre exactement par cette déclaration ? Qu’après s’en être servi, l’avoir utilisée comme instrument de plaisir, de son plaisir, l’homme abandonne la femme ; s’en insoucie désormais. Mais il y a aussi l’homme que la femme abandonne, sans y mettre plus de gants que son congénère masculin, parfois moins. Il y a même plus — il ÿ a l’homme réduit à l’état de pantin par la coquetterie féminine, l’homme dont la femme sert comme d’un jouet et qu’elle utilise à ses fins. Il y a davantage : il y à l’homme dupe du foyer, de l’intérieur, du ménage, de la famille — l’homme qu’en employant toutes sortes de pressions, la femme retient à la maison, distrait, éloigne de tout mouvement émancipateur, aussi bien individuel que général ; l‘homme que la femme avachit, rend incapable de s’intéresser tout autant à son développement personnel qu’à l’évolution collective. Il y a la femme outil de réaction, proie et instrument des êtres de recul, exerçant une influence néfaste sur son compagnon et sur sa progéniture. Et la femme qui s’acharne à la ruine matérielle de l’homme qui est tombé dans ses filets ? Je n’en finirais pas si je voulais énumérer toutes les manières dont l’homme, lui aussi, est « dupe » de la femme… Soyons équitable. J’admets que fréquemment la femme est la dupe de l’homme, mais je maintiens qu’à proportions égales l’homme est la dupe de la femme. Plus souvent que la femme .e fait pour lui, l’homme sacrifice à cette dernière son évolution cérébrale, le développement de son intelligence, son perfectionnement physiologique et psychologique.

Woman the Dupe of Man

“Woman the dupe of man.” Is this really true, and what exactly is meant by this statement? That after having made use of her, having used her as an instrument of pleasure, of his pleasure, the man abandons the woman; doesn’t care about her anymore. But there is also the man whom the woman abandons, without putting more gloves on it than her male counterpart, sometimes less. There is even more — there is the man reduced to the state of a puppet by feminine coquetry, the man for whom the woman serves as a toy and whom she uses for her purposes. There is more: there is the duped man of the home, of the interior, of the household, of the family — the man whom, by using all kinds of pressure, the woman keeps at home, distracts, keeps away from any emancipatory movement, both individual and general; the man who is weakened by the woman, making him incapable of being interested in his personal development or in collective evolution. There is the woman, a tool of reaction, prey and instrument of beings in retreat, exerting a harmful influence on her companion and on her offspring. And the woman who pursues the material ruin of the man who fell into her net? I would never end it if I wanted to list all the ways in which man, too, is “duped” by woman… Let’s be fair. I admit that woman is frequently the dupe of man, but I maintain that in equal proportions man is the dupe of woman. More often than the woman does for him, the man sacrifices to the latter his cerebral evolution, the development of his intelligence, his physiological and psychological improvement.

MA COMPAGNE COMME AMIE INTIME

Je veux bien prendre ma compagne pour mon amie intime, ne rien lui laisser ignorer de mes désirs, de mes aspirations, de mes pensées les plus secrètes ; mais c’est à la condition qu’elle n’agisse pas à mon égard comme un pion ou un confesseur, c’est-à-dire que je la trouve toujours disposée à m’infliger quelque pénitence. Ou je lui dirait tout ; et alors, au lieu de me morigéner, et de me réprimander, elle m’aidera de ses conseils, elle m’assistera de ses expériences, elle approfondira mon tempérament afin de prendre une part réelle à mes angoisses et à mes liesses. Ou je ne lui dirai pas tout, par crainte de ses remontrances, et alors elle ne sera qu’une amie partielle. Tout homme, avant de contracter liaison avec une femme, devrait se | demander : « Combien de temps pourra-telle être mon amie intime ? »

My Companion as Intimate Friend

I am willing to take my companion as my close friend, not letting her know anything about my desires, my aspirations, my most secret thoughts; but this is on the condition that she does not act towards me as a pawn or a confessor, that is to say that I always find her willing to inflict some penance on me. Either I would tell her everything; and then, instead of scolding me and reprimanding me, she will help me with her advice, she will assist me with her experiences, she will deepen my temperament in order to take a real part in my anxieties and my joys. Or I won’t tell her everything, for fear of her reprimands, and then she will only be a partial friend. Every man, before contracting an affair with a woman, should ask: “How long can she be my close friend?”

LA QUESTION DE LA LIBERTÉ SEXUELLE

Il ne s’agit pas de se demander si la pratique de amour libre a donné, lorsque réalisés en des natures impréparées ou inaptes, de mauvais résultats, E ne s’agit pas de poser la variabilité amoureuse comme le seul facteur d’évolution du fait sexuel. Il ne s’agit pas de se demander si la monogamie ou la monoandrie est une aberration. Nous posons la question de la liberté sexuelle, comme nous posons la question de la liberté intellectuelle où scientifique — la question de la liberté d’opiner, de se réunir ou de s’associer. Et c’est dans un esprit semblable que le problème doit être résolu. Faire une exception pour l’activité amoureuse ; revendiquer, sauf dans ce domaine, la faculté pour chacun de se déterminer selon ses aspirations et ses goûts, c’est faire montre d’un illogisme indéfendable.

The Question of Sexual Freedom

It is not a question of wondering whether the practice of free love has given, when carried out in unprepared or unfit natures, bad results. It is not a question of posing amorous variability as the only factor in the evolution of the sexual fact. It is not a question of whether monogamy or monoandry is an aberration. We ask the question of sexual freedom, as we ask the question of intellectual or scientific freedom — the question of the freedom to consent, to meet or to associate. And it is in a similar spirit that the problem must be resolved. To make an exception for romantic activity, to claim, except in this area, the ability for each person to determine themselves according to their aspirations and tastes, is to demonstrate indefensible illogic.

L’OBJECTION COMIQUE

Rien n’est plus risible que d’entendre s’élever contre les « perversions » où les « anomalies » sexuelles les partisans de la « Grève des Ventres », c’est-à-dire des gens partisans de contrarier la nature. Voir des néo-malthusiens adversaires des goûts contre-nature, ça ressemble à reprocher à un pendu de s’être servi d’une corde.

The Comical Objection

Nothing is more laughable than to hear the partisans of the “Strike of Wombs,” partisans of frustrating nature, rise up against sexual “perversions” and “anomalies.” To see neo-malthusians opposed to unnatural tastes is like rebuking a hanged man for using a rope.

LES GERMES ET LES GRAINES

Le nationalisme, le chauvinisme, le bellicisme, l’exploitation et la domination sont en germe dans la jalousie, l’accaparement sexuel, l’exclusivisme amoureux, la fidélité conjugale. La moralité sexuelle profite toujours aux partis rétrogrades, au conservatisme social. Moralitéisme et autoritarisme sont liés l’un à l’autre comme le lierre au chêne.

Sprouts and Seeds

Nationalism, chauvinism, warmongering, exploitation and domination are germinated in jealousy, sexual monopolization, romantic exclusivism, marital fidelity. Sexual morality always benefits retrograde parties, social conservatism. Morality and authoritarianism are linked to each other like the ivy to the oak.

DES PHRASES-PHARES

« Tout ce qui se fait par amour se fait par delà le bien et le mal ». (F. Nietzsche). Il est des phrases-phares. Et celle-là en est une. Devant ces quelques mots éblouissants, fulgurants, les oiseaux de nuit de l’amour fuient en effet à tire d’ailes. Car l’immense forêt de l’amour recèle des oiseaux de nuit qui, le soleil couché, hullulent sur toutes sortes de tons plaintifs et désolants. Ici, ce sont des voix sourdes qui affirment qu’en amour il faut calculer, raisonner, consulter le bon ton, se soucier du qu’en dira-t-on, se situer en deçà du bien, redouter de faire mal. Là ce sont les résonances des préjugés religieux ou conventionnels qui détonnent comme autant de notes fausses, au beau milieu de l’harmonie de l’instinct. Mais je l’affirme, quiconque ressent de l’amour « pour de vrai » — de l’amour par delà le bien et le mal — celui-là n’a jamais entendu murmurer ces voix ou bruire ces résonances. Interrogez-vous plutôt.

Beacon-Phrases

“Everything that is done out of love is done beyond good and evil.” (F. Nietzsche). There are beacon-phrases. And this is one of them. Faced with these few dazzling, blinding words, the night birds of love indeed take wing and flee. Because the immense forest of love conceals night birds, which, when the sun goes down, howl in all kinds of plaintive and desolate tones. Here, there are deaf voices that affirm that in love we must calculate, reason, consult the right tone, worry about what people will say, place ourselves on this side of good, fear doing harm. There it is the resonances of religious or conventional prejudices that clash like so many false notes, right in the middle of the harmony of instinct. But I affirm it, anyone who feels love “for real” — love beyond good and evil — has never heard these voices whisper or these resonances rustle. Ask yourself instead.

