E. Armand, “Mon ami Pierrot” / “My Friend Pierrot” (1957)

Mon ami Pierrot

Sic itur ad estra (Pages roses du Petit Larousse). — C’est ainsi qu’on s’élève jusqu’aux astres.

Mon ami Pierrot est venu me rendre visite. Comme chacun sait, mon ami Pierrot est devenu un chansonnier célèbre, renommé, coté. On se l’arrache. Il touche des cachets fabuleux. On peut bien battre le briquet chez la voisine. Il ne s’en soucie point. Pas plus que de Colombine, d’ailleurs. Pauvre Colombine !

Pas plus que du clair de lune. Ce qu’il veut mon ami Pierrot, c’est s’en aller faire un tour dans la Lune, la vraie, l’authentique, non point celle à la clarté de laquelle les amoureux échangent des serments, mais celle dont le sol tourmenté se compose de hautes montagnes, de cratères immenses, de cirques, de déserts, où toute vie est impossible pour des êtres bâtis comme nous le sommes, parce qu’on n’y trouve ni eau, ni air — à ce que racontent les astronomes les plus éminents.

Mon ami Pierrot lit les journaux ou tout au moins les parcourt. Depuis le lancement du satellite artificiel qui faisait bip, bip, bip, il est sur des charbons ardents. Inutile de le raisonner : il veut excursionner dans la Lune. — « Quand, me demande-il, penses-tu que le premier départ aura lieu: dans huit jours, dans un mois, dans un an ? » Je regrette de ne pourvoir le renseigner. J’ai appris, comme lui, que cela était possible. Rien n’est impossible désormais. Archimède affirmait que si on lui donnait le levier adéquat, il soulèverait le monde : nos savants et nos techniciens actuels sont certains que si on leur donne la fumée qui convient, les astronefs qu’ils construiront s’en iront voguer à travers les espaces interplanétaires, en attendant mieux, bien entendu.

Ils ont accompli tant de prodiges, nos sorciers modernes, qu’on ignore où ils s’arrêteront. Cette boîte placée sur le table, munie de quelques boutons, il suffit de tourner l’un d’eux dans la direction souhaitée et on entend ce qui se dit ou se chante à New York, Tokyo, Honolulu ou ailleurs. N’est-ce pas merveilleux ? Et cet avion qui vrombit au-dessus de nos têtes, il vous fait du mille kilomètres à l’heure en se jouant ; demain, il boucler le tour de notre pauvre petite boule en moins de temps qu’il n’en faut pour digérer un repas copieux (les repas copieux sont nuisibles à la santé, soit dit en passant). Et, comme si tout cela ne suffisait pas, nos techniciens ont inventé des mécaniques qu’on peut envoyer à destination, lancées d’un point ignoré de tous, sauf de ceux qui les manœuvrent. Avions à vitesse fantastique, appareils téléguidés aptes à emporter des engins capables de détruire tout ce qui existe sur la terre, comme nous l’a fait entrevoir la minuscule expérience-échantillon de Hiroshima. C’est le progrès !

Eh bien ! mon ami Pierrot, tu t’en iras dans la Lune. Dès qu’on aura trouvé les moyens de te faire supporter les conditions du trajet. On les découvrira. Mon imagination te voit déjà affublé à la façon d’un scaphandrier, ta bouteille d’oxygène à portée de tes narines, t’installant commodément dans un astronef confortablement aménagé. Je ne garantis pas naturellement que les choses se passeront ainsi. Quoi qu’il en soit, je sais que tu ne regarderas pas à la dépense. Tu m’as assuré que ton compte en banque — américaine, suisse où uruguayenne — était bien pourvu…

Quant à ce que tu rencontreras à la surface de ce satellite naturel de la Terre, ni toi ni moi n’en savons rien : une désolation absolue ou des formes d’existence dont nous n’avons aucune idée (tu as fait allusion à des formes de vie organisée souterraine, mais je sais que tu as pratiqué Jules Verne et que tu as apprécié son « Voyage au centre de la Terre »). Ne te laisse pas trop subjuguer par la folle du logis, mon ami Pierrot. Très probablement préalablement à l’établissement d’un service régulier Terre-Lune et retour, on aura édifié sur le sol lunaire des stations pourvues de toutes les possibilités permettent à l’homme d’y subsister. Ce n’est pas pour demain, sans doute, mais ça aura lieu très rapidement. Tu iras dans la Lune, mon ami Pierrot… Dans huit jours, dans un mois, dans un an ?… Qui sait ?

Je n’ose pas examiner les conséquences qui peuvent découler du débarquement des hommes sur le sol de notre vieille compagne de route. Les meneurs des troupeaux humains sont en proie à une démence telle qu’il vaut mieux ne pas y songer… Le Lune, dernier refuge de le colonisation et dernier champ de bataille des colonisateurs. Ici encore, qui sait ?

