E. Armand, “La révolution anarchiste” (1926)

LA REVOLUTION ANARCHISTE

… Je crois au socialisme pour les socialistes comme je crois à l’anarchisme pour les anarchistes ; je crois que tous les autres systèmes ou points de vue sont faits pour convenir aux individus qui sont disposés à les adopter par leurs dispositions naturelles. Il est physiquement impossible que tous les êtres atteignent le même degré de développement en même temps; jamais donc ne prévaudra un système universel unique. L’idée que tous acceptent un système donné est nécessairement AUTORITAIRE ; les anarchistes doivent être les premiers à s’en défaire. La diversité des développements existera toujours et d’autant plus que le genre humain se libérera de l’état grégaire des premiers âges, latent encore chez tant d’individus… (MAX NETTLAU: Observations d’actualité).

THE ANARCHIST REVOLUTION

… I believe in socialism for the socialists as I believe in anarchism for the anarchists; I believe that all the other systems or points of view are made to suit the individual who are disposed to adopt them by their natural dispositions. It is physically impossible that all beings attain the same degree of developmemt at the same time; so a single, universal system could never prevail. The idea of everyone accepting a given system is necessarily AUTHORITARIAN; the anarchists should be the first to break with it. The diversity of developments will always exist and we be so that much more as the human race liberates itself from the gragarious state of the earliest ages, still latent in so many individuals… (MAX NETTLAU: Observations d’actualité).

Lorsqu’on annonça la venue en France de M. Primo de Rivera, nous entendîmes certains camarades faire contraster la venue de cet ex-franc maçon (lequel, si nous sommes exactement informé, renvoya ses décorations à S. M. Alphonse treizième du nom, le lendemain de l’assassinat de Ferrer) avec la date du 14 juillet qui commémore — certains d’entre nous s’en souviennent encore — la Prise de la Bastille et le début de la Grande Révolution française.

Pour ma part, je ne vois pas ce qu’il y a d’incompatible entre la visite de l’ex-franc maçon Primo de Rivera, la date du 14 juillet et la Révolution française.

Récapitulons un peu les principaux faits de l’histoire de la Révolution française.

La Révolution française a instauré successivement ou simultanément le despotisme des majorités, la loi expression de la volonté générale, la République une et indivisible, le jacobinisme, la Terreur, la Guillotine en permanence, le Comité de Salut public, le 10 août, les journées de septembre, les noyades de Nantes, les mitraillades de Lyon, les colonnes infernales, etc., etc., — choses qui n’avaient pas l’attrait de nouveauté el qui avaient déjà été pratiquées sous une forme ou sous une autre.

La Révolution française & ainsi conduit, de fil en aiguille, à Napoléon le grand et à Napoléon le petit, à Lénine, Mussolini, Primo de Rivera et aux autres.

Quand l’ex-copain Benoît Mussolini raconte qu’il opère au rebours de l’esprit et des principes des dirigeants de la Révolution française, il ment — car ce n’est pas un imbécile.

Lénine, Mussolini, leurs émules ou leurs continuateurs sont au contraire en plein dans prit dans la tradition des meneurs de la Révolution française, même quand ils ne s’en aperçoivent pas ou feignent de ne point s’en apercevoir. Leur cerveau a été trop longtemps façonné à la culture révolutionnaire pour qu’ils se dégagent de l’empreinte reçue.

Que symbolise en effet le 14 juillet ? — La confiscation du pouvoir au profit d’une classe, d’un parti, d’une faction autre que la classe, le parti, la faction qui possédait la puissance gouvernementale. Pour se maintenir au pouvoir, les révolutionnaires ont usé de toutes sortes de moyens : la souveraineté populaire, la dictature, la cassation des élections qui leur étaient défavorables. Tantôt ils ont fait intervenir le peuple et tantôt ils ont eu recours à l’armée, tantôt aux militaires d’occasion et tantôt aux généraux de métier.

Tous les procédés gouvernementaux qui ont servi aux révolutionnaires de 1789 à 1900 ont été repris par le soviétisme ou le fascisme, dans leurs différentes incarnations.

La Révolution française a évolué dans un cadre patriotique, contrat-social-unilatéral, exclusiviste, prépondérance-de-classe, impérialiste, silénce-aux-minorités-remuantes. — Le nier, c’est ignorer son histoire.

L’avocat De Robespierre et l’officier de fortune Di Buonaparte appartiennent tous deux au tiers état, comme l’ex-copain Mussolini et le camarade Lénine, d’ailleurs. L’ex-franc maçon Primo: de Rivera se rattache à la même classe. Ce dernier a même intitulé son gouvernement « Directoire », touchant rappel de la Grande Révolution et de l’expédition d’Egypte.