AVENTURE OU CAPRICE ?

J’avais cru à une aventure, non point à un caprice. Une aventure ne connaît pas de limite de temps, il est vrai, mais elle revêt un caractère profond, tragique, véhément qu’ignore le caprice. Le caprice, c’est la caricature de l’aventure.

Adventure or Caprice?

I had believed in an adventure, not a caprice. An adventure knows no time limit, it is true, but it takes on a profound, tragic, vehement character unknown to the caprice. The caprice is the caricature of the adventure.

L’AMITIÉ ET L’AMOUR

« L’amitié survit à l’amour ». C’est-à-dire que l’aspect fondé et éprouvé de l’affection dure encore, tandis que pâlit de plus en plus l’aspect uniquement émotionnel et superficiel de l’attraction physique.

Friendship and Love

“Friendship outlives love.” That is to say that the grounded and proven aspect of affection still lasts, while the purely emotional and superficial aspect of physical attraction increasingly pales.

LORSQUE J’AIME

Lorsque j’aime, c’est parce qu’on me plait ; parce que je suis attiré d’abord, retenu ensuite. C’est un regard où il me semble déchiffrer tout un roman, ce sont des lèvres révélatrices de volupté. C’est une pression de main. C’est un détail de démarche. Un tour d’esprit prompt. Un ton de voix qui me pénètre profondément: Une correspondance passionnée. Une tournure agréable. Un appel au désir. C’est cela et mille autres menues choses encore que je ne saurais raisonner. Je ne réfléchis pas au lendemain. Je me déclare sur le champ. Je n’interroge point. Les antécédents m’insoucient. Je ne me préoccupe pas de ce qu’on dit et de ce qu’on fait quand je ne suis plus là. Je n’interviens pas dans la vie que mène hors de moi qui j’aime. Je n’interviens pas du moins sans qu’on me sollicite. Susceptible, il ne me plait pas d’être dédaigné. J’ai horreur des allumeuses, des flirteuses, des « femmes qui font souffrir ». Et, dans tout cela, je crois, tout en me conformant à ma nature, me rapprocher de la nature, ma Mère. J’en ai la conviction intime.

When I Love

When I love, it is because someone pleases me; because I am attracted first, then held. It is a look where I seem to decipher an entire novel, it is lips revealing voluptuousness. It is the squeeze of a hand. It is a detail of the gait. A quick turn of mind. A tone of voice that penetrates me deeply. A passionate correspondence. A nice turn of phrase. A call to desire. It is that and a thousand other little things that I can’t reason about. I don’t think about tomorrow. I declare myself immediately. I don’t ask questions. The antecedents do not concern me. I don’t care what people say or do when I’m gone. I do not intervene in the life that the one I love leads outside of me. At least I don’t intervene without being asked. Sensistive, I don’t like being disdained. I hate teases, flirts, “women who cause pain.” And, in all this, I believe, while conforming to my nature, bringing me closer to nature, my Mother. I am deeply convinced of this.

 

JE PRÉFÈRE DON JUAN

Un homme m’a dit : Je suis cynique. Ma morale est celle du polynésien classique : « Le bien, pour moi, c’est de posséder la femme du voisin : le mal est que le voisin possède la mienne, par conséquent… »

— « Pas un mot de plus, je vous en prie, ai-je retorqué. J’aime votre cynisme mais je vous préfère Don Juan qui libérera de votre esclave — votre femme — et celle de votre ami le polynésien. »

I Prefer Don Juan

A man told me: I’m cynical. My morality is that of the classic Polynesian: “The good, for me, is to possess the neighbor’s wife: the evil is that the neighbor possesses mine, therefore…”

— “Not another word, please,” I retorted. I like your cynicism but I prefer Don Juan who will free your slave — your wife — and that of your friend the Polynesian.”

 

DEMEURER JEUNE

Dire d’un producteur intellectuel, écrivain ou artiste, qu’il est demeuré « jeune » ne signifie pas, bien entendu, que grâce à un miracle, il a pu se soustraire au mécanisme du déterminisme universel qui fait parcourir un même cycle à tous les organismes vivants : naissance, croissance, déclin, mort. Cette locution exprime tout simplement qu’en dépit des hivers qui ont pu s’accumuler sur son front, l’intellectuel dont s’agit n’a rien perdu de l’originalité, de la hardiesse, du dédain des formules scolastiques et de la facilité à la diversité qui caractérisaient les débuts de sa production.

On sait que l’observation a maintes fois démontré qu’en ce qui concerne les affaires courantes de l’existence, l’on n’a jamais que l’âge qu’on se sent, a fortiori lorsqu’il s’agit de la conception des idées et de la matérialisation des enfantements de la pensée.

C’est ainsi que tel intellectuel qui nombre à peine vingt-cinq printemps peut être classé parmi les vieillards qui exploitent encore la branche littéraire ou artistique dans laquelle il opère. Un pressent, à la lecture ou à l’examen de ses toutes premières productions, que son esprit ne brisera jamais le moule au-dedans duquel mijote son activité. Littérateur, son dernier roman, son poème ultime portera l’empreinte de son jet initial. Artiste, son dernier tableau, son dernier livret, sa statue dernière révéleront les mêmes procédés de composition que ses premiers travaux, non point du tout qu’il ait atteint dès l’abord cette perfection dans les résultats qui rend presque inutile, pour quelques rares exceptions, un développement ultérieur ; mais bien parce que, dès le principe, il est manifeste que cet intellectuel s’est inféodé à quelque routine, enrôlé dans quelque école à laquelle il restera fidèle jusqu’à la fin — à la façon dont le chien reste fidèle à son maître et à sa niche.

Mais ce n’est point à ces remarques générales que je voudrais m’en tenir. Je veux essayer de rechercher à quel signes évidents l’on peut reconnaître qu’un écrivain ou un artiste est « resté » jeune — jeune de conception et jeune d’exécution — autrement dit audacieux, vigoureux, ardent ; l’esprit aux aguets, l’entendement à l’affût ; ouvert aux déductions qui jaillissent de l’imprévu — qui sourdent des expériences nouvelles, des sensations fraîches.

Ma thèse est celle-ci : que c’est dans le rôle plus ou moins prononcé que l’aspect sexuel de Ta vie joue dans sa production qu’on peut déterminer, qu’on peut se rendre compte de la vitalité d’un producteur intellectuel.

Il ne s’agit pas ici de l’aspect sexuel de la vie envisagé comme spécialité de production intellectuelle — on peut traiter toute sa vie de la question sexuelle d’une manière froide, compassée, machinale, comme on traiterait froidement, machinalement de n’importe quel autre sujet. Je parle de l’aspect sexuel de la vie en me plaçant au point de vue de la nature, qui ne sépara pas la floraison et l’épanouissement des organismes vivants de la faculté, de la sensibilité sexuelle. En d’autres termes, je pose que l’artiste, l’écrivain, demeurera jeune et vivait dans la mesure où il restera « amoureux » — je n’emploie ce terme un peu vulgaire que parce qu’il exprime bien ce que je veux expliquer. Le jour où pour raison ou une autre, l’intellectuel cessera d’être amoureux, sa production portera les marques d’une décadence, d’une caducité, d’une cristallisation indécrottables. Même alors qu’on y rencontrerait une apparence d’intérêt au fait amoureux.

Je maintiens que les romanciers, les poètes, les artistes, etc., qui ont eu le bonheur de faire vibrer l’intelligence et d’émouvoir les sens de ceux qui s’intéressaient à leur labeur — l’ont dû à ce qu’ils sont demeurés amoureux jusqu’à la fin. Leur intérêt pour l’expérience amoureuse se montrait, se glissait, apparaissait enfin sous une forme ou sous une autre dans toute œuvre qui émanait d’eux. Non point, après tout, que l’amour format le thème inéluctable de leur productivité, mais c’est parce qu’ils étaient amoureux — autrement dit sensibles à la face amoureuse de la vie — que leur œuvre reflétait de si remarquables qualités d’invention, d’imagination, de variété ou de fraîcheur — une pareille spontanéité et un tel brio.

To Remain Young

To say of an intellectual producer, writer or artist, that he has remained “young” does not mean, of course, that thanks to a miracle, he has been able to escape the mechanism of universal determinism that makes all living organisms go through the same cycle: birth, growth, decline, death. This expression quite simply expresses that despite the winters that may have accumulated on his forehead, the intellectual in question has lost none of the originality, the boldness, the disdain for scholastic formulas and the aptitude for diversity that characterized the beginnings of his production.

We know that observation has repeatedly demonstrated that when it comes to the day-to-day affairs of life, we are only as old as we feel, a fortiori when it comes to the conception of ideas and the materialization of the birth of thought.

