La première impulsion
Vous me reprochez de céder trop souvent à ma première impulsion — de qualifier d’aventure ce qui n’est en réalité qu’un événement banal de ma vie ;
Vous prétendez que l’expérience aurait dû m’enseigner à être plus con-tenu et moins primesautier ;
Et vous me citez — à l’appui de ce sermon – de multiples exemples empruntés à la biologie et à toutes sortes de sciences en logie.
Vous oubliez, ô Nestor, qu’il est une différence entre vous et moi ;
Une différence dont nous sommes redevables l’un à l’autre à notre constitution physiologique — vous voyez que je me sers de votre langage – à la composition des globules de notre sang, au pouvoir de réaction de nos cellules nerveuses, que sais-je encore?
Je ne me contente pas, moi, de penser, de doser, d’analyser, de computer : je vibre.
Je vibre et c’est pourquoi je ne me refuse pas à la première impulsion; je vibre et c’est pourquoi je ne dissimule ni à moi ni à autrui — quand cela le concerne — l’objet de mes sensations. Je vibre et c’est pourquoi je vais, sans plus, vers ce qui m’attire — sur le champ, sans trop de cette philosophie qui gâterait la joie que j’escompte ou qui ternirait le plaisir que j’anticipe.
Je m’apercevrai bien, a posteriori, si mon enthousiasme s’est dépensé en pure perte — si j’ai donné ma confiance à tort;
Et lorsque je m’en serai aperçu, il sera toujours temps de faire machine en arrière, si je ne veux point pour-suivre plus loin l’expérience – de revenir à mon point de départ.
Et j’aurai sur vous, ô Nestor — sur vous qui n’entreprenez rien sans vous demandez si vos impressions ne vous trompent pas — l’avantage d’avoir goûté une sensation neuve, d’avoir tenté une expérience fraîche, de m’être lancé dans une aventure inédite.
Une aventure qui ne sera pas banale, puisqu’elle m’aura permis — ne fût-ce qu’une heure — de sentir, c’est-à-dire de jouir ou de souffrir, de pleurer ou de chanter, d’admirer ou de détester, de demeurer ou de m’enfuir.
Tous moments de ma vie que j’aurais ignorés si je n’avais pas écouté ma première impulsion.
E. Armand.
The First Impulse
You reproach me for yielding too often to my first impulse — for treating as an adventure what is in reality only a banal event in my life;
You claim that experience should have taught me to be more restrained and less impulsive;
And you cite — in support of this sermon — multiple examples borrowed from biology and all kinds of logical sciences.
You forget, O Nestor, that there is a difference between you and me;
A difference for which we are both indebted one to our physiological constitution — you see that I am using your language — to the composition of the corpuscles of our blood, to the power of reaction of our nerve cells, to who-knows-what other compositions?
I don’t content myself with thinking, measuring, analyzing, computing: I vibrate.
I vibrate and that is why I do not refuse myself the first impulse;
I vibrate and that is why I conceal neither from myself nor from others — when it concerns them — the object of my sensations. I vibrate and that’s why I go, without further ado, towards what attracts me — on the spot, without too much of that philosophy that would spoil the joy that I expect or would tarnish the pleasure that I anticipate.
I will see well enough, a posteriori, if my enthusiasm has been spent in pure waste — if I have given my confidence wrongly;
And when I realize this, there will always be time to backtrack, if I don’t want to pursue the experience any further — to return to my starting point.
And I will have over you, O Nestor — over you who undertake nothing without asking yourself if your impressions are not deceiving you — the advantage of having tasted a new sensation, of having tried a fresh experiment, of having embarked on an unprecedented adventure.
An adventure that will not be trivial, since it will have allowed me — if only for an hour — to feel, that is to say to enjoy or to suffer, to cry or to sing, to admire or to hate, to remain or to flee.
All moments in my life that I would have ignored if I hadn’t listened to my first impulse.
E. Armand
E. Armand, “La première impulsion,” Par-delà la Mêlée 1 no. 9 (15 Avril 1916): 3.
Working translation by Shawn P. Wilbur
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