La Passion Patibulaire
I
Le vent siffle, siffle, siffle !
Oh! ce vent âpre et sans répit,
Ce vent aigu comme un poignard,
Ce vent qui pénètre jusqu’à la peau
Transperçant notre vêture trop légère
— Si nous avions seulement de quoi nous habiller chaudement ;
Si seulement nous avions de quoi manger à notre faim !
Mais nos pauvres hardes sont bien trop minces, hélas,
Et trop claire notre chétive pitance.
The Sinister Passion
I
The wind whistles, whistles, whistles!
Oh! this bitter and relentless wind,
This wind keen as a dagger,
This wind that penetrates to the skin
Stabbing through our too light clothes
— If we only had enough to dress warmly;
If we only had the means to eat our fill!
But our poor rags are, alas, much too thin,
And our puny pittance too clear.
II
Le vent siffle, siffle, siffle !
Baissons la tête, courbons le dos
Puisque nous ne pouvons songer à résister,
Puisque nous ne pouvons songer à réagir;
Baissons la tête, courbons le dos
Sous le vent qui blêmit nos faces…
Ah! si ceux que nous aimons nous apercevaient
Frissonnant, tremblant, tenant à peine debout !
—- Mais il vaut mieux que leurs yeux ne nous voient pas tels que nous sommes,
Nous leur ferions trop pitié. —
Ceux que nous aimons, qui ne nous ont pas délaissés
Parce qu’entre deux gendarmes nous avons menés en prison,
Trainés devant les tribunaux et décrétés d’infamie ;
Ah ! s’ils nous voyaient, les tristes hères que nous sommes,
Secoués par le vent comme les branches d’un arbre décrépit,
Ils verseraient trop de larmes.
Mieux vaut qu’ils ne connaissent point l’étendue de notre misère.
II
The wind whistles, whistles, whistles!
Let us bow our heads and bend our backs
Since we cannot think of resisting,
Since we cannot dream of reacting;
Let’s bow our heads, bend our backs
In the wind that blanches our faces…
Ah! If those we love could see us
Shivering, trembling, barely staying our our feet!
— But it is better that they do not see us as we are,
We would pity them too much. —
Those we love, who have not abandoned us
Because we have been led, flanked by policemen, to prison,
Dragged before the courts and declared villainous;
Ah! if they saw us, the sad vagabonds that we are,
Shaken by the wind like the branches of a decrepit tree,
They would cry too many tears.
It is better that they do not know the extent of our misery.
III
Le vent siffle, siffle, siffle !
Les gardiens, les mains dans les poches, engoncés dans la capote boutonnée jusqu’au menton,
Grondent, tancent, menacent, insultent,
Et nous ne pouvons riposter,
Pauvres parias sans recours ;
Il faut marcher, marcher, marcher à la file,
Accomplir notre route sous le vent qui fouette et nous gifle.
Celui-ci ne marche pas au pas ;
Cet autre s’est affaissé sur un banc, à bout de forces;
Ce troisième est censé chuchoter on ne sait quoi à l’oreille du compagnon de douleur qui le précède ou le suit;
..Gauche…droite…marche…debout..signaler…matricule…prétoire :
Et les jurons de s’entrecroiser et de se faire écho !
Ah! si ceux qui nous sont demeurés fidèles étaient témoins de notre Passion
— La Passion des mis au ban de la société —
S’ils pouvaient parcourir à notre suite, station après station
Notre pitoyable Chemin de Croix !…
Mais il vaut mieux qu’ils ne connaissent pas la profondeur de notre souffrance.
III
The wind whistles, whistles, whistles!
The guards, hands in pockets, bundled in greatcoats, buttoned up to the chin,
Rumble, scold, threaten, insult,
And we cannot respond,
Poor pariahs without recourse;
We must march, march, march in a file,
Complete our course beneath the wind that flogs and slaps us.
This one does not march in step;
Another sinks, exhausted, on a bench;
A third is supposed to have whispered who knows what in the ear of the companion in pain who precedes or follows him;
…Left…right…march…halt…attention…number…court:
And the curses, crossing and reverberating!
Ah! If those who have remained faithful were witnesses to our Passion
— The Passion of those ostracized from society —
If they could travel in our wake, station by station
Our pitiful Way of the Cross!…
But it is better that they do not know the extent of our suffering.
IV
Le vent siffle, siflle, siffle!
Peut être vous ne le croyez pas…
— Est-ce qu’on ajoute foi aux dires de misérables tels que nous ?
— Il est vrai pourtant que maints d’entre nous, avons connu des jours heureux ;
Nous nous souvenons de la maison paternelle,
De notre père qui nous emmenait aux fêtes foraines,
Et, de temps à autre, au théâtre.
Quelle fête c’était, ces jours-là !
Oh ! que ce vent est glacial ! —
Nous nous rappelons maman, maman qui n’est plus,
Maman qui nous faisait réciter nos leçons
Au retour de l’école :
Nous revenions toujours en retard, à cause des petits camarades avec lesquels on avait joué où on s’était battu.
