E. Armand, The Anarchist Individualist Initiation — IV

The Anarchist Individualist Initiation

E. ARMAND

[ENGLISH TEXT ONLY]


5. Christianity and the Individualists. The pagan turn of mind. ☞


4. Les individualistes et les réformateurs du milieu social. La loi du progrès continu.

40) Dernières arguties des réformateurs religieux.

L’exposé que nous venons de tracer explique l’attitude de l’individualiste anarchiste vis-à-vis des réformateurs de la Société. Puisque tous les systèmes de renouvellement ou d’amélioration proposés rejettent à l’arrière plan l’individu, comment l’individualiste pourrait-il ressentir autre chose que méfiance ou hostilité à leur égard ? En vain les réformateurs ou novateurs religieux — dernière ressource — viendront-ils affirmer que la volonté, le dessein suprême de la toute sagesse divine est de réaliser sur la planète l’entente entre les hommes, de supprimer les inégalités de fortune, d’éducation ; en vain diront-ils que les étapes douloureuses qui constituent la marche de l’humanité vers ce « millénium » étaient nécessaires, indispensables à la perfectibilité collective ; en vain proclameront-ils leur foi inébranlable en l’avènement du « règne de Dieu », synonyme de la cité d’harmonie, d’équité et de fraternité ; l’individualiste demandera par quels moyens tangibles ce dieu tout amour leur communique sa pensée, quelles notions scientifiques ils ont de son existence, de quel pouvoir il dispose et comment il l’exerce.

Acculés, les derniers représentants du mysticisme religieux balbutieront peut-être que Dieu est un sentiment intérieur à l’individu, l’idéal, une catégorie de l’idéal, qu’il n’est pas encore complètement manifesté, qu’il « devient » ; ils se serviront d’autres expressions nuageuses de la même farine qui peuvent satisfaire des croyants très peu orthodoxes, mais pieux encore, et dont un esprit affranchi ne peut se contenter. L’individualiste répondra simplement qu’il n’est pas d’idéal qui ne soit une création du cerveau humain. Dire que Dieu est un phénomène de la vie intérieure, une manifestation de la pensée individuelle, c’est dire qu’il n’est pas extra humainement ; or, quel besoin a-t-on d’appeler « Dieu » une aspiration ou un sentiment personnel ?

4. The individualists and the reformers of the milieu social. The law of continuous progress.

40) Last quibbles of the religious reformers.

The account that we have just mapped out explains the attitude of the anarchist individualist with regard to the reformers of Society. Since all the proposed systems of renewal or improvement cast the individual into the background, how could the individualist feel anything but mistrust or hostility with regard to them? In vain the religious reformers or innovators — as a last resort — would come to affirm that the will, the supreme design of all divine wisdom is to realize harmony on the planet between men, to suppress inequalities of fortune, education; in vain would they say that the painful stages that make up the march of humanity towards that “millennium” were necessary, indispensable to the collective perfectibility; in vain would they proclaim their unshakeable faith in the coming of the “kingdom of God,” synonym for the city of harmony, equity, and fraternity; the individualist will demand by what tangible means this all-loving god communicates his thought to them, what scientific notions they have of his existence, with what power he arranges things and how he exerts it.

Cornered, the last representatives of religious mysticism stammer that perhaps God is a sentiment internal to the individual, the ideal or a category of the ideal; that it has still not completely manifested; that it “becomes.” Or they will use other cloudy expressions, each as bad as the last, which may satisfy some unorthodox, but still pious believers, but with which a free mind cannot be content. The individualist will simply respond that it is not a question of the ideal, which is a creation of the human brain. Say that God is a phenomenon of the interior life, a manifestation of individual thought, that it has no extra-human existence; now, what need is there to call an individual aspiration or sentiment “God”?

41) Mon athéisme.

Je suis athée, c’est-à-dire que non seulement je ne crois pas en la divinité, sous quelque nom ou espèce qu’on la présente, mais encore que je suis résolument hostile à toute conception impliquant l’existence d’un dieu ou de plusieurs. Je suis athée parce que je suis individualiste, spécialement parce qu’individualiste anarchiste.

Il va sans dire que mon athéisme n’a pas pour cause le fait que des soi-disant représentants de Dieu se montrent de détestables échantillons de l’espèce humaine. Il y a des croyants en Dieu qui semblent valoir peu de chose ; il yen a d’autres qui apparaissent être — individuellement supérieurs à la moralité moyenne générale. Je suis trop persuadé que les êtres humains sont déterminés par leur tempérament pour attacher grande importance aux inconséquences des chrétiens, des musulmans ou des bouddhistes. Pas plus que ne m’épouvantent les différences que la vie quotidienne de certains individualistes peut présenter avec les théories dont ils se réclament. Je comprends fort bien qu’il soit plus facile de s’abstraire cérébralement du milieu que de triompher des sollicitations que l’ambiance adresse aux sens.

Je ne suis pas athée non plus à cause de l’impossibilité qu’éprouvent les déistes à répondre à certaines, « colles » qui amusent la galerie aux dépens de ceux qui en sont victimes. Dieu, au dire des théologiens, étant omnipotent et omniscient, et bien d’autres choses encore, on voit d’ici les prétextes que ces attributs fournissent à l’orateur libre-penseur démonstrateur des preuves d’inexistence du malencontreux « vertébré gazeux ». Il n’y a qu’à prendre le « problème » de la souffrance. Dieu, donc, qui sait tout, prévoit tout, est tout puissant, peut l’abolir, puisqu’il est aussi infiniment bon, juste, etc. S’il ne la supprime pas, c’est qu’il n’est point tout puissant, à moins qu’il ne soit cruel. Ou bien il n’a su la prévoir la souffrance, et alors il n’est nullement tout sachant. Pour irréfutables qu’ils paraissent, ces arguments me toucheraient fort peu si j’étais déiste. Dieu, la « cause première intelligente », la cause « permanente et consciente », « créatrice et agissante », aurait, je suppose, si elle existait, une conception tout autre que celle que se font ses défenseurs et ses détracteurs — minuscules parasites de la planète Terre — du bien, du mal, de la joie, de la souffrance, de la matière et même de sa propre existence. Ce ne sont pas les arguments scolastiques qui font de moi un athée.

