Flowers of Solitude… — Chapter VI — The Anarchist Individualist and Their Inner Life

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CHAPITRE VI

L’Individualiste anarchiste et sa vie intérieure

CHAPTER VI

The Anarchist Individualist and Their Inner Life

LA LIBERTÉ, MÈRE DE L’ORDRE

La liberté, mère de l’ordre : c’est Proudhon qui écrivit cela, si j’ai bonne souvenance et l’individualiste anarchiste Tucker reprit cette phrase dont il se servit en guise d’exergue tout le temps que dura son journal Liberty. L’anarchie mère de l’ordre, vous voulez rire ? Que non ! Les plus amoraux, les plus asociaux, les plus alégaux des individualistes anarchistes peuvent s’associer pour un temps et une besogne déterminée, passer contrat dans ce sens et se fixer certaines directives. établir certains statuts en vue de mener à bien la tâche qu’ils ont pris à coeur d’entreprendre… Mais alors où est la différence avec le contrat social qui nous régit ? Vous parlez sans vous rendre compte de vos paroles. Le contrat, les statuts, les directives de l’association individualiste anarchiste sont volontaires, vous êtes libres de vous y joindre ou de vous en tenir à l’écart. Dans tous les temps et dans tous les lieux, aucune autorité, aucun gouvernement, aucun Etat anarchiste ne vous forcera à en faire partie. Et si voulant rester isolé, vous ne participez naturellement pas aux bénéfices ou aux produits de l’association, nul des individualistes anarchistes qui en font partie ne songera à vous excommunier de l’anarchisme. Voila où gît la différence entre la société artiste et l’association ou le milieu anarchiste : il ne s’impose pas à vous tandis que la société autoritaire, elle, vous englobe de force en son sein, vous oblige à subir ses lois, ses coutumes, ses habitudes. ses traditions, etc… Le désordre artiste c’est le contrat social obligatoire, l’ordre anarchiste c’est le contrat volontaire, proposé et jamais imposé, — qui ne lie et ne retient que ceux qui l’acceptent pour le temps et le dessein qu’ils se proposent — et résiliable dans les conditions qu’ils arrêtent avant de se mettre à l’ouvrage. Suis-je assez clair ?

(1925)

Liberty, Mother of Order

Liberty, mother of order: it is Proudhon who wrote that, if I remember correctly, and the anarchist individualist Tucker took up that phrase, who used it as an epigraph for all the time that his newspaper Liberty endured. Anarchy the mother of order—are you kidding? Not at all! The most amoral, the most asocial, the most alegal of the anarchist individualists can associate for a specific time and task, establish a contract to this effect and set certain instructions, establish certains statutes with a view to carrying out successfully the task that they have determined to undertake… But then what is the difference from the social contract that holds sway us? You speak without knowing what you are saying. The contract, the statutes and the directives of the anarchist individualist association are voluntary; you are free to join or to stand aside. In all times and places, no authority, no government, no anarchist State will force to take part in them. And if you wish to remain isolated, you will naturally not share in the profits or products of the association, but not anarchist individualists who take part in it will dream of excommunicating you from anarchism.…. That is where the distance lies between archist society and the anarchist association or milieu: it is not imposed on you, while the authoritarian society forcefully includes you within itself, forces you to submit to its laws, customs, habits, traditions, etc. The archist disorder is the obligatory social contract, the anarchist order is the voluntary contract, proposed and never imposed — which links and holds only those who accept it for the time and purpose proposed — and terminable under the conditions agreed upon before setting to work. Am I clear enough?

(1925)

L’HOMME DANGEREUX

On me qualifie d’homme dangereux. Les gouvernants, les magistrats et la police s’accordent pour m’attribuer ce vice. Ou cette vertu. Car on n’est pas bien fixé. En effet, je n’ai jamais porté d’arme sur moi. Je n’aime pas les rixes. Je professe une horreur marquée pour le règlement à coups de poing des litige et des contestations. Tout cela n’empêche pas que les autorités me qualifient d’« homme dangereux ». Je n’ai jamais profité de la misère privée ou publique pour spéculer sur la détresse de qui que ce soit. L’idée ne me serait jamais venue à l’esprit d’utiliser une calamité ou une catastrophe de grande ou de petite envergure pour améliorer ma situation pécuniaire. Je n’ai pas tiré avantage de quelque grand égorgement international pour fournir d’engins meurtriers ou de denrées de basse qualité les malheureux que les grands manieurs d’argent sacrifient à leurs convoitises. En les faisant payer cinq ou dix fois leur valeur, bien entendu. Je ne me suis pas édifié une fortune sur les cadavres ou sur les ruines. J’avoue humblement que l’audace, la rouerie, l’astuce indispensable m’eussent fait défaut au moment d’agir si mon cerveau déboussolé en eût conçu la pensée. Je n’en suis pas moins un « homme dangereux ». Il est vrai que je ne professe point sur la vie et à l’égard des conventions sociales les opinions de MM. les politiciens et de MM. les policiers. Il est vrai que j’appelle les gens et les choses par leur nom. Je traite d’exploiteur quiconque prélève un bénéfice sur le travail des déshérités dont ses privilèges lui permettent de louer l’effort. Je traite d’assassin quiconque fait s’entretuer ses semblables pour retenir un profit que la libre concurrence menace de rogner. Je nourris une haine tenace et sincère contre qui fait métier de meneur et métier de suiveur, métier de commandeur et métier d’obéisseur. Ils me répugnent tous, du premier magistrat de la République au dernier des gardes champêtres. Je considère comme nuisible qui use d’autorité ou qui l’exerce. Je le clame à haute voix. Je fais fi de l’établi, du traditionnel, de l’orthodoxe. Je ne crains pas de l’afficher. L’opportunisme me répugne. C’est ce que ne pardonnent pas ni ceux qui régentent, ni ceux qui oppriment. Et c’est pourquoi je figure sur la liste des « hommes dangereux ».

(1924)

The Dangerous Man

They call me a dangerous man. The rulers, the magistrates and the police agree to attribute this vice to me. Or this virtue. Because it is not certain. In fact, I have never carried a weapon. I do not like brawls. I profess a marked horror for the settlement of disagreements and disputes by blows. But none of that has prevented the authorities from branding me a “dangerous man.” I have never profited from private or public misery to speculate on the distress of anyone. It would never occur to me to use a calamity or catastrophe, whether great or small, to improve my financial situation. I have never taken advantage of some great international slaughter to furnish murderous machines or low-quality foodstuffs to the wretches that the great money-handlers sacrifice to their greed. Making them pay five or ten times their value, of course. I have not built a fortune on corpses or ruins. I humbly admit that I would have lacked the necessary audacity, craftiness and cunning at the moment to act, if my addled brain had conceived the thought. I am nonetheless a “dangerous man.” It is true that I do not profess the opinions of the politicians or the police regarding life or social conventions. It is true that I can people and things by their names. I call an exploiter whoever draws a profit from the labor of the disinherited, from whom their privileges allow them to hire the effort. I call an assassin whoever makes his fellow kill one another in order to retain a profit that free competition threatens to cut. I harbor a stubborn and sincere hatred of all those who practice the trade of leader or that of follower, an occupation of command or obedience. They all disgust me, from the first magistrate of the Republic to the least of the rural wardens. I consider harmful those who use or exercise authority. I proclaim it in a loud voice. I thumb my nose at the established, the traditional, the orthodox. I am not afraid to boast of it. Opportunism disgusts me. That is what neither those who reign nor those who oppress will forgive. And this is why I figure in the list of “dangerous men.”

(1924)

ÉTIQUETTE ?

Individualiste anarchiste, je choisis, j’ai choisi « l’étiquette » anarchiste parce que cela me faisait plaisir, mais aussi après l’avoir raisonné. Mis cette étiquette d’anarchiste n’est pas seulement une étiquette, elle est une affirmation et une définition par elle-même, dont ne saurait être ignorant aucun de ceux qui ont étudié tant soit peu la sociologie ou qui ont fréquenté des anarchistes en chair et en os.

Anarchiste est une étiquette (de la même famille, étymologiquement parlant, que hiérarchie ou ethnarchie, par exemple) qui est aussi une déclaration : une déclaration que pour vivre isolément ou en association, pour produire ou pour consommer, pour apprendre ou pour enseigner, pour exister et pour évoluer dans tous les domaines — il n’y a pas besoin d’autorité gouvernementale, il n’y a pas besoin de l’Etat. Les Gouvernants l’ont tellement compris qu’ils ont édicté contre les anarchistes des lois restrictives spéciales, des lois dites « lois scélérates ». Tous les gouvernements, jusques et y compris le gouvernement de l’élite du prolétariat.

Les dictionnaires indiquent pour le mot anarchie et par extension « désordre, confusion ». Mais il est facile de se rendre compte que c’est relativement à la façon d’enseigner gouvernementale qui veut faire prédominer l’idée que sans Etat il n’est que désordre.

Un artiste, un littérateur qui ne se prostitue pas, n’est concevable qu’anarchiquement, c’est-à-dire en dehors de la tutelle ou de la protection, ou de l’injonction gouvernementale ou étatiste — c’est pourquoi l’artiste ou l’écrivain indépendant qui emploie le mot anarchie ou anarchiste au sens de l’enseignement officiel m’est incompréhensible.

(1925)

Label?

An anarchist individualist, I choose, I have chosen the “label” anarchist because it please me, but also after reasoning about it. But this anarchist label is not just a label. It is an affirmation and a definition by itself, of which no one could be ignorant if they have studied the slightest bit of sociology or have spent time with flesh-and-blood anarchists.

Anarchist is a label that is also a declaration: a declaration that — in order to live in isolation or association, to produce or consume, to learn or to teach, to exist and to evolve in all domains — there is no need of governmental authority, there is no need for the State. The rulers have understood this so well that they have enacted special laws restricting the anarchists, the so-called lois scélérates. And this is true of all governments, up to and including the government of the proletarian elites.

The dictionaries indicate for the word “anarchy” and its derivatives “disorder, confusion.” But it is easy to see that this reflects the governmental method of teaching, which wants to promote the idea that without the State there is only disorder.

An artist, a literary person who does not prostitute themselves is only imaginable anarchically, outside of governmental or statist tutelage, protection or orders — and that is why an independent artist or writer who uses the words anarchy or anarchist in the official sense is incomprehensible to me.

(1925)

ALÉGAL

Un individualiste anarchiste est toujours un alégal, la légalité étant une des occasions qui permet à l’autorité de manifester son existence. Qu’est-ce que l’autorité gouvernementale sans les sanctions légales ? Une entité, comme la divinité, aussi inopérante, aussi inefficace, aussi fantomatique. Plus aucun respect de la légalité, personne pour faire respecter la loi et l’autorité n’existe plus.

(1925)

Alegal

An anarchist individualist is always alegal, legality being one of the occasions that allows authority to manifest itself. What is governmental authority without legal sanctions? An abstraction, like divinity, as ineffective, as inefficient and as spectral. With no more respect for legality, respect for the law is impossible and authority no longer exists.

(1925)

QUELQUES DÉFINITIONS

Il y a des gens qui confondent amoral et immoral, alégal et illégal, asocial et asociable et ces gens-là, sans plus, de qualifier l’anarchiste d’immoral, d’illégal, d’insociable. Cela prouve qu’ils n’ont rien compris au concept anarchiste. Un anarchiste est toujours forcément amoral, parce qu’il ne saurait admettre un étalon de morale courbant tous les tempéraments sous une même éthique — tandis qu’être immoral, c’est simplement se déclarer ennemi de la morale, donc la reconnaître, à la manière dont les sataniques reconnaissent l’existence de Dieu. Un anarchiste est nécessairement alégal, il ne peut admettre aucune lol, aucun recueil de lois dont il n’aurait pas discuté les articles et qui lui serait imposé par un milieu (ou ses représentants) dont il ne fait pas partie — un illégal, c’est tout simplement un adversaire de la loi actuelle parce que cette loi le gêne, et non pas de tout étalon légal. Un anarchiste est conséquemment asocial, il n’admet pas d’être incorporé dans une société humaine malgré lui, contre son consentement, à l’encontre de son désir de ne point participer à ses charges et à ses bénéfices ; prétendre qu’un anarchiste est forcément asociable, insociable, c’est proférer une niaiserie ; à moins de natures exceptionnelles, les individualistes anarchistes les plus farouches sont toujours prêts à s’associer pour un temps et une besogne déterminés, à passer des accords et à souscrire des contrats résiliables, selon préavis, et dans tous les domaines de l’activité humaine, avec ceux de leurs compagnons avec lesquels ils se sentent des affinités d’un genre ou d’un autre.

Some Definitions

There are people who confuse amoral and immoral, alegal and illegal, asocial and unsociable and these people, straightaway, brand the anarchist as immoral, illegal, unsociable. This proves that they have understood nothing of the anarchist idea. An anarchist is certainly always amoral, because they could not accept one moral standard bending all temperaments under a single ethic — while to be immoral is simply to declare oneself the enemy of the moral, thus to recognize it, in the way that satanists recognize the existence of God. An anarchist is necessarily alegal; they can accept no law, no collection of laws the articles of which they have not discussed, which would be imposed on them by a milieu (or its representatives) of which they are not a part — an illegal is quite simply an adversary of the existing law, because that law obstructs them, and not of every legal standard. An anarchist is consequently asocial. They do not accept being incorporated into a human society despite themselves, against their consent, in opposition to their desire to not participate in its burdens and its benefits; to claim that an anarchist is necessarily asociable, unsociable, speak nonsense; save for exceptional natures, the fiercest of the anarchist individualists anarchistes are always ready to associate for a specific time and task, to make agreements and subscribe to contracts, terminable under agreed upon conditions, in all the domains of human activity, with those of their comrades with whom they feel affinities of one sort or another.

UNE HUMANITÉ INDIVIDUALISTE ?

Naturellement. Le propre de la propagande individualiste, telle que nous la comprenons, c’est de créer un état d’esprit qui non seulement admette la coexistence d’une multitude d’associations de tous genres et de toute importance, composées d’individus réunis par affinités, mais encore la possibilité d’existence, hors de ces associations, pour des individualités ou des personnalités isolées, sans que jamais ces associations cherchent à dominer ces individus isolés, ou familles isolées, ou vice versa, c’est-à-dire à leur imposer en aucun cas la théorie ou la pratique de leurs points de vue économiques, intellectuels, philosophiques.

Voilà notre humanité, individualiste, à nous ! L’unique où nous pourrons nous développer à notre aise.

An Individualist Humanity?

Naturally. The characteristic quality of the individualist propaganda, as we understand it, is to create a state of mind that not only admits the coexistence of a multitude of associations of all sorts and every degree of importance, composed of individuals joined by affinities, but also the possibility of existence, outside of these associations, for isolated individualities or personalities, without these associations ever seeking to dominate those isolated individuals or families, or vice versa, without imposing under any circumstances the theory or practice of their economic, intellectual or philosophical points of view.

That is our humanity, our individualist humanity! The only one within which we could develop comfortably.

DE LA BRUSQUE RUPTURE DU CONTRAT

Dans un milieu où la brusque rupture du contrat ne comporte aucune sanction disciplinaire ou pénale, on n’empêchera jamais un humain — mème en lui supposant une mentalité exceptionnelle — de rompre le contrat qu’il aura souscrit, fût-ce dans la plus complète des indépendances de situation et d’esprit. Non seulement parce qu’il sera convaincu qu’il y a avantage « matériel » momentané ou durable pour lui à le faire, mais encore parce que continuer à s’y soumettre lui paraîtra de nature à le diminuer. Il est évident, cependant, que plus sera conscient le sentiment qu’un être humain possèdera de sa dignité et plus il hésitera à rompre sans préavis le contrat qu’il aura souscrit. Ceci dit, dans un milieu semblable à celui que je viens de désigner, sous une forme ou sous une autre, l’assurance ou le garantisme est indispensable. Tout en respectant l’autonomie de l’individu, sa pratique pare aux conséquences, aux aléas de la brusque rupture du contrat. Elle fait davantage : elle empêche que ne reparaisse le système d’intimidation et de répression qui caractérise le contrat social actuel.