This is how one intellectual who is barely twenty-five years old can be classified among the old men who still exploit the literary or artistic branch in which he operates. A feeling, when reading or examining his very first productions, that his spirit will never break the mold within which his activity simmers. As a literary man, his last novel, his final poem will bear the imprint of his initial draft. As an artist, his last painting, his last booklet, his last statue will reveal the same compositional processes as his first works, not at all that he achieved from the start this perfection in the results that make, for a few rare exceptions, further development almost useless; but because, from the beginning, it is obvious that this intellectual has made himself subservient to some routine, enrolled in some school to which he will remain faithful until the end — in the way in which the dog remains faithful to its master and to his kennel.

But it is not to these general remarks that I would like to confine myself. I want to try to find out by what obvious signs we can recognize that a writer or an artist has “remained” young — young in conception and young in execution — in other words bold, vigorous, ardent; the mind on the alert, the understanding on the lookout; open to the deductions that spring from the unexpected — that spring from new experiences, fresh sensations.

My thesis is this: that it is in the more or less pronounced role that the sexual aspect of your life plays in its production that we can determine, that we can realize the vitality of an intellectual producer.

It is not a question here of the sexual aspect of life considered as a specialty of intellectual production — one can treat the sexual question throughout one’s life in a cold, stiff, mechanical manner, as one would treat any other subject. I speak of the sexual aspect of life from the point of view of nature, which does not separate the flowering and development of living organisms from the sexual faculty, from sexual sensitivity. In other words, I posit that the artist, the writer, will remain young and alive to the extent that he remains “in love” — I only use this somewhat vulgar term because it expresses well what I want to explain. The day when, for one reason or another, the intellectual ceases to be in love, his production will bear the marks of an irreconcilable decadence, caducity, and crystallization. Even if there is an appearance of romantic interest there.

I maintain that novelists, poets, artists, etc., who have had the good fortune to thrill the intelligence and move the senses of those who were interested in their work — owed it to the fact that they remained in love until the end. Their interest in the experience of love showed itself, crept in, finally appeared in one form or another in every work that emanated from them. Not, after all, because love forms the inevitable theme of their productivity, but it is because they were in love — in other words sensitive to the loving side of life — that their work reflected such remarkable qualities of invention, imagination, variety or freshness — such spontaneity and brilliance.

JE N’ÉCRIS PAS POUR DES MALADES

Un autre homme est venu qui m’a expliqué qu’il était jaloux. Je ne nie pas la jalousie pas plus que je nie la fièvre. Mais je n’écris pas pour des malades. Il faut une très bonne santé intellectuelle et générale pour supporter certaines thèses révolutionnaires relatives au sexualisme. Nous sommes de ceux que la vie emporte au point qu’il ne nous reste pas assez de temps pour ramasser les blessés le long de la route où nous avançons. Et rappelez-vous, en passant, que l’activité de l’initiateur n’est pas celle de l’infirmier.

I Do Not Write for the Sick

Another man came and explained to me that he was jealous. I don’t deny jealousy any more than I deny fever. But I don’t write for sick people. Very good intellectual and general health is required to support certain revolutionary theses relating to sexualism. We are among those whom life carries away to the point that we do not have enough time left to pick up the wounded along the road we are traveling on. And remember, in passing, that the activity of the initiator is not that of the nurse.

LA CRAINTE DE LA CONCURRENCE

« S’il en rencontre une autre… Si elle en rencontre un autre. »Toujours la crainte de la concurrence, la peur de la comparaison… Il est un moyen dans tous les domaines, de ne redouter ni la concurrence ni la comparaison, c’est de posséder ou de développer en soi une aptitude particulière, une caractéristique spéciale. Car la concurrence n’est réellement dangereuse que lorsqu’il y a égalité de qualité. Dans le domaine de l’amour, le fait que vous êtes doué d’une qualité originale n’empêchera pas qui vous aime de rechercher en d’autres que vous les qualités que vous ne possédez plus (l’attrait du nouveau, par exemple) — mais cette même qualité particulière fera que vous aussi, on vous recherchera.

The Fear of Competition

“If he meets another… If she meets another.” Always the fear of competition, the fear of comparison… There is one way in all areas to fear neither competition nor comparison; it is to possess or develop in oneself a particular aptitude, a special characteristic. Because competition is only really dangerous when there is equality of quality. In the field of love, the fact that you are gifted with an original quality will not prevent whoever loves you from looking in others than for qualities you that you no longer possess (the attraction of the new, for example) — but this same particular quality will mean that you too will be sought after.

ERREUR

Tu dédaignas celui-là parce que, prétendais-tu, tu ne voulais pas d’un être qui t’élevât vers lui — tu voulais d’un homme tu élevas vers toi. Tu as choisi celui-ci. Regarde sur quel degré de l’échelon tu es descendue aujourd’hui.

Error

You disdained that one because, you claimed, you did not want a being who raised you towards him — you wanted a man who raised you towards you. You chose this one. See how far down the rung you went today.

SE RÉVÉLER

On peut se demander, pour une femme qui se qualifie d’anarchiste, s’il y a moins grande prostitution à être salariée par l’Etat qu’à procurer dix fois, cent fois, les joies de l’amour à un camarade qu’elle estime, avec qui elle sympathise et qui en ressentirait une si grande joie. M’est avis que si j’étais femme, j’éprouverais, en certains cas, une grande félicité intérieure à me créer la force de volonté voulue pour donner de la joie amoureuse à un ami qui ne m’inspirerait pas une absolue répugnance et avec lequel je me sentirais suffisamment d’affinités de sentiment et d’esprit. Je crois que je trouverais dans cet abandon de mon corps à ses caresses, la volupté intimement égoïste qu’on goûte chaque fois qu’on consent à ce que quelqu’un éprouve du bonheur par vous.

A un autre point de vue, il se produit assez souvent que c’est avec « l’officiant » ou « l’officiante » — qui ne vous porte pas dès l’abord « à la peau » qu’on éprouve par la suite le plus de satisfaction à célébrer les rites de la volupté ». En amour, il y a des tempéraments qui ne le livrent pas entièrement du premier coup. Une hirondelle ne fait-pas plus le printemps qu’une heure d’amour ne révèle tout ce que les êtres qui la vivent sont capables de manifester en fait de réalisations amoureuses.

To Reveal Yourself

We can ask ourselves whether, for a woman who calls herself an anarchist,  there is less prostitution in being paid by the State than in providing ten times, a hundred times, the joys of love to a comrade whom she she esteems, with whom she sympathizes and who would feel such great joy. It is my opinion that if I were a woman, I would experience, in certain cases, a great inner happiness in creating for myself the strength of will required to give loving joy to a friend who would not inspire in me absolute repugnance and with whom I would feel sufficient affinities of feeling and spirit. I believe that I would find in this abandonment of my body to his caresses, the intimately selfish pleasure that one tastes each time one consents to someone experiencing happiness through you.

From another point of view, it happens quite often that it is with the “officiant” — male or female — who does not take you “to the skin” from the start that we experience subsequently the most satisfaction in celebrating the rites of sensual pleasure. In love, there are temperaments that do not fully deliver on the first try. A swallow does not make spring any more than an hour of love reveals everything that the beings who experience it are capable of manifesting in terms of amorous achievements.

POUR FAIRE RÉFLÉCHIR NOS COMPAGNES

C’est un fait que la plus grande partie de Ja clientèle des courtisanes s’est recrutée dans tous les temps chez les « hommes mariés » et les « pères de famille» — qu’il s’agisse de la « rôdeuse » des fortifs ou de l’actrice en vedette. Il ne s’agit pas de passer cette constatation sous silence, puisqu’il est question d’un fait commun à l’Athènes de jadis et au Paris contemporain. Je souhaite que nos compagnes en tirent toutes les déductions sensées et scientifiques qui leur soient possibles.

In Order to Make Our Companions Reflect

It is a fact that the greatest part of the clientele of courtesans has always been recruited from “married men” and “fathers of families” -—whether it is the “prowler” of the city walls or the featured actress. It is not a question of passing over this observation in silence, since it is a question of a fact common to the Athens of yesteryear and to contemporary Paris. I hope that our companions will draw all the sensible and scientific deductions that are possible for them.

RECEVEZ-MOI TEL QUE JE SUIS

Ma compagne… Ma femme… Ma fille… Ma sœur… tu comprends… Si tu en devenais amoureux. Ou elle… Mes chers préjugés. Que de restrictions | Garde-les, puisqu’ils sont ta propriété : femme,-fille, sœur, préjugés… Je ne veux pas qu’on m’impose de restrictions — intellectuelles, sentimentales, sexuelles, etc. — dès le seuil de la demeure où l’on m’invite comme hôte… Je ne fréquente pas les maisons où l’on compte l’argenterie morale quand j’ai quitté la salle à manger, Ou recevez. moi tel que je suis, moi et mes conséquences, ou ne m’invitez pas.