Malgré l’importance que j’attache aux démonstrations d’ordre scientifique, je ne suis pas non plus un athée parce que « scientifique ». Pour éviter toute équivoque, je ne confonds pas la science,- recueil d’observations pratiques, aux applications profitables et utiles, avec la Science spéculative (avec un S capitale). De la science, Haeckel disait qu elle est « impossible sans hypothèse » et pour elle, Henri Poincaré proclamait l’hypothèse « indispensable ». Je pense, à la suite de philosophes et de savants contemporains éminents, que le fait scientifique est un phénomène humain, essentiellement relatif, dont le commentaire varie selon l’intellectualité des interprétateurs. Si je m’occupais de Science autrement qu’en profane, j’entendrais passer au crible de ma critique individuelle, et avec la même sévérité, et les hypothèses religieuses et les hypothèses scientifiques.

Je suis athée parce qu’individualiste. Le cerveau humain ne peut concevoir Dieu qu’anthropomorphiquement, sous les espèces dune sorte de dictateur autoritaire et despotique. Or, je suis un négateur d’autorité ; je ne veux ni Dieu ni maître ; je ne veux pas plus d’un patron dans l’univers que d’un patron à l’atelier. Bakounine a dit quelque part : « Si Dieu existe, l’homme est esclave ; si l’homme est libre, Dieu n’existe pas. » Je ne veux pas discuter ici ce qu’il faut entendre par liberté de l’homme. Après Proudhon, je répète : « Si Dieu existe, il est l’ennemi de l’homme. » Je ne veux pas d’un Dieu qu’il faut craindre pour être sage. On ne craint que les tyrans, ceux qui ont le pouvoir d’ôter à leurs semblables la liberté, voire l’existence, c’est-à-dire les policiers, les juges, les geôliers, les. bourreaux, Dieu, tous les dieux sont le symbole suprême de tous ces êtres, qui sont eux-mêmes l’incarnation de la contrainte organisée. Je proclame l’insurrection contre les dieux qu’il faut craindre pour être catalogué comme sage. Pas de conciliation possible entre mon anti-autoritarisme, ma haine de la domination, ma révolte contre l’exploitation et une conception quelconque de la divinité.

Et non seulement, individualiste, je nie, je rejette Dieu, mais pratiquement, je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas besoin de l’hypothèse Dieu créateur, provident ou législateur pour me sentir exister, pour me développer intellectuellement, pour évoluer physiquement, pour constater, méditer, me mouvoir, aimer, etc. Tout cela, je puis le faire en me refusant à croire en la toute puissance de ce produit de la crainte ou de l’ignorance d’ancêtres insuffisamment éclairés. Je n’ai pas besoin de Dieu pour connaître une vie intérieure profonde, qui résiste aux assauts des désillusions provenant de l’extérieur ou de mes propres erreurs, Je n’ai pas besoin de Dieu pour persévérer ou m’en aller sur la route de la vie Individuelle, glanant les expériences, appréciant les jouissances, en quête d’expansion et d’activité pour mon cerveau et pour mes sens. Je n’attache pas grande importance, je le répète, aux arguments scolastiques, mais, pour me conduire dans la vie, je ne me sens pas le besoin du tout d’être guidé par un directeur moral, qui pour ramener à lui ses créatures, ou les punir de leurs désobéissances, les livre aux hécatombes, aux raffinements de cruauté des guerres contemporaines et aux souffrances qui en sont la conséquence.

Je ne déteste pas méchamment le croyant. Mon point de vue est celui de l’individualiste anarchiste Benj. Tucker : « Bien que voyant, dit-il, dans la hiérarchie divine une contradiction de l’Anarchie, tout en ne croyant pas, les anarchistes ne sont pas moins partisans de la liberté de croire. Ils s’opposent absolument à toute négation de la liberté religieuse. Et de même qu’ils proclament le droit pour l’individu d’être ou de choisir son propre médecin, ils revendiquent son droit d’être ou de choisir son propre prêtre. Pas plus de monopole ou de restriction en théologie qu’en médecine ». Bien que je sois mécaniste, c’est-à-dire que je considère l’idée philosophique la plus ingénieuse, l’hypothèse métaphysique la plus audacieuse, la théorie scientifique la plus curieuse, comme un résultat normal du fonctionnement de l’activité cérébrale, à l’individuel comme au collectif — je suis prêt, personnellement, à coopérer pour une besogne déterminée avec des spiritualistes « individuels », c’est-à-dire n’appartenant à aucune organisation ecclésiastique et fonciers adversaires des exploitations et des autorités étatistes ou sociales.

41) My atheism.

I am an atheist. Not only do I not believe in divinity, no matter the name or species that you assign it, but I am also resolutely hostile to any conception implying the existence of one or several gods. I am an atheist because I am an individualist, especially because I am an anarchist individualist.

It goes without saying that my atheism is not caused by the fact that the so-called representatives of God show themselves to be detestable specimens of the human species. There are believers in God who seem to be worth very little; there are those who appear to be individually superior to the average general morality. I am only too convinced that human beings are influenced by their temperament to attach great importance to the foolishness of the Christians, Muslims, or Buddhists. Nor am I surprised by the differences presented between the daily lives of certain individualists and the theories that they profess. I understand full well that it is easier to isolate oneself cerebrally from the milieu than to triumph over the appeals that the atmosphere addresses to the senses.

Nor I am an atheist because of the impossibility faced by deists to answer some “posers” that amuse the gallery at the expense of those who are their victims. God being, according to the theologians, omnipotent and omniscient, and many other things, we see here the excuses that these attributes provide the freethinking speaker to demonstrate some proofs of the nonexistence of the unfortunate “gaseous vertebrate.” It only takes the “problem” of suffering. God, then, who knows everything, foresees everything, is all powerful, can abolish it, since he is also infinitely good, just, etc. If he does not suppress it, is because he is not all-powerful, unless it is because he is cruel. Or he has not been able to predict the suffering, and then he is by no means all knowing. As irrefutable as they appear, these arguments would affect me very little if I was a deist. God, the “intelligent First Cause,” the “permanent and conscious” cause, “creative and active,” would have, I suppose, if it he existed, a totally different idea than his advocates and detractors—tiny parasites planet Earth—have of good, evil, joy, suffering, matter and even his own existence. It is not the scholastic arguments that make me an atheist.

