17. La réciprocité
179) Recherche d’une base individualiste anarchiste des rapports et accords entre les hommes.
Sur quelle base asseoir les rapports entre les humains dès lors qu’en sont exclues l’obligation et la sanction ? De quelle méthode se servir pour réaliser les rapports et les accords entre les constituants d’un quelconque milieu humain — ces rapports et ces accords qui croissent en complexité à mesure que l’intelligence s’affine et que devient plus considérable l’acquis des connaissances humaines, que s’amplifie le rayon de leurs applications ? Quel principe poser comme fondement, comme norme des ententes et des contrats de toute espèce que les êtres humains peuvent être amenés à envisager et à conclure entre eux pour leur permettre de se comporter les uns à l’égard des autres selon leurs besoins, leurs désirs, leurs aspirations — qu’il s’agisse d’unités isolées ou associées ?
Une première considération se présente. Puisqu’on entend ignorer la coercition sous tous ses aspects — autrement dit la réglementation légale et les sanctions pénales ou disciplinaires, il est de toute nécessité que la méthode dont on se servira pour fonder les rapports et les accords entre les hommes implique en soi « l’équité » ; force est — quels que soient l’objet, la nature de ces rapports ou de ces accords — qu’il n’y ait, d’aucune part, personne de lésé, de dupé, de trompé.
Tout le monde sait que l’objet présumé de la loi, c’est de rendre efficaces les conditions qui déterminent ou sont censées déterminer les rapports entre les habitants d’un territoire donné. Cette efficacité s’obtient par l’application de certains châtiments à ceux qui contreviennent à la loi. On comprend que s’impose la loi, puisque les conditions qui, dans les sociétés humaines, président aux rapports et aux accords entre leurs membres sont établis sans leur consentement unanime, souvent même malgré la protestation de minorités imposantes, en tous cas sans qu’il ait jamais été tenu compte de l’avis ou de l’opinion des transgresseurs et des contrevenants. Il n’est pas difficile de se rendre compte que c’est la crainte de subir ces sanctions qui retient un grand nombre de personnes de transgresser la loi — tout au moins ouvertement ; d’ailleurs, quelles que soient les menaces — et certaines des punitions à redouter sont très graves — il y a des individus qui préfèrent courir le risque d’un châtiment plutôt que d’observer les termes d’un contrat qui leur est imposé, ou d’accords qui les gêne ou leur répugne, pour une raison quelconque. Naturellement, il n’est pas question ici de se demander s’il ne faudrait pas rendre responsable de l’attitude de ces obstinés l’arbitraire qui préside actuellement à l’établissement des conventions sur lesquelles reposent les sociétés. Où jusqu’à quel p
17. Reciprocity
179) Search for an anarchist individualist basis for relations and agreements between persons.
On what basis shall we establish relations between humans when we have excluded obligation and sanction? What method will serve to achieve relations and agreements between the constituents any human milieu–those relations and agreements that increase in complexity as intelligence is refined and as the acquisition of human knowledge becomes more considerable, as the range of their applications is amplified? What principle shall we posit as foundation, as norm for the accords and contracts of every sort that human beings can be brought to consider and to strike among themselves in order to allow them to behave with regard to one another according to their needs, their desires, and their aspirations–whether it is a question of isolated or associated units?
A first consideration presents itself. Since we intend to exclude coercion in all its forms–legal regulation, or penal or disciplinary sanctions—it is absolutely necessary that the method that will be used to establish relationships and agreements between persons implies “equity” in itself; it must be the case–whatever the object and nature of these relations and agreements–that no one, on any side, is harmed, duped, or mislead.
Everyone knows that the presumed object of the law is to render efficacious the conditions that determine or are supposed to determine the relations between the inhabitants of a given territory. That efficacy is obtained by the application of certain punishments to those who disobey the law. We understand that the law is required, since the conditions which, in human societies, preside over the relations and accords between their members are established without their unanimous consent, often even despite the protests of imposing minorities, in any case without ever taking account of the advise or opinion of the transgressors and the disobedient. It is not difficult to recognize that it is is the fear suffering these sanctions which keeps a large number of persons from transgressing the law–at least overtly; besides, whatever the threats–and certain of the punishments to fear are very serious–there are individuals who prefer to court the risk of a punishment rather than observe the terms of a contract that has been imposed on them, or of an agreement that disturbs or disgusts them, for whatever reason. Naturally, it is not a question here of wondering if we should hold responsible for the attitude of these pig-headed types the arbitrariness that currently presides over the establishment of the conventions of which societies rest. Or up to what point the practice of these conventions is responsible for it. We make an observation and nothing more.
180) Théorie de la réciprocité.
Il existe une méthode dont l’application absolue garantirait à ceux qui la choisiraient comme base de leurs rapports ou de leurs accords qu’ils ne seront lésés, dupés, ni trompés — matériellement parlant ; qu’ils ne seront diminués ni même atteints au point de vue de leur dignité : c’est la réciprocité. Loyalement pratiquée, quel que soit le domaine ou la branche de l’activité humaine où elle s appliquerait, la méthode de réciprocité implique en soi l’équité, aussi bien dans la sphère économique que dans celle des mœurs, aussi bien dans le domaine intellectuel que dans celui du sentiment. En fait il n’y a rien qui puisse échapper à l’atteinte de la réciprocité. C’est une méthode de se comporter à l’égard d’autrui d’un rayonnement véritablement universel. Elle est très simple à exposer : puisqu’elle se résume et consiste à recevoir autant qu’on a donné, aussi bien en ce qui concerne l’isolé que l’associé.
En échange du produit de ton effort, je t’offre le mien. Tu le reçois et nous sommes quittes. Au contraire, il ne te satisfait point, tu ne le penses pas équivalent à ce que tu livres. En ce cas, gardons chacun nos produits respectifs et cherchons ailleurs si nous ne trouverons pas à mieux nous accorder. De cette façon, nul d’entre nous ne sera redevable à autrui.