Ceux qui prétendent que la visite de cet excellent ami de la France et du Maroc est un outrage aux souvenirs qu’évoque le 14 juillet, ou plaisantent ou montrent leur ignorance de l’histoire de la Révolution et des conséquences qu’elles a eues pour l’humanité en général.

Il est regrettable qu’on n’ait pas invité cet autre révolutionnaire-profiteur-bourgeois-prolétaire, le camarade Abd el Krim, son harem, ses 80 colis et ses chameaux : tout ce beau monde se serait retrouvé en famille !

Voilà un siècle et demi que le monde étouffe sous le poids des conséquences de la Grande Révolution française — voilà cent cinquante ans que les différents peuples entre lesquels la planète est partagée entendent clamer par ceux qui les mènent, les grugent et les font s’entre-massacrér qu’ils représentent l’opinion générale, qu’ils sont la voix de la majorité ou de la minorité consciente, qu’ils incarnent les aspirations populaires où nationales de ceux qu’ils fondent jusqu’à la chair.

Quand les volontaires de Kellermann enlevèrent la redoute de Valmy aux cris de « Vive la nation », Gœthe remarqua qu’une religion nouvelle était née.

Bien sûr, « Vive la nation italienne » clame il signor Mussolini. — « Vive la nation espagnole » renchérit l’ex-franc maçon Primo de Rivera. « Vive la nation grecque », s’écrie l’ineffable Pangalos (est-ce que dans Pangalos, il n’y a pas « gallos » gaulois? ça expliquerait bien des choses). — « Vive l’Etat prolétarien » renchérissent les camarades Zinovieff, Tchitchérine, Trotsky, Staline et autres en ine ou en sky. — « Tout ce qui est national est nôtre » gueule l’archi-grand polémiste Léon Daudet. — Au-dessus de tous ces gloussements ou de ces vivats, j’aperçois, inspirateur et fatidique, le triangle révolutionnaire, sec comme le couperet de la guillotine : « La Nation et la Loi » (Nation et Loi avec des majuscules, comme il convient).

Qui donc disait que la grande Révolution française avait fait faillite ? Point de tout. La Révolution française a été l’œuvre des disciples immédiats de grands intellectuels qui en tenaient pour le « despotisme éclairé ». Tels maitres, tels disciples. Despotisme de la nation, d’une élite, d’une dictature — ce n’est qu’ure question de nuance.

Il n’y a donc pas lieu de mettre en contradiction la visite de M. Primo de Rivera et les souvenirs que rappelle « l’immortelle » date du 44 juillet — ils se complètent ou s’harmonisent, comme l’on voudra.

When the arrival in France of Mr. Primo de Rivera was announced, we heard certain comrades contrast the arrival of this ex-freemason (who, if we are accurately informed, returned his decorations to H. M. Alphonse, thirteenth of the name, the next day of Ferrer’s assassination) with the date July 14, which commemorates – some of us still remember – the Storming of the Bastille and the start of the Great French Revolution.

For my part, I do not see what is incompatible between the visit of the ex-Freemason Primo de Rivera, the date of July 14 and the French Revolution.

Let’s recap a little of the main facts in the history of the French Revolution.

The French Revolution established successively or simultaneously the despotism of majorities, the law as expression of the general will, the one and indivisible Republic, Jacobinism, the Terror, the Guillotine in permanence, the Committee of Public Safety, August 10, the days of September, the drownings of Nantes, the machine-gunning of Lyon, the infernal columns, etc., etc., — things that did not have the attraction of novelty and which had already been practiced in one form or another.

The French Revolution has thus led, one thing leading to another, to Napoleon the Great and Napoleon the Little, to Lenin, Mussolini, Primo de Rivera and others.

When ex-friend Benoît Mussolini says that he operates against the spirit and principles of the leaders of the French Revolution, he is lying — because he is not an imbecile.

Lenin, Mussolini, their emulators or their continuators are, on the contrary, right in the tradition of the leaders of the French Revolution, even when they do not realize it or pretend not to notice it. Their brains have been shaped for too long by revolutionary culture for them to free themselves from the imprint they received.

What does July 14 symbolize? —  The confiscation of power for the benefit of a class, a party, a faction other than the class, the party, the faction that possessed governmental power. To stay in power, the revolutionaries used all kinds of means: popular sovereignty, dictatorship, the annulment of elections that were unfavorable to them. Sometimes they involved the people and sometimes they had recourse to the army, sometimes to second-hand soldiers and sometimes to professional generals.