Despite the importance that I attach to demonstrations of the scientific order, I am also not an atheist because I am “scientific.” To avoid any uncertainty, I do not confuse science,—the collection of practical observations, beneficial and useful application,—with speculative Science (with a capital S). Haeckel said of science that it is “impossible without hypothesis” and, for it, Henri Poincaré proclaimed hypothesis “essential.” I think, following the philosophers and eminent contemporary scholars, that the scientific fact is a human phenomenon, essentially relative, about which the commentary varies according to the intellect of interpreters. If I concerned myself with Science other than as a layman, I would intend to pass though the sieve of my personal criticism, and with the same severity, both religious hypotheses and scientific hypotheses.

I am an atheist because I am an individualist. The human brain can only conceive of God anthropomorphically, as a sort of a kind of authoritarian and despotic dictator. Now, I am a denier of authority. I want neither God nor master. I do not want a boss of the universe any more than I want a boss in the workshop. Bakunin said somewhere: “If God exists, man is a slave; if man is free, God does not exist.” I do not want to discuss here what is meant by the freedom of man. After Proudhon, I repeat: “If God exists, he is the enemy of man.” I do not want a God that we must fear in order to be wise. We only fear tyrants, those who have the power to deprive their fellows of liberty, even of existence: the police, judges, jailers and executioners, and God, every god is the ultimate symbol of all these beings, who are themselves the epitome of organized coercion. I proclaim insurrection against the gods that we must fear in order to be classed among the wise. No reconciliation is possible between my anti-authoritarianism, my hatred of domination, my revolt against exploitation and any conception of divinity.

And not only, as an individualist, do I deny and reject God, but practically, I have no need of him. I have no need of the hypothesis of a creative, provident and law-giving God in order to feel that I exist, to develop intellectually, to evolve physically, to observe, contemplate, move, love, etc. I can do all of that by refusing to believe in the all-power of that product of fear or ignorance of insufficiently enlightened ancestors. I have no need of God to know a deep inner life, which resists the assaults of disappointment arising from outside or from my own errors. I have no need of God to persevere or to make my way down the road of individual life, gathering experiences, assessing the enjoyments, in quest of expansion and activity for my brain and my senses. I do not attach great importance, I repeat, to the scholastic arguments, but, to lead me in life, I do not feel the need at all of being guided by a moral director, who in order to bring his creatures back to him, or punish them for their disobedience, delivers the to slaughters, to the refinements of cruelty in our contemporary wars and to the suffering that are their consequence.

I do not mechanically detest the believer. My point of view is that of the individualist anarchist Benjamin R. Tucker: “But although, viewing the divine hierarchy as a contradiction of Anarchy, they do not believe in it, the Anarchists none the less firmly believe in the liberty to believe in it. Any denial of religious freedom they squarely oppose. Upholding thus the right of every individual to be or select his own priest, they likewise uphold his right to be or select his own doctor. No monopoly in theology, no monopoly in medicine.” While I am a mechanist, while I consider the most ingenious philosophical idea, the most audacious metaphysical hypothesis, and the most curious scientific theory, as a normal of the functioning of the cerebral activity, in the individual as well as the collective — I am ready, personally, to cooperate for a specific task with the “individual” spiritualists, those belonging to no ecclesiastical organization and committed adversaries of the statist and social exploitations and authorities.

42) Le contrat social.

En vain les légalitaires affirmeront-ils que le but de la loi est, non pas d’opprimer l’individu, mais de lui assurer, selon ce dénomme le « contrat social », les possibilités de vivre dans la Société, — possibilités qu’en fait la loi délimite, codifie, n’établissant les droits et les devoirs de chacun vis-à-vis de la Société et de la Société vis-à-vis de chacun. L’individualiste demandera qui a promulgué ce soi-disant contrat social et aura bientôt fait de démontrer, preuves historiques à l’appui, qu’il a toujours été imposé aux différentes collectivités par une minorité d’êtres forts ou rusés, prêtres ou mages, soldats heureux ou conquérants, familles renommées, capitalistes puissants. Jamais, nulle part, aucun contrat social n’a été proposé librement, consenti librement, appliqué librement. Ce que nous connaissons tous du contrat social, c’est son appareil de contraintes et de châtiments ; ce sont ses exécutifs et ses souteneurs : mouchards, gendarmes et justiciers ; ce sont les institutions sur lesquelles il se fonde : tribunaux, maisons de détention et bagnes. C’est son enseignement soi-disant laïque, en réalité aussi dogmatique, aussi déprimant, aussi intolérant que l’enseignement clérical.

Pour l’individualiste, l’Etat est la forme laïque de l’église comme l’église fut la force religieuse de l’Etat, ce son deux ennemis qui se réconcilient toujours sur le terrain de la domination. Qui eut nié jadis la divinité de Jésus, la Trinité ou le mystère de la transsubstantiation, eût été condamné à périr dans les flammes. Qu’on attaque un peu violemment le dogme propriété ou le dogme patrie, uniquement par la parole et par l’écrit — ou l’un quelconque des dogmes sur lesquels s’étayent les institutions civiles du XXe siècle — et vous verrez, l’exemple est là, si la prison ne châtie pas le mécréant coupable d’un tel forfait. Qui parle de contrat social ? Des morales désuètes, des préjugés ridicules qui sonnent faux en face des connaissances actuelles et dont, à l’école, on enseigne encore le respect : voilà en réalité le contrat social.

42) The social contract.

In vain the legalists maintain that the aim of the law is not to oppress the individual, but to ensure for them, according to what is called the “social contract,” the possibilities of living in Society, — possibilities that in fact the law delimits and codifies, establishing the rights and duties of the individual toward Society and Society towards each individual. The individualist will ask who has published this so-called social contract and will have soon demonstrated, with historic proofs in their support, that it has always been imposed on the different collectivities by a minority of strong or cunning beings, priests or mages, fortunate or conquering soldiers, renowned families, powerful capitalists. Never, anywhere, has any social contract been freely proposed, freely consented to, freely applied. What we all know of the social contract is its apparatus of constraints and chastisements; its executives and its supporters: finks, police officers and justice bringers; the institutions on which it is founded: courts, houses of detentions and penal colonies. It is its so-called lay education, in reality as dogmatic, as demoralizing, as intolerant as the clerical education.