On objectera qu’il est un aspect de cette conception de la réciprocité qui aboutit à dresser l’humain en face de son semblable à la façon d’un fauve. Par exemple, tu me juges, c’est entendu, mais moi aussi, je te juge et de la même façon que toi : tu n’y échapperas pas. Tu ne m’épargnes pas ta critique, je n’aurai garde de t’épargner la mienne ; tu m’as causé un tort, un dommage je te causerai un tort, un dommage égal, sinon pire ; tu t’es montré cruel, impitoyable, inexorable à mon égard, j’agirai de même te concernant : c’est de cette manière que nous sommes ou serons quittes. Nous verrons plus loin si cette conception de la réciprocité est bien le seul angle sous lequel l’envisagent les individualistes antiautoritaires. Pour le moment je répondrai que même pratiquée dans toute sa sécheresse, la méthode de la réciprocité aboutit pour ainsi dire automatiquement à relever, à rétablir la dignité humaine, à l’affirmer, à la sceller sur un piédestal indéracinable.
Sans doute, basés sur la réciprocité, les rapports et les accords entre les humains excluent la duperie et la tromperie. Sans doute, la méthode de la réciprocité implique, si l’on veut, l’application du talion. Mais elle n’est opérante qu’à la condition que dans mes tractations avec autrui, nous nous situions, lui et moi, sur un plan d’équivalence par rapport à notre dignité personnelle. C’est tels que nous sommes que nous discuterons et traiterons ensemble. Mon déterminisme n’est pas le tien, c’est entendu ; les mobiles qui m’incitent à agir ne sont pas ceux qui te poussent à l’action ; très souvent, là où le raisonnement te fait mouvoir, c’est le sentiment qui m’indique comment me conduire. Mais tel que je suis, sur mon propre terrain, j’estime que je te vaux ; je ne me prétends pas ton égal ; je suis peut-être moins bien musclé que toi, les capacités de ton cerveau sont peut être supérieures aux miennes, peut-être même es-tu plus sensible que moi à des émotions qui ne m’agitent ni ne me troublent. Mais tel que je suis — tout recours à la violence étant exclu de nos rapports — tu ne peux m’arracher ou me saisir mon produit, si je ne trouve pas que ce que tu m’offres équivaille à ce que je te demande. Donc, nous restons quittes, que nous nous accordions ou non, que nous échangions ou non le produit de notre effort. Je reste moi-même et tu demeures toi-même, aussi bien dans l’offre que dans la demande, dans le donner que dans le recevoir.
180) Theory of Reciprocity.
One method exists, the absolute application of which would guarantee, to those who would choose it as the basis of their relations and accords, that they will not be harmed, duped, or mislead–materially speaking; that they would not be weakened or even wounded from the point of view of their dignity: it is reciprocity. Faithfully practiced, whatever the domain or branch of human activity to which it is applied, the method of reciprocity implies, in itself, equity, as much in the economic sphere as in that of morals, in the intellectual sphere as well as that of sentiment. Indeed, there is nothing that could escape the reach of reciprocity. It is a method of behaving towards others with a truly universal influence. It is very simple to explain, since it comes down to and consists of receiving as much as we have given, as much in that which concerns the isolated as the associated.
In exchange for the product of your effort, I offer you mine. You receive it and we are quits. On the contrary, it does not satisfy you, as you do not think it is equivalent to what you are giving. In this case, let each of us keep our respective products and let us see if we cannot find a better match elsewhere. In this way, neither of us will be indebted to the other.
It will be objected that there is an aspect of this conception of reciprocity that results in pitting the human against his fellow man in the manner of a beast. For example, you judge me, of course, but I too judge you and in the same way as you: you will not escape it. You do not spare me your criticism, I will take care not to spare you mine. You have caused me a wrong, a damage; I will cause you a wrong, an equal damage, if not worse. You have shown yourself cruel, pitiless, inexorable towards me; I will do the same concerning you: it is in this way that we are or will be quits. We will see later if this conception of reciprocity is indeed the only angle from which the anti-authoritarian individualists envisage it. For the moment I will answer that even practiced in all its callousness, the method of reciprocity leads, so to speak, automatically to raising up, to re-establishing human dignity, to affirming it, to fixing it on an ineradicable pedestal.
Undoubtedly, based on reciprocity, the relationships and agreements between humans exclude deceit and deceit. Undoubtedly, the method of reciprocity implies, if you will, the application of retaliation. But it is only effective on the condition that in my dealings with others, we place ourselves, they and I, on a level of equivalence with respect to our personal dignity. It is just as we are that we will discuss and manage things together. My determinism is not yours: that is understood. The motives that incite me to act are not those that impel you to action; very often, where reasoning moves you, it is feeling that tells me how to behave. But as I am, on my own ground, I consider myself equal to you. I do not pretend to be your equal. I may be less muscular than you; your brain capacity may be greater than mine—and perhaps you are even more sensitive than I am to emotions that neither agitate nor disturb me. But as I am—all recourse to violence being excluded from our relations—you cannot drag me away or seize my product, if I do not find that what you offer me is equivalent to what I ask of you. So we remain even, whether we agree or not, whether or not we exchange the product of our effort. I remain myself and you remain yourself, as much in the offer as in the request, in the giving as in the receiving.
181) Donner et recevoir. Aspects de leur équivalence.