The Sudden Breach of Contract

In a milieu where the sudden breach of contract did not entail any disciplinary or penal sanction, one would never prevent a human being — even supposing them to have an exceptional mentality — from breaking the contract to which they had agreed, even had they done so in the most complete independence of situation and mind. Not only because they would be convinced that there as a “material” advantage, whether fleeting or lasting, for them to do so, but also because their continued submission would appear of a nature to diminish them. It is obvious, however, that the more conscious sentiment that a human being possesses of their dignity, the more they will hesitate to break the contract that they have agreed to without warning. That said, in a milieu like the one that I have just indicated, insurance or guarantism is indispensable in one form or another. While respecting the autonomy of the individual, its practice protects against the consequences and hazards of the sudden breach of contract. And it does more: it prevents the reemergence of the system of intimidation and repression that characterizes the present social contract.

SUR LA VIOLENCE

La question de la violence n’est pas résolue, du tout, en ce qui concerne sa valeur comme facteur d’anarchisme. Il est indubitable que la violence a servi les desseins de l’archisme, sous ses divers aspects. Mais on ignore absolument si elle servira les buts de l’anarchisme. Voilà le problème et il faut le creuser à fond. Aucun anarchiste ne saurait nier que la violence engendre la violence et que l’effort nécessaire pour se mettre à l’abri des réactions, des représailles, des violentés perpétue un état d’être et de sentir qui n’est pas favorable à l’éclosion d’une mentalité anti-autoritaire. Faire violence, c’est faire autorité, il n’y a pas à sortir de là. Un milieu sans autorité ne peut se concevoir et exister que s’il est accepté volontairement et de bon cœur par ceux qui le constituent ; dès qu’il y a contrainte ou obligation, il n’y a plus d’anarchie.

On Violence

The question of violence is not resolved, at all, with regard to its value as a factor in anarchism. It is unquestionable that violence has served the purposes of archism in various respects. But we are absolutely uncertain if it will serve the aims of anarchism. That is the problem and we must get to the bottom of it. No anarchist could deny that violence breeds violence and that the effort necessary to shelter ourselves from reactions, reprisals and assaults perpetuates a state of being and feeling that is not favorable to the blossoming of an anti-authoritarian mentality. To make violence is to make authority; there is no escape from that. A milieu can only be conceived and exist if it is accepted voluntarily and cheerfully by those who form it; as soon as there is constraint or obligation, there is no longer anarchy.

LE FORUM ACTUEL

Pendant longtemps encore les destinées individuelles se joueront et se décideront sur « la place publique ». Et la place publique de nos jours, c’est cet immense forum que constituent les débats du Parlement, les séances des tribunaux, les discours des gens incarnant l’autorité, les articles « de fond » de le demi-douzaine de quotidiens qui dirigent, « font » l’opinion publique. La place publique c’est cette tribune où se succèdent les déclamations ronflantes, les phrases redondantes, les périodes à effet, dont il ne reste rien une fois qu’on les a analysées, disséquées. C’est là, grisés par les flonflons de cette « musique de cirque » intellectuelle qu’est le bavardage parlé ou écrit des rhéteurs de la politique, c’est là que les hommes en immense majorité se forment une opinion qu’ils affirment, sans hésiter, « personnelle ». Rassassié, écœuré de cette opinion de la place publique, quelqu’un s’en va, s’enfuit par une rue écartée, dans l’espoir que loin du vacarme de la foire aux mots-principes, il se fera une opinion à lui, une opinion qui satisfasse son tempérament et qui résiste au silence de la réflexion. Et il se produit ceci : ou le dégoût du tumulte des phrases d’autant plus sonores qu’elles ne veulent rien dire n’a été que passager, et l’ennui de la solitude fait bien vite retourner à ce qu’il avait vomi ce révolté d’un instant ; ou bien sa volonté de déterminer soi-même son opinion est la plus forte et elle résiste à la sécheresse de l’isolement. Il y a sur la planète un Individu de plus.

The Current Forum

For a long time to come, individual destinies will be played out and decided in “the public square.” And, these days, the public square is the immense forum constituted by the debates of the Parliament, the sessions of the courts, the speeches of people embodying authority, the “in depth” articles of the half-dozen dailies that direct, that “make” public opinion. The public square is this platform where high-sounding declamations, redundant phrases and dramatic pauses follow one another, of which nothing remains once they have been analyzed and dissected. It is there, intoxicated by the oompah-pah-pah of this intellectual “circus music,” the spoken or written chatter of political rhetoricians, it is there that the vast majority of men form an opinion that they maintain, without hesitation, is “personal.” Sated, nauseated by this opinion of the public square, one goes away, flees by a side street, in the hope that, far from the din of the trade in principle-words, they will form an opinion of his own, an opinion that satisfies their temperament and resists the silence of reflection. And this happens: either the disgust at the tumult of sentences, all the more sonorous because they mean nothing, has only been fleeting and the boredom of solitude makes them quickly return to what they had vomited up in that momentary rebellion; or else their will to determine their own opinion is the stronger and it resists arid isolation. There is one more individual on the planet.

L’ASSOCIATION VOLONTAIRE

Un individualiste anarchiste, s’il est sociable, est toujours un asocial, car les sociétés humaines que nous avons connues jusqu’ici ont toujours été un moyen pour l’autorité de rendre manifeste sa présence. Les sociétés actuelles sont basées sur un contrat social imposé, qu’on ne peut résilier ou rompre sans être châtié, puni, mis en état d’infériorité individuelle. Toute société humaine dont le constituant peut se séparer à son gré, soit pour s’isoler, se joindre à un autre groupement, ou fonder un nouveau milieu, n’est plus une société politique, mais une association volontaire, donc antiautoritaire.

Voluntary Association

An anarchist individualist, if they are sociable, are always asocial, for the human societies that we have known thus far has always been a means for authority to make its presence evident. Present societies are based on an imposed social contract, that we cannot terminate or break without being chastised, punished or put in a state of individual inferiority. Every human society from which the constituents can separate as they wish, to isolate themselves, to join another grouping, or to create a new milieu, is not longer a political society, but a voluntary association, and thus anti-authoritarian.

DANS LA SOCIÉTÉ

L’Anarchiste Individualiste pour de vrai ne s’isole pas autant qu’il semble aux ignorants. D’abord parce qu’il aime la lutte et qu’il a compris que sans lutte il n’est point de vie. C’est ce que lui a enseigné le grand livre de la nature, lu comme il convient. Ensuite parce qu’il tend à se reproduire « intellectuellement », à faire souche, à se perpétuer, c’est-à-dire à prolonger son « moi » le plus loin et le plus longtemps possible. Par instinct. Et c’est encore ce que lui a Enseigné le grand livre de la nature, sur autre plan. On peut comprendre un séjour plus ou moins long dans un lieu de repos ou de refuge — colonie ou milieu libre — on le comprend pour quelques mois, une, trois, dix années peut-être. Mais la place de l’anarchiste individualiste me semble être dans la société, sans en être, bataillant côte à côte avec ceux de son espèce. Il est bien de bâtir une tour d’ivoire, mais c’est à condition d’en descendre de temps à autre pour faire une promenade en plaine. A demeurer encagé en cellule, au 32e étage, on risque de racornir son cœur, de pétrifier son esprit… « Hors du troupeau… ». C’est vivre aussi en plein troupeau, sans concéder quoi que ce soit à la mentalité grégaire, sans se plier aux convenances moutonnières. L’isolement est souvent une preuve de pessimisme, de résignation, de laisser-aller. Or, l’individualiste est essentiellement un optimiste — il a foi en sa vie : la lutte pour sa joie de vivre ne l’effraie pas.

In Society

The Anarchist Individualist does not really isolate themself as much as it seems to the ignorant. First, because they love struggle and have understood that without struggle there is no life. This is what the great book of nature, read properly, has taught them. Second, because they tend to reproduce themself “intellectually”, to form a root-stock, to perpetuate themself, that is to say to extend their “self” as far and as long as possible. By instinct. And this is again what the great book of nature has taught them, on another plane. We can understand a more or less extended stay in a place of rest or refuge — colony or free milieu — we understand it for a few months, one, three, ten years perhaps. But the place of the anarchist individualist seems to me to be in society, without being of society, battling side by side with those of their species. It is good to build an ivory tower, but only if you descend from time to time to take a walk on the plain. Remaining caged in a cell, on the 32nd floor, you risk shrivelling your heart, petrifying your mind… « hors du troupeau… ». It is also living in the midst of a herd, without conceding anything to the gregarious mentality, without bending to ovine propriety. Isolation is often a proof of pessimism, resignation, and carelessness. But the individualist is essentially an optimist — they have faith in their life: the struggle for their joy in living does not frighten them.

L’HOMME NORMAL

Tout observateur un tant soit peu sagace s’aperçoit bientôt qu’il existe chez tout être humain normal une tendance instinctive, — « innée » — à violer la loi, à enfreindre le règlement. J’ajoute même que quelles que soient les qualités « morales » d’un homme, il lui arrive ou lui est arrivé d’agir contrairement aux conventions en vigueur dans son milieu social et cela dans tous les moments de sa vie où il a laissé parler sa nature. Car la soumission à la Loi et l’obéissance au Règlement sont un surajouté, un placage artificiel dont l’homme normal ne tient plus compte dès que son instinct parle le plus fort — il se trouve alors dans la situation de l’homme primitif : plus près de la nature. Et qui vit près de la nature ignore la discipline sociale.

The Normal Human Being

Any observer who is in any sense discerning soon realizes that there exists in every normal human being an instinctive tendency — an “innate” tendency — to violate the law, to break the rules. I even add that whatever the “moral” qualities of an individual, it happens or has happened that they act contrary to the conventions in force in their social environment and that in all the moments of their life when they have let heir nature speak. For submission to the Law and obedience to the Rules are an addition, an artificial veneer that the normal human being no longer takes into account at the moment when their instinct speaks the loudest —they then he then find themself in the situation of primitive man: closer to nature. And whoever lives close to nature ignores social discipline.

ANARCHISME ET HYGIÉNISME

Lorsqu’un anarchiste, lorsqu’un révolté fait de la propagande « hygiénique » — culture physique, antialcoolisme, végétarisme, antitabagisme — il est rare qu’il trouve levées contre lui les forces organisées d’autorité ou d’exploitation. C’est si rare même que je n’en connais point d’exemple contemporain. Mais qu’un des nôtres, point abstinent du tout et omnivore, se mette à distribuer la moindre tract « subversif » et voici qu’à l’instant même les chiens de garde de la société se dressent, les crocs découverts.

Je suis bien obligé de conclure que l’organisation sociétaire ne redoute pas l’hygiénisme.

N’allez pas inférer de ce qui précède que je tiens pour l’alcoolisme, etc… Je n’en suis pas consommateur. Mais je prétends que l’anarchisme individualiste n’a rien à faire avec les questions de thérapeutique. Etre anarchiste individualiste, c’est adopter individuellement une attitude négatrice d’autorité devant le vie, devant les institutions, devant les hommes. Ce n est pas autre chose.

Anarchism and Hygienism

When an anarchist, when a rebel makes “hygienic” propaganda – physical culture, anti-alcoholism, vegetarianism, anti-smoking – it is rare that he finds the organized forces of authority or exploitation raised against him. It’s so rare that I don’t know of any contemporary examples. But if one of us, not an abstainer at all and an omnivore, starts distributing the slightest “subversive” leaflet and immediately the watchdogs of society stand up, fangs bared.

I am obliged to conclude that the societal organization does not fear hygienism.

Do not infer from the above that I stand for alcoholism, etc… I am not a consumer. But I claim that individualist anarchism has nothing to do with questions of therapy. To be an individualist anarchist is to individually adopt an attitude that negates authority before life, before institutions, before men. It is nothing else.

LA LIBERTÉ

Nous ne sommes ni des « métaphysiciens », ni des « hygiénistes », ni des « révolutionnaires », ni des « organisateurs de victoire de classes », — ni des ingénieurs de Cités à venir — nous sommes des êtres de chair, d’os, de muscles et de pensée qui, après réflexion, avons trouvé que la liberté individuelle, même avec les excès qu’elle implique, valait mieux que l’autorité, même avec les bienfaits que cette dernière peut apporter à l’individu. Et ce n’est pas seulement la réflexion qui nous à amenés là, c’est l’expérience.

Liberty

We are neither “metaphysicians”, nor “hygienists”, nor “revolutionaries”, nor “organizers of class victories”, — nor the engineers of cities to come. We are beings of flesh, bones, muscle and thought who, upon reflection, found that individual freedom, even with the excesses it implies, is better than authority, even with the benefits that the latter can bring to the individual. And it is not just reflecction that led us there, but also experience.

EN ÉTAT DE LÉGITIME DÉFENSE

Pourquoi serais-je comptable de mes faits et gestes à autrui unité, ou à autrui-troupeau, puisque je ne demande compte de ce qu’ils font ni à aucun individu ni à aucune aggrégation ? C’est pourquoi, moi et « les miens », nous nous situons en état perpétuel de légitime défense à l’égard de qui nous demande des comptes relativement à nos dits et à nos actes.

In a State of Legitimate Defense

Why should I be held accountable for my acts and deeds to another unity, or to another herd, since I demand no account of what they do either from any individual or from any aggregation? This is why, me and “my own,” we are in a perpetual state of self-defense with regard to those who hold us accountable in relation to our words and our deeds.

L’AUBE NOUVELLE

Je ne me déclarerai pas content et pourtant je sais que je mourrai avant d’en avoir vu se lever l’aube — je ne me déclarerai pas content tant que pour l’Individu n’aura pas été conquise la possibilité de se désolidariser, à son gré, du Milieu social — étant entendu que cette désolidarisation n’implique ni domination sur ledit Milieu, ni son exploitation ou celle d’une personne quelconque. Je ne le verrai pas, je le sais, mais le pressentiment que c’est là où abordera, après bien des tours, détours et retours, le navire portant la fortune d’une humanité
supérieure — supérieure en ce qu’elle placera au-dessus de tout la possibilité pour l’Individu de disposer, dans la liberté et la réciprocité, comme il l’entend, de son « Moi ».

The New Dawn

I would not declare myself happy and yet I know that I will die before having seen the dawn of it — I would not declare myself happy so long as the Individual has been achieved the possibility of dissociating themselves, at will, from the social milieu — it being understood that this separation does not imply domination over the said milieu, nor its exploitation, or the exploitation of any person whatsoever. I will not see it, I know, but the presentiment that this is where will land, after many twists and turns and returns, the ship bearing the fortune of superior humanity — superior in that it will place above every that possibility of the Individual to dispose, in freedom and reciprocity, as they see fit, of their “I.”

LA LIBRE DISPOSITION DE SON PRODUIT

L’individualiste anarchiste entend que le producteur jouisse intégralement ou dispose à son gré, ce qui revient au même, du produit de son travail ou du résultat de son effort. Vous me répondrez que cela n’est pas possible dans un milieu constitué de telle sorte que les outils de travail ou les engins de production sont confectionnés exclusivement en vue de favoriser ou d’intensifier la production multitudiniste, de faire prédominer la production grégaire sur la production individuelle. Je ne le nie pas. Il ne me vient pas à l’esprit de contester la difficulté de réalisation d’un milieu individualiste de grande envergure dans le milieu social actuel. Ce que j’ai dit — et je le renouvelle — c’est que dans l’ambiant social d’aujourd’hui l’individualiste se sent un inadapté (comme dans les autres milieux d’ailleurs). Comme il est persuadé que la tendance à une liberté plus intégrale ne peut se faire jour si « l’être » n’est pas étayé par « l’avoir », il se considère en état de légitime défense ou de résistance, déclarée ou occulte, contre toute organisation sociétaire qui impose au producteur de renoncer à la jouissance ou à la disposition complète du produit de SON effort, du résultat de SON labeur.

L’individualiste est celui qui se préoccupe en premier lieu de sculpter sa propre personnalité. C’est un artiste. Il envisage la vie ,sa vie « comme une œuvre d’art », c’est-à-dire comme une statue, un tableau, une pièce de vers qu’il n’a jamais fini de polir, de tailler ou de retoucher, quelle que soit la perfection ou la mise au point des ébauches où des esquisses déjà obtenues, déjà achevées. Il en est ainsi, et conséquemment, dans le domaine de la production manuelle. L’individu n’est pas un ouvrier — un exécuteur seulement ; mais un artiste aussi, un créateur. Le rêve d’une société individualiste n’est concevable qu’à la condition que ses constituants soient TOUS et à TOUS LES POINTS DE VUE et dans TOUS LES DOMAINES et des artistes et des artisans, jamais des manœuvres ou des automates, ce qui est tout le contraire de l’actuel « esprit de troupeau ».