For the individualist, the State is the secular form of the church, as the church was the religious force of the State. They are two enemies who always reconcile on the terrain of domination. Whoever denied the divinity of Jesus, the Trinity or the mystery of transubstantiation, would have been condemned to perish in the flames. Let one attack the dogmas of property or the homeland with any violence, either by word or in writing—or, for that matter, any of the dogmas that underpin the civil institutions of the twentieth century—and you will see (the examples are there) if prison is not the punishment for the miscreant guilty of such a crime. What does the social contract speak of? Obsolete morals, ridiculous prejudices that ring false in the face of current knowledge and for which, at school, we still teach respect: that is the reality of the social contract.

43) Arguties des démocrates et des révolutionnaires de dictature.

Vainement, les « réformistes », les « progressistes » viendront-ils exposer qu’il n’y a plus de rois absolus, plus de castes hermétiquement closes, plus de classes sociales dont on ne puisse franchir les barrages. La démocratie, selon l’expression d’un illustre politicien, la démocratie « coule à pleins bords ». Plus on s’avance, nous détaillent-ils, et plus les décisions du peuple sont souveraines — c’est l’opinion publique qui est sans appel, et non le caprice d’un Maître. Il est entendu que les révolutions populaires sont frappées au coin de la mentalité moyenne — c’est-à-dire qu’en période normale elles se tiennent à l’écart des solutions extrêmes. Mais c’est l’affaire des extrémistes d’avant ou d’arrière garde de faire se modifier cette mentalité. Il est aussi entendu qu’en régime démocratique, ce sont les décisions de la majorité qui l’emportent et qui s’imposent, mais comme l’a fait judicieusement remarquer en plein parlement un homme d’Etat célèbre on n’a pas trouvé jusqu ici de meilleur moyen d’assurer le fonctionnement de l’organisme social. Il est enfin. entendu que tout n’est pas pour le mieux dans la meilleure des démocraties, mais il faut du temps pour éclairer la masse, beaucoup de temps même.

Les préoccupations qui agitaient l’esprit du démos antique ou moyenâgeux n’étaient pas les mêmes que celles qui se posent devant le démos contemporain. La marche de l’évolution humaine se précipitant avec une vitesse inconnue à nos ancêtres, force est de reconnaître que les problèmes qui travaillent l’intelligence des humains d’aujourd’hui se renouvellent et se transforment constamment. De là la nécessité d’une éducation politique et économique destinée à mettre le peuple en situation de solutionner rapidement les problèmes nouveaux qui lui sont présentés. C’est l’affaire d’un petit nombre de générations, une goutte d’eau dans l’océan des siècles. Somme toute, une fois écartés le caprice du prince et l’arbitraire des tyrannies théocratiques ou oligarchiques, c’est encore le régime démocratique qui permet au développement de l’espèce humaine de se poursuivre le plus normalement et à l’individu, de jouir d’un bonheur, moyen.

Vainement, les « révolutionnaires de dictature » démontreront-ils que l’expérience historique suffit à indiquer combien peu il faut faire fond sur le régime démocratique, sur l’opinion publique. Le peuple est soumis à toutes sortes d’influences contradictoires et vacille au gré des passions, des colères, des fantaisies collectives. Les caprices de la démocratie ne le cèdent en rien à ceux du prince — un beau discours, une belle prestance, un bel uniforme, un beau cheval, une formule ronflante suffit à retourner de fond en comble « la mentalité moyenne » et à lui faire avaler aujourd’hui avec délices le breuvage politique, économique, intellectuel qu’elle vomissait hier avec dégoût. Un siècle d’exercice a suffi pour consacrer le fiasco du suffrage universel masculin et il ne semble pas que l’accès du beau sexe à l’électorat le réhabilite. Le propre des assemblées représentatives a toujours été de se diviser en fractions qui, malgré des divergences apparentes, avaient ceci de commun entre elles, c’est qu’elles cherchaient à se dominer et à se supplanter les unes les autres, et à s’imposer leurs opinions respectives.

Nous ne nions pas, ajoutent les révolutionnaires dont s’agit, que généreuses, de grandioses, de bienfaisantes aspirations ne soient pas en gestation dans les entrailles de la démocratie contemporaine, mais ces aspirations, il est nécessaire de les accoucher. Or, cet accouchement, c’est l’affaire d’une minorité convaincue, d’une élite consciente du but à atteindre : le bonheur de l’espèce humaine. En attendant que les aspirations à un état de choses nouveau prennent corps, pénètrent et saturent l’esprit et les sens du peuple, un régime dictatorial est de rigueur. C’est par la dictature des plus intelligents, et des mieux doués de ses éléments d’avant- garde que le bonheur de l’ensemble social sera organisé et réalisé, de gré ou de force. Il importe peu que le peuple encore inéduqué doive être mené, tambours battants et la crosse aux reins, vers le paradis social. Il remerciera plus tard l’élite dictatoriale de son énergie et de sa détermination.

43) Quibbles of the democrats and revolutionaries of dictatorship.

In vain, the “reformists,” the “progressives” will explain that there are no more absolute monarchs, no more hermetically sealed castes, no more social classes whose barriers we cannot breach. Democracy, in the words of a renowned politician, “flows bank-high.” The more we advance, they explain, the more the decisions of the people are sovereign—it is public opinion that is without appeal and not the whim of a Master. It is understood that popular revolutions are marked with the stamp of the average mentality—that is to say that in normal times they hold themselves apart from extreme solutions. But it is the business of the extremists of the front or rear guards to change that mentality. It is also understood that in a democratic regime, it is the decisions of the majority that prevail and are imposed, but, as a famous statesman sagely noted, in full parliament it has not hitherto found a better way to ensure the functioning of the social organism. It is finally understood that not everything is for the best in the best of democracies, but it takes time to enlighten the masses, very much time even.