Receive Me as I Am

My companion… My wife… My daughter… My sister… you understand… If you fell in love with her. Or she… My dear prejudices. So many restrictions. Keep them, since they are your property: wife, daughter, sister, prejudices… I do not want restrictions imposed on me — intellectual, sentimental, sexual, etc. — from the threshold of the house where I am invited as a guest… I do not frequent houses where moral silverware is counted when I have left the dining room. Either receive me as I am, me and my consequences, or don’t invite me.

DE LA CONCURRENCE SEXUELLE

Dans le règne animal, l’irritante question de l’égalité sexuelle ne souffre pas de discussion, En règle générale, chez les insectes, c’est la femelle qui détient la première place ; le mâle n’occupe qu’une situation accessoire, jusqu’à la comestibilité incluse, comme il arrive pour les araignées. Chez les vertébrés, le mâle est le maître et la femelle obéit, s’appelât-elle tigresse, lionne, ourse ou poule. Le problème de l’égalité ou plutôt de la concurrence des sexes s’est posé dans l’espèce humaine dès que la femme a quitté le foyer pour travailler au dehors, et son acuité a crû avec l’accroissement du salaire féminin. La question est d’ailleurs consécutive aux conditions d’existence dans les grandes villes, au développement de l’industrialisme et aux circonstances dans lesquelles s’opère la production mécanique. Le problème ne se posait pas de la même façon quand la production était agricole ou pastorale ; il ne présentait pas la même acuité dans la période de l’artisanat ou quand les hommes ne se groupaient qu’en agglomérations restreintes : hameaux, villages, bourgs peu étendus. La « lutte » entre les sexes (comme l’entendent les contemporains) est fonction des modes de production actuelle.

Of Sexual Competition

In the animal kingdom, the irritating question of sexual equality does not admit of discussion. As a general rule, among insects, it is the female who holds first place; the male only occupies an accessory position, up to and including edibility, as happens with spiders. Among vertebrates, the male is the master and the female obeys, whether she is called tigress, lioness, bear or hen. The problem of equality, or rather competition between the sexes, arose in the human species as soon as women left the home to work outside the home, and its acuteness increased with the increase in women’s wages. The question is also a consequence of the conditions of existence in large cities, the development of industrialism and the circumstances in which mechanical production takes place. The problem did not arise in the same way when production was agricultural or pastoral; it did not present the same acuteness in the period of craftsmanship or when men only grouped themselves in small agglomerations: hamlets, villages, small towns. The “struggle” between the sexes (as contemporaries understood it) is a function of current modes of production.

 

DES DIVERSES FORMES DE L’ACTIVITÉ SEXUELLE

Les observations ont démontré qu’on retrouvait chez nos frères les animaux toutes les formes connues de la vie sexuelle. Leur réalisation dépend de la nature de l’individu, de l’espèce à la quelle il appartient, de sa confirmation, du but que l’accouplement poursuit, etc. On trouve chez des animaux qui vivent en la compagnie de l’homme une ignorance absolue de la soi-disant répulsion qu’engendre une consanguinité étroite. La monogamie, la polygamie, la monoandrie, la polyandrie, une monogamie relâchée, une polygamie relative, il y a place pour toutes ces manifestations dans le monde animal. Parmi les insectes, c’est la femelle qui incline à la pluralité ; chez les vertébrés, c’est le mâle. Dans l’espèce humaine où aboutissent et s’épanouissent toutes les aspirations, toutes les réalisations de l’animal, il est compréhensible qu’on retrouve toutes les formes de pratique sexuelle.

Of the Various Forms of Sexual Activity

Observations have demonstrated that we find among our animal brothers all the known forms of sexual life. Their realization depends on the nature of the individual, the species to which it belongs, its confirmation, the goal that the coupling pursues, etc. We find in animals that live in the company of man an absolute ignorance of the so-called repulsion which close inbreeding engenders. Monogamy, polygamy, monoandry, polyandry, relaxed monogamy, relative polygamy, there is room for all these manifestations in the animal world. Among insects, it is the female that inclines towards plurality; among vertebrates, it is the male. In the human species where all the aspirations, all the achievements of the animal culminate and flourish, it is understandable that we find all forms of sexual practice.

L’AMOUR COMME UNE BATAILLE

Oui, l’amour est une bataille où l’homme, en général, remporte la victoire et où la femme, en général, entre plusieurs prétendants, élit celui qui a évincé les autres, qu’il se soit servi de la violence ou de la ruse. Mais ceci s’entend de l’amour pratiqué entre humains vulgaires. Lorsque l’amour, outre l’aspect purement physique, comporte l’amitié, profonde, à longue portée, comme cela a lieu cite amants doués de sensibilité, il en va tout autrement, tout au moins pour l’homme. Il ne s’agit pas d’évincer des rivaux, mais de se demander si la femme vers laquelle on se sent porté est capable de répondre à la confiance que comporte l’amour qu’on ressent pour elle.

Love as a Battle

Yes, love is a battle where the man, in general, wins and where the woman, in general, among several suitors, elects the one who has ousted the others, whether he has used violence or cunning. But this means love practiced between common humans. When love, in addition to the purely physical aspect, includes deep, long-range friendship, as happens among lovers gifted with sensitivity, it is quite different, at least for man. It is not a question of ousting rivals, but of asking yourself if the woman you feel drawn to is capable of responding to the trust that comes from the love you feel for her.

LA FEMME ET LA NATURE

On reproche aux femmes de préférer à l’homme rangé, pacifique, de mœurs tranquilles, l’aventurier, le bohème, le réfractaire — l’en dehors pour tout dire. En cela la femme se rapprocherait de la nature qui réserve ses faveurs à celui qui, pour ainsi dire, la violente et la dompte. C’est pourtant vrai que la nature est impitoyable au timide, au paisible, à l’irrésolu et qu’elle n’accorde ce qu’elle peut donner qu’au « vainqueur », autrement dit au plus apte ou au plus rusé, aux passionnés en un mot. Je crois qu’en ce qui concerne la femme, il y a un motif de plus qui la pousse vers l’irrégulier. Sa sensibilité lui révèle que ce n’est pas sans souffrance qu’il a conquis sa place hors rang. C’est de même à cause de sa sensibilité qu’elle est attirée vers le poète, l’artiste, l’acteur, le rêveur, vers quiconque lui semble un incompris. La nature, elle aussi, qu’on ne l’oublie pas est plus sujette à l’impression qu’à la raison.

D’ailleurs, j’accorde volontiers que c’est dans les choses qui dépendent du sentiment bien plus que dans celles qui ressortent du raisonnement que les individualités véritables se montrent elles-mêmes. Un être dominé exclusivement par le raisonnement n’est bientôt plus qu’un automate. Celui en qui la passion ne trouve plus de place n’est qu’un cadavre vivant.

Woman and Nature

Women are reproached for preferring to the tidy, peaceful man of quiet morals, the adventurer, the bohemian, the refractory — the outsider, the « en-dehors», to put it bluntly. In this way, woman would be closer to nature, which reserves its favors for those who, so to speak, impose on it and tame it. It is nevertheless true that nature is merciless to the timid, the peaceful, the irresolute and that it only grants what it can give to the “victor,” in other words to the fittest or the most cunning, to enthusiasts in a word. I believe that as far as women are concerned, there is one more that which pushes them towards irregularity. Her sensitivity reveals to her that it was not without suffering that he conquered his place above rank. It is also because of her sensitivity that she is attracted to the poet, the artist, the actor, the dreamer, to anyone who seems misunderstood to her. Nature, too, let us not forget, is more subject to impression than to reason.

Moreover, I readily admit that it is in things that depend on feeling much more than in those that emerge from reasoning that true individualities show themselves. A being dominated exclusively by reasoning is soon nothing more than an automaton. He in whom passion no longer finds a place is only a living corpse.

LES DEUX MORALES

Votre insistance, Mademoiselle, à me parler de la « pureté d’âme » de Lamartine ou de De Vigny ou encore de l’intransigeance de Balzac me lasse. Ces grands littérateurs produisirent sous l’influence de la femme, je ne dis point d’une femme. Faut-il que je cite les noms de leurs amies ? Eléonore de Canonge, Marianne Elisa Birch, Caroline Angebert, Delphine Gay, Marie Dorval, Camilla Maunoir, Marie de Clérembault, Delphine Bernard, Clotilde Busoni, que sais-je encore! On attribue à Balzac une demi-douzaine d’enfants naturels, dont la fille de Maria, cette jeune femme qui servit de modèle à Eugénie Grandet et qui lui avait promis s’il l’aimait, lui, un an, de l’aimer, elle, toute la vie, Ces demi-dieux vivaient sur la terre et n’étaient pas plus insensibles que ceux de l’Olympe à l’attirance féminine. D’ailleurs, sans ce facteur — ou ce stimulant — compterait-on un seul chef-d’œuvre, dans les arts, comme dans les lettres ? Ici, je constate, je ne tire pas de conclusions. J’entends votre réponse : C’est admis chez un Lamartine, un Hugo, un De Vigny, un Balzac, une George Sand, etc., mais non chez le serrurier d’à côté ou la couturière den face. Le voilà bien, le système des deux morales : non pas une morale à l’usage de l’homme et une morale à l’usage de la femme — mais une morale à l’usage du producteur intellectuel et une morale à l’usage du producteur manuel.