All the governmental procedures that served the revolutionaries from 1789 to 1900 were taken over by Sovietism or fascism, in their different incarnations.

The French Revolution evolved within a patriotic, unilateral-social-contract, exclusivist, preponderance-of-class, imperialist, silence-to-restless-minorities framework. — To deny it is to ignore its history.

The lawyer De Robespierre and the officer of fortune Di Buonaparte both belong to the third estate, like the ex-friend Mussolini and comrade Lenin, moreover. The ex-freemason Primo de Rivera belongs to the same class. The latter even titled his government “Directory,” a touching reminder of the Great Revolution and the Egyptian expedition.

Those who claim that the visit of this excellent friend of France and Morocco is an outrage to the memories that July 14 evokes, either joke or show their ignorance of the history of the Revolution and the consequences it had for humanity in general.

It is regrettable that we did not invite this other revolutionary-profiteer-bourgeois-proletarian, comrade Abd el Krim, his harem, his 80 parcels and his camels: all these beautiful people would have been together as a family!

For a century and a half the world has been suffocating under the weight of the consequences of the Great French Revolution — it has been a hundred and fifty years that the different peoples between whom the planet is divided have heard people proclaim by those who lead them, defraud them and force them among themselves. — massacre that they represent general opinion, that they are the voice of the majority or the conscious minority, that they embody the popular or national aspirations of those they melt down to the flesh.

When Kellermann’s volunteers captured the Valmy redoubt with cries of “Long live the nation,” Goethe noticed that a new religion had been born.

Of course, “Long live the Italian nation” proclaims Signor Mussolini. — “Long live the Spanish nation,” adds ex-Freemason Primo de Rivera. “Long live the Greek nation”, cries the ineffable Pangalos. (Isn’t there Gallic “gallos” in Pangalos? That would explain a lot of things.) — “Long live the proletarian State” add comrades Zinovieff, Tchitcherin, Trotsky, Stalin and others with an -ine or a -sky. — “Everything that is national is ours” yells the arch-great polemicist Léon Daudet. — Above all these chuckles or these cheers, I see, inspiring and fateful, the revolutionary triangle, dry as the blade of the guillotine: “The Nation and the Law.” (Nation and Law with capital letters, as appropriate.)

Who said that the great French Revolution had failed? Not at all. The French Revolution was the work of the immediate disciples of great intellectuals who believed in “enlightened despotism.” As the masters, so the disciples. Despotism of the nation, of an elite, of a dictatorship — it’s just a question of nuance.

There is therefore no reason to contradict the visit of Mr. Primo de Rivera and the memories recalled by the “immortelle” date of July 14 — they complement or harmonize, as one wishes.

La Révolution française n’ayant abouti qu’à plonger l’humanité plus profondément dans l’abîme de l’autorité, qui l’en sortira ?

J’espère — je ne dis pas davantage — j’escompte, je voudrais, je compte que ce sera LA REVOLUTION ANARCHISTE.

Qu’est-ce que la « Révolution Anarchiste » ?

C’est une révolution qui ne vise pas à établir la suprématie, l’hégémonie, la supériorité pas plus de la loi ou de la nation que d’une doctrine, d’une classe, d’une élite, d’une pratique, d’une méthode, d’un système identique et le même pour TOUS les humains, — mais QUI VEUT au contraire que tous les humains comprennent que la liberté n’est positive que lorsqu’elle est fonction de la concurrence-émulation, c’est-à-dire quand EXISTE la possibilité pour tous les individus, toutes les associations de VIVRE À LEUR GUISE selon leur façon particulière de comprendre le bonheur, que ce soit au point de vue éthique, économique où dans n’importe quelle direction.

En effet, qu’on s’y prenne comme on voudra, pour le masquer ou le déguiser, la méthode, le système où la pratique UNIQUE, c’est la stagnation, la réaction, l’autorité, le fascisme.

LA REVOLUTION ANARCHISTE veut faire consister le bonheur des humains dans la multiplicité des expériences et des réalisations, dans le pluralisme des activités individuelles ou associées, car c’est la multilatéralité, dynamique, QUI REND IMPOSSIBLE l’autorité, autre mot pour l’unilatéralité, statique.

L’affaiblissement de l’autorité, sa disparition complète est conséquence de la multiplicité des lignes de conduite et des façons de vivre sa vie, individuellement où groupés, toutes se concurrençant mutuellement, aucune ne s’imposant à l’autre, dans n’importe quel domaine.