The concerns that agitated the minds of the ancient or medieval demos were not the same as those that confront the contemporary demos. The march of human evolution rushing with an speed unknown to our ancestors, we must recognize that the problems shaping human intelligence today are constantly renewed and transformed. Hence the necessity of a political and economic education destined to put the people in a position to quickly solve the new problems that are presented to them. It is the business of a small number of generations, a drop in the ocean of the centuries. All in all, once separated from the whim of the prince and the arbitrary will of theocratic or oligarchic tyranny, it is still the democratic system that permits the development of the human race to continue most normally and allows the individual to enjoy a middling happiness.

In vain the “revolutionaries of dictatorship” will demonstrate that historical experience is enough to indicate how little we should rely on the democratic regime, on public opinion. The people are subject to all manner of contradictory influences and vacillate at the mercy of passions, hatreds, collective fantasies. The caprices of democracy yield nothing to those of the prince—a beautiful speech, an agreeable presence, a nice uniform, a fine horse or a grand-sounding slogan are enough to overturn the “average mentality” from top to bottom and make it swallow today with delight the political, economic, intellectual brew that it vomited up yesterday in disgust. A century of exercise has been enough to sanctify the fiasco of universal male suffrage and it does not seem that the entrance of the fairer sex to the electorate redeems it. The characteristic trait of the representative assemblies has always been to divide themselves into fractions that, despite apparent divergences, had in common among them that they sought to dominate and supplant one another, and to impose their respective opinions.

We do not deny, add the revolutionaries of whom we are speaking, that generous grandiose and beneficial aspirations are in gestation in the loins of contemporary democracy, but these aspirations must be delivered. Now, that birth is the business of a dedicated minority, of an elite conscious of the goal to be reached: the happiness of the human species. Until the aspirations for a new state of affairs take shape, penetrate and saturate the minds and senses of the people, a dictatorial regime is in order. It is through a dictatorship of the most intelligent and most gifted of its vanguard elements that the happiness of the social ensemble will be organized and realized, willingly or by force. It matters little that the people, still uncultured, must be driven, drums beating, at gunpoint, toward the social paradise. Later, they will thank the dictatorial elite for its energy and its determination.

44) Démocratie égale dictature.

Si les individualistes s’accordent avec les protagonistes de la dictature des éléments avancés de la démocratie pour reconnaître que le suffrage universel, le parlementarisme et l’opinion publique sont de ridicules panacées ou de redoutables trompe-l’œil, ils s’en séparent lorsque ceux-ci tentent de présenter leur conception dictatoriale comme une nouveauté. Démocratie et dictature sont termes synonymes. Le peuple n’a jamais marché que sous l’aiguillon d’une dictature — occulte ou affichée. La démocratie, à toutes les périodes de l’histoire, a réglé son allure sur les injonctions de la dictature de l’un de ses éléments privilégiés. Le motif en est bien simple : le peuple — pris en tant que masse — est incapable de penser pour et par soi-même. Il ne réfléchit pas parce qu’il ne peut pas réfléchir — parce qu’une collectivité d’êtres humains de mentalité moyenne aspire normalement à un état d’équilibre qui lui épargne des décisions de nature à troubler sa stabilité. Lorsqu’une collectivité humaine modifie son statu quo, c’est sous l’influence d’une individualité, d’un certain nombre de ses composants, d’un parti ou encore parce qu’elle se trouve sous l’empire d’une surexcitation anormale. Mais elle en revient toujours à la stabilité, cette stabilité résidât-elle dans la soumission à une solution extrémiste, à un parti terroriste, à un autocrate fantaisiste. Les collectivités tendent vers le repos, vers l’oubli, vers la stagnation. C’est pour cela qu’elles ont toujours constitué de merveilleux instruments au service des absolutismes et des tyrannies de toute espèce.

Il n’y a pas de mœurs, de politique, d’économie, d’éducation démocratique. Le peuple, en ces matières, pense comme ses dirigeants, ses gouvernants, ses exploiteurs le désirent. Depuis la révolution de 1789 la démocratie a pensé ce que lui dictaient les articles de journaux, les maîtres d’école, les orateurs de réunion publiques, les hommes d’Etat. Les partisans de la dictature de l’élite populaire ou prolétarienne n’innovent donc rien. Les individualistes admettent volontiers que c’est très rarement que les éléments avancés ont pu s’emparer du gouvernail, mais ils se refusent à voir un ordre de choses nouveau dans l’ascension au pouvoir de l’élite ouvriériste ou révolutionnaire. Il s’agit de déposséder de leur situation gouvernementale les meneurs de la bourgeoisie et de les remplacer par les conducteurs du quatrième état. Les individualistes ne voient là qu’une modification de personnel. La démocratie reste ce qu’elle était : un instrument de dictature ; le peuple ne change pas de rôle : il ne change que de bergers.

44) Democracy equals dictatorship.

If the individualists agree with the instigators of the dictatorship of the advanced elements of democracy on recognizing that universal suffrage, parliamentarianism and public opinion are ridiculous panaceas or impressive trompe-l’œil, they separate from them when they attempt to present their dictatorial conception as a novelty. Democracy and dictatorship are synonymous terms. The people have never marched but under the goad of a dictatorship—concealed or declared. Democracy, in all the periods of history, has set its pace according to the injunctions of the dictatorship of one of its privileged elements. The reason is very simple: the people—taken as a mass—are incapable of thinking for and by themselves. They do not reflect because they cannot reflect—because a collectivity of human beings of average mentality normally aspires to a state of equilibrium that spares it some decisions of the sort that would trouble its stability. When a human collectivity modifies its status quo, it is under the influence of some individuality, of a certain number of its components, of a party or else because it finds itself under the sway of an abnormal overexcitement. But it always returns to stability, even if that stability should be found in submission to an extremist solution, to a terroristic party, to a whimsical autocrat. Collectivities tend towards repose, towards forgetfulness, towards stagnation. That is why they have always constituted marvelous instruments in the service of absolutisms and tyrannies of every sort.