The Free Disposition of His Product

The anarchist individualist intends for the producer to fully enjoy or dispose of as he wishes, which amounts to the same thing, the product of his labor or the result of his effort. You will answer me that this is not possible in an environment constituted in such a way that the tools of labor or the machines of production are made exclusively with a view to promoting or intensifying multitudinist production, to make gregarious production predominate over  individual production. I do not deny it. It does not occur to me to dispute the difficulty of achieving a large-scale individualist environment in the current social environment. What I have said — and I repeat it — is that in today’s social environment the individualist feels like a misfit (as in other environments, for that matter.) As he is convinced that the tendency towards a more integral liberty cannot emerge if “being” is not supported by “having,” he considers himself in a state of self-defense or resistance, declared or hidden, against any societal organization that requires the producer to renounce the enjoyment or complete disposal of the product of HIS effort, of the result of HIS labor.

The individualist is the one who is primarily concerned with sculpting his own personality. He is an artist. He considers life, his life “like a work of art,” that is to say like a statue, a painting, a piece of verse that he never finishes polishing, carving or retouching, regardless of the perfection or development of the drafts or sketches already obtained, already completed. This is the case, and consequently, in the field of manual production. The individual is not a worker — not only an executor, but also an artist, a creator. The dream of an individualist society is only conceivable on the condition that its constituents are ALL and in ALL POINTS OF VIEW and in ALL FIELDS artists and craftsmen, never laborers or automatons, which is the complete opposite of the current “spirit of the herd.”

LES SANS-AVOIR

Il n’est pas exact de dire que c’est la propriété qui fait le vol. Ce n’est pas a propriété, mais l’absence de propriété. Ce ne sont pas non plus le pain, les pommes de terre ou les pièces de cent sous qui font le vol, c’est parce qu’on manque de pain, de pommes de terre, de vin, d’écus que l’on vole. Rien ne vaut comme s’entendre sur l’exacte signification des mots, des termes, des propositions. Ce n’est done pas parce que la propriété ou le capital existe qu’il y a des « expropriateurs » individuels, mais parce qu’un très grand nombre d’individus sont dépourvus de capital ou de propriété.

The Have-Nots

It is not correct to say that it is  property that makes theft. It is not property, but the absence of property. Nor is it the bread, the potatoes or the hundred sous coins that cause theft, it is because we lack bread, potatoes, wine, crowns that we are stolen from. Nothing is better than agreeing on the exact meaning of words, terms, and propositions. It is therefore not because property or capital exists that there are individual “expropriators,” but because a very large number of individuals are devoid of capital or property.

EN SOCIÉTÉ COMMUNISTE

Où s’arrête le droit de disposition de mon avoir dans la société communiste, voilà ce qu’il est très difficile de savoir ? La possession de cette photographie de mon amante, de cette collection de papillons rassemblée par ma sœur, et qu’elle m’a léguée, de ce fauteuil sculpté par un ami qui m’est cher, de ce livre de poésies qui me vient de ma mère, de ces divers objets enfin auxquels je tiens et que j’ai acquis en échange de ma production — cette possession m’est-elle garantie ou une décision de l’administration ou un vote du groupe social auquel j’appartiens pourra-t-il m’en déposséder ? On ne peut pas me permettre la propriété de cette prolongation de ma personne sans l’octroyer à d’autres. Alors ?

In Communist Society

Where does the right to dispose of my assets end in a communist society? That is what is very difficult to know. The possession of this photograph of my lover, of this collection of butterflies assembled by my sister, which she bequeathed to me, of this armchair sculpted by a friend who is dear to me, of this book of poems that came to me from my mother, of these various objects finally that I hold dear and that I acquired in exchange for my production — is this possession guaranteed to me or could a decision of the administration or a vote of the social group to which I belong dispossess me of it? I cannot be allowed ownership of this extension of myself without granting it to others. So?

GARDEZ L’ÉQUILIBRE

L’individualiste, tel que je l’entends, ne place pas au premier plan la résolution de la question économique. S’il ne néglige jamais « sa » question économique, la dite question présente tant d’à cotés glissants, qu’à s’en préoccuper trop, l’individualiste risque de perdre l’équilibre. Prenez garde à l’individualiste qui se préoccupe trop de celle question, c’est un mouton où un berger, et nous ne voulons ni de l’un ni de l’autre.

Keep Balance

The individualist, as I understand him, does not place the resolution of the economic question at the forefront. If he never neglects “his” economic question, the said question presents so many slippery sides that if he worries too much about it, the individualist risks losing his balance. Beware of the individualist who worries too much about this question. He is a sheep or a shepherd, and we want neither.

FORCE PHYSIQUE ET ARRIVISME

On affirme que l’humain vulgaire s’incline devant la force brutale, qu’il admire la vigueur physique, que ses préférences vont à ceux de ses semblables taillés en athlètes. Il y a beaucoup d’exagération dans cette affirmation qui est tout au plus vraie pour les amateurs de culture physique.

Il est vrai que l’humain vulgaire craint, redoute celui qui est plus fort que lui. C’est instinctif. Mais il ne l’admire pas. Il peut le déifier, car « la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse », — à en croire les opportunistes de tous les temps — mais inscrire quelqu’un sur le catalogue des dieux et des demi-dieux n’est pas une preuve d’admiration.

Ceux qui ont pratiqué l’humain vulgaire savent que l’homme qu’il admire, c’est le fourbe habile qui réussit, l’homme adroit qui se tire des situations les plus scabreuses sans rien laisser de sa toison aux ronces de la légalité. C’est l’homme qui « roule » son prochain, fait fortune grâce à ses malhonnêtetés, et « s’arrange » pour échapper à toutes les sanctions pénales qui atteignent le voleur grossier ou imprudent. Le véritable objet de l’admiration du public ordinaire, c’est l’arriviste ou plutôt l’arrivé, le parvenu ; celui qui, peu importe les moyens employés, s’est hissé à une situation de richesse qui lui assure une indépendance relative, et lui donne la faculté de se procurer des jouissances auxquelles doivent renoncer le commun des mortels.

De nos jours où c’est l’argent qui confère la puissance et commande le respect, peu importent les outils dont on s’est servi pour en amasser : pince-monseigneur, chalumeau oxhydrique, vol, fraude, mensonge, escroquerie. Pourvu qu’on ait glissé entre les mailles de la répression. Peu importe qu’on ait vilipendé, piétiné, écrasé, trahi ceux qui vous ont aidé à voler ou gagner votre argent, où qu’on ait envoyé ses complices au bagne. L’essentiel est qu’on ait réussi à se tirer d’affaire : oui, qu’on ait réussi. Alors la foule vous salue, chapeau bas, et attend, dans l’admiration, que vous l’autorisiez à recueillir les miettes qui tombent de votre table. Et chacune des unités de la multitude qui vous contemple se dit « in petto » : « Que n’ai-je été assez malin pour en faire autant ? ».

Physical Force and Arrivism

It is affirmed that ordinary humans bow to brutal force, that they admire physical vigor, that their preferences are for those of their fellows cut as athletes. There is a lot of exaggeration in this statement, which is at most true for lovers of physical culture.

It is true that the common man fears, dreads those who are stronger than him. It is instinctive. But he doesn’t admire them. He can deify them, because “the fear of God is the beginning of wisdom,” — according to the opportunists of all times — but to include someone in the catalog of gods and demigods is not a proof of admiration.

Those who have practiced common humanity know that the man they admire is the clever deceiver who succeeds, the adroit man who gets out of the most scabrous situations without leaving any of his fleece in the thorns of legality. It is the man who “deceives” his neighbor, makes a fortune thanks to his dishonesty, and “manages” to escape all the penal sanctions which affect the crude or imprudent thief. The real object of admiration of the ordinary public is the arriviste or rather the comer, the upstart; the one who, regardless of the means employed, has risen to a position of wealth that ensures him relative independence, and gives him the ability to obtain enjoyments that ordinary mortals must renounce.

In these days when it is money that confers power and commands respect, it does not matter what tools you use to amass it: crowbar, oxyhydric blowtorch, theft, fraud, lies, swindle. As long as you have slipped through the cracks of repression. It doesn’t matter whether you vilified, trampled, crushed, betrayed those who helped you steal or earn your money, or whether you sent your accomplices to the penal colony. The main thing is that you managed to get out of the situation: yes, that you succeeded. Then the crowd greets you, hats off, and waits, in admiration, for you to allow them to collect the crumbs that fall from your table. And each of the unities in the multitude says contemplates you says “in petto:” “Why was I not clever enough to do the same?”

L’INDIVIDUALISTE ET LA QUESTION ÉCONOMIQUE

L’individualiste n’entend pas que le troupeau solutionne pour lui SA question économique : il veut la résoudre lui-même, par lui-même, pour lui-même. Ne lui inspirent aucune confiance les systèmes qui tendent à remplacer l’exploitation économique de l’homme par son semblable par l’exploitation économique de l’unité humaine, par la collectivité. C’est l’exploitation qu’il faut détruire et non la méthode qu’il faut modifier.

The Individualist and the Economic Question

The individualist does not want the herd to solve HIS economic question for him: he wants to solve it himself, by himself, for himself. He has no confidence in systems that tend to replace the economic exploitation of man by his fellow man with the economic exploitation of the human unity by the community. It is the exploitation that must be destroyed and not the method that must be modified.

ON PASSE POUR MYSTIQUE

On passe pour mystique parce que l’on proclame que la Cite anarchiste est ou doit être une expérience, une réalisation extérieure. On passe pour mystique quand on déclare que si les révolutions n’aboutissent jamais là où auraient voulu les conduire leurs initiateurs, c’est parce que les « révolutionnaires » ne sont pas d’abord des « révolutionnaires ». Mon expérience de plusieurs lustres m’a amené à affirmer que vous et moi nous ne réaliserons de « Cité nouvelle » que si elle existe d’abord en nous à l’état latent, c’est-à-dire que si nous nous trouvons dans l’état de mentalité voulu, dans les dispositions sentimentales et pratiques nécessaires pour passer par toutes les conditions indispensables pour tenter et faire réussir l’expérience à fond. S’il n’y a que notre cerveau de touché, si notre sentiment ne l’est pas, croyez-moi, il n’y a rien de fait ou à faire.

We Pass for Mystics

We pass for mystics because we proclaim that the Anarchist City is or must be an experience, an external realization. We pass for mystics when we declare that if revolutions never end up where their initiators would have wanted to lead them, it is because “revolutionaries” are not first and foremost “revolutionaries.” My experience over many years has led me to affirm that you and I will only create a “New City” if it first exists in us in a latent state, that is to say, if we find ourselves in the desired state of mentality, in the sentimental and practical dispositions necessary to go through all the essential conditions to attempt and make the experiment a complete success. If only our brain is affected, if our feelings are not affected, believe me, there is nothing done or to be done.

DES ESPRITS « AVANCÉS »

Je me demande souvent si la manie qui prend aux réguliers d’encenser après leur mort les Irréguliers de marque n’est pas due à l’action de je ne sais quel esprit de contradiction malin ou pervers, car il n’est pas de sort plus lamentable que celui des Irréguliers, célèbres ou anonymes. Les arrivés d’entre eux ne sont jamais que tolérés. Quant aux autres, ignorés des Réguliers, c’est à grand peine que les accueillent ceux qui se prétendent favorables aux hors-classe et aux errants ; les sympathiques aux en dehors craignent surtout d’être victimes de leur générosité et on sait que l’amitié la plus robuste ne franchit que rarement les limites du portemonnaie.

Il y a un jésuitisme des esprits « avancés » qui n’est pas moins méprisable que celui des « rétrogrades ». Il consiste à se proclamer l’ami de tous ceux qui se jouent des Codes et se moquent des conventions, à se prétendre solidaire de leurs souffrances ; puis, ceci affiché et connu, à éviter les conséquences désagréables qui découlent de cette sympathie. Personne ne force ces gens à prendre le parti des Irréguliers. Nul ne les oblige à s’en faire l’avocat. Rien ne les contraint à épouser leurs haines ou leurs enthousiasmes. S’ils le font c’est de plein gré. Leurs déclarations peuvent leur procurer certains bénéfices, d’ordre intellectuel ou moral — elles peuvent par compensation, leur amener des inconvénients d’ordre matériel. C’est la logique même.

“Advanced” Minds

I often wonder if the mania that takes the Regulars to praise the distinguished Irregulars after their death is not due to the action of some malignant or perverse spirit of contradiction, because there is not a fate more lamentable than that of the Irregulars, famous or anonymous. The successful among them are only ever tolerated. As for the others, ignored by the Regulars, it is with only great difficulty that those who claim to be favorable to the outclass and the wanderers welcome them; those who are sympathetic to others fear above all being victims of their generosity and we know that the most robust friendship rarely crosses the limits of the wallet.

There is a Jesuitism of “advanced” minds that is no less contemptible than that of the “retrograde.” It consists of proclaiming oneself the friend of all those who play with codes and mock conventions, of claiming to be in solidarity with their suffering; then, this displayed and known, to avoid the unpleasant consequences that flow from this sympathy. No one is forcing these people to side with the Irregulars. No one is forcing them to act as their advocate. Nothing forces them to embrace their hatreds or their enthusiasms. If they do it it is willingly, their declarations can bring them certain benefits, of an intellectual or moral nature — they can, by compensation, bring them disadvantages of a material nature. This is logic itself.

BEAUCOUP D’APPELES…

Il en est beaucoup qui ont entendu comme une sorte d’appelles invitant à la vie hors cadre — à la vie irrégulière — qui se sont cru la vocation d’un en dehors, et une fois en plein cœur de cette vie originale et indépendante, se sont demandé comment ils avaient jamais pu la souhaiter. Ah ! voilà la grande tentation !… La vie en dehors ne consiste pas en une sorte de Palais de Délices où toutes choses s’arrangent à votre gré. La « vie en dehors » c’est surtout l’imprévu, l’insécurité, les privations de tout genre, le désert. Le désert dans tout son inconnu, dans toute son aridité… C’est alors que le souvenir monte des jours de la vie régulière, du pain qui ne faisait jamais faute au buffet. Comme on vivotait heureux chez ses parents | Comme on végétait tranquillement dans son emploi, sûr du lendemain ! Ah ! les heures troubles où, dans la balance, les avantages du passé font pencher le plateau au grand désavantage du présent ! On se trouve dans l’état d’esprit des Hébreux pleurant les oignons et les pots de viande de l’Egypte, dans l’état d’esprit de l’Enfant Prodigue se souvenant que dans la maison de son père, les serviteurs ont la nourriture en abondance. N’est-ce pas enfin l’heure de faire machine en arrière, de réintégrer le « bercail », de faire la paix avec la société, de renoncer à la chimère du non-conformisme pour redevenir « comme les autres » ? Si on renonçait à la lecture de ce journal compromettant, à la fréquentation de ce propagandiste que les prisons ont trop souvent hospitalisé? Si l’on abandonnait le sentier épineux de l’autonomie individuelle pour la grande et large route du devoir social ? Combien pèsent peu, à ces moments-là, la joie d’être mis au ban du milieu et la volupté de s’être situé hors du troupeau par-delà ses conventions et ses préjugés.

Et souvenez-vous que c’est le petit, très petit nombre qui ne prête pas l’oreille à la voix de la Tentation.

Many Are Called…

There are many who have heard a sort of call inviting them to life outside the frame — to an irregular life — who have believed their vocation to be that of the « en dehors », and, once in the thick of this original and independent life, have wondered how they could have ever wanted it. Ah! Here is the great temptation!… The life of the outsider does not consist of a sort of Palace of Delights where everything is arranged as you wish. “Life outside” is above all the unexpected, insecurity, deprivations of all kinds, the desert. The desert in all its unknown, in all its aridity… It is then that the memory rises of the days of regular life, of the bread that was never lacking in the buffet. How happily we lived with our parents! How peacefully we vegetated at our job, sure of tomorrow! Ah! The troubled times when, in the balance, the advantages of the past tip the board to the great disadvantage of the present! We find ourselves in the state of mind of the Hebrews mourning the onions and pots of meat of Egypt, in the state of mind of the Prodigal Son remembering that in his father’s house, the servants had food in abundance. Is it not finally time to turn back the clock, to re-enter the “fold,” to make peace with society, to renounce the chimera of non-conformism to become “like the others” again? What if we gave up reading this compromising newspaper, and spending time with this propagandist whom prisons have too often hospitalized? What if we abandoned the thorny path of individual autonomy for the great and broad road of social duty? How little, at these moments, weighs the joy of being ostracized from the milieu and the pleasure of having situated oneself outside the herd, beyond its conventions and prejudices. And remember that it is a small, a very small number who do not listen to the voice of Temptation.