The Two Morals

Your insistence, Mademoiselle, in talking to me about the “purity of soul” of Lamartine or De Vigny or even the intransigence of Balzac tires me. These great writers produced under the influence of women, I do not say of a woman. Should I mention the names of their friends? Eléonore de Canonge, Marianne Elisa Birch, Caroline Angebert, Delphine Gay, Marie Dorval, Camilla Maunoir, Marie de Clérembault, Delphine Bernard, Clotilde Busoni, and who knows who else! Balzac is credited with having half a dozen natural children, including the daughter of Maria, this young woman who served as a model for Eugénie Grandet and who had promised him that if he loved her for one year, to love him all his life, These demigods lived on earth and were no more insensitive than those of Olympus to female attraction. Besides, without this factor — or this stimulus — would we count a single masterpiece, in the arts, as in letters? Here, I note, I do not draw conclusions. I hear your answer: It is accepted by a Lamartine, a Hugo, a De Vigny, a Balzac, a George Sand, etc., but not by the locksmith next door or the seamstress across the street. There it is, the system of two moralities: not a morality for the use of man and a morality for the use of woman — but a morality for the use of the intellectual producer and a morality for the use of the manual producer.

QUE RESTERA-T-IL ?

Vous voulez enlever la sensualité de la vie ? Très bien, mais alors qu’est ce qui restera de la vie qui vaille la peine de l’éprouver et de la sentir ?

What Will Remain?

You want to take the sensuality out of life? Very good, but then what will remain of life that is worth experiencing and feeling?

L’AMOUR A LA « BOURGEOISE »

La femme ne plaît plus sexuellement c’est entendu. Ses charmes sont fanés. Aussi n’est-ce plus l’amour qui retient les conjoints ensemble. C’est la ferme, l’épicerie, la quincaillerie, le cabaret exploité en commun. Et puis, il y a les enfants, et la femme a recours à tous les moyens pour retenir l’homme, non pas qu’il lui plaise, mais parce qu’elle ne peut subvenir toute seule à leur entretien, et qu’elle est trop flétrie pour espérer rencontrer quelqu’un qui s’attache à elle. L’homme sait tout cela, cette vie de famille le dégoûte, mais il reste quand même. Dans cette association d’intérêts se trouve ainsi réalisée la conception bourgeoise et légale de l’amour.

Love in the “Bourgeois” Manner

The woman is no longer sexually attractive, it is understood. Her charms are faded. So it is no longer love that keeps spouses together. It is the farm, the grocery store, the hardware store, the jointly operated cabaret. And then there are the children, and the woman resorts to all means to keep the man, not because he pleases her, but because she cannot provide for them alone, and she is too withered to hope to meet someone who will become attached to her. The man knows all this, and this family life disgusts him, but he stays anyway. In this association of interests the bourgeois and legal conception of love is thus realized.

L’ENFANT DE L’AMOUR

Je ne nie pas le charme de « l’enfant de l’amour », les tendres souvenirs qu’il évoque, le passé de fraicheur et d’exaltation amoureuse qu’il rappelle, mais c’est un fait que bien souvent « l’enfant de l’amour » n’est pas le mieux portant de la famille. Il a été conçu dans un moment où ses géniteurs pensaient bien davantage au plaisir résultant de l’accouplement, qu’à perpétuer l’espèce. Combien de fois sur cent les parents de l’enfant de l’amour n’auraient-ils pas désiré qu’il restât à l’état d’espérance ? Même désiré ou accueilli avec joie, il à été procréé dans un moment de surexcitation génitale elle que cette circonstance est nettement défavorable à son développement ultérieur.

The Child of Love

I do not deny the charm of the “child of love”, the tender memories that he evokes, the past of freshness and amorous exaltation that he recalls, but it is a fact that very often the “child of love” is not the healthiest of the family. It was conceived at a time when its progenitors thought much more about the pleasure resulting from mating, than about perpetuating the species. How many times out of a hundred would the parents of the child of love not have wanted him to remain in a state of hope? Even if desired or welcomed with joy, he was procreated in a moment of genital overexcitement, which is clearly unfavorable to its further development.

POINT DE PRIVILÈGE EN AMOUR LIBRE

Ce serait seulement à quelques privilégiés que serait réservée la pratique de la liberté sexuelle, la réalisation de l’amour libre ? Le reste des hommes y serait inapte ? Halte-là. Je m’insurge contre le monopole et le privilège aussi bien en matière amoureuse qu’en matière économique ou intellectuelle. Qu’on propose d’abord la thèse amour-libriste. L’expérience sélectionnera ensuite ceux qui y sont aptes. Peut-être est-ce parmi ceux qui semblent le moins adaptés que se trouvent les meilleurs expérimentateurs. Puis, ce n’est pas parce qu’à soixante-quinze ans vous vilipendez une théorie dont l’application a fait les délices de votre jeunesse qu’il faut en dégoûter autrui.

No Privilege in Free Love

Would it be only a privileged few for whom would be reserved the practice of sexual freedom, the realization of free love? Would the remainder of men be unfit for it? Stop there. I protest against monopoly and privilege in matters of love as well as in economic or intellectual matters. Let us first propose the free-loveist thesis. The experiment will then select those who are suitable for it. Perhaps it is among those who seem least adapted that the best experimenters are found. An then, it is not because at seventy-five you vilify a theory whose application was the delight of your youth that you should put others off it.

LA LITTÉRATURE COMME HORS-D’ŒUVRE

La femme aimée à l’encontre de la loi — où, si l’on veut, sans se soucier de la morale établie — est le sujet de tellement d’œuvres classiques, voire religieuses, que si l’on retirait de la circulation tous les unes basés sur cette thèse, il ne resterait pas grand’chose des chefs-d’œuvre de la littérature, celle du passé et celle des temps modernes. Comment se fait-il alors que les sociétés proscrivent l’amour hors-la-loi ? Tout simplement parce qu’elles ne considèrent la littérature que comme un hors-d’œuvre où un amusement, quelque chose dans le genre des combats de gladiateurs ou des combats de coqs.

Literature as an Hors-d’Œuvre

The woman loved in defiance of the law — or, if you prefer, without concern for established morality — is the subject of so many classical, even religious works, that if we withdrew from circulation all the works based on this premise, little would remain of the masterworks of literature, whether of the past or of modern times. So how is it that societies forbid love outside the law? Quite simply because they consider literature only as an hors-d’œuvre or amusement, something like gladiatorial combats or cockfights.

LA FEMME ET LE SERPENT

Pourquoi est-ce la femme qui se laissa séduire la première et séduisit à son tour l’homme ? J’admets bien que le rédacteur de la Genèse avait besoin de cet incident pour légitimer la dépendance de la femme et expliquer les douleurs de l’enfantement. Mais n’y a-til pas aussi là un symbole de l’esprit de curiosité et de vivacité d’esprit de la femme, toujours prête à accueillir le nouveau, l’aventureux ? D’ailleurs, le serpent, symbolisant un initiateur de révolte, ne savait-il pas que pour être suivi par l’homme, il lui fallait d’abord gagner la femme ?

The Woman and the Serpent

Why is it the woman who first allowed herself to be seduced and in turn seduced the man? I admit that the writer of Genesis needed this incident to legitimize the dependence of women and explain the pains of childbirth. But isn’t this also a symbol of the spirit of curiosity and liveliness of the woman, always ready to welcome the new, the adventurous? Besides, didn’t the snake, symbolizing an initiator of revolt, know that to be followed by the man, he had to first win the woman?

SUR LA COHABITATION

Sans doute y aurait-il beaucoup moins de discussions où de motifs d’incompréhension entre êtres de sexe différent appelés à vivre ensemble, si l’on conservait assez d’empire sur soi-même pour dissimuler à celui avec lequel on vit certains côtés de son tempérament qui lui déplaisent ou le soucient.

Il n’est que des individus supérieurs qui consentent à passer sur les traits de caractère qui ne leur plaisent pas chez ceux avec lesquels ils cohabitent — bien entendu lorsqu’ils en ont trouvé assez qui les satisfassent.

On Cohabitation

No doubt there would be much less discussion or reasons for incomprehension between beings of different sexes called to live together, if we retained enough control over ourselves to conceal from the person with whom we live certain aspects of our temperament that displease or concern them.