There are no democratic customs, politics, economics or education. In these matters, the people think like their managers, their rulers and their exploiters desire. Since the revolution of 1789, democracy has thought what was dictated to it by the newspaper articles, the schoolmasters, the orators in the public meetings, the men of State. So the partisans of dictatorship by the popular or proletarian elite break no new ground. The individualists willingly admit that it is only very rarely that the advanced elements have been able to seize the helm, but they refuse to see a new order of things in the ascent to power of the workerist or revolutionary elite. It is a question of stripping the leaders of the bourgeoisie from their governmental situations and replacing them with the conductors of the fourth estate. The individualists see in this only a change of personnel. Democracy remains what it was: an instrument of dictatorship; the people have not changed their role: they have only changed shepherds.

45) Producteurs inutiles et consommations superflues.

Aux purs socialistes prétendant que le fait économique domine tous les détails de l’évolution de l’humanité, l’individualiste objectera que c’est là pure hypothèse, que, sans négliger un seul instant la valeur du facteur économique, puisqu’il s’agit d’abord de se sustenter, on ne peut admettre qu’il ait été l’unique cause de tous les événements historiques ; à vrai dire, selon les circonstances, les événements ont eu tantôt une origine politique, tantôt un motif religieux, tantôt un mobile économique, — cela sans parler des influences climatériques. Il a été longtemps d’usage de rapporter toute l’histoire à des causes politiques, de même qu’auparavant on la considérait comme les gestes de « Dieu » parmi les hommes ; la métaphysique socialiste voudrait, elle, tout ramener au fait économique. Il est considérablement exagéré de soutenir que la philosophie, les arts, la littérature aient constamment dépendu du fait économique, alors que certaines de leurs périodes indiquent, pour citer un exemple, une influence nettement religieuse.

Examinant de façon critique la question de production et de consommation, l’individualiste prétend qu’il est visiblement outrancier, dans la société actuelle, de grouper les hommes par professions ou métiers, que c’est en régime de surproduction et d’exploitation capitaliste une classification arbitraire, dangereuse, malsaine même.

Exalter le producteur dans l’état actuel des choses est un pur sophisme. Dans nombre de cas, il produit des objets ou des valeurs inutiles, sinon nuisibles ; ou il accomplit un travail sans portée individuelle ni sociale. Les métallurgistes qui travaillent dans les arsenaux, dans les manufactures d’armes ou dans les fonderies de canons font-ils besogne utile ? Les gardiens de prison, douaniers, gratte-papiers des administrations officielles, receveurs d’octroi ou percepteurs de contributions accomplissent-ils œuvre utile ? Les ouvriers adonnés à la fabrication des apéritifs, amers, « vitriols » de toute espèce, font-ils travail utile ? Les employés de chemins de fer occupés au transport de tant d’objets de luxe superflus, à manutentionner les denrées frelatées ou à envoyer les soldats vers la boucherie remplissent-ils une fonction de quelque utilité ? En vain, les maçons qui construisent des prisons, des casernes ou des églises se groupent-ils en syndicats révolutionnaires ; en vain, les confectionneurs de mitrailleuses, de fusils Lebel, Maennlicher ou Vetterli, d’uniformes, adhèrent-ils aux Confédérations du Travail. Avant, comme après, ce sont des producteurs inutiles.

Ce qui est vrai, au point de vue individualiste, c’est qu’une grande partie des producteurs vivent en parasites au compte des consommateurs puisqu’une grande partie de la consommation se relative à des objets ou à des valeurs qui, directement ou indirectement, perpétuent la dépendance de l’unité humaine. Ce qui est vrai encore, c’est qu’un grand nombre de consommateurs entretiennent, grâce à leur mentalité servile et moutonnière, une foule de producteurs inutiles.

45) Unnecessary producers and superfluous consumption.

To the pure socialists, claiming that the economic fact dominates all the details of the evolution of humanity, the individualist will object that this is pure conjecture, that, without neglecting for a single instant the value of the economic factor, since it is first of all a question of sustenance, we cannot accept that it has been the unique cause of all historical events. To tell the truth, according to the circumstances, events have sometimes had a political origin, sometimes a religious motive, sometimes an economic cause—without speaking of the influences of climate. It has long been the practice to relate all of history to political causes, just as in the past we considered it as the works of “God” among men; as for the socialist metaphysics, it would reduce everything to the economic fact. It is a considerable exaggeration to maintain that philosophy, the arts and literature have constantly depended on economic facts, when certain of their periods indicate, to cite one example, a clearly religious influence.

Examining the question of production and consumption in a critical manner, the individualist asserts that it is obviously outrageous, in the present society, to group men by professions or trades; that in the regime of capitalist overproduction and exploitation it is an arbitrary, dangerous and even unhealthy classification.

To exalt the producer, in the current state of things, is a pure sophistry. In many cases, they produce objects or values that are useless, if not harmful; or they accomplish a labor without either individual or social impact. Have the metallurgists who work in the arsenals, in the weapons factories or cannon done a useful task? Have the prison guards, customs officers, pencil-pushers of the official administrations, excise-men or tax-collectors accomplished useful work? Have the workers devoted to the production of fabrication of aperitifs, bitters and “strong drink” of all sorts performed useful labor? Have the employees of the railroads occupied with the transport of so many objects of superfluous luxury, with handling adulterated good or with sending soldiers to the slaughter fulfilled a function of some utility? In vain, the masons who construct prisons, barracks or churches group themselves in revolutionary syndicates; in vain, the manufacturers of machine guns, of Lebel, Maennlicher or Vetterli rifles, of uniforms, join the Confederations of Labor. Before and after, these are useless producers.

What is true, from the individualist point of view, is that a large part of the producers live as parasites at the expense of the consumers since a large part of the consumption relates to objects or values that, directly or indirectly, perpetuates the dependence of the human unity. What is also true is that a great number of consumers maintain, thanks to their servile and ovine mentality, a mass of useless producers.

46) La loi du progrès continu.

Enfin, nous n’ignorons pas la thèse des tenants de la loi du « progrès continu » ; idée qui n’est pas neuve, et dont on trouve le germes en Grèce et à Rome, et plus tard chez les mystiques du Moyen Age, lesquels annonçaient que de même que le royaume du Fils avait succédé au royaume du Père, au royaume du Fils succéderait le royaume du Saint-Esprit ou âge de l’Evangile éternel, où il n’y aurait plus ni erreur ni péché. Sortant du mysticisme, cette conception s’éclaircit, se précise, s’affirme, philosophiquement d’abord avec les Bacon et les Pascal ; se généralise ensuite avec les Herder, les Kant, les Turgot, les Condorcet, les Saint-Simon, les Auguste Comte et leurs successeurs, les écoles socialistes utopiques et scientifiques, enfin les évolutionnistes-finalistes de tout ordre.