Mais ce que les individualistes antiautoritaires entendent par réciprocité est tout autre chose que l’aride fonctionnement d’un système d’échange consistant à recevoir en poids en mesure en valeur l’équivalent exact de ce qu’on a donné. Ou vice-versa. Ce n’est pas non plus, au point de vue éthique, l’application inexorable de la loi du talion. Oui, si l’on veut, la réciprocité est cela, tout cela, mais elle est beaucoup plus encore. Je la considère, pour ma part, à un point de vue tellement individuel, tellement plastique et sujet aux variations de l’appréciation personnelle qu’il m’est absolument nécessaire, pour en exposer les aboutissants pratiques, de me situer bien au delà de l’idée d’une évaluation mathématique ou d’un étalon irrétrécissable. Je pose donc en première ligne que chacun a de la réciprocité la conception que lui fournit son déterminisme : tempérament ou nature, raisonnement ou sentiment. C’est donc entendu, dans mes rapports avec autrui, dans les accords que je puis conclure avec lui, je ne veux pas être lésé ; et je me sens et me sais lésé dès que je reçois moins que je donne. Et je lèse autrui dès que je donne moins que je reçois. Mais donner et recevoir sont deux rapports, deux valeurs, deux termes dont la signification et l’acception sont uniquement relatives à celui qui donne et à celui qui reçoit.
Par exemple, j’ai passé des années à me consacrer à l’éducation d’un enfant, à faire tout ce qui était en mon pouvoir afin qu’il se forme, qu’il se sculpte, qu’il devienne « soi », qu’il se dégage de la gangue des préjugés et des traditions attentatoires à l’évolution et à la constitution d’une personnalité originale. Ce fut mon don. Je me considère comme amplement payé, en retour, en assistant au spectacle du développement graduel de ce jeune être, s’affirmant peu à peu, empruntant à mesure qu’il grandit toujours moins à la routine et aux conventions de l’ambiance sociale. Je m’étais aperçu qu’il avait certaines dispositions pour les lettres ou pour les sciences — pour la musique — pour les voyages. Et le voilà, parvenu à stature d’homme, un prosateur achevé, un chimiste éminent, un musicien accompli, un intrépide explorateur. Non pas un imitateur servile de ceux qui l’ont précédé dans la voie où il s’est engagé, mais en s’assimilant les efforts de ses devanciers de manière à porter les siens au plus haut degré d’originalité possible. Peut-être est-ce dans un sens tout autre que je l’aurais souhaité que les dispositions que j’avais distinguées se sont développées ou que son originalité possible s’est démontrée. J’ai cependant atteint mon but puisque, devenu adulte, l’enfant à la culture duquel je m’étais adonné n’est ni le reflet d’un homme ni le produit d’une formule.
Il se peut qu’un autre que moi eût compris autrement, dans ce cas particulier, l’application de la méthode de réciprocité. Il se pourrait qu’il se fût cru payé de retour par un peu plus de manifestations affectueuses et un peu moins d’accomplissements. Conséquence de tempérament, affaire de caractère. Mais si c’est l’affection qui semblait la plus exacte récupération des peines prises pour l’éducation de l’enfant, il eût été dès l’abord nécessaire d’insister davantage sur l’éclosion des qualités sentimentales, de développer dans ce jeune être les propensions à la sensibilité.
J’ai passé maintes nuits au chevet d’un des miens, dangereusement malade, et qui m’était cher. Pendant longtemps, sa vie n’a tenu qu’à un fil. J’osais à peine quitter la chambre où il gisait alité, tant ma crainte était grande de ne pas le retrouver vivant à mon retour. Mes soins ne sont-ils pas remboursés aujourd’hui que j’aperçois le malade guéri arpenter la rue à grands pas, frais et dispos, prêt aux expériences et aux aventures d’une vie intense !
Je suis payé de retour lorsque prospère une œuvre ou que réussit un de mes semblables auquel j’ai témoigné un intérêt de quelque ordre que ce soit. Je suis payé de retour lorsque, sous condition bien entendu de le défrayer de ses frais de déplacement, j’obtiens qu’un causeur, qu’un propagandiste qui m’intéresse vienne et passe quelque temps chez moi : la jouissance que je retire de sa conversation compense amplement mon effort pécuniaire.
Je suis payé de retour lorsque je provoque ou accomplis les démarches nécessaires pour arracher quelqu’un qui m’intéresse à une souffrance, ou à une épreuve qui l’accable, et que j’y réussis. Je suis payé de retour lorsque je parviens à soulager un de mes amis, un de mes compagnons d’idées, et à alléger le fardeau matériel ou moral qui le fait ployer. Je suis payé de retour lorsque j’ai conscience que des consommateurs apprécient la confection ou l’utilité du produit que je leur livre. Je suis payé de retour chaque fois qu’ayant accompli un effort spécial à l’intention de tel ou tels de mes semblables — effort bien défini — je suis certain qu’il ou ils en profitent.
Voici sous quels aspects — et je n’en ai esquissé que quelques-uns — il est nécessaire de considérer, dans sa pratique, la méthode de réciprocité, si on veut qu’elle soit autre chose que le conformisme à un barème accepté de part et d’autre, et qui voudrait, par exemple, lorsque j’ai échangé une paire de chaussures contre 40 ou 50 kilos de farine, que j’aie reçu autant que j’ai donné. C’est le point de vue littéral, cela, et depuis longtemps l’on sait que la lettre tue. Si je suis un artiste ès-cordonnerie, il se peut que 35 ou 40 kilos de pain me contentent et que la joie que j’éprouve, en sachant mon travail apprécié comme j’aime qu’il le soit par mon consommateur, compense amplement les 5 ou 10 kilos de déficit. Recevoir autant qu’on a donné ce n’est donc pas uniquement, je le réitère, toucher l’équivalent en poids, en mesure, en qualité, en valeur, de ce qu’on a remis ou livré, c’est aussi, c’est surtout être satisfait du marché qu’on a passé, c’est avoir pleine conscience que dans « l’affaire » traitée — intellectuellement, sentimentalement, économiquement parlant — il n’y a eu de part et d’autre ni trompeur ni trompé, ni dupeur ni dupé ; autrement dit que chacun, au cours du contrat, a agi selon son déterminisme et s’est montré sous ses véritables couleurs.