It is only superior individuals who agree to overlook the character traits that they do not like in those with whom they cohabit — of course when they have found enough that satisfy them.

CONSÉQUENCES DE L’AMOUR DE LA VIE

Aimer la vie conduit naturellement à aimer la femme. Aimer la femme conduit à aimer la chair. Qui aime la chair donnera à la sensibilité charnelle, sexuelle, la place qui lui revient dans le développement de l’individu. Et cette place est importante. Qui sa compris s’efforce de mettre sur le même plan la volupté et la sagesse, la jouissance et la connaissance. Il arrive qu’on ne le comprend pas, qu’on torture ses dits et qu’on dénature ses gestes. Mais on s’aperçoit bientôt que ceux qui le prennent plus violemment à partie sont les moins sages et les moins sachants.

Consequences of the Love of Life

Loving life naturally leads to loving women. Loving woman leads to loving the flesh. Whoever loves the flesh will give carnal, sexual sensitivity its rightful place in the development of the individual. And this place is important. Whoever understands this strives to put voluptuousness and wisdom, enjoyment and knowledge, on the same level. Sometimes we don’t understand him, we torture his words and distort his actions. But we soon realize that those who take him to task most violently are the least wise and the least knowledgeable.

FAUTE D’OSER

Faute d’oser, tu pouvais passer une nuit d’amour. Et il t’aurait plu, je le sais, de la passer ainsi. Une nuit qui peut-être ne se représentera plus — sous le même aspect j’entends. — Une nuit d’amour, cela compte dans la vie. — Et tu as hésité, tu as craint… quoi done ?… l’opinion de ceux qui étaient là, tous gens qui n’en étaient certes pas à leur première expérience amoureuse. Tu as craint leur « petite » opinion publique, plus redoutable, as-tu pensé, que la « grande ». Faute de t’affirmer personnellement. Faute d’être « toi ». Faute d’oser, te dis-je.

For Want of Daring

If you had dared, you could spend a night of love. And I know it would have pleased you to spend it like this. A night that perhaps will never come again — under the same aspect I mean. — A night of love counts in life. — And you hesitated, you feared… what?… the opinion of those who were there, all people who were certainly not at the beginning of their love experience. You feared their “small” public opinion, more formidable, you thought, than the “big” one. For lack of asserting yourself individually. For want of being “yourself.” For want of daring, I tell you.

AMOUR PLURAL ET SOUFFRANCE

Il est faux de dire que les amoureux pluraux ne souffrent que peu ou prou des séparations ou des ruptures lorsqu’elles ont lieu prématurément, lorsqu’elles leur ont été imposées. C’est un préjugé de réserver la souffrance aux seuls amoureux uniques. Je conçois fort bien que le tempérament de « l’amoureux unique » le pousse à ne comprendre qu’un seul amour à la fois et la souffrance y relative. Ce que je lui conteste, c’est de porter un jugement sur la sensibilité de « l’amoureux plural ».

Plural Love and Suffering

It is false to say that plural lovers only suffer more or less from separations or breakups when they occur prematurely, when they have been imposed on them. It is a prejudice to reserve suffering only for single lovers. I understand very well that the temperament of the “single lover” pushes him to understand only one love at a time and the suffering associated with it. What I challenge is the judgment he passes on the sensitivity of the “plural lover.”

DU « CHIQUÉ » SEXUEL

On peut se demander s’il n’y a pas beaucoup d’exagération dans la valeur que nombre de nos congénères du sexe féminin donnent à l’octroi de leurs faveurs, style de faits-divers. Elles font trop souvent de l’abandon à une joie qui apparaît tout ce qu’il y a plus sain et normal au biologiste le moins expert, un synonyme d’action surnaturelle ou extraordinaire. S’il y a souvent dans cette attitude l’empreinte d’une hérédité oppressive et d’une éducation dont on n’a pas su faire litière, il y a aussi du « chiqué », et pas mal. Une chose certaine c’est qu’il nous importe peu d’être épris de l’artiste pour goûter l’œuvre l’art. Or, l’érotique est un art.

Of Sexual “Affectation”

One might wonder if there is not much exaggeration in the value that many of our female fellows give to the granting of their favors, news item style. They too often make abandon, a joy that appears healthy and normal to the least expert biologist, a synonym for supernatural or extraordinary action. If there is often in this attitude the imprint of an oppressive heredity and an education that we have not been able to put away, there is also some “affectation,” and often quite a lot. One thing is certain: it matters little to us whether we are in love with the artist in order to appreciate the work of art. Now, the erotic is an art.

UNE FEMME M’A DIT

Préconiser la « liberté sexuelle » ne va pas sans qu’on se voit poser dés questions et opposer des remarques.

C’est ainsi qu’une femme m’a dit : « Je vieillis. Je ne puis compter économiquement que sur l’homme avec lequel je cohabite. Supposez qu’il en rencontre une autre, plus jeune, douée de plus d’attraits… Que ferais-je ? que deviendrais-je ? »

J’ai répondu : — « Madame, les listes de la prostitution, à Paris, mentionnent des prostituées ayant dépassé la soixantaine. Vous n’en êtes pas encore à cet âge-là, je crois. »

A Woman Said to Me

One does not advocate “sexual freedom” without questions being asked and comments made.

So, for example, one woman said to me: “I’m getting old. I can only count economically on the man with whom I live. Suppose he meets another, younger, more attractive… What would I do? What would become of me?”

I replied: — “Madame, the prostitution lists in Paris mention prostitutes over the age of sixty. You’re not at that age yet, I think.”

UNE AUTRE FEMME EST VENUE

Une autre femme est venue, laquelle m’a dit : — « Que nous restera-t-il à nous, lorsque nous seront vieilles, que nous aurons perdu la fraicheur de la jeunesse, l’éclat de notre teint ? Nos amants nous délaisseront, et notre soif d’amour ne sera cependant pas apaisée. »

J’ai répondu : — « Madame, il vous restera beaucoup si vous le voulez : le charme de l’esprit, l’acquis de l’expérience, la science de la volupté. Travaillez à acquérir ce « beaucoup » des maintenant: »

Another Woman Came

Another woman came and said to me: “What will we have left when we are old, when we have lost the freshness of youth, the radiance of our complexion? Our lovers will abandon us, and our thirst for love will not be satisfied.”

I replied: — “Madame, you will have a lot left if you want it: the charm of the mind, the acquired experience, the science of pleasure. Work to acquire this ‘lot’ now.”

JE SUIS HOMME

Quand je m’occupe des questions sexuelles, c’est à titre d’homme — c’est-à-dire d’être du genre masculin — et non point à titre d’abstraction. Mais il n’est pas une seule ligne de ce que j’écris qui ne soit écrite aussi bien pour l’un que pour l’autre sexe.

I Am a Man

When I deal with sexual questions, it is as a man — that is to say, as a being of the masculine gender — and not as an abstraction. But there is not a single line of what I write that is not written as well for the other sex.

INCOMPÉTENCE

Si vous n’avez pas un tempérament amoureux, je comprends que ce qui concerne la vie amoureuse, les raffinements individuels dont elle est susceptible, et l’idée de l’envisager comme un des beaux arts ne vous intéressent pas. Je ne me suis jamais adressé à vous, d’ailleurs. Je ne me suis jamais permis non plus de donner de conseils à un savetier concernant son travail — j’ignore la cordonnerie et les métiers qui s’y rattachent.

Incompetence

If you do not have a loving temperament, I understand that what concerns the love life, the individual refinements of which it is susceptible, and the idea of considering it as one of the fine arts does not interest you. I never addressed you, anyway. I have never allowed myself to give advice to a cobbler regarding his work either. — I am ignorant of shoemaking and the trades associated with it.

ATTRAITS TANGIBLES

Il est faux de dire qu’on se sent toujours attiré vers un être d’un sexe autre que le sien par ses qualités intellectuelles ou sa force de caractère. L’éclat de ses yeux, la fraîcheur de son teint, la finesse de sa peau, la douceur de son élocution, les promesses de son tempérament, et tant d’autres attraits tangibles et palpables, peuvent constituer des appâts qui sont aussi appréciables la connaissance des mathématiques supérieures où l’inflexibilité de jugement.

Tangible Attractions

It is false to say that we always feel attracted to a being of a sex other than our own by their intellectual qualities or their strength of character. The radiance of their eyes, the freshness of their complexion, the delicacy of their skin, the softness of their speech, the promise of their temperament, and so many other tangible and palpable attractions, can constitute lures that are as appreciable as the knowledge of higher mathematics or inflexibility of judgment.