On n’ignore pas que l’idée de la loi du progrès constant et ininterrompu a été acceptée, exaltée, vulgarisée par les poètes, les littérateurs, les philosophes, les propagandistes et maint savant. Elle a joué parmi les hommes le rôle consolateur tenu jadis par la religion dans les siècles de foi. Mais en l’examinant de près, on s’aperçoit bientôt que rien n’est moins fondé, scientifiquement parlant, que cette prétendue loi.

En premier lieu, il est impossible de prouver expérimentalement que les actes de chaque unité humaine, de chaque race, de toutes les races, sont des effets invariables et incontestables des antécédents primitifs et des circonstances originelles. Nous ignorons, en effet, de façon indiscutable, et le point de départ de l’humanité et le point ou les points vers lesquels elle s’avance. Même si nous connaissions exactement ce point de départ, nous ne possédons aucun critère scientifique nous permettant de distinguer ce qui est progrès d’avec ce qui ne l’est pas. Nous pouvons constater un déplacement, rien d’autre. Selon leurs aspirations ou le parti auquel ils appartiennent, les humains dénomment ce déplacement « progrès » ou « recul », voilà tout.

Au cœur de cette conception du progrès continu et inéluctable, sous son apparence la plus scientifique, sommeille une arrière-pensée mystique et finaliste. Ici, nous la voyons rattachée à cette idée que l’homme est la nature prenant conscience d’elle-même. Là, nous la voyons accompagnée de cette autre idée que toute l’évolution animale postule, annonce, prophétise le bipède à station droite et doué de parole qu’est l’être humain. On nage en plein anthropocentrisme et on oublie la réalité, bien simple, qui est ceci : c’est que sur un des corps les plus infimes qui parsèment le Cosmos, au fond de la buée qui l’environne comme une vapeur diaphane, végètent, grouillent ou rampent une multitude de parasites. Un accident géologique a surexcité, vraisemblablement, l’intelligence d’une des espèces parasitaires de ce corps — la Terre — et lui a permis de dominer sur les autres espèces, Fut-ce pour le bonheur ou le malheur des habitants de la planète ? nous ne le savons pas. Nous ignorons totalement ce qui serait résulté de l’avènement d’une autre espèce de vertébrés, l’éléphant, le cheval, par exemple, ou des variétés auxquelles elle aurait pu donner naissance. Rien ne prouve que la nature n’aurait pas bien mieux et plus supérieurement, « pris conscience d’elle-même » en ces races. Rien ne prouve qu’un nouvel incident géologique, météorologique au autre ne ravira pas au genre humain son sceptre, sa puissance et son outrecuidance. Mais les faits sont les faits. L’homme semble bien, au point de vue intellectuel, le mieux doué, actuellement, des parasites terriens. Inclinons-nous et revenons-en à la loi du progrès continu, à la thèse de l’évolution progressive et nécessaire. Or, on ne peut l’accepter sans admettre du même coup, non seulement que tous les événements qui ont eu et ont lieu ont été et sont nécessaires, mais encore qu’ils ont servi et servent forcément au développement, au bonheur de l’espèce humaine. C’est là où aboutissait logiquement Auguste Comte, et Taine a formulé cette idée en une phrase lapi3aire : « Ce qui est a le droit d’être ». Tout est donc bien et pour le mieux dans la meilleure des évolutions. Dans le passé et dans le présent. Les violences faites aux corps et les violences faites aux opinions ; l’inquisition, les conseils de guerre, les guerres et les épidémies ; l’étouffement de la pensée contraire, les bûchers où brûlaient les contradicteurs ; les pelotons d’exécution qui les trouent de projectiles ; les jets de liquide enflammé, les gaz asphyxiants, les avions de bombardement, le « nettoyage » des tranchées à grands coups de coutelas. Tout est bien. Les prisonniers de guerre massacrés malgré la promesse de la vie sauve, les chrétiens de Rome jetés aux bêtes féroces, les exterminations des Albigeois et des anabaptistes, les lettres de cachet, la raison d’Etat et les lois scélérates. Tout est bien, tout a servi au développement de l’humanité, tout a concouru à la marche du progrès, tout cela a facilité et préparé la venue du bonheur inéluctable, final et universel.

Eh bien ! non. Notre raison s’insurge, se rebelle contre cette idée.

Nous nous penchons sur l’abîme sans fond dans lequel tour à tour ont roulé les civilisations fameuses, les âges grandioses : sur le gouffre où se rejoignent les périodes historiques colossales et retentissantes ; et ce qu’on entend monter de ces profondeurs insondables, ce ne sont ni des hymnes de joie, ni des soupirs de jouissance — c’est tout au contraire un concert inharmonique et effroyable de protestations, de plaintes, de lamentations, de sentiments, d’aspirations, de besoins entravés, mutilés, froissés, meurtris. Vainement les clameurs féroces et un peu forcées des arrivés et des pourvus s’essayent-elles à couvrir, à étouffer les cris de rage de ceux auxquels l’occasion de se satisfaire n’a jamais été offerte ou a toujours manqué — elles n’y parviennent pas !

Figures de rhétorique ? Arguments sentimentaux ? Je le veux bien. Mais étayés, mais appuyés pourtant sur les données, sur les documents de l’expérience historique. A n’importe quelle période du développement d’une civilisation quelconque — quelle que fût l’influence qui avait présidé à sa croissance — des protestataires, des anticipateurs, des « en dehors » d’un genre ou d’un autre ont surgi, disséminés ou groupés, des humains se sont dressés et ont proclamé que leur bonheur se situait aux antipodes ou en marge de ce que définissaient comme tel les dogmes, les conventions, les lois, les décrets, les dictatures, les réalisations de la mentalité moyenne, du milieu ou de l’élite sociale. La flamme de la résistance et du non conformisme ne s’est jamais éteinte complètement, même aux jours les plus sombres de l’évolution de l’humanité. Sans doute le flambeau de l’aspiration à un bonheur tout autre que le bonheur officiel, le bonheur juste milieu, n’a pas toujours lui du même éclat. II n’en a pas moins éclairé la voie de l’insoumission, de l’autonomie individuelle, la route où s’est toujours engagée la meilleure portion du genre humain, selon ses connaissances du moment tout au moins. S’il y avait loi, ce serait à celle de la « persistance continue » de l’esprit de non conformisme qu’il conviendrait d’attribuer les améliorations ( ?) que certains veulent voir dans les rapports entre les constituants des mêmes milieux sociaux.