***

Avant de nous séparer, mon ami Pierrot, laisse-moi te parler franchement. Je t’aimais mieux jouant de la guitare ou de la mandoline, roucoulant sous les fenêtres de Colombine. Ou vagabondant autour du Chat Noir. Je t’aimais mieux pâle, enfariné, naïf, amoureux transi, même quand tu échangeais quelques horions avec Arlequin. Tu étais poète, en ce temps-là, donc anarchiste, ne mangeant pas toujours à ta faim, te moquant du tiers comme du quart. On te tournait en ridicule, c’est exact, mais tu étais sans ambition comme sans compte en banque. Tu passais, gouailleur, insouciant, mais sentimental, et tu aurais bien ri si on t’avait prédit qu’un jour l’envie te saisirait de partir pour la Lune autrement qu’à califourchon sur un des rayons qu’elle réfléchit. Je sais bien que c’est le Progrès qui t’a poussé à jeter bas ta défroque blanche, symbole de ton dégoût pour tout ce qui souille, macule, enlaidit l’individu. Et je t’aimais mieux comme ça. C’est entendu, tu t’en iras dans la Lune un de ces jours mon ami Pierrot… Bon voyage !

E. ARMAND.

My Friend Pierrot

Sic itur ad estra (Pages roses du Petit Larousse). — This is how we rise to the stars.

My friend Pierrot came to visit me. As you all know, my friend Pierrot has become a celebrated, famous, popular singer. They can’t get enough of him. He receives fabulous fees. They may well be lighting a fire at the neighbor’s, but he isn’t concerned with that at all. Any more than with Colombine. Poor Colombine!

Nor is he concerned with the moonlight. What my friend Pierrot wants is to go for a stroll on the Moon, the true one, the authentic one, not the one by the light of which lovers exchange promises, but the one whose unstable ground is composed of high mountains, immense craters, cirques and deserts, where life is impossible for beings constructed as we are, because — as the most eminent astronomers report — there is no water there, no air.

My friend Pierrot reads the papers — or at least skims them. Since the launching of the artificial satellite that goes beep, beep, beep, he has been on tenterhooks. It’s useless to reason with him: he wants to take a trip to the Moon. — “When,” he asks me, do you think the first departure will take place: in eight days, in a month, in a year?” I regret not being able to inform him. Like him, I have learned that it is possible. Nothing is impossible from now on. Archimedes asserted that if you gave him an adequate lever, he would lift the world. Our own scientists and technicians are certain that if they are given the proper vapor, the spaceships that they will construct will sail across the interplanetary spaces—with still better to come, it is understood.

They have accomplished so many miracles, our modern sorcerors, that we hardly know where it will stop. See this box placed on the table, equipped with a few knobs. It is enough to turn one of them in the desired direction and we hear what is being said or sung in New York, Tokyo, Honolulu, etc. Isn’t it marvelous? And that airplane that hums above our heads, it carries you a thousand kilometers an hour; tomorrow, it will complete the circuit of our poor little globe in less time that it takes to digest a large meal (large meals are harmful to health, incidentally). And, as if that was not enough, our technicians have invented mechanisms that can be sent to their destination, launched from a point unknown to all except those who operate them. Planes of fantastic speed, remote-controlled devices able to carry machines capable of destroying everything that exists on the Earth, as the minuscule experiment of Hiroshima has allowed us to glimpse. This is progress!

Well! My friend Pierrot, you will go to the moon, just as soon as the means are found to allow you to endure the conditions of the journey. And we will discover them. In my imagination I already see you decked out like a deep-sea diver, your oxygen tank within reach of your nostrils, settling cozily into a comfortably furnished spaceship. I do not guarantee, naturally, that things will happen this way. Either way, I know that you won’t be concerned about the expense. You have assured me that your bank account — American, Swiss or Uruguayan — is well stocked…

As for what you will encounter on the surface of that natural satellite of the Earth, neither you nor I know anything about it: an absolute desolation or forms of existence of which we have no conception. (You have alluded to subterranean formes of organized life, but I know that you know your Jules Verne and value his Journey to the Center of the Earth.) Don’t let yourself be too captivated by your imagination, my friend Pierrot. It is likely that prior to the establishment of a regular service from Earth to Moon and back, stations will be built on the lunar soil, provided with everything possible allowing humans to survive there. That is not a work for tomorrow, no doubt, but it will take place rapidly. You will go to the Moon, my friend Pierrot… In eight hours, in a month, in a year?… Who knows?

I don’t dare examine the consequences that could arise from the landing of human beings on the soil of our old travelling companion. The leaders of the human herds are in the grip of such madness that it is better not to think about it… The Moon, last refuge of colonization and last battlefield of the colonizers. Here again, who knows?

***

Before we part, my friend Pierrot, let me speak to you frankly. I liked you better playing the guitar or mandolin, warbling beneath Colombine’s windows. Or vagabonding around the Chat Noir. I liked you better pale, powdered, naive, lovestruck, even when you exchanged some blows with Harlequin. You were a poet in those days, thus an anarchist, not always eating your fill, mocking the third and fourth estates alike. You were ridiculed, it is true, but you were as free of mais ambition as you were of bank account. You passed, joking, carefree, but sentimental, and you would have laughed if anyone predicted that one day you would be gripped by the longing to leave for the Moon, other than astride the rays that it reflects. I know well that it is Progress that has pushed you to cast off your white rags, symbol of your disgust with everything that soils, stains and makes ugly the individual. But I liked you better that way. It is understood. One of these days, you will go to the Moon, my friend Pierrot… Bon voyage!

E. ARMAND.

[Working translation by Shawn P. Wilbur]

E. Armand, “Mon Ami Pierrot,” Défense de l’homme 10 no. 109 (Novembre 1957).

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