La réciprocité est là et non ailleurs.
181) To give and to receive. Aspects of their equivalence.
But what the anti-authoritarian individualists mean by reciprocity is another thing entirely from the arid functioning of a system of exchange, consisting of receiving the exact equivalent in weight, measure and value of what we have given. Or vice versa. It is no longer, from the ethical point of view, the inexorable application of the law of the jungle. Yes, if you will, reciprocity is that, exactly that, but it is also much more. I view it, for my own part, from a point of view so individual, so plastic and subject to the variations of personal evaluation that it is absolutely necessary for me, in order to explain the practical reach, to situate myself far outside the idea of a mathematical evaluation or unwavering standard. I posit then in the first place that each person has the conception of reciprocity furnished to them by their determinism: temperament or nature, reasoning or feeling. It is then understood in my relations with others, in the agreements that I can conclude with them that I do not want to be harmed; and I sense and know myself to be harmed as soon as I receive less than I give. And I harm others as soon as I give less than I receive. But to give and receive are two relations, two values, two terms of which the meaning and sense are uniquely relative to the one who gives and the one who receives.
For example, I have spent some years dedicating myself to the education of a child, to do all that was in my power in order that he forms himself, that he sculpts himself, that he became “himself,” that he frees himself from the coating of prejudices and traditions detrimental to the evolution and constitution of an original personality. That was my gift. I considered myself amply paid, in return, by assisting in the spectacle of the gradual development of this young being, asserting himself bit by bit, borrowing less and less, as he grows, from routine and the conventions of the social atmosphere. I recognized that he had certain dispositions for letters or the sciences–for music–for voyages. And there he is, grown to the stature of a man, an accomplished writer, an eminent chemist, a successful musician, an intrepid explorer. Not a servile imitator of those who have preceded him on the path where he is engaged, but by assimilating to himself the efforts of his predecessors so as to carry his own to the highest possible degree of originality. Perhaps it is in an entirely different sense than I would have hoped, that the dispositions that I had distinguished have developed or that his possible originality has been demonstrated. I have, however, attained my end since, as an adult, the child to whose upbringing I have devoted myself is neither the reflection of a man nor the product of a formula.
It is possible that someone other than myself would have understood differently, in this particular case, the application of the method of reciprocity. He might have thought himself repaid by a little more affectionate displays and a little less accomplishment. This is a consequence of temperament, a matter of character. But if it was affection that seemed the most exact recovery of the pains taken for the education of the child, it would have been necessary from the outset to insist more on the blossoming of sentimental qualities, to develop in this young being the propensities for sensitivity.
I spent many nights at the bedside of one of my family, dangerously ill, who was dear to me. For a long time, their life hung by a thread. I hardly dared to leave the room where they lay in bed, so great was my fear that I would not find them alive when I returned. Isn’t my care reimbursed today when I see the cured patient pacing the street, fresh and free, ready for the experiences and adventures of an intense life!
I am repaid when a work prospers or when one of my peers in whom I have shown an interest of any order succeeds. I am repaid when, on condition of course of defraying his travel expenses, I get a speaker, a propagandist who interests me to come and spend some time with me: the enjoyment I derive from their conversation amply compensates for my pecuniary effort.
I am repaid when I provoke or take the necessary steps to rescue someone who interests me from suffering, or from an ordeal that overwhelms them, and I succeed. I am repaid when I manage to relieve one of my friends, one of my companions in ideas, and to lighten the material or moral burden that is making them bend. I am paid back when I am aware that consumers appreciate the manufacture or the usefulness of the product that I deliver to them. I am repaid whenever, having made a special effort for one or more of my fellows—a well-defined effort—I am certain that they benefit from it.
These are the aspects—and I have only sketched a few of them—under which it is necessary to consider, in its practice, the method of reciprocity, if we want it to be anything but conformity to a scale accepted on both sides, which would mean, for example, when I have exchanged a pair of boots for 40 or 50 kilos of meal, that I have received as much as I have given. That is the literal point of view, and we have long known that “the letter killeth.” If I am an artist in shoe-making, it may be that 35 or 40 kilos of bread will satisfy me —and the joy I feel, knowing my work is appreciated as I like it to be by my consumer, more than compensates for the 5 or 10 kilos of deficit. To receive as much as one has give is not then only, I repeat, to get the equivalent in weight, measure, quality, value, of what we have given or delivered. It is also, it is especially to be satisfied with the trade one has made, it to have full consciousness that in the “business” dealt—intellectually, sentimentally, economically speaking—there has not been, on either side, deceiver or deceived, victimizer or victim; in other words that each, in the course of the agreement, has acted according to their determinism and shown themselves in their true colors.
Reciprocity is there and not elsewhere.
182) Objections à la pratique individualiste de la méthode de la réciprocité.
Je connais l’objection. Si la méthode de la réciprocité n’est pas appliquée comme il est indispensable qu’elle le soit pour remplir son but, qui en surveillera, qui en déterminera, qui en garantira l’exercice loyal ? C’est l’éternelle question qui se pose dès qu’il est question d’un système de conduite dont le fonctionnement n’exige aucune espèce de coercition ou de sanction. Et l’éternelle réponse c’est que les aspirations et que les revendications individualistes ne sont réalisables qu’à la condition que soit courante dans le genre humain une certaine mentalité — sans qu’une conception de la vie autre que celle qui domine actuellement ne soit devenue une habitude, un acquis, une caractéristique de l’humanité.
Les individualistes antiautoritaires sont tout disposés à concéder, à reconnaître qu’un grand nombre de terriens — mettons le plus grand nombre — cherchent dans les rapports ou les accords qu’ils entretiennent ou qu’ils concluent avec leurs semblables à agir par ruse — à les léser, à les tromper, à les duper. Si c’est rigoureusement exact, il est alors indispensable, pour que personne ne soit ni trompé, ni lésé, ni dupé — puisqu’en aucun cas, on ne veut avoir recours aux obligations ni aux sanctions — il est donc indispensable que la mentalité ambiante dans son ensemble, ne le tolère ni ne l’admette.