RÉCIPROCITÉ

Au détour d’une rue, je rencontrai Archippe. — Maitre, commença-t-il… Ça flatte toujours un peu la vanité, même quand on se prétend mort à ces choses-là… Maître, tenez-vous toujours la réciprocité comme base des rapports entre les humains? — Certes oui et plus que jamais. — Eh bien, n est-ce pas la réciprocité même qu’en échange de l’entretien que j’assure à ma famille, ma femme me conserve une fidélité impeccable ? — Tu ne t’es donc pas regardé, malheureux ? Tu as le cheveu rare, le regard éteint, la voix sans éclat, le geste sans audace… La réciprocité s’accomplit pleinement du fait que ta compagne accepte de co-habiter avec toi, fait comme tu es… Mais Archippe s’était déjà enfui.

Reciprocity

At the corner of a street, I met Archippe. — Master, he began… This always flatters vanity a little, even when we claim to be dead to these things… Master, do you still hold reciprocity as the basis of relationships between humans? — Certainly, yes, and more than ever. — Well, isn’t it reciprocity itself that in exchange for the support I provide for my family, my wife maintains impeccable loyalty to me? — So you haven’t looked at yourself, wretch? You have rare hair, dull eyes, a lackluster voice, a gesture without audacity… Reciprocity is fully accomplished by the fact that your partner agrees to live with you, made as you are… But Archippe had already fled.

PITIÉ AMOUREUSE ?

Sophronie est la franchise ou la charité même — comme on voudra. « Si mon compagnon savait, — dit-elle — que j’ai des amants, il en éprouverait force peine. Or, je l’aime et ce que je considère comme une faiblesse chez lui est compensé par tant d’autres qualités que c’est comme une goutte d’eau dans un vase. Voici ce que je ferai : je prendrai mes précautions pour qu’il ignore mes expériences amoureuses extérieures et, de cette façon, je ne gâterai pas mon plaisir en sachant qu’il en souffre.»

Amorous Compassion?

Sophronia is frankness or charity itself — as you wish. “If my companion knew,” she said, “that I have lovers, he would feel great pain. Now, I love him and what I consider a weakness in him is compensated for by so many other qualities that it’s like a drop of water in a vase. This is what I will do: I will take precautions so that he remains unaware of my external romantic experiences and, in this way, I will not spoil my pleasure by knowing that he suffers from it.”

INCONSÉQUENCE

Sosthène a le bonheur de cohabiter avec une femme très intelligente et d’esprit « très large ». Un jour qu’il se promenait avec elle et une amie qui ne pouvait être qu’une passante dans sa vie, quelle ne fut pas sa stupéfaction d’entendre sa compagne habituelle se plaindre qu’il accordait « plus d’attention » à cette amie d’un soir « qu’à elle », avec laquelle il réside les cinq ou six dixièmes de son temps !

Inconsistency

Sosthène has the pleasure of living with a very intelligent and “very broad-minded” woman. One day, when he was walking with her and a friend who could only be a passerby in his life, how astonished he was to hear his usual companion complain that he paid “more attention” to this one-night friend “than to her,” with whom he resides five or six tenths of his time!

MA VIE AMOUREUSE

Tu as esquissé mon portrait. Tel que tu m’apercevais. Selon la vision de tes yeux et celle de ton imagination. Peut-être bien — ô ami — que par certains traits ton esquisse diffère de l’original. Je veux dire de l’original tel que je me le représente. Il se peut, en effet, que si j’avais eu à dessiner moi-même mon portrait je l’eusse fait autrement que toi. Il est certain que tu as mis en relief quelques caractéristiques que, pour ma part, je n’eusse jamais placées en telle évidence. Mais tu m’as représenté conformément à ta vision. L’essentiel est que m’aies dessiné avec sincérité. Tel que tu me voyais et non pas tel que j’aurais désiré être vu, aperçu, reproduit. Cependant, il est un point sur lequel ce portrait ne me satisfait point. Décidément non. Et ce point, c’est que tu aies laissé dans l’ombre une des plus saillantes particularités de ma façon d’être. Tu ne t’es point étendu sur ma vie amoureuse. Je ne suis pas uniquement cerveau, si je ne suis pas uniquement sentiment. Te ne suis pas seulement perception, je suis également émotion. Je ne suis pas que sensation, je suis aussi vibration. Pourquoi avoir négligé de consacrer la part qui lui revient au fait amoureux dans mon existence ? Je ne rougis point de ma vie amoureuse. J’en suis fier. Je veux dire par Ià que c’est une des conséquences de mon tempérament où je me sens le mieux, le plus moi-même. Je lui attribue un grand rôle dans mon évolution, dans l’accomplissement de ma personnalité. Supprimerait-on les événements auxquels elle à donné lieu du total des faits de mon existence que cela le réduirait étrangement. Je me suis demandé si cette omission avait pour motif ta crainte d’effaroucher, de scandaliser tes lecteurs ? D’en perdre quelques-uns peut-être ? Sont-ils donc des monstres d’imbécilité ou de monuments d’hypocrisie ? A quoi aurait servi alors l’éducation que ton activité est censée leur dispenser ? Ou de quelle nature serait alors la propagande que tu as faite auprès d’eux ? Pour qu’ils soient à ce point inémancipés ? Pour que les effraie ou les éloigne une allusion à la vie amoureuse d’un militant de l’idée dont tu te réclames ? De sa vie amoureuse considérée dans sa complexité et dans sa variété . A moins que ce soit toi le timoré ou l’épouvanté ? Tu sais que j’aime couper les ponts derrière moi. Or, sache que si j’éprouve un regret. Un regret, mais cuisant, mais amer, mais profond. Un regret dont les tablettes de mes souvenirs gardent la trace indélébile. C’est celui que ma vie amoureuse n’ait pas été plus ample, plus riche, plus diverse. Qu’elle n’ait pas embrassé plus d’objets en son orbite, J’ai conscience que ç’a été une pauvre petite vie amoureuse, bien chétive, bien piètre, bien rétrécie. J’ai beau me répéter que la faute en est aux circonstances adverses. Ces maudites circonstances qui n’ont pas permis qu’elle se développât avec plus de vigueur er d’expansion ! Ce m’est une mince consolation. Et mon regret n’en est pas moins poignant et douloureux.

My Amorous Life

You sketched my portrait. As you saw me. According to the vision of your eyes and that of your imagination. Perhaps — my friend — your sketch differs in certain features from the original. I mean the original as I imagine it. It is possible, in fact, that if I had had to draw my portrait myself I would have done it differently than you. It is certain that you have highlighted some characteristics that, for my part, I would never have placed so clearly. But you represented me according to your vision. The main thing is that you have drawn me sincerely. As you saw me and not as I would have liked to be seen, glimpsed, reproduced. However, there is one point on which this portrait does not satisfy me. Definitely not. And the point is that you left in the shadows one of the most salient particularities of my way of being. You didn’t dwell on my love life. If I am not only sentiment, I am not only mind. I am not only perception, I am also emotion. I am not just sensation, I am also vibration. Why have you neglected to devote the part that it deserves to love in my existence? I’m not ashamed of my love life. I’m proud of it. By this I mean that it is one of the consequences of my temperament in which I feel the best, the most myself. I attribute a large role to it in my evolution, in the fulfillment of my personality. If we removed the events to which it gave rise from the total facts of my existence, it would strangely reduce it. I wondered if this omission was due to your fear of frightening, of scandalizing your readers? Of losing a few perhaps? Are they therefore monsters of imbecility or monuments of hypocrisy? What then would have been the use of the education that your activity is supposed to provide them? Or what would be the nature of the propaganda that you made among them? For them to be so unemancipated? So that an allusion to the love life of an activist of the idea you support might frighten them or push them away? Of his love life considered in its complexity and variety. Unless you are the timid one or the frightened one? You know I like to cut ties behind me. Now, know that if I feel regret. A regret, but stinging, but bitter, but deep. A regret of which the tablets of my memories keep an indelible trace. It is the fact that my love life has not been wider, richer, more diverse. That it did not embrace more objects in its orbit, I am aware that it was a poor little love life, very puny, very poor, very narrow. No matter how much I repeat to myself, the fault lies in adverse circumstances. These accursed circumstances which did not allow it to develop with more vigor and expansion! This is a small consolation to me. And my regret is no less poignant and painful.

AMITIÉ AMOUREUSE

Alceste, on le sait, est incapable de ressentir pour une femme vers laquelle il se sent attiré un autre sentiment que celui d’une amitié amoureuse. Simple affaire de tempérament, me fait-on remarquer. Oui, certes, mais aussi droiture d’esprit. Car Alceste n’ignore rien de l’hypocrisie qui, quarante-neuf fois sur cinquante, caractérise la soi-disant camaraderie intersexuelle ; il qualifie même ce genre de liaison de relations contre-nature !