LA REVOLUTION ANARCHISTE ne fait pas de différences entre les diverses formes d’associations ou de fédérations et revendique la possibilité pour elles — ou d’être l’œuvre d’une individualité autour de laquelle viennent se grouper des collectivités — où l’initiative d’une collectivité à laquelle viennent se joindre des personnalités.

LA REVOLUTION ANARCHISTE se réalise tout de suite, sur-le-champ, car même dans le milieu bourgeois actuel, même dans l’ambiance archiste momentanée, tout anarchiste peut être un REVOLUTIONNAIRE A L’ETAT PERMANENT, en ce sens qu’à ses risques et périls, isolé ou associé, il peut poursuivre, «en anarchie », (sans recours à la loi ou au gouvernement), le maximum possible de la satisfaction de ses besoins, désirs, appétits — la génération le suivant en réalisant davantage, si elle le peut — et ainsi de suite, jusqu’à ce que le milieu, saturé, rongé, corrodé, imbibé d’anarchisme abandonne l’archisme, c’est-à-dire l’universalité de la doctrine, la pratique de la solution unique et de la réalisation identique.

Le camarade A. Laforge, s’adressant à moi, demande, dans un récent numéro de THE ROAD TO FREEDOM, ce que les anarchistes ont fait pour aboutir à la réalisation de leur idéal. Ceci : ils se sont efforcés de démontrer la possibilité de coexistence de différentes façons de vivre sa vie, seuls ou groupés, en dehors de toute autorité coercitive ou d’ordre étatiste, sans s’imposer les uns aux autres un « credo » unique valant pour tous: les individus ou tous les groupes. En ce faisant, non seulement ils ont démontré l’inutilité de l’autorité, mais encore ils ont frayé aux humains la seule voie à suivre s’ils veulent être délivrés de l’autorité. — E. Armand.

The French Revolution having only succeeded in plunging humanity deeper into the abyss of authority, what will bring it out?

I hope — I do not say more — I expect, I would like, I reckon that it will be THE ANARCHIST REVOLUTION.

What is the “Anarchist Revolution”?

It is a revolution that does not aim to establish the supremacy, hegemony or superiority of the law or the nation, any more than of any one doctrine, class, elite, practice, method or system that is identical and the same for ALL humans, — but DESIRES, on the contrary, that all humans understand that liberty is only positive which it is a product of competition-emulation, when there EXISTS the possibility for all individuals, all associations to LIVE AS THEY PLEASE according to their particular manner of understanding happiness, whether from the ethical or economic point of view, no matter what the direction

Indeed, let one take it however they wish, to mask or to disguise it, the SINGLE method, system or practice is stagnation, reaction, authority, fascism.

THE ANARCHIST REVOLUTION wants to make human happiness consist of the multiplicity of experiments and achievement, in the pluralism of individual or associated activities, for it is the dynamic, multilateral character that makes authority—another word for static unilaterality—IMPOSSIBLE.

The weakening of authority, its complete disappearance is the consequence of the multiplicity of lines of conduct and ways of living life, individually or in groups, all in mutual competition, none imposing on the others, in every domain.

THE ANARCHIST REVOLUTION recognizes no differences between the various forms of associations or federations and demands the possibility for them — either to be the work of one individuality, around which some collectivities come to be grouped — or the initiative of a collectivity, to which some personalities come to join themselves.

THE ANARCHIST REVOLUTION is realized immediately, on the spot, for even in the existing bourgeois milieu, even in the fleeting archist atmosphere, every anarchist can be a REVOLUTIONARY PERMANENTLY, in the sense that, at their own risk and peril, isolated or associated, they can pursue, “in anarchy,” (without recource to law or government), the greatest possible satisfaction of their needs, desires and appetites — the generation that follows achieving more, if they can — and so on, until the milieu, saturated, eated away, corroded, and soaked in anarchism, abandons archism, which is to say the universality of doctrine, the practice of the single solution and identical realization.

Comrade A. Laforge, addressing me, asks, in a recent issue of THE ROAD TO FREEDOM, what the anarchists have done to achieve the realization of their ideal. This: they endeavored to demonstrate the possibility of the coexistence of different ways of living one’s life, alone or in groups, outside of any coercive or statist authority, without imposing on each other a single “credo” applied to everyone: individuals or all groups. In doing so, not only did they demonstrate the uselessness of authority, but they also paved the way for humans to follow if they wanted to be delivered from authority. — E. Armand.

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