On m’objectera encore que l’ensemble humain ne parviendra à ce niveau général de mentalité que lentement, très lentement ; qu’on ne sait même pas si elle s’y hissera jamais ; qu’elle n’y atteindra peut-être que la veille du jour de la disparition de la vie organisée. Je répliquerai que la mentalité, aussi bien générale que particulière — et celle-là dépend de celle-ci — a été faussée par ceux qui ont continuellement sur les lèvres l’amour du prochain, le dévouement aux intérêts d’autrui ou de la collectivité et qui, en pratique, visent à l’asservir et à l’exploiter par tous les moyens et de toutes les façons.
Les individualistes — on s’en est rendu compte — ne font pas des rapports et des accords entre les humains une matière, une « affaire » de pur sentiment. Baser les rapports entre les hommes sur un amour du prochain égal à celui dont on use à l’égard de soi-même ne correspond pas à une réalité. Une fois l’être humain dépouillé de son vernis, de ses habits, de ses discours, on découvre au contraire qu’il s’aime d’abord. Et c’est l’équité même. Car c’est là l’objet, le commencement et la fin de l’instinct ou du sentiment de conservation. On aime le plus souvent son prochain moins qu’on s’aime soi-même. On peut l’aimer — et cela arrive fréquemment — autant et même plus que soi-même. Mais c’est parce qu’on y trouve son intérêt ou son plaisir — une joie, une satisfaction, un contentement d’un genre ou d’un autre — sentimental ou éthique si l’on veut. Quand on aime son prochain, c’est pour soi-même et la majorité des hommes s’insoucie de l’amour du prochain. Voilà la vérité. D’ailleurs, une satisfaction d’ordre sentimental et intellectuel est toujours une satisfaction, il n’y a pas à ergoter. Le sentiment est un facteur aussi intéressé que le raisonnement, sinon davantage, car il porte à des extrémités qu’ignore le raisonnement.
Le genre humain pratiquera la méthode de la réciprocité pour établir ou conclure les rapports ou les accords entre les unités qui le constituent lorsque dans sa majorité — ou une minorité très nombreuse ou très influente — il aura reconnu qu’il en retire intérêt. Si, au contraire, le genre humain, en général, estime que son intérêt est que la duperie ou la tromperie mutuelle soit à la base des rapports entre ses composants, s’il l’excuse, s’il le tolère, qu’on ne se fasse aucune illusion : on continuera dans les journaux, dans les livres ou dans les chaires à parler d’amour du prochain et, dans la vie courante, à n’en tenir aucun compte.
Mais tout cela entendu, en quoi les individualistes antiautoritaires se trouvent-ils empêchés de se comporter à l’égard les uns des autres selon la méthode de la réciprocité ? Nous savons à quoi nous en tenir : les hommes, en général, se lèsent, se dupent, se trompent à qui mieux mieux, jamais ils ne donnent ou ne rendent ; toutes choses étant égales, l’équivalent de ce qu’ils ont reçu ou prêté. Dans les contrats qu’ils passent les uns avec les autres, il y a toujours quelqu’un de « roulé » ou de « refait », ou du moins c’est sous-entendu dans les sous-entendus des termes des accords discutés ou en discussion. Peut-être, au point de vue de l’absolue réalité, n’est-ce pas tout à fait exact et, pour ma part, là où cela se produit, je suis disposé à en placer la responsabilité sur la manie ou la tendance qui jusqu’ici a possédé les hommes de s’imposer leurs rapports et leurs contrats, d’en appeler à la contrainte, à la réglementation forcée, aux châtiments, pour les rendre viables et valables, pour trancher leurs différends. J’en rends également responsable le système de dissimulation qui régit toutes les transactions qui ont cours entre les hommes, système qui consiste dans tous les domaines et dans toutes les sphères à se montrer autrement que l’on est en réalité.
Mais même alors que ce serait la règle universellement en vigueur parmi les hommes de se montrer des loups les uns à l’égard des autres ; quand bien même, pour lui rendre ce qui lui est dû, ils se situeraient à l’égard de l’ambiance humaine en état de légitime suspicion, qu’est-ce qui empêche les individualistes de se servir les uns vis-à-vis des autres de la méthode de la réciprocité ? Qui est-ce qui les en empêche, puisqu’ils proclament que c’est l’utilité ou l’agrément qui les guide, puisqu’ils affirment s’afficher, se montrer tels qu’ils sont les uns au autres ?
Qui peut dire si leur exemple — puisque leur tactique est de ne dissimuler rien du résultat de leurs expériences — qui sait si leur exemple ne parviendra pas à déterminer sinon l’évolution de la mentalité générale, en tous cas la mentalité de milieux particuliers dans le sens de l’adoption de la réciprocité volontaire comme base des rapports entre les unités humaines ?
182) Objections to the individualist practice of the method of reciprocity.
I know the objection. If the method of reciprocity is not applied as it is essential for it be in order to fulfill its purpose, who will supervise it, who will determine it, who will guarantee its fair exercise? This is the eternal question that arises when it comes to a system of conduct whose operation does not require any kind of coercion or sanction. And the eternal answer is that individualist aspirations and demands are only realizable on the condition that a certain mentality is common among the human race—without any conception of the life other than that which currently dominates, having become a habit, an asset, a characteristic of humanity.
Anti-authoritarian individualists are quite ready to concede, to recognize that a large number of earthlings—let us say the greatest number—seek in the relations or the agreements that they maintain or that they conclude with their fellows to act by trickery—to injure them, to deceive them, to dupe them. If this is strictly correct, then it is essential, so that no one is either deceived, injured or duped—since in no case do we want to have recourse to obligations or sanctions—it is therefore essential that the prevailing mentality as a whole neither tolerate nor admit it.