ILS ONT ÉTÉ TROUVÉS TROP LÉGERS !

On reproche aux Irréguliers de ne point s’en prendre aux Réguliers, leurs ennemis de toujours. On oublie qu’ils n’ont point accès auprès d’eux. Et que forcer cet accès n’est pas aussi facile que l’imaginent les donneurs de conseils. Dominés souvent par les circonstances, les Irréguliers ne font pas toujours ce qu’ils veulent, ils agissent parfois contrairement à ce qu’ils voudraient et par ces contradictions — ceux dont la porte leur est ouverte sont quelquefois atteints. Il n’y a là rien dont il faille se frapper. Car, tout considéré, il ne s’agit que d’une épreuve destinée à sonder la sympathie manifestée, à découvrir si c’est de bon aloi ou superficiel. Combien, pesés à cette balance, ont été trouvés trop légers…

They Have Been Found Too Light!

The Irregulars are criticized for not attacking the Regulars, their long-time enemies. We forget that they have no access to them. And forcing this access is not as easy as the givers of advice imagine. Often dominated by circumstances, the Irregulars do not always do what they want; they sometimes act contrary to what they would like and by these contradictions — those for whom the door is open are sometimes affected. There is nothing to worry about here. Because, all things considered, it is only a test intended to probe the sympathy shown, to discover whether it is genuine or superficial. How many, weighed on this scale, were found too light…

L’UN DES NOTRES ?

Verhaeren… l’un des nôtres… chevalier de l’ordre de Léopold, officier de la Légion d’honneur, ami d’un roi et d’une reine… l’un des nôtres… cela me laisse rêveur. Lorsqu’on conduisit Elisée Reclus à certain cimetière de petit village de Flandre occidentale, il n’y avait là ni gendarmes belges, ni piquet de troupes françaises, ni délégation académique, ni personnages officiels. Par là, ce penseur fut bien l’un des nôtres. Tandis que Verhaeren…

One of Us?

Verhaeren… one of us… knight of the order of Leopold, officer of the Legion of Honor, friend of a king and a queen… one of us… it leaves me dreaming. When Elisée Reclus was taken to a certain cemetery in a small village in West Flanders, there were neither Belgian gendarmes, nor picket of French troops, nor academic delegation, nor official figures there. In this way, this thinker was indeed one of us. While Verhaeren…

ACCEPTER CHACUN « TEL QU’IL EST »

Tel que je suis. Tel que tu es. Etre accepté, reçu, considéré pour ce que nous sommes, tels que nous sommes, chacun de nous. Ah ! la belle réalisation individualiste. Je sais bien que tu te dis individualiste, que tu le proclames, que tu l’affiches. Un peu indiscrètement parfois. Je sais que tu soutiens de ta bourse les activités individualistes, alors qu’il en est tant qui se contentent de l’approbation verbale. Je n’ignore pas que tu frémis de la tête aux pieds lorsqu’il est question devant toi de la prédominance du social sur l’individuel. Que tu bondis lorsqu’on fait mine de soutenir l’idée de l’exploitation de l’homme par le milieu. Je connais tout cela. Je sais même que tu as souffert pour tes opinions. Et c’est quelque chose. Et que tu te trouverais dans une situation matérielle meilleure si tu t’étais montré moins.intransigeant. Et c’est quelque chose encore, cela. Peut-être pour n’avoir voulu faire de ces concessions au milieu que le vulgaire qualifie d’insignifiantes, tu as dû subir des privations, des persécutions hors de proportion avec ce que le milieu demandait de toi. Je le croirais sans peine si mes affirmations sont exactes.

Mais tout cela convenu, je me demande si tu es assez individualiste pour prendre tes camarades tels qu’ils sont. Je ne parle pas d’excuser, de faire la part large, des influences ambiantes. Je sais que la largeur d’esprit et la tolérance ne te font pas défaut. La question que je te pose est celle-ci : Prends-tu tes camarades tels qu’ils sont, comme ils sont, pour ce qu’ils sont ? Sans nourrir d’eux un idéal — le terme importe peu — auquel tu voudrais les voir répondre ? Sans doute tu excuses beaucoup, mais excuser n’est pas accepter, et la preuve c’est qu’après avoir fait plus ample connaissance avec eux, tu découvres bientôt — sans en rien dire à autrui certes — qu’ils ne sont pas absolument ce que tu voudrais qu’ils fussent. Ainsi, celui-ci parle trop et ne réalise pas assez. Celui-là, dans telle circonstance, ne s’est pas conduit comme toi, étant à sa place, tu l’aurais fait. Ce troisième interprète certaines de tes opinions — les plus chères — d’une tout autre façon que tu le fais toi-même, au risque de jeter le trouble dans l’esprit de ceux que qui te sont chers. Cet autre…

Et sur chacun tu as un mot à dire, parce qu’en ton for intime tu souhaites que chacun se conduise, non selon SA nature à lui, mais selon ce que tu désirerais que soit sa nature — autrement dit à ton goût.

Or, tant que sans restriction, même mentale, tu ne prendras pas tes camarades comme ils sont, tu n’accepteras pas qu’ils se conduisent selon leur nature, suivant leur état d’être, il y aura encore chez toi un coin dérobé à l’action individualiste. Tant que tu souhaiteras quelque peu qu’ils se conforment à l’idéal que tu as imaginé de leur vie, il restera encore chez toi de l’esprit de domination de l’homme sur l’homme.

To Accept Each “As They Are”

As I am. As you are. To be accepted, received, considered for what we are, as we are, each of us. Ah! The beautiful individualistic achievement. I know very well that you call yourself an individualist, that you proclaim it, that you flaunt it. A little indiscreetly sometimes. I know that you support individualistic activities with your purse, while so many are content with verbal approval. I am aware that you shudder from head to toe when the predominance of the social over the individual is discussed before you. That you jump when we pretend to support the idea of the exploitation of man by the milieu. I know all this. I even know that you have suffered for your opinions. And that is something. And that you would find yourself in a better material situation if you had been less intransigent. And that is something else. Perhaps because you did not want to make these concessions to the milieu that the common people describe as insignificant, you had to undergo privations and persecutions out of proportion to what the milieu demanded of you. I would easily believe it if my statements are correct.

But all that settled, I wonder if you are individualistic enough to take your comrades as they are. I’m not talking about excusing, or giving away, ambient influences. I know that you are not lacking in broad-mindedness and tolerance. The question I ask you is this: Do you take your comrades such as they are, as they are, for what they are? Without nourishing them with an ideal – the term doesn’t matter – to which you would like to see them respond? No doubt you apologize a lot, but excusing is not accepting, and the proof is that after getting to know them better, you soon discover — without saying anything to others of course — that they are not absolutely what you would like them to be. So, that one talks too much and doesn’t achieve enough. This one, in such a circumstance, did not behave like you, being in his place, you would have behaved. This third interprets some of your opinions – the most cherished – in a completely different way than you do yourself, at the risk of disturbing the minds of those who are dear to you. This other…

And you have a word to say about each one, because deep down you want everyone to behave, not according to THEIR nature, but according to what you would like their nature to be — in other words, according to your taste.

Now, as long as you do not accept your comrades as they are, without restriction, even mental ones, you will not accept that they behave according to their nature, according to their state of being, there will still be a hidden corner in you deprived of individualistic action. As long as you sometimes wish that they conform to the ideal that you have imagined for their life, there will still remain in you the spirit of domination of man over man.

PRUDENCE

Je sais bien qu’il y a des circonstances : circonstances de temps, d’argent, de milieu — que sais-je encore ? Il y a les mesures à garder, les situations acquises à considérer, il y a tant de gens auxquels il faut faire attention de ne pas déplaire. Je sais fout cela, mais je me souviens aussi de ces paroles du Livre des Proverbes attribué à Salomon « Le Paresseux dit : Il y a un lion dehors — Je serais tué dans les rues ».

Prudence

I know well that there are circumstances: circumstances of time, money, environment – what else do I know? There are measures to maintain, existing situations to consider, there are so many people who must be careful not to displease. I know all this, but I also remember these words from the Book of Proverbs attributed to Solomon: “The Sloth said: There is a lion outside – I would be killed in the streets.”

SECTARISME

Je suis l’ennemi irréconciliable de l’esprit de secte, et cependant je n’ignore pas que là où manque l’attachement — j’allais dire fanatique — aux opinions dont on fait profession, aux idées qu’on chérit, elles ne jouent plus dans l’existence qu’un rôle restreint, effacé ; elles cessent d’être ou elles ne sont point une de nos raisons d’être, de vivre, une des sources peut-être la plus profonde de « notre » joie de vivre. C’est seulement lorsqu’on est d’avis que ses opinions, ses idées, valent la peine d’être diffusées — puis qu’on souffre pour elles au point d’être raillé, honni, persécuté, jeté en prison, mis à mort peut-être — c’est seulement quand on se trouve dans cet état d’esprit qu’on retire une satisfaction réelle et sentie de son activité individuelle. On s’est crée une « valeur » vitale et non une « apparence » formaliste. Je ne conclus point, je me borne à constater.

D’ailleurs on échappe à l’esprit sectaire lorsque, tout en tenant avec énergie à ses opinions, on admet qu’autrui y tienne avec autant d’acharnement que soi. Et là où existe le respect absolu des idées d’autrui, à charge de réciprocité, bien entendu, il n’y a plus de fanatisme, il n’y a que de la conviction.

Sectarianism

I am the irreconcilable enemy of the sectarian spirit, and yet I am aware that where there is a lack of attachment — I was going to say fanatical attachment — to the opinions that we profess, to the ideas which we cherish, they play no more than a limited, barely visible role in our lives; they cease to be or are not one of our reasons for being, for living, one of the deepest sources, perhaps, of “our” joy in living. It is only when we are firm in our opinions that our opinions, our ideas, are worth spreading — then let us suffer for them to the point of being mocked, hated, persecuted, thrown in prison, put in jail or perhaps put to death — it is only when we are in this state of mind that we derive real, palpable satisfaction from our individual activity. We have created a vital “value” and not a formalist “appearance”. I conclude nothing, I merely observe.

Besides, we escape the sectarian spirit when, while holding on to our opinions energetically, we admit that others hold to to their own with as much tenacity. And where there is absolute respect for the ideas of others, — supported by reciprocity, of course, — there is no longer fanaticism, but only conviction.

LES EXPÉRIENCES

Nous ne nous en cachons pas, nous avons dit que toute camaraderie individualiste manque son but, qui n’implique pas aussi bien absence d’ivrognes, de mouchards, d’usuriers, de jaloux, qu’absence de brutaux, d’estampeurs, de propriétaires sexuels — qui n’inclut pas, aujourd’hui même, l’abondance des occasions d’expériences intellectuelles ou économiques aussi bien que d’expériences amoureuses ou récréatives. Et où se trouve l’individualiste anarchiste qui niera que son développement personnel ne soit en fonction de l’abondance des expériences dont est parsemée sa route ?

Experiments

We do not hide it, we have said that all individualist camaraderie misses its goal, which certainly does not imply the absence of drunkards, snitches, usurers, jealous people as much as the absence of brutal sorts, of swindler, of sexual proprietors — which does not include, even today, the abundance of opportunities for intellectual or economic experiments as well as for romantic or recreational experiences. And where is the anarchist individualist who will deny that his personal development is a function of the abundance of experiments with which his path is sprinkled?

L’INDIVIDUALISTE ET L’ÉPREUVE

L’individualiste ne nie pas l’épreuve. Ce serait absurde, Il n’y a personne au monde qui ressente aussi profondément l’épreuve que l’être qui a conscience de ce qui est utile ou nuisible, agréable ou déplaisant à sa chair et à ses nerfs. L’épreuve est capable d’abattre l’âme la mieux trempée, de l’affaiblir, de la décourager, de la désespérer même. Mais tout cela momentanément. Un peu plus tôt, un peu plus tard, à la réflexion, l’individualiste retrouve son équilibre « psychologique », c’est-à-dire se rend compte de sa situation « réelle ».

Ne s’agit-il pas, dans l’épreuve, d’une expérience de celles qu’on qualifie de « douloureuses » ? Or, les expériences de la vie ne sont pas toujours des expériences agréables et qui donnent satisfaction. Je dis donc qu’à un moment donné, l’individualiste se retrouve « lui-même ». Et dès ce moment, tout en s’efforçant de réduire au minimum l’épreuve par laquelle il passe — quant à l’intensité et à la durée — il essaie d’en tirer tout le profit possible pour la sculpture et le développement de son MOI.

The Individualist and Hardship

The individualist does not deny hardship. That would be absurd. There is no one in the world who feels hardship so deeply as the being who is aware of what is useful or harmful, pleasant or unpleasant to his flesh and nerves. Hardship is capable of defeating the best tempered soul, of weakening it, of discouraging it, even of causing it to despair. But all of this momentarily. A little earlier, a little later, upon reflection, the individualist regains his “psychological” balance, that is to say, realizes his “real” situation.

Is there not, in hardship, an experience of of the sort that we describe as “painful”? Now, the experiences of life are not always pleasant and satisfying experiences. So I say that, at a given moment, the individualist finds himself “himself.” And from that moment on, while striving to reduce to a minimum the hardship he endures — in terms of intensity and duration — he tries to take every possible advantage of it for sculpture and the development of his own SELF.

NATURE ET MORALITÉ

«Il y a antinomie de la nature et de la moralité », a dit un penseur, Comme il y à antinomie du naturel et de l’artificiel. A vrai dire, il y a apparence d’antinomie ; car de même que sans le naturel il n’y aurait pas d’artificiel, sans la nature il n’y aurait pas de morale. Tout ce que nous appelons « artificiel », en effet, a été « fabriqué » à l’aide d’éléments empruntés au naturel. Tout ce que nous appelons « morale » est basé sur des éléments empruntés à la nature ou, si l’on veut, à « l’instinct ».

Nature and Morality

“There is an antinomy of nature and morality,” said a thinker. Just as there is an antinomy of the natural and the artificial. To tell the truth, there is an appearance of antinomy; for just as without the natural there would be no artificial, without nature there would be no morality. Everything we call “artificial,” in fact, has been “made” using elements borrowed from nature. Everything we call “morality” is based on elements borrowed from nature or, if you like, from “instinct.”

UN MOYEN DE DÉFENSE

On a préconisé, comme un moyen efficace de dominer son adversaire, un effort constant tendant à s’identifier à lui de telle sorte qu’on puisse par une sorte de lecture de pensée deviner ou prévoir ses plans d’offensive et ses projets d’attaque. On peut se demander si ce moyen de défense convient à l’être qui a conscience de sa valeur, et si son emploi ne porte pas au contraire atteinte au développement de l’Individu qui s’en sert.

A Means of Defense

Someone has recommended, as an effective means of dominating one’s adversary, a constant effort tending to identify oneself with him in such a way that one can, through a sort of mind-reading, guess or predict his plans of offensive and his projects of attack. We can ask ourselves if this means of defense is suitable for the being who is aware of its value, and if its use does not, on the contrary, harm the development of the Individual who uses it.

« ÉGOISME » OU « ALTRUISME »

Il est curieux — j’allais dire comique — de constater quelle peine se donnent les « idéalistes » pour opposer sans cesse — et sous de nouvelles formes à mesure que les anciennes deviennent caduques — « l’altruisme » à « l’égoïsme », ce qu’ils dénomment le « dévouement » à ce qu’ils appellent « l’intérêt ». Comme si l’égoïsme n’était pas la réaction la plus évidente d’un tempérament individuel, « généreux libéral, prodigue de soi », sur des forces qui lui sont contraires ? Je vous défie de trouver un altruiste pour de vrai — j’entends qui le soit de bonne volonté — qui ne ressente du plaisir, de la satisfaction, de la volupté, donc de l’intérêt, à se dépenser, à se sacrifier. Or, quelle est la fin de l’égoïsme, sinon la gratification de soi ?

“Egoism” or “Altruism”

It is curious — I was going to say comical — to note the trouble the “idealists” go to in order to constantly oppose — and in new forms as the old ones become obsolete — “altruism” to “selfishness,” what they call “dedication” to what they call “interest.” As if egoism were not the most obvious reaction of an individual temperament, “generous liberal, lavish of oneself,” to forces that are contrary to it? I challenge you to find a true altruist — I mean one of good will — who does not feel pleasure, satisfaction, delight, therefore interest, in spending themselves, in sacrificing themselves. Now, what is the end of egoism, if not self-gratification?

