VARIATIONS SUR LA VOLUPTÉ
Je sais que la volupté est un sujet dont vous n’aimez pas qu’on parle ou qu’on écrive. En traiter vous choque. Ou provoque chez vous la plaisanterie de mauvais aloi. Vous avez des livres dans votre bibliothèque qui embrassent presque toutes les branches de l’activité humaine. Vous possédez des dictionnaires et des encyclopédies. Vous comptez peut-être cent volumes sur une spécialité de la production manuelle. Et je ne parle pas des bouquins politiques ou sociologiques. Mais il n’y a pas sur vos rayons un seul ouvrage consacré à la volupté. Il y a des journaux qui s’occupent de numismatique, de philatélie, d’héraldique, de la pêche à la ligne ou du jeu de boules. La moindre tendance poétique ou artistique a son organe. La plus infime chapelle en isme a son bulletin. Les romans d’amour foisonnent. Et on trouve des brochures et des livres qui s’occupent d’amour libre ou d’hygiène sexuelle. Pas un périodique qui se consacre à la volupté envisagée franchement, sans sous entendus. Comme une des sources de l’effort de vivre. Comme une félicité. Comme un stimulant dans la lutte pour l’existence. De longues études roulent sur le savoir faire en peinture, en sculpture — dans le travail du bois, de la pierre ou des métaux. Je cherche en vain des articles documentés qui considèrent la volupté comme un art — qui en expose les raffinements anciens — qui en propose d’inédits. Ce n’est point que la volupté vous indiffère. Mais c’est clandestinement, dans l’ombre, à huis clos que vous en causez ou en discutez. Comme si la nature n’était pas sincèrement voluptueuse. Comme si la chaleur du soleil et l’arôme des prairies ne conviaient pas à la volupté?
Je n’ignore pas, certes, les raisons de votre attitude. Et j’en connais l’origine. Le poison chrétien coule en vos veines. Le virus chrétien vous infecte cérébralement. Le royaume de votre Maître est hors de ce monde. Et vous en êtes les sujets. Oui, vous, socialistes, révolutionnaires, anarchistes, qui ingurgitez sans sourciller cent colonnes de devis de démolition ou de bâtisse sociale, mais que deux cents lignes d’appel à l’expérience voluptueuse « obsèdent » — c’est-à-dire « scandalisent ».
O esclaves!
VARIATIONS ON SENSUALITY
I know that sensual pleasure is a subject about which you do not like people to speak or to write. Dealing with it shocks you. Or it provokes a joke in bad taste among you. You have books in your libraries which embrace nearly all the branches of human activity. You possess dictionaries and encyclopedias. You count perhaps a hundred volumes on one specialty of manual production. And I do not speak of political or sociological books. But there is not on your shelves a single work consecrated to sensual pleasure. There are some journals concerned with numismatics, philately, heraldry, angling or lawn bowling. The least of the poetic or artistic tendencies has its organ. The tiniest chapel of an ism has its bulletin. The novels of love abound. And we find brochures and books concerned with free love or sexual hygiene. But not one periodical devoted to sensual pleasure frankly considered, without insinuations. As one of the sources of the effort to live. As a felicity. As a stimulant in the struggle for existence. Long studies unroll on the techniques of painting, and sculpture—on the working of wood, stone, and metals. But I search in vain for documented articles which consider sensual pleasure as an art—which exhibit its ancient refinements—which propose novel ones. It is not that pleasure leaves you indifferent. But it is only clandestinely, in the shadows, behind closed doors that you discuss or debate it. As if nature was not truly voluptuous. As if the heat of the sun and the scent of the meadows did not invite sensual pleasure?
I am not unaware, certainly, of the reasons for your attitude. And I know its origin. The Christian poison flows in your veins. The Christian virus infects you cerebrally. The kingdom of your Master is not of this world. And you are his subjects. Yes, you, socialists, revolutionaries, anarchists, who swallow without batting an eye a hundred columns of estimates for demolition or social construction, but that two hundred lines of appeal to voluptuous experience “obsess”—that is to say “scandalize.”
Oh, slaves!
E. Armand, “Variations sur la volupté,” Par-delà la Mêlée 1 no. 12 (mi Juin 1916): 2.
[Working translation by Shawn P. Wilbur; revised 3/17/2012; title revised 8/21/19]