It will still be objected that the human whole will only reach this general level of mentality slowly, very slowly; that we don’t even know if it will ever get there; that it will perhaps not reach it until the eve of the day of the disappearance of organized life. I will reply that the mentality, both general and particular—and the latter depends on the former—has been distorted by those who constantly have on their lips the love of neighbor, devotion to the interests of others or of the community, abut who, in practice, aim to enslave and exploit by all means and in all ways.
The individualists—we have realized this—do not make relations and agreements between humans a matter, an “affair” of pure sentiment. Basing the relationships between people on a love of their neighbor equal to that which one applies with regard to oneself does not correspond to a reality. Once the human being is stripped of their varnish, their clothes, their speeches, we discover on the contrary that they love themselves first. And that is fairness itself. For that is the object, the beginning and the end of the instinct or the feeling of self-preservation. We most often love our neighbor less than we love ourselves. We can love them—and this often happens—as much and even more than ourselves. But it is because we find in it our interest or our pleasure—a joy, a satisfaction, a contentment of one kind or another—sentimental or ethical, if you will. When you love your neighbor, it is for yourself and the majority of people are unconcerned about the love of their neighbor. This is the truth. Moreover, a sentimental and intellectual satisfaction is always a satisfaction, there is no need to quibble. Feeling is a factor as interested as reasoning, if not more so, because it leads to extremes that reasoning ignores.
The human race will practice the method of reciprocity to establish or conclude relations or agreements between the units which constitute it when in its majority—or a very numerous or very influential minority—has recognized that it derives interest from it. If, on the contrary, the human race, in general, considers that it is in its interest that deception or mutual deception be at the base of the relations between its components, if it excuses it, if it tolerates it, let us have no illusions: we will continue in the newspapers, in books or in the pulpits to speak of love of neighbor and, in everyday life, to take no account of it.
But taking all of this into account, in what ways are anti-authoritarian individualists prevented from behaving towards each other according to the method of reciprocity? We know what to expect: human beings, in general, wrong themselves, deceive themselves, fool themselves, each more than the last, and they never give or return, all things being equal, the equivalent of what they have received or lent. In the contracts they make with one another, there is always someone “conned” or “making good”, or at least that is implied in the innuendos of the terms of the agreements debated or in discussion. Perhaps, from the point of view of absolute reality, this is not quite correct, and for my part, where it occurs, I am willing to place the blame on the mania or the tendency, which until now has possessed human beings to impose their relationships and their contracts on one another, to appeal to coercion, to forced regulation, to punishments, to make them viable and valid, to settle their disputes. I also hold responsible for it the system of dissimulation which governs all the transactions that take place between men, a system that consists, in all fields and in all spheres, of showing oneself to be different from what one really is.
But even when it should be the universal rule among men to show themselves wolves to one another; even if, in order to give him what is due to him, they would place themselves with regard to the human environment in a state of legitimate suspicion, what prevents the individualists from using each other vis-à-vis? others of the method of reciprocity? Who is stopping them, since they proclaim that it is utility or pleasure that guides them, since they affirm to display themselves, to show themselves as they are to each other?
Who can say if their example—since their tactic is to conceal nothing of the results of their experiments—who knows if their example will not succeed in determining, if not the evolution of the general mentality, in any case the mentality of particular circles in the direction of the adoption of voluntary reciprocity as the basis of relations between human units?
183) La réciprocité dans la nature.
La réciprocité n’est point ignorée dans la nature, bien loin de là. Mais elle y est appliquée d’une façon qu’on a coutume de qualifier d’inconsciente, c’est-à-dire selon un degré de conscience qui échappe à notre compréhension. Tout le monde sait qu’une culture rapporte dans la mesure où on lui consacre davantage de soins ; dans la mesure où l’on débarrassera un champ de plantes parasites, ou qu’on l’épierrera, le fumera, le grain qu’on y a semé croîtra et fructifiera. Dans la nature, qui veut la fin veut les moyens. Plus un organisme développe certains organes, plus les fonctions que commandent ces organes s’accomplissent avec régularité et dans leur plénitude. Sans doute ; tous les organismes ne reçoivent pas autant qu’ils donnent — mille circonstances imprévues s’interposent entre l’effort et son résultat — mais d’une façon générale on peut poser comme produit acquis de l’observation que là où il n’y a aucun effort de fait, il n’y a point de résultat ; que là où il n’y a rien de donné, il n’y a non plus rien de reçu. A moins que quelqu’un de ses congénères ne le remplace, l’oiseau qui ne couve pas ses œufs ne les voit pas éclore — l’être vivant qui ne s’en va pas à la recherche d’une proie végétale ou animale risque de rester l’estomac vide.
183) Reciprocity in nature.
Reciprocity is not unknown in nature, far from it. But it is applied there in a way that we usually call unconscious, that is to say according to a degree of consciousness that escapes our understanding. Everyone knows that a crop pays off more the more care it receives; to the extent that a field is rid of parasitic weeds, or that it is cleared of stones, manured, the grain that has been sown there will grow and bear fruit. In nature, whoever desires the end must desire the means. The more an organism develops certain organs, the more the functions commanded by these organs are accomplished with regularity and in their fullness. Without a doubt, all organisms do not receive as much as they give—a thousand unforeseen circumstances come between effort and its result—but in general we can posit as the acquired product of observation only that where there is no no actual effort, there is no result; that where there is nothing given, there is also nothing received. Unless another of the same species replaces it, the bird that does not sit on its eggs does not see them hatch. The living being that does not go in search of plant or animal prey runs the risk of remaining with an empty stomach.
184) La réciprocité volontaire.