INDIVIDUALISME ET ARRIVISME

« Notre » individualisme se différencie de l’arrivisme en ce que, pour parvenir à sculpter son « moi », selon qu’il s’y sent déterminé, « notre » individu ne cherchera jamais à se conformer au « tout » grégaire ou à éviter l’hostilité du troupeau. L arriviste, au contraire, redoute avant tout autre chose de se montrer différent de la mentalité moyenne du troupeau. Son succès en dépend.

Individualism and Arrivism

“Our” individualism differs from arrivism in that, to succeed in sculpting his “self,” as he feels determined to do so, “our” individual will never seek to conform to the gregarious “whole” or to avoid the hostility of the herd. The arrivist, on the contrary, fears above all else to be different from the average mentality of the herd. His success depends on it.

SE CONNAITRE

On ne met pas le vin nouveau dans des récipients incapables de supporter la fermentation. De même n’est pas propre au Domaine du Moi quiconque n’est pas capable de se contempler tel qu’il est.

To Know Oneself

We do not put new wine in containers incapable of supporting fermentation. Likewise, anyone who is not capable of contemplating themselves as they are is not suitable for the Domain of the Self.

GRANDEUR ET DÉCADENCE INDIVIDUALISTES

Nietzsche parle souvent de la noblesse dont il orne son ébauche du surhumain. Sans cette noblesse, l’individualisme dégénère rapidement en bas arrivisme. Thénardier, ce type immortalisé par Victor Hugo, n’a rien de l’individualiste. C’est un détrousseur de cadavres et d’infirmes incapables de se défendre. Rien d’autre.

Individualist Greatness and Decadence

Nietzsche often speaks of the nobility with which he adorns his sketch of the superhuman. Without this nobility, individualism quickly degenerates into low arrivism. Thénardier, that type immortalized by Victor Hugo, is not an individualist. He is a thief of corpses and cripples incapable of defending themselves. Nothing else.

LE BIEN ET LE MAL

Je reconnais tout de suite que l’apparition d’une différence entre le bien et le mal — le permis et le défendu — marque une étape dans le développement de l’intelligence des collectivités. A l’origine cette différence ne pouvait être que sociale, l’individu ne possédait pas assez d’acquis héréditaire personnel, assez d’expérience mentale particulière pour se passer de l’acquis et de l’expérience, du contrôle du groupe.

Il est compréhensible que le bien et le mal aient été décrétés d’abord d’essence religieuse. Durant toute la période préscientifique, la religion fut à nos ancêtres ce que nous est la science. Les hommes les plus savants d’alors ne concevaient qu’une explication extra-naturelle des phénomènes qu’ils ne comprenaient pas. La coutume religieuse a précédé naturellement la coutume civile.

Tout surprenant que cela nous puisse paraître à nous, « a posteriori », vivre dans l’ignorance du bien et du mal conventionnels est un signe d’inintelligence chez le primitif. Ce n’est pas du tout parce qu’il est près de la nature que le primitif ignore le permis et le défendu — ce n’est pas du tout parce qu’il est « amoral » — c’est tout bonnement parce qu’il ne raisonne ni ne réfléchit.

Au contraire, l’humain actuel qui se place individuellement en marge du bien et du mal, qui se situe personnellement par delà le permis et le défendu, en est au stade supérieur de l’évolution de la personnalité humaine. Il a étudié l’essence de la conception du bien et du mal social ; il s’est demandé ce qui restait du permis et du défendu une’ fois dépouillés de leurs oripeaux. S’il préfère avoir comme guide l’instinct plutôt que la raison, c’est à la suite de comparaisons et de jugements soigneusement élaborés. S’il donne le pas au raisonnement sur le sentiment ou au sentiment sur le raisonnement, c’est délibérément, sûrement, après avoir sondé son tempérament. Il s’est séparé du troupeau traditionnel, de l’agglomération conventionnelle, parce qu’il a considéré, l’ayant pesé et expérimenté, que la tradition et la convention étaient des entraves à son épanouissement ; autrement dit, il n’est « amoral » qu’après s’être demandé ce que valait « la morale » par rapport à l’individu. Il y a loin de cet hors-morale-là au primitif à peine différencié d’un ancêtre au cerveau encore embrumé, incapable d’opposer son déterminisme personnel au déterminisme ambiant et écrasant.

Good and Evil

I immediately recognize that the appearance of a difference between good and evil — the permissible and the forbidden — marks a stage in the development of the intelligence of communities. Originally this difference could only be social, the individual did not possess enough personal hereditary acquisition, enough particular mental experience to do without the acquisition and experience, the control of the group.

It is understandable that good and evil were first decreed with a religious nature. Throughout the pre-scientific period, religion was to our ancestors what science is to us. The most learned men of the time only conceived an extra-natural explanation for phenomena that they did not understand. Religious custom naturally preceded civil custom.

Surprising as it may seem to us, “a posteriori,” living in ignorance of conventional good and evil is a sign of unintelligence in the primitive. It is not at all because he is close to nature that the primitive ignores what is permitted and what is forbidden — it is not at all because he is “amoral” — it is quite simply because he neither reasons nor reflects.

On the contrary, the current human being who places himself individually on the margins of good and evil, who personally places himself beyond what is permitted and what is forbidden, is at the higher stage of the evolution of the human personality. He studied the essence of the conception of social good and evil; he wondered what remained of the permitted and the forbidden once stripped of their trappings. If he prefers to have instinct rather than reason as his guide, it is as a result of carefully crafted comparisons and judgments. If he gives precedence to reasoning over feeling or to feeling over reasoning, it is deliberately, surely, after having probed his temperament. He separated himself from the traditional herd, from the conventional agglomeration, because he considered, having weighed and experienced it, that tradition and convention were obstacles to his development; in other words, he is only “amoral” after having asked himself what “morality” is worth in relation to the individual. There is a long way from this non-morality to the primitive man, barely differentiated from an ancestor with a still foggy brain, incapable of opposing his personal determinism to the ambient and overwhelming determinism.

LE BLUFF MORALISTE

Les moralistes affirment qu’en fin de compte l’injustice est punie, que finalement l’injuste rencontre la ruine et qu’un jour vient, tôt ou tard, où l’inique reçoit un châtiment mérité. En réalité, les grands exploiteurs, les grands propriétaires finissent le plus souvent leurs jours sans connaître aucun des soucis qui hantent la vieillesse des dominés et des exploités. Il arrive que quelques-uns d’entre eux succombent dans la lutte qu’ils ont entreprise pour conquérir, amplifier leur situation, mais c’est un « accident de travail » qui n’est pas plus extraordinaire que la chute d’un couvreur tombant d’un toit, ou la mort d’un officier tué par le projectile lancé par l’ennemi.

The Moralist Bluff

Moralists assert that in the end injustice is punished, that ultimately the unjust meets ruin, and that a day comes, sooner or later, when the unjust receives deserved punishment. In reality, the great exploiters, the great proprietors most often end their days without experiencing any of the worries that haunt the old age of the dominated and exploited. It happens that some of them succumb in the struggle they undertook to conquer, to amplify their situation, but it is a “work accident” which is no more extraordinary than the fall of a roof from a roof, or the death of an officer killed by a projectile launched by the enemy.

VICIEUX « NATURELS » ET « ARTIFICIELS »

Il y a des gens « vicieux » par tempérament et d’autres qui le sont artificiellement, à fleur de peau. Ces derniers se reconnaissent à ce qu’ils éprouvent le sentiment qu’ils font mal chaque fois qu’ils accomplissent un de ces gestes que les préjugés qualifient d’antivertueux. Ils sentent alors un besoin irrésistible de se justifier et les voilà, pour se faire, qui entassent citations, auteurs, philosophies, méthodes scientifiques. Il y a toujours en eux de l’ange déchu qui regrette la place qu’il occupait dans le ciel. Le « vicieux » pour de vrai, le « vicieux » au naturel ignore cette casuistique, ces combats contre la chair, ces rappels de paradis perdu. Il est allègrement, sainement vicieux. Il l’est de bon coeur, sans arrière-pensée de narguer les vertueux. Il ne se réclame d’aucune doctrine, il ne s’appuie sur aucun texte, il n’a jamais été chassé d’aucun Eden… Il est vicieux de bonne humeur…

“Natural” and “Artificial” Viciousness

There are people who are “vicious” by temperament and others who are artificially so, highly strung. The latter can be recognized by the fact that they experience the feeling that they are doing wrong each time they perform one of these gestures that prejudices describe as anti-virtuous. They then feel an irresistible need to justify themselves and there they are, to do so, piling up quotes, authors, philosophies, scientific methods. There is always in them the fallen angel who regrets the place he occupied in heaven. The “vicious” for real, the “vicious” in nature ignores this casuistry, these battles against the flesh, these reminders of lost paradise. He is cheerfully, healthily vicious. He does so with a good heart, without any ulterior motive of taunting the virtuous. He does not claim any doctrine, he does not rely on any text, he has never been expelled from any Eden… He is vicious in his good humor…

LA CONNAISSANCE ET LE MAL

Le « mal » n’est pas le résultat de l’ignorance, comme l’est la superstition. Et « mal » et superstition sont deux expressions bien différentes. Le vulgaire appelle « mal » l’égoïsme poussé à un degré tel que pour arriver à ses fins, il n’est pas d’arme ou de moyen qu’il n’emploie. Le « mal » est donc, populairement parlant, la forme instinctive, non policée, de l’égoïsme. La connaissance n’abolit pas l’égoïsme, elle le déguise simplement, lui fait parler une langue polie et lui donne de bonnes manières. La connaissance n’abolit donc pas « le mal ».

Knowledge and Evil

“Evil” is not the result of ignorance, like superstition is. And “evil” and superstition are two very different expressions. The vulgar call “evil” egoism pushed to such a degree that to achieve its ends, there is no weapon or means that it does not use. “Evil” is therefore, popularly speaking, the instinctive, unpoliced form of egoism. Knowledge does not abolish egoism, it merely disguises it, makes it speak a polite language and gives it good manners. Knowledge therefore does not abolish “evil.”

LE « SURHOMME » ET L’INDIVIDU

Un troupeau de surhommes ne vaudrait ni plus ni moins qu’un troupeau de sous-hommes. Peut-être serait-il plus dangereux pour l’individu. A force d’avoir bêlé que l’homme a été surmonté — tellement bêlé qu’ils l’auraient cru, — ils finiraient par détruire en eux toute apparence d’homme, je veux dire par là qu’ils se montreraient d’une vanité et d’une suffisance insensées, tout en demeurant exposés, somme toute, aux mêmes accidents que le reste de leurs congénères en humanité, Voilà pourquoi il faut surmonter le surhomme par l’Individu, — en d’autres termes, par l’homme en pleine possession, en pleine jouissance de toutes ses facultés : l’homme qui veut vivre toute sa plénitude de vie, sans s’inquiéter des on-dit, et sans vouloir jouer le rôle de berger social. Le surhomme n’est compréhensible — et tolérable — que comme une exception, comme une sorte de prophète dont la voix descend de la montagne et nous invite à regarder en nous-mêmes, ce que nous oublions trop souvent. D’ailleurs, le surhomme est contenu en l’homme, il en est fonction, et le contenu, dans ce cas, ne saurait s’abstraire du contenant.

The “Superman” and the Individual

A herd of supermen would be worth neither more nor less than a herd of subhumans. Perhaps it would be more dangerous for the individual. By dint of bleating that man has been overcome — bleating it so that they would have believed it — they would end up destroying in themselves any appearance of man, by which I mean that they would show themselves with vanity and an insane self-importance, while remaining exposed, after all, to the same accidents as the rest of their fellow human beings. This is why the superman must be overcome by the Individual, — in other words, by the man in full possession, in full enjoyment of all his faculties: the man who wants to live his full life, without worrying about hearsay, and without wanting to play the role of social shepherd. The superman is only understandable — and tolerable — as an exception, as a sort of prophet whose voice comes down from the mountain and invites us to look within ourselves, what we too often forget. Moreover, the superman is contained in man, he is a function of it, and the content, in this case, cannot be abstracted from the container.

LA MARCHE RECTILIGNE

La marche rectiligne n’indique pas toujours l’homme fort — la plus souvent, au contraire, -elle est un signe de médiocrité. Qu’est-ce qui caractérise l’homme médiocre en effet ? C’est qu’il ne porte ombrage à personne et que personne ne songe à mettre des obtacles en travers de son chemin.

Qui dit vie où abonde la lutte — c’est-à-dire vie originale — ne dit pas chemin en ligne droite. Car la lutte implique les sinuosités, les sentiers de chèvre, les avances de flanc, les reculs, les retours au point de départ, s’il le faut. Quand on lutte, c’est pour remporter la victoire — et il faut user de bien des stratagèmes parfois pour demeurer victorieux.

The Rectilinear March

The rectilinear march does not always indicate a strong man — most often, on the contrary, it is a sign of mediocrity. What characterizes a mediocre man? It is that he does not offend anyone and no one thinks of putting obstacles in his way.

Whoever says a life where struggle abounds — that is to say an original life — does not speak of a straight-line path. Because the struggle involves windings, goat paths, flanking advances, retreats, returns to the starting point, if necessary. When we fight, it is to achieve victory — and sometimes we have had to use many stratagems to remain victorious.

MORALE ET MORALITÉ

Je ne suis pas un ascète, mais un individualiste. Je ne me suis pas regimbé contre la morale qui emprisonne l’expansion de la personne humaine, pour me placer sous le joug d’une contrainte la remplaçant. « Mon » anarchisme est à la fois négateur de morale et de moralité : il implique jouissance, conscience de vivre — jouissance sensuelle et voluptueuse, jouissance passionnée de l’heure présente ; ce contre quoi toujours se sont élevés et s’élèveront ces deux autorités : la morale et sa fille bâtarde, la moralité.

Morals and Morality

I am not an ascetic, but an individualist. I did not rebel against the morality that imprisons the expansion of the human person, to place myself under the yoke of a constraint replacing it. “My” anarchism is both a negation of morals and morals: it implies enjoyment, consciousness of living – sensual and voluptuous enjoyment, passionate enjoyment of the present hour; this against which these two authorities have always risen and will rise: morals and its bastard daughter, morality.

LES INSATISFAITS

Vous vous croyez donc si différents de la masse ? — Mais non, nous sommes, comme elle, faits de chair, d’os et de muscles. C’est par le mème mécanisme que notre sang parcourt notre corps. Nous assimilons et désassimilons comme elle. — Nous en différons en ceci : c’est qu’elle vise à un état de choses où le bonheur serait organisé pour tous, une fois pour toutes ; alors que nous sommes déjà en quête du bonheur qui remplacera celui que nous visons et que nous n’avons même pas atteint. Nous en différons encore en ceci : c’est que la masse hait, pourchasse et poursuit, de par son instinct grégaire, quiconque tente de porter atteinte à la conception moyenne qu’elle s’est tracée de la vie : alors que nous sommes les éternels insatisfaits, les mécontents à toujours, les dissocieurs de troupeaux.

The Unsatisfied

So you think you’re so different from the crowd? — But no, we are, like it, made of flesh, bones and muscles. It is by the same mechanism that our blood travels through our body. We assimilate and disassimilate like it. — We differ in this: it aims at a state of things where happiness would be organized for all, once and for all; while we are already in search of the happiness which will replace the one we are aiming for and which we have not even achieved. We differ again in this: the mass hates, hunts and pursues, through its herd instinct, anyone who attempts to undermine the average conception that it has drawn up for itself of life, whereas we are the eternally dissatisfied, the forever discontented, dissociators from the herd.

DILETTANTES

Je ne nie pas que parmi les individualistes, on rencontre des dilettantes ou des amateurs. Ce sont surtout ceux qui se sont attardés à se pencher sur les unités du troupeau humain, considérées une à une, et à analyser trop finement les ressorts secrets des actions des hommes. D’ailleurs « dilettante » ou « amateur » ne sont pas des termes synonymes d’ « insensible » ou de « sceptique ».

Dilettantes

I do not deny that among individualists we find dilettantes or amateurs. These are especially those who have lingered to look at the units of the human herd, considered one by one, and to analyze too finely the secret motives of men’s actions. Besides, “dilettante” or “amateur” are not terms synonymous with “insensitive” or “skeptical.”

NE FORÇONS PAS NOTRE TALENT

Il n’y a pas grand mérite à enfourcher la monture d’un cavalier désarçonné. « Quel beau cavalier ! » s’exclame la foule en battant des mains, et le fringant homme de cheval, grisé par le vacarme, oublie que ce n’est pas lui qui a dompté l’animal.

