E. Armand, “Ma Muse / My Muse” (1922)

Ma Muse

Ma muse n’est pas une pensionnaire qui tapote en mesure sur un piano de bonne marque ;
C’est une Fille Sauvage, instinctive, primesautière,
Qui ne s’accommode ni du mètre, ni de la rime,
Qui exprime, comme elle le sent, ce qu’elle éprouve, et rien de plus;
Qui se regimbe contre la règle,
Et qui ne veut pas s’astreindre au joug d’une cadence monotone.
Elle pleure, elle rit, elle se désespère, elle exulte de plaisir,
Elle balbutie, elle délire, elle déclame, elle gronde,
Elle est passion, enthousiasme, sensibilité,
Ma muse.

My Muse

My muse is not a pensioner who taps in time on a fine piano;
She is a Wild Girl, instinctive, impulsive,
Who does not adapt herself to meter nor to rhyme,
Who expresses what she feels, as she feels it, and nothing more;
Who balks at rules,
And does not wish to be constrained by the yoke of a monotonous cadence.
She cries, she laughs, she despairs, she revels in pleasure,
She stammers, she babbles, she declaims, she growls,
She is passion, enthusiasm, sensitivity,
My muse.

Tantôt elle est semblable au torrent qui dévale de la montagne.
Impétueux, irrésistible, roulant une onde courroucée,
Qui menace de mettre en pièces les ponts érigés pour la franchir.
Tantôt elle est semblable à un étang quiet et solitaire
Dont les eaux miroitantes invitent à se baigner les timides fillettes…
Si ma muse n’est pas vêtue à la dernière mode,
Ce n’est certes pas un être de rêve, insexué,
Emmaillotée dans une robe vague, pourvue d’une paire d’ailes diaphanes,
C’est une femme :
Capricieuse, curieuse, mutine, volontaire, sentimentale, affolante ;
Dont la patience et la longanimité sont souvent à toute épreuve,
Mais sur laquelle il ne faut pas se reposer sans réserve.
Car c’est quand on l’évoque avec le plus d’instance qu’elle tarde davantage à paraître ;
Alors qu’elle n’admet pas, elle, qu’on la fasse languir.
Je sais que son verbe n’est pas toujours des plus châtiés ;
Il lui arrive de trépigner. Sa voix siffle, rauque, saccadée ;
Echevelée, tragique, elle se répand en accents enflammés.
Souventes fois, aussi, ses paroles sont un murmure doux comme le miel nouveau ;
Elles coulent, prenantes, enivrantes, comme le vin doux…
Elle n’a pas crainte de se montrer sans voile, dépouillée d’ornements ;
Elle n’a pas honte de sa nudité,
Ma muse.

Sometimes she is like the torrent that hurtles down from the mountain.
Impetuous, irresistible, rolling like a wrathful wave,
Which threatens to tear to pieces the bridges raised to span it.
Sometime she is like a quiet, solitary pool,
Whose sparkling waters invite the timid girls to bathe…
If my muse is not dressed in the latest style,
She is certainly not a creature of dreams, sexless,
Swaddled in a loose dress, endowed with a pair of diaphanous wings,
She is a woman:
Capricious, curious, rebellious, willful, sentimental, frightening;
Whose patience and fortitude are often as solid as rock,
But on which you should not rely on unreservedly.
For it is precisely when you conjure her most insistently that she is slower to appear;
While she, she will not be kept waiting.
I know that her language is not always the most refined;
She stamps her feet. Her voice hisses, hoarse and halting;
Tousled, tragic, she gives vent to fiery accents.
Oftentimes, too, her words are a soft murmur, pleasant as fresh honey;
They flow, captivating, intoxicating, like sweet wine…
She is not afraid to show herself without a veil, stripped of ornaments;
She is not ashamed of her nudity,
My muse.

Tant pis pour les moralitéistes et les pharisiens!…
Elie chante ses aspirations, ses appétits, ses amours :
Les jouissances de toute espèce qui font bondir son cœur et battre ses tempes.
Elle chante ses souffrances, ses désillusions, ses craintes,
Les blessures du passé, les soucis du présent, les ténèbres du devenir.
Mais que ce soit la joie ou la tristesse qui l’impulse,
Qu’elle s’accompagne de sanglots ou d’éclats de rire,
Ses chants vibrent à l’unisson de tout ce qui résonne et retentit dans la nature :
Le souffle du zéphir sur les plaines chargées d’épis,
Le gazouillement des oiseaux quand le printemps reverdit la forêt,
Le gémissement des vagues qui viennent agoniser sur la grève,
Le roulement du tonnerre, le mugissement du taureau, le rugissement du lion,
La musique des baisers qui ensorcelle les nuits d’été…
Ma muse n’est pas un mouvement d’horlogerie, une mécanique bien remontée :
Elle est originale et indisciplinée comme la vie elle-même,
Ma muse.

E. ARMAND.

What a shame for the moralists and pharisees!…
She sings her aspirations, her appetites, her loves:
The pleasures of every species, which make her heart leap and her temples throb.
She sings her suffering, her disappointments, her fears,
The wounds of the past, the troubles of the present, the obscurity of what is to come.
But whether it is joy or sadness that drives her,
Whether she accompanies herself with sobs or bursts of laughter,
Her songs resonate in unison with all that sounds and resounds in nature:
The whisper of the breeze over plains loaded with ears of wheat,
The chirping of the birds when spring again turns the forest green,
The dying moan of the waves that dash themselves on the beach,
The rolling of the thunder, the bellowing of the bull, the roaring of the lion,
The music of the kisses that bewitch the summer nights…
My muse is not a clockwork movement, a well-wound machine:
She is original and undisciplined, like life itself,
My muse.

E. ARMAND.


E. Armand, “Ma muse,” L’En dehors 1 no. 3 (début Décembre 1922): 2.

[Adapted in English by Shawn P. Wilbur]

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