Amorous Friendship

Alceste, as we know, is incapable of feeling for a woman to whom he feels attracted any other feeling than that of a romantic friendship. A simple matter of temperament, they point out to me. Yes, certainly, but also uprightness of mind. Because Alceste knows nothing of the hypocrisy which, forty-nine times out of fifty, characterizes so-called intersexual camaraderie; he even describes this type of connection as an unnatural relationship!

EUGENISME

Je puis aimer passionnément une femme contrefaite, bossue, boiteuse, peut-être parce qu’elle possède un talent intellectuel ou artistique remarquable —— peut-être aussi parce que sa conversation est très séduisante — peut-être enfin parce que, au point de vue du plaisir voluptueux, elle est sans rivale. Cela ne veut pas dire que je la désire comme mère de mes enfants, étant entendu que je sois doué d’instinct paternel.

Eugenics

I can passionately love a counterfeit, hunchbacked, lame woman, perhaps because she has remarkable intellectual or artistic talent — perhaps also because her conversation is very attractive — perhaps finally because, from the point of view of sensual pleasure, she is without rival. This does not mean that I want her as the mother of my children, provided that I am gifted with a paternal instinct.

PROGÉNITURE ET COHABITATION

La fait qu’une femme vous a porté à la peau, qu’à la suite d’en expérience voluptueuse au cours de laquelle le plaisir s’est trouvé partagé, une progéniture a résulté : de ce fait découle-t-il pour les deux participants à cette expérience, l’obligation naturelle de passer désormais toute leur existence ensemble ?… La loi et les mœurs, par la séparation de corps et le divorce, ont déjà résolu la question négativement. La fondation d’un « foyer », d’une « famille » sur la base d’une attirance sexuelle passagère ne se justifie pas sérieusement.

Offspring and Cohabitation

The fact that a woman has aroused you, that following a voluptuous experience during which pleasure was shared, offspring resulted: from this fact does there follow for the two participants in this experience the natural obligation to henceforth spend their entire existence together?… The law and morals, through legal separation and divorce, have already resolved the question negatively. The founding of a “home,” of a “family” on the basis of a passing sexual attraction cannot be seriously justified.

LA FEMME ET LA FIDÉLITÉ MASCULINE

Il semble étrange que la femme ordinaire tienne autant qu’elle le fait à la fidélité sexuelle chez son compagnon. Elle sait bien qu’en règle générale l’attirance sexuelle cesse normalement dès que le désir masculin est assouvi, Pourquoi done est-ce que les femmes ne cherchent pas à retenir près d’elles les compagnons qu’elles aiment et qu’elles distinguent, par la culture de leur intelligence, le développement de leur sensibilité, la participation à leurs travaux ? En vain blanchira la chevelure d’une femme qui est l’intime amie de son compagnon, en vain l’âge fanera-t-il ses traits, elle n’aura — sur le terrain solide de l’amitié et de l’attachement — rien à craindre de la rivale qui n’a pour elle que sa jeunesse et sa beauté. Mais pourquoi faut-il que la jalousie fasse que si peu de femmes s’efforcent de devenir les « amies intimes » de celui ou de ceux avec lequel ou lesquels elles cohabitent ?

Si l’homme ordinaire considère sa femelle comme sa chose, sa propriété, c’est peut-être parce qu’il l’a jugée incapable — instinctivement — de s’élever au-dessus de la conception de la fidélité sexuelle. L’un entraine l’autre. « Je te serai fidèle sexuellement, — dit l’homme à sa partenaire — et tu seras ma servante ». Seulement, comme il s’agit d’un contrat imposé, il se lacère de nombreux coups de canif.

The Woman and Masculine Fidelity

It seems strange that the ordinary woman values sexual fidelity in her partner as much as she does. She knows well that as a general rule sexual attraction normally ceases as soon as male desire is satisfied. Why then do women not seek to keep close to them the companions they love and whom they distinguish, through the cultivation of their intelligence, the development of their sensitivity, participation in their work? In vain will the hair of a woman who is the intimate friend of her companion whiten, in vain will age fade her features, she will have — on the solid ground of friendship and attachment — nothing to fear from the rival who only has her youth and her beauty going for her. But why must jealousy make so few women strive to become “close friends” of the one or those with whom they cohabit?

If the ordinary man considers his female as his thing, his property, it is perhaps because he has judged her incapable — instinctively — of rising above the conception of sexual fidelity. One leads to the other. “I will be faithful to you sexually,” the man said to his partner, “and you will be my servant.” However, as it is an imposed contract, he slashes himself with a penknife numerous times.

MENTALITÉ FÉMININE VULGAIRE

Dans la consommation de l’acte sexuel, dans les plaisirs qui appartiennent au domaine purement sensuel, la femme — la femme ordinaire, tout bonnement — trouve autant de satisfaction que l’homme, parfois davantage. Mais elle ne s’en regarde pas moins comme lésée dès que son partenaire masculin fait mine le premier de cesser de la fréquenter. Elle crie à l’abandon. Pour qu’elle ne se plaigne pas, il faut qu’elle s’éloigne, qu’elle rompe la première. Et encore elle veut alors que tout le monde soit persuadé qu’elle à raison d’agir ainsi. Pour qu’elle se tienne tranquille, il est indispensable qu’elle passe pour avoir été trompée.

Vulgar Feminine Mentality

In the consummation of the sexual act, in the pleasures that belong to the purely sensual domain, the woman — the ordinary woman, quite simply — finds as much satisfaction as the man, sometimes more. But she nonetheless considers herself wronged as soon as her male partner is the first to claim to stop seeing her. She cries of abandonment. So that she doesn’t complain, she has to move away, to break up first. And yet she wants everyone to be convinced that she is right to act this way. For her to remain calm, it is essential that she appears to have been deceived.

EN AMOUR VOLER VAUT MIEUX QUE MENDIER

Une femme qui se réclame de l’individualisme reprenait l’autre jour cette boutade d’Oscar Wilde : « En amour aussi, voler vaut mieux que mendier ». Ou je ne sais pas ce que les mots veulent dire, mais cette phrase, dans la pratique, équivaut à : Prendre de force vaut mieux que solliciter, violer vaut mieux qu’insister.

Au point de vue sexuel, comme à tous les autres, je suis associationniste et résolument. La promiscuité sexuelle communiste (ou communisme sexuel) je la traduis, au sens individualiste, par pluralisme amoureux ou mutualisme sexuel (« tous à toutes, toutes à tous », « chacune pour tous, chacun pour toutes » dans l’association. Bref, « le tout est commun entre amis » de Pythagore prolongé jusqu’au sexuel). Mais cela, je ne le comprend que volontairement, au su et au choix de tous les participants.

« En amour aussi, voler vaut mieux que mendier » n’a rien d’individuaiiste du tout, pas plus qu’est individualiste anarchiste le fait de voler à un camarade le résultat de son effort personnel, de l’estamper, de l’escroquer. Ce sont des actes autoritaires et rien de plus.

Dans la société actuelle, et la violence étant acceptée comme moyen de défense et même d’attaque, on peut considérer peut-être le rapt au même titre que le vol, voir dans l’un et dans l’autre un aspect de « l’illégalisme » anarchiste. Le vol, c’est l’illégalisme économique ; le rapt, c’est l’illégalisme sexuel. En effet, si l’on admet le recours à la force pour se procurer ses besoins économiques, pourquoi ne pas l’admettre quand il s’agit de satisfaire ses appétits sexuels ?

Si on commençait par la fille d’Eve qui a rappelé cette phrase d’Oscar Wilde ? Avant d’écrire peut-être conviendrait-il de savoir ce qu’on écrit ?

In Love, It Is Better To Steal Than To Beg

A woman who claims to be individualist echoed this quip from Oscar Wilde the other day: “In love too, stealing is better than begging.” Either I don’t know what the words mean, but this sentence, in practice, is equivalent to: Taking by force is better than soliciting, violating is better than insisting.

From a sexual point of view, like everyone else, I am an associationist and resolutely so. Communist sexual promiscuity (or sexual communism) I translate, in the individualist sense, by loving pluralism or sexual mutualism (“all for all, all for all,” “each for all, each for all” in the association. In short, “everything is common between friends” from Pythagoras extended to the sexual). But I only understand this voluntarily, with the knowledge and choice of all participants.

“In love too, stealing is better than begging” has nothing individualistic at all, any more than it is anarchist-individualist to steal from a comrade the result of one’s personal effort, to swindle them to defraud them. These are authoritarian acts and nothing more.

In today’s society, violence being accepted as a means of defense and even attack, we can perhaps consider kidnapping in the same way as theft, seeing in both an aspect of anarchist “illegalism.” Theft is economic illegality; kidnapping is sexual illegality. Indeed, if we admit the use of force to obtain our economic needs, why not admit it when it comes to satisfying our sexual appetites?

What if we started with the daughter of Eve who recalled this phrase from Oscar Wilde? Before writing perhaps it would be advisable to know what we are writing?

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