Personne ne vous force à faire le médecin si vous ignorez l’art de guérir, Personne ne vous force à accepter un mandat si vous ne vous sentez pas de taille à le remplir au gré du mandant. Personne ne vous oblige à vous charger d’un dépôt si vous ne possédez pas la volonté de le rendre intact au déposant.

Let Us Not Force Our Talent

There is no great merit in mounting the mount of an unhorsed rider. “What a fine rider!” exclaims the crowd, clapping their hands, and the dashing horseman, intoxicated by the din, forgets that it was not he who tamed the animal.

No one forces you to become a doctor if you are ignorant of the art of healing. No one forces you to accept a mandate if you do not feel up to the task of fulfilling it at the discretion of the principal. No one forces you to take responsibility for a deposit if you are not willing to return it intact to the depositor.

A CE LANGAGE, J’AI RECONNU QUELQU’UN DE MON MONDE.

Quelqu’un m’écrit — « Votre désir de vivre s’arrête à cette vie. Moi pas. Elle me sera certainement trop courte, dussé-je vivre intensément en tout. Et je trouve désirable du d’autres existences me permettent de contenter plus tard tous mes désirs et de réaliser mes rêves… »

Ceci n’est qu’un souhait qui n’a pas plus de valeur que si je trouvais désirable de vivre mille ans. Il y a tant de faits que je trouverais désirable de voir se manifester, tant de gestes que je trouverais désirable d’accomplir… Et faits et gestes demeurent à l’état de souhaits. Comme « un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras », je préfère accumuler les expériences de mon vivant, de manière à ce que, lorsque la mort viendra, je l’accueille, serein et sans regret, rassasié de jouissances, comme d’autres sont rassasiés d’ans.

Ce même correspondant ajoute : « J’ai le désir de savoir plus et de porter au maximum les possibilités de jouissance qui sont en moi… la sagesse n’est plus de regarder passer les jours, mais de les utiliser ».

A ce langage et quelles que soient les idées qu’il puisse entretenir sur l’hypothèse des vies successives, j’ai reconnu dans celui qui m’écrivait quelqu’un appartenant à « mon monde ». Et l’un des miens. C’est de toutes choses, celle qui m’importe le plus.

By This Language, I Recognized Someone from My World

Someone writes to me — “Your desire to live stops at this life. Not mine. It will certainly be too short for me, even if I live intensely in everything. And I find it desirable that other existences allow me to later satisfy all my desires and realize my dreams…”

This is only a wish which has no more value than if I found it desirable to live a thousand years. There are so many facts that I would find desirable to see manifested, so many gestures that I would find desirable to accomplish… And these facts and gestures remain in the state of wishes. As “a bird in the hand is worth two in the bush,” I prefer to accumulate experiences during my lifetime, so that, when death comes, I welcome it, serene and without regret, sated with enjoyments, as others are satiated with years.

This same correspondent adds: “I have the desire to know more and to maximize the possibilities of enjoyment that are within me… wisdom is no longer in watching the days pass, but in using them.”

In this language and whatever ideas he may entertain on the hypothesis of successive lives, I recognized in the person who wrote to me someone belonging to “my world”. And one of my own. This is of all things the one that matters most to me.

LE RISQUE ET LA VOLUPTÉ

Je suis l’adversaire résolu de tout plan d’organisation précaire qui supprime le risque et bannit l’aventure. C est par son effort que l’individu doit conquérir la jouissance de sa vie. Là d’où l’aventure a disparu, il ne reste plus que le réglé ; là où il n’y a plus de braconniers, il ne reste plus que le garde-chasse. Là d’où le risque a été banni, il ne reste plus que des êtres taillés ou confectionnés sur le même modèle : des automates. des fonctionnaires, des administrés. Là où la bohème est morte, il n’y a plus que des gens rangés.

Je m’insurge contre les religions ou les morales qui prêchent, enseignent ou préconisent le mépris de la volupté. Qu est-ce que la volupté ? — sinon un état spécial de notre sensibilité qui nous permet d apprécier, de jouir avec une intensité extrême et une violente passion des aspects divers de la vie. Ce n’est pas seulement l’aspect sensuel de la vie qui est susceptible d’être senti avec volupté : tous les aspects de la vie peuvent être appréciés de cette façon : la poursuite d’une recherche scientifique l’accomplissement d’une besogne manuelle, l’entreprise d’un voyage, la confection d’un poème, la composition d’un morceau de musique, la culture d’une pièce de terre, le manger et le boire même. Il approche bien près de l’individu-type celui qui a acquis ou conquis une aptitude à jouit de sa vie, telle, que, quoi qu’il sente, crée ou imagine, il se meut dans une atmosphère de volupté.

Risk and Delight

I am the resolute opponent of any precarious organizational plan that eliminates risk and banishes adventure. It is through his effort that the individual must achieve the enjoyment of his life. Where the adventure has disappeared, all that remains is the settled; where there are no more poachers, only the game warden remains. Where risk has been banished, all that remains are beings cut or made on the same model: automatons. civil servants, administrators. Where bohemia is dead, there are only tidy people left.

I rebel against religions or moralities that preach, teach or advocate contempt for delight. What is delight? — if not a special state of our sensitivity that allows us to appreciate, to enjoy with extreme intensity and violent passion the various aspects of life. It is not only the sensual aspect of life that can be felt with delight: all aspects of life can be appreciated in this way: the pursuit of scientific research, the accomplishment of a manual task, the undertaking of a journey, the making of a poem, the composition of a piece of music, the cultivation of a piece of land, even eating and drinking. He comes very close to the individual type, the one who has acquired or conquered an ability to enjoy his life, such that, whatever he feels, creates or imagines, he moves in an atmosphere of delight.

LA VIE COMPLEXE

Vivre d’une vie complexe n’est pas chose facile après tout. Je crois qu’on pourrait compter sur les doigts les êtres humains aptes à vivre d’une vie réellement complexe, c’est-à-dire à mener de front plusieurs existences qui ne s’enchevêtrent ni ne se confondent. Quel épanouissement des facultés chez les êtres capables de se manifester, de se répandre ainsi en plusieurs activités dont aucune ne contrarierait sa voisine ! Quelle connaissance de soi-même et d’autrui il en résulterait ! Quelle richesse, quel capital que cette accumulation d’expériences ! Il est infiniment probable que l’homme-type du devenir ne sera pas l’homme d’un but unique — « the man of one purpose » — mais l’homme aux desseins multiples, aux multiples rayonnements, assez puissant et assez énergique pour mener parallèlement et simultanément plusieurs existences. J’aime à croire qu’il y sera merveilleusement aidé par les innombrables associations volontaires qui existeront alors et qui se donneront comme but, chacune en leur sphère, de ne laisser inexploré aucun des domaines où il est loisible à l’être humain de poursuivre ses investigations et d’atteindre des réalisations d’un genre ou d’un autre.

The Complex Life

Living a complex life is not easy after all. I believe that we could count on our fingers the human beings capable of living a truly complex life, that is to say, of leading several existences simultaneously, which neither entangle nor confuse each other. What a flowering of the faculties in beings capable of manifesting themselves, of spreading themselves in several activities, none of which would upset its neighbor! What knowledge of oneself and others would result! What wealth, what capital is this accumulation of experiences! It is infinitely probable that the typical man of the future will not be the man of a single purpose — “the man of one purpose” — but the man with multiple designs, with multiple radiances, powerful enough and energetic enough to lead several lives in parallel and simultaneously. I like to believe that he will be wonderfully helped by the countless voluntary associations that will then exist and which will set themselves the goal, each in their own sphere, of leaving unexplored none of the areas where it is open to the human being to pursue his investigations and to achieve achievements of one kind or another.

TU CHERCHES LA LOUANGE

Tu te répands de trop. Es-tu aussi sûr que cela que tous ces jeunes gens te comprennent ? J’ai peur qu’ils ne sachent que t’acclamer et t’aduler… Comme tu étais grand quand tu marchais seul ou presque seul et que ta silhouette géante s’estompait sur le pâle horizon intellectuel contemporain ! Nous te suivions de loin à quelques-uns, osant à peine jeter un coup d’oeil sur les cimes dont tu faisais ta demeure. Or, voici que la foule t’entoure, maintenant que tu t’attardes dans les plaines, mais ce n’est plus pour entendre les apostrophes qui cinglent l’âme, — c’est pour quêter des paroles de louange.

You Seek Praise

You’re spreading yourself too thin. Are you that sure that all these young people understand you? I’m afraid that they only know how to acclaim and adulate you… How great you were when you walked alone or almost alone and your giant silhouette faded against the pale contemporary intellectual horizon! Some of us followed you from afar, barely daring to glance at the peaks you made your home. Now, behold, the crowd surrounds you, now that you linger on the plains, but it is no longer to hear the apostrophes that sting the soul, — it is to seek words of praise.

FOIN DU MORALITÉISME

Ce sont les plus aptes qui survivent. — Je comprends parfaitement l’individualiste qui préfère dix ou quinze ans de vie intense, se consumant, s’usant sans réserve et sans retenue à exister cinquante, soixante ou soixante-dix ans, prenant bien garde de ne pas se dépenser de trop en une seule fois. Je comprends qu’on ne veuille pas dépasser le printemps. J’en ai tant rencontré qui avaient regret d’avoir laissé s’écouler leurs beaux jours sans en retirer tout ce qu’ils auraient été en droit d’escompter. — Somme toute, c’est à chacun de nous d’employer sa vie comme il l’entend. L’important est de n’imposer point sa conception de la vie à autrui. — Foin du moralitéisme, même portant masque d’anarchisme !

The Din of Moralityism

It is the fittest who survive. — I perfectly understand the individualist who prefers ten or fifteen years of intense life, consuming himself, wearing himself out without reserve and without restraint to existing for fifty, sixty or seventy years, taking great care not to spend too much on only once. I understand that we don’t want to go past spring. I have met so many who regretted having let their good days pass without getting everything they would have had the right to expect. — All in all, it is up to each of us to use our lives as we see fit. The important thing is not to impose your conception of life on others. — Stop moralityism, even wearing the mask of anarchism!

EXERCE CHAQUE FACULTÉ

Toute faculté, toute aptitude dont on ne se sert pas est perdue, et l’Individualité est diminuée d’autant. D’autant également est entravé son développement. Les facultés et les aptitudes trouvent leur raison d’être dans l’usage qu’on en fait, non dans l’abstention de leur usage.

Exercise Each Faculty

Every faculty, every aptitude that we do not use is lost, and the Individuality is diminished to that degree. Its development is also hindered to the same degree. The faculties and aptitudes find their reason for being in the use we make of them, not in abstention from their use.

RÉCIPROCITÉ

Il est de toute évidence que je ne me comporte pas de même façon envers un camarade que vi is d’un étranger — bourgeois ou petit bourgeois. Je sais fort bien qu’il est des « étrangers » qui ne le sont que d’apparence ; qui en leur for intérieur, sont des « miens ». Leur manière d’être à mon égard me les fait reconnaître de suite : ils ne cherchent point à me causer de souffrance évitable, ils ne se font pas un malin plaisir de l’envenimer, ils s’efforcent de le dissiper dans un esprit de conciliation ; leurs rapports avec moi sont déterminés par la bonne volonté et le désir de s’assimiler mes aspirations à charge de réciprocité -ce sont des « copains » qui s’ignorent. Pour les autres — les « étrangers » pour de vrai — je ne me sens lié à leur égard par aucun engagement, aucune promesse. Je me sens toujours prêt à rompre, sans préavis — dès que j’aurais intérêt, avantage ou plaisir — tout contrat que les circonstances auraient pu m’amener à souscrire avec eux. Ils ne sont pas de « mon » monde ou ils n’en sont plus. Et je sais, par expérience, qu’ils ne m’ont pas épargné le cas échéant. Je leur rends la pareille, tout simplement, Et c’est un aspect de l’exercice de la « méthode de réciprocité ».…

Reciprocity

It is quite obvious that I do not behave in the same way towards a comrade as I do towards a stranger – bourgeois or petty bourgeois. I know very well that there are “strangers” who are only so in appearance; who deep down are “my own.” Their way of being towards me makes me recognize them immediately: they do not seek to cause me avoidable suffering, they do not take malicious pleasure in making it worse, they strive to dissipate it in a spirit of conciliation; their relationships with me are determined by good will and the desire to assimilate my aspirations through reciprocity — we are “friends” who are unaware of each other. For the others — the “strangers” for real — I do not feel bound to them by any commitment, any promise. I always feel ready to break, without notice — as soon as I have an interest, advantage or pleasure — any contract that circumstances could have led me to subscribe to with them. They are not from “my” world or they are no longer in it. And I know, from experience, that they would  not spare me if necessary. I simply return the favor, and this is an aspect of exercising the “method of reciprocity”.…

JE SUIS « MOI »

« Me voilà tel que je suis » déclare l’individualiste, « avec mes qualités, mais aussi avec mes défauts pour parler le langage des actuels, c’est-à-dire avec mes attributs physiologiques et psychologiques ». Je ne me proclame ni inférieur ni supérieur à aucun de mes co-terriens. Je suis Moi et je m’efforce de faire servir tous ces attributs à l’avantage du développement de ma personnalité, Je ne songe pas plus à me débarrasser d’aucun de ces attributs qu’à m’amputer de l’un de mes membres.

Je n’entends renoncer — œuvre d’ailleurs insensée — ni mes penchants, ni à mes habitudes, ni à mes passions. Je ne veux pas plus y renoncer que me renoncer. Je veux les utiliser pour MON plus grand bien. Je souligne « mon » à dessein, car « mon bien » n’a rien de commun avec le « bien » des actuels, un bien qui ignore la passion, ou feint de l’ignorer, ce qui est pire.

I Am “Me”

“Here I am as I am” declares the individualist, “with my qualities, but also with my faults, to speak the language of today, that is to say with my physiological and psychological attributes.” I proclaim myself neither inferior nor superior to any of my fellow earthlings. I am Me and I strive to use all these attributes to the advantage of the development of my personality. I no more think of getting rid of any of these attributes than of amputating one of my limbs.

I do not intend to renounce — an insane work indeed — either my inclinations, or my habits, or my passions. I don’t want to give them up any more than I want to give up myself. I want to use them for MY highest good. I underline “my” on purpose, because “my good” has nothing in common with the “good” of today, a good that ignores passion, or pretends to ignore it, which is worse.

ASOCIAL, MAIS SOCIABLE

Un lecteur m’écrit : « Plus je vous lis et plus il me semble que votre philosophie est le reflet de votre tempérament. A vrai dire, il me parait que vous vous êtes bâti une philosophie pour votre usage exclusif ». — Il est évident que, individualiste, je choisisse une philosophie qui me plaise, c’est-à-dire qui concorde avec mon tempérament, mes aspirations et mon expérience de la vie. Il est évident aussi que c’est à ma mesure, pratique où théorique, que j’ai taillé ma philosophie : vous ne voudriez pas que je me fasse l’esclave d’une philosophie qui me soit imposée du dehors — je subis assez de contraintes sans cela. Tant mieux si ma conception de la vie se trouve partagée par un certain nombre d’individus, en plus ou moins grande quantité. Asocial — cela ne veut pas dire que je sois un insociable.

Asocial, But Sociable

A reader says to me: “The more I read your work, the more it seems to me that your philosophy reflects your temperament. To tell the truth, it seems to me that you have built philosophy for your exclusive use.” — It is obvious that, as an individualist, I choose a philosophy that pleases me, that is consistent with my temperament, my aspirations and my experience of life. It is also obvious that it is to my own measure, practical or theoretical, that I have tailored my philosophy: you would not want me to make myself the slave of a philosophy imposed on me from outside — I suffer enough constraints without that. So much the better if my conception of life finds itself shared by a certain number of individuals, in quantities more or less large. Asocial — this does not mean that I am unsociable.

CRÉER

Créer revient à détruire, car, en fin de compte, tout ce qui est créé finit par disparaître. Créer c’est encore innover, c’est-à-dire nier l’utilité ou la valeur de ce qui a existé jusqu’ici — substituer une valeur nouvelle à la valeur ancienne.

Quiconque nie les valeurs existantes crée une valeur nouvelle, car la négation n’est pas le scepticisme ou l’indifférence. C’est un aspect de l’activité intellectuelle.

To Create

To create and to destroy come down to the same thing, for, in the end, everything that is created will disappear. To create is also to innovate, to deny the utility or value of what has existed in the past — to substitute a new value for the old one.