Il va sans dire que la réciprocité, telle que nous avons essayé de la définir, avec les détails et les nuances que nous avons esquissés, ne saurait être conçue que volontaire. Là, comme ailleurs, nous nous tenons sur le terrain foncièrement individualiste. Solidarité volontaire, sociabilité volontaire, réciprocité volontaire, garantisme volontaire. Il ne s’agit point de forcer qui que ce soit à agir de réciprocité à l’égard d’autrui ; de contraindre quiconque à se demander en toute occasion s’il a bien reçu ou non l’équivalent de ce qu’il a donné ; il ne s’agit point d’imposer à la pensée, comme un dogme, qu’il est plus digne d’abord, plus profitable ensuite, d’user de réciprocité plutôt que de s’employer à léser, duper ou tromper son prochain. Nullement, Il est question ici de l’application intégrale, loyale, de la méthode de la réciprocité dans tous les rapports et dans tous les accords entre les humains — tout au moins entre individualistes antiautoritaires, mais volontairement. A titre d’expérience, non comme une loi, ni comme un commandement moral. Par le libre consentement des individus isolés ou des associés qui décident de s’en servir. Comme un mode de se comporter l’un envers l’autre, les uns envers les autres.
Le fait que les individualistes sont venus à cette conception par tempérament, à la suite de réflexions personnelles, par le jeu de l’étude ou de la comparaison, les situe dans une attitude de méfiance, de sauvegarde, tout autant à l’égard des institutions, administrations ou organisations politiques ou sociales qui voudraient leur interdire le plein usage de la réciprocité, que vis-à-vis de celles qui entendraient la leur octroyer comme une obligation, comme la loi de leur rapports entre eux, ou l’ambiance.
C’est parce que les individualistes conçoivent l’exercice de la réciprocité en dehors de toute contrainte et de toute sanction qu’il ne viendra jamais à l’esprit d’aucun d’eux de s’attendre — je ne dis pas d’exiger, faites attention — de s’attendre à ce que, comme récupération d’un service quelconque, celui à qui il a été rendu accepte de se placer sous une obligation quelconque : intellectuelle, morale, sexuelle, sentimentale ou autre. Rendre un service en échange de l’acceptation d’une servitude quelconque n’a rien de bien individualiste. L’individualiste rend un service parce qu’il s’intéresse d’une façon ou d’une autre à celui auquel il le rend, parce que son déterminisme l’y engage, parce que ses réflexions l’y incitent ; il n’escompte pas, il ne peut pas s’attendre à ce que ce service implique de la part de celui qui en bénéficie le sacrifice de son autonomie, même partielle, dans un domaine quelconque. Ce serait alors recevoir immensément au delà de ce qu’on a donné. Ce n’est même pas concevable au point de vue où se placent les individualistes antiautoritaires.
On m’objectera que la reconnaissance constitue l’équivalent des services que ne peuvent compenser des valeurs d’ordre mesurable. Certes, mais à la condition qu’on ne demande pas, qu’on n’espère pas qu’elle prenne une forme qui la rende analogue à une dépendance d’un genre ou d’un autre, à condition que l’aspect qu’elle revêtira soit laissé à la détermination de celui auquel on a rendu service, se relative à sa conception personnelle de la vie. L’individualiste se trouve équitablement payé de retour par l’appréciation consciente, de la part de celui qui en a bénéficié, du service qu’il a rendu ou tenté de rendre. Plutôt ne rendre aucun service que d’en rendre avec l’arrière- pensée de placer celui qui en profite ou en a profité sous le joug d’une discipline ou d’une contrainte quelconque.
D’autre part, l’individualiste véritable aura à cœur de ne point se sentir redevable à qui lui a rendu service — le sentiment qu’il possède de sa dignité personnelle ne lui permettrait pas de rester sur cette constatation qu’il a davantage reçu que donné. Ne point se sentir diminué à ses propres yeux est un facteur qui sera toujours appelé à jouer un grand rôle dans les accords à souscrire entre individualistes.
Pour qu’un individualiste soit satisfait des résultats de l’accord qu’il a conclu avec autrui, il est nécessaire qu’il ait pleine conscience qu’il a donné tout ce qui était en son pouvoir, tout ce qui lui permettait son déterminisme, autrement dit qu’il n’a pas reçu davantage que ce qu’il pouvait donner. Sa dignité le demande, sa fierté le réclame.
Le cas peut se présenter que l’on rende service à quelqu’un, mais que les efforts accomplis n’aboutissent pas aux fins auxquelles tendent ce service. Il est évident, cependant, qu’à moins de manquer à la plus élémentaire dignité, celui auquel il a été rendu service ne saurait se dérober quand la personne qui s’est intéressée ainsi à lui fait à son tour appel à son effort. La réciprocité, somme toute, c’est la tendance à compensation parfaite ; dans les rapports entre humains — compensation entre tout ce qui est donné, prêté, reçu, rendu, dans tous les domaines et dans toutes les sphères de la pensée et de l’activité humaines, selon les aptitudes de chacun.
Enfin, il faut tenir compte que cette compensation ne puisse être réalisée par suite d’un cas fortuit ou de force majeure : la maladie, un état d’impuissance momentané ou prolongé, etc.
Il y a des circonstances où un être humain ne peut, ne pourra jamais donner autant qu’il reçoit, mais son cas peut provoquer un tel intérêt qu’il ne viendra jamais à la pensée d’aucun de ceux qui lui donnent de s’attendre à une compensation quelconque.
184) Voluntary reciprocity.
