L’abîme
Tous les “sociétaires” d’avant garde — social-démocrates, révolutionnaires de toutes nuances, communistes divers — disent que l’individu est un “produit du milieu.”
Il serait plus exact de dire que les individus sont les produits de leur milieu. Et d’ajouter que l’être individuel est plus spécialement l’aboutissant d’une lignée ancestrale dont l’origine remonte à la nuit animale. En tenant compte que chez certains individus dominent essentiellement les caractéristiques de tempérament et de constitution d’un ancêtre particulier.
Tous les sociétaires — religieux, laïques, collectivistes révolutionnaires ou non — disent que l’individu est un composant, donc un dépendant du milieu.
Les anarchistes-individualistes eux, veulent faire de l’être individuel un indépendant, donc un décomposant du milieu.
Les sociétaires voient dans l’individu une pierre de l’édifice, un membre du corps. Les anarchistes aspirent à faire de chaque être individuel un organisme distinct, un libre associé.
D’où deux conceptions de l’éducation et de la propagande :
1° La conception sociétaire qui considère l’individu comme un rouage de la société et, dans ses rêves les plus audacieux, ne dépasse pas l’idée de la transformation catastrophique ou révolutionnaire du milieu.
Elle considère l’évolution comme un résultat quantitatif, une question de nombre.
Elle prend l’enfant ou l’adulte et, a priori, lui insuffle le concept de la solidarité obligatoire, de l’harmonie nécessaire, d’une organisation commune inévitable et universelle.
Elle procède en façonnant le cerveau à un modèle arrêté d’avance. Elle impose une éducation spéciale.
2° La conception anarchiste qui considère l’être individuel isolément; comme la cause ou la raison d’être de toute association ; qui l’oppose à la société et qui voudrait hardiment faire de chaque vie personnels un ferment destructif de tout milieu imposé ou subi.
Elle considère que toute émancipation est due à la qualité, à l’effort individuel.
Elle cherche à faire de l’enfant ou de adulte un plus apte à la résistance, un mieux-doué, un à déterminant par soi-même autant que faire ses propres besoins et se suffisant le plus possible; un associé présent où futur à d’autres plus aptes ou mieux-doués dans un sens ou dans un autre. En dehors de toute intervention ou de toute tutelle ou de toute protection de l’Etat ou de la communauté.
L’éducation anarchiste ne procède pas par contrainte, mais par libre examen, par élimination consentie. Elle propose, elle sélectionne.
Et ces deux points de vue sont inconciliables.
E. Armand.
The Abyss
All the avant-garde sociétaires — social-democrats, revolutionaries of every shade, various communists — say that the individual is a “product of the environment.”
It would be more precise to say that individuals are products of their environment. And to add that the individual is more specifically the outcome of an ancestral line whose origin goes back to the animal night. Taking into account that in certain individuals the characteristics of temperament and constitution of a particular ancestor essentially dominate.
All the partisans of society — religious, secular, revolutionary collectivists or not — day that the individual is a component, and thus a dependent of the milieu.
The anarchist-individualists, wishing to make the individual being an independent, and thus a decomposer of the milieu.
The partisans of society see in the individual one stone in the edifice, one member of the body. The anarchists aspire to make of each individual being a distinct organism, a free associate.
From this arise two conceptions of education and propaganda:
1) The societary conception, which considers the individual as a cog within society and, in its most audacious dreams, does not go beyond the idea of the catastrophic or revolutionary transformation of the milieu.
It considers evolution a quantitative result, a question of numbers.
It takes the child or adult and, a priori, inspires in it the concept of obligatory solidarity, of necessary harmony, of an inevitable and universal common organization.
It proceeds by shaping the brain according to a model settled on in advance. It imposes a specific education.
2° The anarchist conception, which considers the individual being in isolation, as the cause or the reason to be of every association, opposes it to society and would boldly make of each individual life a catalyst destructive of every milieu imposed or suffered.
It considers every form of emancipation as due to quality, to individual effort.
It seeks to make of the child or adult a being more capable og resistance, better endowed, determining by itself autant to meet its own needs and fend for itself as much as possible; a present or future associate of others more capable or better endowed in one sense or another. Apart from all intervention, all tutelage or all protection of the State or the community.
Anarchist education does not proceed by coercion, but by free examination, by voluntary elimination. It proposes, it selects.
And these two points of view are irreconcilable.
E. Armand.
E. Armand, “L’abîme,” L’Ère nouvelle 5 no. 50 (Septembre 1910): 61.
[Working translation by Shawn P. Wilbur]