Par définition même, l’anarchiste est l’homme libre, [1] celui qui n’a point de maître. Les idées qu’il professe sont bien siennes par le raisonnement. Sa volonté, née de la compréhension des choses, se concentre vers un but clairement défini ; ses actes sont la réalisation directe de son dessein personnel. A côté de tous ceux qui répètent dévotement les paroles d’autrui ou les redites traditionnelles, qui assouplissent leur être au caprice d’un individu puissant, ou, ce qui est plus grave encore, aux oscillations de la foule, lui seul est un homme, lui seul a conscience de sa valeur en face de toutes ces choses molles et sans consistance qui n’osent pas vivre de leur propre vie.
Mais cet anarchiste qui s’est débarrassé moralement de la domination d’autrui et qui ne s’accoutume jamais à aucune des oppressions matérielles que des usurpateurs font peser sur lui, cet homme n’est pas encore son maître aussi longtemps qu’il ne s’est pas émancipé de ses passions irraisonnées. Il lui faut se connaître, se dégager de son propre caprice, de ses impulsions violentes, de toutes ses survivances d’animal préhistorique, non pour tuer ses instincts, mais pour les accorder harmonieusement avec l’ensemble de sa conduite. Libéré des autres hommes, il doit l’être également de soi-même pour voir clairement où se trouve la vérité cherchée, et comment il se dirigera vers elle sans faire un mouvement qui ne l’en rapproche, sans dire une parole qui ne la proclame.
Si l’anarchiste arrive à se connaître, par cela même il connaîtra son milieu, hommes et choses. L’observation et l’expérience lui auront montré que par elles-mêmes toute sa ferme compréhension de la vie toute sa fière volonté resteront impuissantes s’il ne les associe pas à d’autres compréhensions, à d’autres volontés. Seul, il serait facilement écrasé, mais, devenu force, il se groupe avec d’autres forces constituant une société d’union parfaite, puisque tous sont liés par la communion d’idées, la sympathie et le bon vouloir. En ce nouveau corps social, tous les camarades sont autant d’égaux se donnant mutuellement le même respect et les mêmes témoignages de solidarité. Ils sont frères désormais si les mille révoltes des isolés se transforment en une revendication collective, qui tôt ou tard nous donnera la société nouvelle, l’Harmonie. [2]
By definition, the anarchist is the free man, [1] the one who has no master. The ideas that he professes are indeed his own through reasoning. His will, springing from the understanding of things, focuses on a clearly defined aim; his acts are the direct realization of his individual intent. Alongside those who devoutly repeat the words of others or the traditional saying, who make their being bend and conform to the caprice of a powerful individual, or, what is still more grave, to the oscillations of the crowd, he alone is a man, he alone is conscious of his value in the face of all these spineless and inconsistent things that dare not live their own lives.
But this anarchist who has morally rid himself of the domination of others and who is never accustomed to any of the material oppressions that usurpers impose on him, this man is still not his own master as long as he has not emancipated himself from his irrational passions. He must know himself, free himself from his own whims, from his violent impulses, from all his prehistoric animal relics, not in order to kill his instincts, but in order to make them agree harmoniously with the whole of his conduct. Liberated from other men, he must also be liberated from himself in order to see clearly where the truth sought is to be found, and how he will guide himself toward making a movement that does not bring him closer to it, without saying a word that does not proclaim it.
If the anarchist comes to know himself, he will, as a result, know his environment, men and things. Observation and experience will have shown him that, by themselves, all his solid understanding of life and all his proud will will remain powerless if he does not associate them with other understandings, with other wills. Alone, he would be easily crushed, but, having become strong, he joins forces with other forces, constituting a society of perfect union, since all are linked by the communion of ideas, sympathy and goodwill. In this new social body, all the comrades are so many equals, giving each other the same respect and the same expressions of solidarity. From now on they are brothers, if the thousand revolts of the isolated are transformed into a collective protest and demand, which sooner or later will give us the new society, Harmony. [2]
From the Almanach anarchiste pour 1902, Paris.
Working Translation by Shawn P. Wilbur.