46) The law of continuous progress.

Finally, we are not unaware of the thesis of the proponents of the law of “continuous progress,” an idea that is not new, the seeds of which we find in Greece and Rome, and later among the mystics of the Middle Ages, who announced that just as the kingdom of the Son had succeeded the kingdom of the Father, the kingdom of the Son would be followed by the kingdom of the Holy Spirit, or the age of the eternal Gospel, when there will be no more error or sin. Leaving mysticism behind, that conception was clarified, refined and confirmed philosophically, first with the Bacons and Pascals; then generalized by the Herders, the Kants, the Turgots, the Condorcets, the Saint-Simons, the Auguste Comtes and their successors, the utopian and scientific socialist schools, and finally the evolutionists-finalists of every order.

We are not unaware that the law of constant and uninterrupted progress has been accepted, glorified and popularized by the poets, the littérateurs, the philosophers, the propagandists and many a scientist. It has enjoyed among men the role of comforter previously held by religion in the age of faith. But examining it closely, we soon see that nothing is less justified, scientifically speaking, than that so-called law.

In the first place, it is impossible to prove experimentally that the acts of each human unit, of each race, or of all the races, are invariable and incontestable effects of primitive antecedents and original circumstances. We do not know, in fact, in an indisputable manner, the point of departure of humanity and the point or points toward which it advances. Even if we knew that point of departure exactly, we possess no scientific criterion permitting us to distinguish that which is progress from that which is not. We may note a displacement, nothing else. According to their aspirations or the party to which they belong, humans call this movement “progress” or “retreat,” and that is all.

At the heart of this conception of continuous and inescapable progress, under its most scientific appearance, slumbers a mystical and finalist ulterior motive. Here we see it attached to this idea that man is nature becoming conscious of itself. There, we see it accompanied by that other idea that all animal evolution postulates, announces and prophesies the upright biped endowed with speech that is the human being. We swim in full anthropocentrism and forget the very simple reality, which is that on one of the lowliest bodies scattered about the Cosmos, in the depths of the fog that surrounds it like a diaphanous vapor, vegetate, swarm or crawl a multitude of parasites. In all probabililty a geological accident overstimulated the intelligence of one of the parasitic species of this body—the Earth—and allowed it to dominate the other species, Was it a matter of happiness or misfortune for the inhabitants of the planet? We do not know. We are totally ignorant of what would have resulted from the advent of another species of vertebrates, the elephant or horse, for example, or of other variety to which it could have given birth. Nothing proves that nature would not have much better and more exceptionally “become conscious of itself” in these races. Nothing proves that another geological, meteorological or other incident will not strip the human race of its scepter, its power and its impertinence. But the facts are the facts. Man indeed seems, from the intellectual point of view, the best endowed, at present, of the terrestrial parasites. Let us yield and return to the law of continuous progress, to the thesis of progressive and necessary evolution. Now, we cannot accept it without admitting at the same time, not only that all the events that have been and are taking place have been and are necessary, but also that they have inevitably served and still serve the development and happiness of the human species. This is where Auguste Comte was logically led, and Taine has formulated that idea in a lapidary phrase: “What is has the right to be.” So all is good and for the best in the best of evolutions. In the past and in the present. The violence done to bodies and the violence done to opinions; the inquisitions, the court-martials, the wars and epidemics; the stifling of opposing thought, the pyres where the detractors burned; the firing squads that pierce them with projectiles; the jets of flaming liquid, the asphyxiating gas, the aerial bombardments, the “cleaning” of the trenches with great cutlass blows. All is good. The prisoners of war massacred despite the promise of mercy, the Christians of Rome thrown to wild beasts, the exterminations of the Albigensians and Anabaptists, the lettres de cachet, the reasons of State and the lois scélérates. All is good, all has served the development of humanity, all has contributed to the march of progress and all that has facilitated and prepared the coming of inevitable, final and universal happiness.

Ha! No! Our reason rises up, rebels against that idea.

We look down into the bottomless abyss into which have rolled, one after another, the famous civilizations, the magnificent ages—into the gulf where the colossal and momentous historical periods meet—and what we hear mount up from those unfathomable depths is neither hymns of joy nor sighs of pleasure. It is, on the contrary, a dissonant and dreadful concert of protests, groans and lamentations, of opinions, aspirations and needs shackled, mutilated, bruised and wounded. In vain do the ferocious and rather forced clamours of the successful and the satisfied try to cover, to stifle the cries of rage of those to whom the opportunity to satisfy themselves has never been offered or has always been unsuccessful—they cannot succeed!

Figures of speech? Sentimental arguments? I admit it. But documented, supported however by data, by documents of the historical experience. At whatever stage in the development of whatever civilization—whatever the influence that presided over its growth—the protesters, the forerunners, the « en-dehors » of one kind or another have emerged, scattered or in groups. Some humans have stood up and proclaimed that their happiness stood at the antipodes or on the margin of what was defined as such by the dogmas, conventions, laws, decrees and dictatorships, by the achievements of the average mentality, the environment or the social elite. The flame of resistance and nonconformity was never completely extinguished, even in the darkest days of the evolution of humanity. No doubt the torch of the aspiration to a happiness other than the official happiness, happiness of the happy medium, does not always have the same glare. It has nonetheless lighted the path of disobedience, individual autonomy, where the road has always committed the best portion of mankind, according to its knowledge of the time at least. If there were a law, it would be the law of the “continued persistence” of the spirit of nonconformity that it would be appropriate to attribute to the improvements (?) that some want to see in the relationship between the constituents of the same social circles.

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Independent scholar, translator and archivist.