It goes without saying that reciprocity, as we have tried to define it, with the details and nuances that we have sketched, can only be conceived as voluntary. There, as elsewhere, we stand on fundamentally individualistic ground. Voluntary solidarity, voluntary sociability, voluntary reciprocity, voluntary guaranteeism. It is not a question of forcing anyone to act reciprocally with regard to others; to compel anyone to wonder on any occasion whether or not they have received the equivalent of what they have given; it is not a question of imposing on thought, like a dogma, that it is first more worthy, then more profitable, to use reciprocity rather than to work to injure, dupe or deceive one’s neighbor. There is no question here of the integral, loyal application of the method of reciprocity in all relations and in all agreements between humans—at least between anti-authoritarian individualists, but voluntarily. As an experiment, not as a law, nor as a moral commandment. By the free consent of isolated individuals or associates who decide to use it. As a way of behaving towards each other, individually and in groups.
The fact that individualists have come to this conception by temperament, as a result of personal reflections, through the play of study or comparison, places them in an attitude of distrust, of protection, just as much with regard to institutions, administrations and political or social organizations which would like to forbid them the full use of reciprocity, as with regard those that would intend to grant it to them as an obligation, as the law of their relations between them, or the atmosphere.
It is because individualists conceive of the exercise of reciprocity free from all constraint and all sanction that it will never occur to any of them to expect—I am not saying to demand, be careful!—to expect that, as a return for some service, the one to whom it has been rendered agrees to place himself under some obligation: intellectual, moral, sexual, sentimental or otherwise. There is nothing very individualistic about rendering a service in exchange for accepting some form of servitude. The individualist renders a service because they are interested in one way or another in the person to whom they render it, because their determinism commits them to it, because their reflections incite them to it; they do not expect, they cannot expect that this service will imply on the part of the person who benefits from it the sacrifice of their autonomy, even partially, in any field whatever. It would then be to receive immensely more than what one has given. This is not even conceivable from the point of view in which the anti-authoritarian individualists place themselves.
It will be objected that recognition constitutes the equivalent of services that cannot be compensated by values of a measurable order. Certainly, but on the condition that one does not ask, that one does not hope that it takes a form that makes it analogous to a dependency of one kind or another, on the condition that the face that it wears will be left to the determination of the person to whom service has been rendered, relative to their personal conception of life. The individualist finds themselves fairly repaid by the conscious appreciation, on the part of the recipient, of the service they have rendered or attempted to render. It would be better not to render any service than to render it with the ulterior motive of placing those who benefit from it or have benefited from it under the yoke of some discipline or constraint.
On the other hand, the true individualist will take it to heart not to feel indebted to those who have done them a favor—the sense they have of their personal dignity would not allow them to rest, having observed that they have received more than they have given. Not feeling diminished in one’s own eyes is a factor that will always be called upon to play a great part in the agreements to be entered into between individualists.
For an individualist to be satisfied with the results of the agreement they have made with others, they must be fully aware that they have given everything in their power, everything allowed by their determinism, in other words, that they did not receive more than they could give. Their dignity demands it, their pride calls for it.
The case may arise that one renders service to someone, but that the efforts made do not lead to the ends to which this service tends. It is obvious, however, that unless they are lacking in the most elementary dignity, the one to whom a service has been rendered cannot escape when the person who has thus taken an interest in them in turn appeals to their effort. Reciprocity, after all, is the tendency to perfect compensation in the relations between humans—compensation between all that is given, lent, received, returned, in all fields and in all spheres of human thought and activity, according to the aptitudes of each.
Finally, it must be taken into account that this compensation may not be able to be achieved as a result of a fortuitous event or force majeure: illness, a momentary or prolonged state of impotence, etc.
There are circumstances in which a human being cannot, never could give as much as they receive, but their case may arouse such interest that those who have given to them would never think of expecting any kind of compensation.
185) La question de la réciprocité telle que les individualistes la posent.
En résumé, la seule base équitable sur laquelle puissent se fonder les rapports entre les hommes nous semble être la réciprocité. Car là où il y a exactement de la réciprocité, réciprocité dans les produits ou dans les actions, il n’y a pas de place pour la méfiance, le doute ou la rancœur. Où la difficulté commence, c’est quand il s’agit de déterminer exactement l’équivalence des actions ou des produits — étant entendu qu’on est mû par le désir de ne pas léser autrui ni d’être lésé par lui, et non par celui de faire triompher, même par la force, un étalon d’équivalences.
La notion de réciprocité n’apparaît plus alors comme une notion purement utilitaire, au sens grégaire et vulgaire du terme. Le troupeau social admet en effet qu’une action est compensée ou qu’un produit est rétribué lorsqu’on a « rendu la pareille » ou versé telles espèces.
L’idée de réciprocité au point de vue individualiste tend à instaurer une « valeur » toute différente : Etant donné, dans certaines circonstances, le degré d’aptitudes et la possibilité d’efforts d’une unité humaine, quelle action, quelle production compensera équitablement la somme d’efforts et la mise en jeu d’aptitudes qu’elle a dû employer pour accomplir ce geste-ci ou ce labeur-là, sans qu’il puisse y avoir place pour le moindre soupçon d’exploitation ?
185) The question of reciprocity as posed by the individualists.
In summary, the sole equitable basis on which the relations of persons can be based seems to us to be reciprocity. For where there is precise reciprocity, reciprocity in products or in actions, there is no place for mistrust, doubt or rancor. Where the difficulty commences, is when it is a question of determiner the exact equivalence of the actions or products—it being understood that one is moved by the desire not to harm others or to be harmed by them, and not by that of making triumph, even by force, a standard of equivalences.
Thus, the notion of reciprocity no longer appears as a purely utilitarian notion, in the common, vulgar sense of the term. The social herd admit, in effect, that an action is compensated or that a product is remunerated when we have “returned the favor” or paid some sum of cash.
The idea of reciprocity from the individualist point of view tends to establish an entirely different “value.” Given, in certain circumstances, the degree of aptitude and the possibility of effort of a human unit, what action, what production will compensate equitably the amount of effort and the involvement of skills that they had to employ to accomplish this gesture or that labor, without there being room for the slightest suspicion of exploitation?