Whoever denies existing values creates a new value, for negation is not skepticism or indifference. It is an aspect of intellectual activity.

JUSTICE

L’idée de justice procède en droite ligne des revendications de l’instinct comme l’idée de morale ; seulement la civilisation l’a tellement transformée qu’elle aspire souvent au contraire du désir de l’instinct.

Justice

The idea of justice proceeds directly from the demands of instinct as well as the idea of morality, but civilization has so transformed it that it often aspires to the opposite of what instinct desires.

L’ABSOLU

L’absolu est un terme de cabinet. Tout est relatif et il n’est que des relativités. L’absolu lui-même est contingent à notre puissance de conception et de compréhension. Dans la pratique, l’absolu, pour nous, C’est telle passion poussée jusqu’au paroxysme, tel sentiment arrivé à l’extrême limite fonctionnelle. Et là encore, l’extrême développement de telle passion ou de tel sentiment se relative toujours aux aspects physiologique et psychologique de nos tempéraments.

The Absolute

The absolute is an armchair notion. Everything is relative and there are only relativities. The absolute is itself contingent on our powers of conception and comprehension. In practice, the absolute is, for us, some passion pushed to the point of paroxysm, some sentiment that has come to its furthest functional limit. And even then, the extreme development of a passion or sentiment is always related to the physiological and psychological aspects of our temperaments.

LE DÉTERMINISME PERSONNEL

Lorsque l’Individualiste proclame qu’il veut faire « sa » volonté, il n’ignore pas qu’il ne fera rien de plus ni de moins que ce à quoi le détermine son « moi », autrement dit la somme de tous ses attributs considérés sous leurs divers aspects psycho-physiologiques. Done, il sait qu’il ne fera que ce à quoi le déterminent ses qualifications, ses facultés. Mais ce déterminisme personnel, il entend l’augmenter, le compléter, l’amplifier, l’opposer autant que faire se peut au déterminisme grégaire et même, si possible, l’en faire triompher si ce dernier fait mine de mettre entrave à son développement.

Personal Determinism

When the Individualist proclaims that he wants to do “his” will, he is aware that he will do nothing more or less than what his “self” determines him to do, in other words the sum of all his attributes, considered in their various psycho-physiological aspects. Therefore, he knows that he will only do what his qualifications, his faculties, determine him to do. But he intends to increase this personal determinism, complete it, amplify it, to oppose it as much as possible to the determinism of the and even, if possible, make it triumph if the latter pretends to hinder his development.

VOTRE CAUSE

Je n’ai jamais dit ou écrit que le « dévouement » à une cause ou le « sacrifice » d’argent ou de temps à un être donné — quel qu’en soit le motif — fût incompatible avec la pratique de la conception individualiste — dès lors qu’il n’est point imposé ou accompli sous l’empire d’un état d’être religieux… Au contraire, il n’y a pas d’acte plus individualiste que de s’assimiler volontairement une cause en général ou la cause d’un individu en particulier. Au point qu’elle devienne votre cause, que vous la considériez comme telle, que vous la chérissiez comme telle, que vous la fassiez triompher comme telle.

Your Cause

I have never said or written that “devotion” to a cause or the “sacrifice” of money and time to a given thing — whatever the motive may be — were incompatible with the practice of the individualist conception — as long as it is not imposed or accomplished under the influence of a religious state of being… On the contrary, there is no act more individualist than to voluntarily assimilate oneself to a cause in general or the cause of one individual in particular. To the point when it becomes your cause, that you consider it as such, that you cherish it as such, that you make it prevail as such.

J’AIME CHEZ L’INDIVIDU CE QUE JE HAIS DANS LA FOULE

J’aime chez l’Individu ce que je hais dans la Foule — la spontanéité, l’enthousiasme, l’emballement — cela ne me porte pas préjudice. Je ne suis pas forcé d’y souscrire ou d’y contribuer. Je n’aime pas voir chez l’Individu trop de raison, trop d’analyse, trop de réflexion — cela se développe aux dépens de cette fraicheur de sensibilité, de cette vivacité d’émotion qui rendent supportables la laideur physique ou l’âge avancé.

I Love in the Individual What I Hate in the Crowd

I love in the Individual what I hate in the Crowd — spontaneity, enthusiasm, the mad rush — it does me no harm. I am not forced to subscribe or to contribute. I do not like to see, in the individual, too much reason, too much analysis, too much reflection — it develops at the expense of that freshness of sensibility, that intensity of emotion that makes physical ugliness and advanced age bearable.

LE BONHEUR

En résumé, nous ne nous formons de conception individuelle de l’adaptation de notre organisme à l’environnement, — nous ne raisonnons la vie, notre vie — qu’en vue du bonheur. Or, le bonheur c’est la somme de tout ce que nous éprouvons, sentons, réalisons, voyons de nos yeux, palpons de nos mains. En pleine liberté : sans contrainte, sans réserve, sans arrière-pensée. Et si nous allons à la rencontre intellectuelle des expressions dont se servent les autres pour noter, enregistrer, dépeindre leurs émotions, leurs observations, leurs expériences, c’est qu’elles nous apparaissent comme des rappels de nos propres sensations, des documents ou des distractions. Et c’est en ce sens que fermer l’oreille à l’autre son de cloche est restreindre notre bonheur.

Happiness

In summary, we only form an individual conception of the adaptation of our organism to the environment — we only reason about life, our life — with a view to happiness. Now, happiness is the sum of everything we experience, feel, realize, see with our eyes, feel with our hands. In complete liberty: without constraint, without reservation, without ulterior motives. And if we go to the intellectual encounter of the expressions that others use to note, record, depict their emotions, their observations, their experiences, it is because they appear to us as reminders of our own sensations, documents or distractions. And it is in this sense that closing our ears to the other side of the story is restricting our happiness.

LA POLÉMIQUE

Lorsque la bête du troupeau — tireur à la ligne ou simple tête de bétail — fait de la polémique, c’est toujours à la vie privée de son adversaire d’idées qu’elle s’en prend. Et c’est compréhensible, la question d’idées passant après le reste. La bête du troupeau ramasse les commérages, recueille les on-dit, dépouille les rapports de police, et, à l’aide de ce fatras de renseignements truqués ou mensongers, constitue ses dossiers. La bête du troupeau exulte lorsqu’elle a pu établir les secrets et les détails de l’existence de son antagoniste, provoquant le scandale et les glapissements de ses congénères. Nous exclurons soigneusement de nos polémiques la vie privée de celui dont nous discutons les doctrines, les opinions, l’activité publique. Sa vie privée ne nous regarde pas. Ses gestes quotidiens ne sauraient nous intéresser. Pour qu’ils puissent retenir notre attention, il serait nécessaire qu’ils eussent un retentissement sur le développement et l’épanouissement de notre vie propre. Ou encore que le ou les intéressés nous demandassent d’intervenir, ce que nous ne ferons qu’avec la plus extrême circonspection. Nous estimons que nous occuper des affaires d’autrui, c’est commettre à son égard le plus grave des empiétements. Et ce n’est pas pour être inconséquents nous-mêmes que nous le réclamons des autres. Donc, notre polémique personnelle — lorsqu’il s’agit d’un écrivain, d’un propagandiste, d’un militant, et c’est cette polémique-là à laquelle je fais allusion — portera sur son activité publique, ses écrits, ses discours, les œuvres pour lesquelles il sollicite l’attention, la sympathie ou le concours du public. En d’autres termes, pour ardente, vigoureuse et irréductible qu’elle soit, la polémique individualiste ne peut porter que sur la partie de sa vie que l’individu livre à l’extérieur : la faire passer sur la portion d’existence qu’il entend conserver devers soi est un non-sens et un acte de violence.

Polemic

When the beast of the herd — draft animal or simple head of cattle — engages in controversy, it is always the private life of his opponent of ideas that he attacks. And that’s understandable, the question of ideas coming second to everything else. The beast of the herd collects gossip, collects hearsay, sifts through police reports,and, with the help of this jumble of faked or lying information, puts together his files. The beast of the herd exults when it has been able to establish the secrets and details of the existence of his antagonist, provoking scandal and yelps from its peers. We will carefully exclude from our polemics the private life of the person whose doctrines, opinions and public activity we are discussing. His private life is none of our business. His daily actions cannot interest us. For them to hold our attention, it would be necessary for them to have an impact on the development and fulfillment of our own lives. Or that the person or persons concerned ask us to intervene, which we will only do with the most extreme circumspection. We believe that to concern ourselves with the affairs of others is to commit the most serious encroachment on them. And it is not to be inconsistent ourselves that we demand this consideration from others. So, our personal controversy — when it concerns a writer, a propagandist, an activist, and it is this controversy to which I am referring — will relate to his public activity, his writings, his speeches, the works for which he solicits the attention, sympathy or support of the public. In other words, however ardent, vigorous and irreducible it may be, the individualist polemic can only focus on the part of his life that the individual delivers to the outside world: making it focus on the portion of existence that he intends to keep to himself is nonsense and an act of violence.

LE CABINET NOIR

Tout le monde s’indigne contre le « cabinet noir » mais, on trouve des « camarades » qui acceptent très bien qu’on leur lise des lettres qui ne leur étaient ni adressé.s, ni destinées à la publicité — en l’absence bien entendu de ceux qui les ont écrites. Comment les qualifiez-vous ?

The Black Cabinet

Everyone is indignant against the “black cabinet,” but we find “comrades” who very well accept that letters are read to them that were neither addressed to them nor intended for publicity — in the absence of course of those who wrote them. How would you qualify them?

IL CHOISIT

Je suis tellement convaincu de l’inefficacité de la polémique d’idées que je me réserve soit de ne pas répondre, soit de répondre, mais à mon gré, c’est-à-dire quand il me plait et où il me plait. Je cesserais de fréquenter un groupe ou de collaborer à un journal où l’on ferait mine de m’imposer de répondre à une polémique que je n’ai pas sollicitée. À la polémique d’idées, je préfère la confrontation des opinions de différents camarades écrivains sur un sujet donné. Chacun s’exprime selon sa nature, sans aucun désir de se montrer supérieur à autrui, d’assouvir sur lui des rancunes d’un genre ou d’un autre, de faire rire la galerie à ses dépens. Le lecteur choisit. entre les thèses exposées, celle que lui semble la plus adéquate sur le moment aux aspirations de son tempérament intellectuel ou sensuel. Il se l’assimile, il la fait sienne ; il s’en sert comme d’un moyen d’augmenter la joie de sa vie, d’en provoquer de nouvelles modalités, d’acquérir de nouvelles connaissances ou des sujets de réflexion inédits. Il réfléchit, il compare, il choisit. Il n’est point hanté par cette idée qu’on s’en sert comme d’un champ clos où les deux antagonistes s’efforceront à qui mieux mieux de lui bourrer le crâne, de noyer son raisonnement à lui, sous le flot de leur dialectique. L’exposé des opinions personnelles sans aucune arrière pensée de polémique, voilà de la véritable « initiation », féconde et à longue portée.

He Chooses

I am so convinced of the ineffectiveness of the polemic of ideas that I reserve the option either not to respond, or to respond, but at my discretion, that is to say when I please and where I please. I would stop attending a group or collaborating with a newspaper where they would pretend to force me to respond to a controversy that I did not ask for. To the controversy of ideas, I prefer the confrontation of the opinions of different fellow writers on a given subject. Everyone expresses themselves according to their nature, without any desire to show themselves superior to others, to take out grudges of one kind or another on them, to make the gallery laugh at their expense. The reader chooses, between the theses presented, the one that seems most appropriate at the moment to the aspirations of his intellectual or sensual temperament. He assimilates it, he makes it his own; he uses it as a way to increase the joy in his life, to provoke new modalities, to acquire new knowledge or new subjects for reflection. He thinks, he compares, he chooses. He is not haunted by the idea that he is being used as a closed field where the two antagonists will try their best to stuff his skull, to drown his own reasoning, under the flood of their dialectic. The presentation of personal opinions without any ulterior motive of controversy, this is true “initiation,” fruitful and long-range.

SE RÉPÊTER

Il arrive qu’on se répète ou qu’on éprouve le besoin de se répéter, parce qu’on a le sentiment très net de n’avoir pas épuisé un sujet, de ne l’avoir pas présenté avec toute la clarté possible, de ne l’avoir pas développé intégralement. Il est fréquent que des mois et des années mêmes se passent avant qu’on y revienne. On sait bien qu’on ne l’a pas traité la première fois d’une façon qui satisfasse ; on a dû, faute de mieux, se contenter d’une exposition incomplète. Puis des circonstances sont survenues qui vous ont contraint à laisser la question de côté. Cependant, dans les tiroirs profonds de la mémoire, subsiste l’idée qu’il faudra quelque jour reprendre le sujet et le traiter plus à fond. Un débat, une lecture, une conversation suffisent au réveil, au rappel de cette idée. Elle prime tout labeur auquel on se consacre pour le moment et on n’a de cesse avant qu’on ait approfondi la question, de façon à être satisfait. On peut ainsi revenir dix fois sur une thèse avant d’en avoir tiré tout le développement qu’elle est susceptible de fournir.

To Repeat Yourself

It happens that we repeat ourselves or feel the need to repeat ourselves, because we have the very clear feeling of not having exhausted a subject, of not having presented it with all possible clarity, of not having developed it fully. It is common for months and even years to pass before we come back to it. We know well that we did not treat it the first time in a satisfactory way. We had to, for lack of anything better, be content with an incomplete exhibition. Then circumstances arose that forced us to leave the matter aside. However, in the deep drawers of memory, there remains the idea that one day it will be necessary to take up the subject again and treat it more thoroughly. A debate, a reading, a conversation are enough to wake up, to recall this idea. It takes precedence over all the work to which we devote ourselves at the moment and we do not rest until we have studied the question in depth, so as to be satisfied. We can thus return to a thesis ten times before having drawn from it all the development that it is capable of providing.

MEFIANCE

« Il ne suffit plus de déblatérer contre le monde vermoulu, il faut apporter des méthodes positives et pratiques susceptibles d’être appliquées dès maintenant »… Appliquées avec l’aide de qui ? — Non d’êtres spéciaux et à part, descendus d’autres mondes, je gage : mais de ceux et celles que nous croisons sur notre route — avec l’aide des « humains », tels qu’ils sont. Eh bien je prétends que ces méthodes positives et pratiques, quelles qu’elles soient, ne peuvent être mises en application que grâce à un mécanisme compliqué à base de contrainte et d’obligation. Nous resterons donc à leur égard sur notre attitude de méfiance et de légitime défense. Nous préférons demeurer les négateurs irréductibles, les critiques impénitents, ceux qui ne transigent ni ne pactisent, les en-dehors de toujours. Nous refusons d’échanger notre fière et aventureuse insécurité du lendemain pour votre plat de bien-être assuré et servile. Vous pouvez être la force et le nombre et nous enrôler malgré nous dans votre « organisation du bonheur ». — Mais si vous nous immatriculez, ce sera à la façon du ver dans le fruit, ne l’oubliez pas.

Mistrust

“It is no longer enough to rant about the rotten world; we must provide positive and practical methods that can be applied now…” Applied with whose help? — Not of special and separate beings, descended from other worlds, I bet, but of those we meet on our path — with the help of “humans,” such as they are. Well, I claim that these positive and practical methods, whatever they may be, can only be implemented through a complicated mechanism based on constraint and obligation. We will therefore maintain our attitude of distrust and self-defense towards them. We prefer to remain the irreducible deniers, the unrepentant critics, those who neither compromise nor make pacts, those who are always outsiders. We refuse to trade our proud, adventurous insecurity of tomorrow for your self-confident, servile feel-good dish. You can be the strength and the numbers and enlist us in spite of ourselves in your “organization of happiness.” — But if you register us, it will be like the worm in the fruit, don’t forget that.

DE LA BOUILLIE, TOUT SIMPLEMENT !

Il y a des sympathisant à nos dits et écrits dont toute l’activité consiste à mijoter dans leur jus. Ils ne sont ni le foyer, ni la flamme. Ils sont le morceau de viande morte qui cuit, cuit, cuit dans une marmite, sur le couvercle de laquelle on lit en grosses lettres « Individualisme ». Et, à force de cuire, le pauvre morceau de viande évolue peu à peu vers une masse gélatineuse et informe. De l’individualisme, cela — de la bouillie, tout simplement.

Quite Simply Mush!

There are sympathizers with our sayings and writings whose whole activity consists of stewing in their own juices. They are neither the hearth nor the flame. They are the bit of dead meat that cooks, cooks, cooks in a pot, on the lid of which one reads, in large letters, “Individualism.” And, through all that cooking, the poor bit of meat gradually evolves into a gelatinous, formless mass. As individualisme — that is quite simply mush.

ACCEPTER OU REJETER

Je sais combien cela est ennuyeux pour maints de nos contemporains, mais il faut prendre l’individualiste tel quel ou le rejeter. Un individualiste ne se fractionne ni ne se sectionne. On ne lui demande pas de concessions ; on ne lui réclame pas de rendre de comptes ; on ne s’attend pas de lui à ce qu’il agisse conformément à un « a priori » de conventions ou de préjugés ; on ne saurait exiger de lui qu’il s’incline devant les conclusions d’un comité de rédaction ou les désidérata d’un conseil d’administration. Quand il œuvre, il fait besogne individuelle, c’est-à-dire « égoïste » dans le sens profond du mot. Si sa besogne plaît, on la soutient ; si elle déplaît, on la laisse de côté et tout est dit.

Accept or Reject

I know how boring this is for many of our contemporaries, but we must take the individualist as he is or reject him. An individualist does not split or section himself. We are not asking him for concessions; he is not asked to be held accountable; he is not expected to act in accordance with an “a priori” of conventions or prejudices; he cannot be expected to bow to the conclusions of an editorial committee or the wishes of a board of directors. When he works, he does individual work, that is to say “egoist” in the deep sense of the word. If his work pleases, we support it; if it displeases, we leave it aside and everything is said.

LES « TRIBUNES LIBRES » LITTÉRAIRES

Le journal d’idées idéal n’est pas la tribune libre. L’organe idéal me semble un recueil où trois ou quatre écrivains, pas plus, exposent leur point de vue personnel de la tendance représentée per la publication à laquelle ils collaborent. Quand ils ont dit tout ce qu’ils avaient à dire ils se taisent pour un temps, sauf à recommencer plus tard. Il y a beaucoup de temps de perdu et de papier gaspillé à répéter, en médiocre ou en mal, ce que d’autres ont su exprimer si bien. Les lignes se suivent, les pages s’emplissent et rien de nettement original n’apparaît. « Il y a des choses sur lesquelles il est bon de revenir souvent. » J’ai écrit cela moi-même. Mais ce qui s’applique au domaine de la théorie semble être incompatible avec la littérature — s’il faut appeler littérature les trop nombreux pastiches ou plagiats dont fourmillent les tribunes libres littéraires ?

The Literary “Free Tribunes”

The ideal journal of ideas is not an open forum. The ideal organ seems to me to be a collection where three or four writers, no more, present their personal point of view of the trend represented by the publication to which they collaborate. When they have said everything they had to say, they shut up for a while, unless they start again later. There is a lot of time wasted and paper wasted in repeating, mediocrely or poorly, what others have been able to express so well. The lines follow one another, the pages fill up and nothing clearly original appears. “There are things that are good to come back to often.” I wrote this myself. But what applies to the field of theory seems to be incompatible with literature — whether we should call literature the too many pastiches or plagiarisms with which the literary forums teem.

LE PROPAGANDISTE

Au risque de passer pour un naïf ou d’être accusé de n’être pas dans le train, je me méfie du prêtre qui vit de l’autel et de l’administrateur ou secrétaire de rédaction du journal d’idées qui touche des mensualités intempestives. Où est-il ce temps où on ne concevait qu’avec peine que les journaux d’avant garde pussent rapporter quoi que ce soit à leurs rédacteurs ou administrateurs ? On étudiait, on administrait, on rédigeait comme on pouvait, dans un grenier, la nuit à la lueur d’un pâle lumignon. On mangeait quand on avait le temps ; on vivait, je crois bien, d’idées, d’eau claire et d’amour. Mais ce qu’on écrivait, on le pensait. Aujourd’hui on « réalise ». Les tirages montent, le papier se vend.

— Vous voulez donc que le « propagandiste » meure de faim ! — Certes, non. Je veux au contraire que les « propagandés » comprennent que leur propagandiste a besoin de se vêtir et de se nourrir, ce qu’ils oublient trop souvent, se contentant, tout en criant contre l’exploitation, d’exploiter sa bonne volonté et son courage, de profiter de sa production sans bourse délier. Mais ce à quoi je tiens par dessus tout, c’est qu’on ne puisse soupçonner de mercantilisme ou d’arrivisme l’annonciateur, le semeur, ou le remueur d’idées.

The Propagandist

At the risk of appearing naïve or being accused of not being on board, I am wary of the priest who lives from the altar and the administrator or editorial secretary of the journal of ideas who receives untimely monthly payments. Where is the time when it was difficult to imagine that avant-garde journals could bring anything back to their editors or administrators? We studied, we administered, we wrote as best we could, in an attic, at night by the light of a pale candle. We ate when we had time; we lived, I believe, on ideas, on clear water and on love. But what we wrote, we meant it. Today we “realize.” The print runs go up, the paper sells.

— So you want the “propagandist” to die of hunger! — Certainly not. On the contrary, I want the “propagandists” to understand that their propagandist needs to clothe and feed himself, which they too often forget, contenting themselves, while crying out against exploitation, with exploiting his good will and his courage, to benefit from his production without untying the purse. But what I want above all is that we cannot suspect the announcer, the sower, or the stirrer of ideas of mercantilism or careerism.

DÉCADENCE

Un mouvement tombe dans le marasme ou en décadence lorsque ceux qui ont joué un rôle prépondérant dans l’exposé ou la propagande des idées qui en forment la charpente, abandonnent, corrompent ou amolissent certaines de ces idées, tout en continuant à se prétendre les représentants dudit mouvement… Les moins instruits — et ils sont le nombre dans tout mouvement — titubent, hésitent et se demandent où ils en sont.

Decadence

A movement falls into stagnation or decline when those who have played a leading role in the presentation or propaganda of the ideas that form its framework abandon, corrupt or soften some of these ideas, while continuing to claim to be the representatives of the movement… The least educated — and they are the majority in any movement — stumble, hesitate and ask themselves where they are.

UN PRÉJUGÉ

J’appelle « préjugé » une opinion, une habitude, une convention, une formule d’ordre intellectuel, politique, économique, religieux, ou encore ayant trait aux mœurs où aux coutumes, etc., qu’on adopte, qu’on reçoit, à laquelle on se soumet, sans y réfléchir, sans la discuter, sans l’examiner, simplement parce que tout le monde l’accepte ou s’y adapte, ou feint de l’accepter ou de s’y adapter ; et parce qu’on ne veut ou qu’on n’ose faire autrement que tout le monde. Et cela alors même que cette opinion, cette habitude, cette convention ou cette formule, ce préjugé enfin, vous blesse, vous froisse, vous gêne, heurte vos convictions, n’est pas conforme aux résultats de vos études ou de vos observations personnelles, est antagoniste à votre raisonnement ou hostile à votre sentiment.

A Prejudice

I call “prejudice” an opinion, habit, convention or formula of an intellectual, political, economic or religious order—or even relating to manners or customs, etc.—that you adopt or receive, or to which you submit, without thinking about it, without discussing it, without examining it, simply because everyone accepts it or adapts to it, or pretends to accept it or to adapt to it; and because you do not want or dare to act differently from everyone else. And this even though this opinion, habit, convention or formula—this prejudice, finally—hurts you, offends you, embarrasses you, clashes with your convictions, is not in accordance with the results of your studies or your personal observations, is antagonistic to your reasoning or hostile to your feelings.

AJOUTEZ : QUANT à MOI

A fréquente Z à cause de sa conversation intellectuelle, brillante et profonde ; B fréquente Y à cause de sa compagne jolie et amoureuse ; C fréquente X parce que sa table est plus appétissante que la sienne. Je ne vois là que des motifs différents ; je n’en aperçois pas un qui soit inférieur ou supérieur à l’autre.

La raison qui pousse tel ou tel à accomplir une action donnée peut vous déplaire. Mais ce n’est pas parce que ce motif vous déplaît qu’il faut le cataloguer « inférieur » ou « supérieur ». A nous toutefois, d’ajouter « quant à moi ». Dites donc, alors : toi Z, « je trouve que A exploite mes connaissances » ; toi, B, « je suis jaloux » ; toi, U, « X est trop fréquemment mon convive », Mais n’entassez pas les doctrines sur les théories pour nous définir ce qui peut être expliqué très simplement.

Add: As for Me…

A frequents Z because of his intellectual, brilliant and deep conversation; B frequents Y because of his pretty and loving partner; C frequents X because his table is more appetizing than his own. I only see different motives there; I do not see one being inferior or superior to the other.

The reason that pushes someone to perform a given action may displease you. But just because you don’t like this reason doesn’t mean you have to label it “inferior” or “superior.” However, it is up to us to add “as for me.” So say, then: you Z, “I find that A exploits my knowledge”; you, B, “I’m jealous;” you, U, “X is too frequently my guest.” But do not pile doctrines on theories to define for us what can be explained very simply.

DIRE LA VÉRITÉ

Dire la vérité à la foule, proclamer que les masses souffrent, mais reconnaitre en même temps qu’une partie de ces souffrances remonte à elle-même — et cela en invoquant propre critérium du bien et du mal. Dire la vérité à la multitude; la décrire, devant elle, telle qu’elle est, comme elle est, la présenter pour ce qu’elle vaut. Pour cela. il faut du courage. Et je ne parle pas seulement de la populace, J’ai dans l’esprit toutes les foules : la foule des prolétaires et la foule des bourgeois, la foule des travailleurs manuels et la foule des travailleurs intellectuels, la foule des honnêtes gens et la foule des hors la loi. Chaque unité de la foule viole en quelque manière ses propres commandements moraux et sociaux ; chacune voudrait que ce soit autrui qui porte le fardeau des lois et de la contrainte sociale. C’est une rareté que de trouver quelqu’un qui, dans les détails quotidiens de la vie, ne contredise pas la conception moyenne que la foule adopte comme étalon de l’existence morale et sociale.

Tell the Truth

Tell the truth to the crowd, proclaim that the masses are suffering, but at the same time recognize that part of this suffering goes back to itself — and this by invoking one’s own criterion of good and evil. Speak the truth to the multitude; describe it, in front of it, as it is, like it is, present it for what it is worth. For that, courage is required. And I’m not just talking about the populace, I have in mind all the crowds: the crowd of proletarians and the crowd of bourgeois, the crowd of manual workers and the crowd of intellectual workers, the crowd of honest people and the crowd of outlaws. Each unit of the crowd in some way violates its own moral and social commandments; each would like it to be others who bear the burden of laws and social constraint. It is a rarity to find someone who, in the daily details of life, does not contradict the average conception that the crowd adopts as a standard of moral and social existence.

SOYEZ PLUS EXPLICATIFS

Vous m’apprenez que X est le plus fourbe et le plus misérable des hommes qui aient jamais foulé le sol de la planète. Je le veux bien. Mais comment se fait-il que vous vous en soyez seulement aperçu le jour où il n’a plus partagé vos opinions? Pourquoi a-t-il été si longtemps votre collaborateur, pourquoi le fréquentiez-vous si assidûment ? Je voudrais un peu moins de polémique personnelle et un peu plus d’exposé de ses idées actuelles, un peu plus de détails sur les événements qui l’ont amené à changer d’avis. C’est un coquin — pourquoi pas ? Une crapule — allons-y ! Mais à la suite de quels avatars est-il devenu votre adversaire d’idées, voilà ce que je suis curieux d’abord de savoir ?

Be More Explanatory

You tell me that X is the most deceitful and miserable man who has ever set foot on the planet. I tend to agree. But how have you only noticed it the day he no longer shared your opinions? Why was he your collaborator for so long; why did you frequent him so assiduously? I would like a little less personal controversy and a little more presentation of his current ideas, a little more detail on the events that led him to change his mind. He’s a rascal — why not? A scoundrel — let’s go! But as a result of what avatars has he became your opponent in ideas, that’s what I’m first curious to know?

C’EST SURTOUT POUR LE VOISINAGE

Alceste n’en revient pas. On l’accueille dans une maison amie non comme titulaire du prix Monthyon, mais comme « asocial » et « amoral ». Il est bientôt au mieux des mieux avec la maîtresse du logis et sa fille — il rentre si tard la nuit, que tout le voisinage finit par considérer ses hôtes comme des vauriens — il danse en plein jour un cake walk échevelé sur la tombe du sociologue favori de la famille. Voilà que le malheureux est accusé maintenant de ne pas prêcher d’exemple (?). Il ne comprend pas. J’ai compris, moi. Les neuf-dixièmes des « en dehors » désirent surtout prêcher d’exemple chez le voisin, car neuf fois sur dix, c’est surtout pour le voisinage qu’ils sont « en marge du bien et du mal ».

IT IS, ABOVE ALL, FOR THE NEIGHBORS…

Alceste can’t get over it. He has been greeted in a neighboring house, not as a recipient of the Monthyon Prize, but as asocial and amoral. He is soon the very best of friends with the mistress of the house and her daughter — he returns home so late at night that the whole neighborhood comes to think of his hosts as good-for-nothings — he dances a disheveled cake walk on the grave of the family’s favorite sociologist. And now the poor creature is accused of not preaching by example (?). He doesn’t understand. Me, I understand. Nine out of ten of the « en dehors » desire above all to preach by example to their neighbor, for, nine times out of ten, it is above all for the neighbors that they are “on the margins of good and evil.”

ESCALUS

Mon ami Escalus se plaint d’être boycotté par la presse soi-disant avancée. C’est au prix d’un effort inouï qu’il a réussi à mettre sur pied un journal, et personne ne parle de lui. Te souviens-tu, Escalus, des jours où je me trouvais dans le même cas ? Je me plaignais comme tu le fais à présent. Mais tu m’objectais qu’il importait peu ou point d’être apprécié ou remarqué par autrui — que l’essentiel, c’était de se sentir satisfait, soi, de son effort… D’ailleurs, il est compréhensible qu’on ne fasse aucune réclame ou publicité pour un effort qui ne vous agrée pas, ni pour le travail d’une personnalité dont la fréquentation intellectuelle ne vous paraît pas plus désirable à vous qu’à vos amis. Un individualiste ne saurait s’en plaindre sans faire montre d’inconséquence.

Escalus

My friend Escalus complains of being boycotted by the so-called advanced press. It was through incredible effort that he managed to set up a newspaper, and no one talks about him. Do you remember, Escalus, the days when I found myself in the same situation? I used to complain stupidly as you do now. But you objected to me that it was of little or no importance to be appreciated or noticed by others — that the essential thing was to feel satisfied, oneself, with one’s effort… Besides, it is understandable that one do not make any claim or publicity for an effort that does not please you, nor for the work of a personality whose intellectual association does not seem more desirable to you than to your friends. An individualist cannot complain about it without showing inconsistency.

L’EXPLOITATION

En renonçant, dans nos rapports, l’un et l’autre, à nous servir de policier, de gendarme, de juge, c’est parce qu’il était sous-entendu que rien ne se produirait entre nous qui justifiât leur besoin. Il était évident que tu ne profiterais pas de ma décision de ne point recourir à la loi et aux garanties qu’elle m’offre pour user de voies de fait à mon égard, par exemple, ou pour oublier de me rendre telle somme que tu avais promis de me rembourser à telle date, alors que tu sais bien que, sans ta promesse, je ne te l’aurais point prêtée ; et ainsi de suite. Il ne peut se faire que tu veuilles profiter de ma fidélité à mes convictions pour t’avantager à mon détriment ni me placer dans des conditions d’infériorité par rapport à ceux qui ont recours au Code pour arbitrer leurs conflits. Tu aurais beau te couvrir du manteau de l’anarchisme : tu n’en serais pas moins un exploiteur.

Exploitation

When we both renounced, in our relations, service as police officer, gendarme or judge, it was because it is understood that nothing would occur between us to justify that necessity. It was obvious that you would not take advantage of my decision not to have recourse to the law and the guarantees that it offers me in order to assault me, for example, or to forget to give me some sum you have promised to repay at a given date date, when you know very well that without your promise I would not have lent it to you; and so on. It can’t be that you wish to take advantage of my fidelity to my convictions, to profit from my loss, or to place me in a position inferior to those who have recourse the the Code to arbitrate their conflicts. You would wrap yourself in the mantle of anarchism in vain: you would nonetheless be an exploiter.

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Independent scholar, translator and archivist.