Maman grondait chaque fois, mais elle nous aimait; tant !
Comme elle avait soin de nous, notre bonne maman,
Comme le moindre bobo l’inquiétait!
— Ah ! si elle nous voyait dans notre misère, elle qui se donna tant de mal pour nous faire venir à bien.
Peut-être aussi que vous ne le croyez pas…
— Est-ce qu’on ajoute foi aux dires de misérables tels que nous ? —
Pourtant maints d’entre nous, nous avons une compagne que nous chérissons,
Des enfants, de petits anges, qui souvent nous ont grimpé sur les genoux,
Et nous posaient toutes sortes de questions qui parfois nous embarrassaient.
Ah ! si nos parents, nos amantes, nos compagnes, si nos petits enfants nous voyaient en cet après-midi d’hiver,
Marchant à la file, tournant en rond,
Sous le vent qui cingle notre chair, glace nos membres et nous pénètre tout entiers !
— Mais pour l’amour que nous leur portons, il vaut mieux qu’ils ignorent les affres de notre martyre.
IV
The wind whistles, whistles, whistles!
Perhaps you don’t believe it…
— Does one give credence to the words of wretches such as us?
— It is true, however, that many of of have had happy days;
We recall the house of our father,
Of our father who took us to the fair,
And, from time to time, to the theater.
What a celebration those days were!
Oh! How glacial the wind is! —
We recall mama, mama who is no longer with us,
Mama who made us recite our lessons
When we got home from school:
We always came home late, because of the little comrades we played and fought with.
Mama scolded each time, but she loves us so much!
How she cared for us, our dear mama,
How the slightest scrape concerned her!
— Ah! If she saw us in our misery, she who took on so much trouble to see us come to good…
Perhaps you don’t believe that either…
— Does one give credence to the words of wretches such as us? —
Yet many of us have loved ones that we cherish,
Children, little angels, who often climbed in our knees,
And asked, sometimes, all sorts of questions that embarassed us.
Ah! If our parents, our lovers and partners, if our little children saw us on this winter afternoon,
Marching in line, round and round in circles,
In the wind that lashes our flesh, freezes our limbs and penetrates all through us!
— But, for the love that we bear for them, it is better that they are ignorant of the pangs of our martyrdom.
V
Le vent siffle, siffle, siffle !
Hurle, vent cruel, souffle et emporte nos souvenirs !…
Dans cette demeure de damnation, il importe de perdre la mémoire.
Il convient ici de ne rêver, ni de penser ;
Il faut exister comme existent les bêtes qu’on soigne mal et qu’on maltraite ;
Et pourtant nous ne sommes pas des malfaiteurs d’envergure :
Nous sommes la racaille des voleurs, le menu fretin des escrocs ;
Nous sommes le prolétariat patibulaire ;
Ceux qui n’ont ni l’adresse, ni l‘habileté nécessaires pour glisser entre les mailles de la répression.
Les gros voleurs, les escrocs d’importance, les malfaiteurs insignes,
Ceux qui tondent jusqu’à la viande le troupeau social,
Ceux qui ramassent des rentes dans le sang et la sueur d’autrui,
Ceux qui spéculent sur le besoin public et privé,
Ceux qui déchainent les guerres et déclenchent les catastrophes ;
Ceux-là-ne-nous-tiennent pas compagnie,
Ceux-là ne sont pas en Maison Centrale à tourner avec nous, grelottant,
Sous le vent qui souffle en rafale…
V
The wind whistles, whistles, whistles!
Howl, cruel wind, blow and blow away our memories…
In this house of damnation, it is important to forget.
It is convenient not to dream, nor to think;
We must live like beasts, ill-tended and ill-treated;
And yet we are not villains of consequence:
We are the riffraff among the thieves, the small-fry among the crooks;
We are the patibulary proletariat;
Those who have neither the skill, nor the dexterity to slip through the nets of the repression.
The big thieves, the important crooks, the exceptional villains,
Those who shear the social flock to the skin,
Those who collect rents in the blood and sweat of others,
Those who speculate on public and private need,
Those who unleash wars and cause catastrophes;
They are not part of our company,
They are not here in the Maison Centrale, revolving with us, shivering,
In the wind that blows in gusts…
VI
Le vent siffle, siffle, siffle !
On nous conseille, une fois libérés, de vivre en « honnêtes hommes »
— Ah ! la belle chanson! —
On nous dit qu’après avoir été traités pis que des bêtes, il faudra oublier,
Ne plus nous remémorer les mois ou les années de tourment que-nous avons vécus,
On nous conseille de nous montrer d’autant plus doux, obéissants, dociles et serviles que nous avons été davantage malmenés.
— Ah ! la belle chanson —
Bon nombre d’entre nous, nous laisserons nos os ici à n’en point douter ;
Et, quant au reste de nous autres, qui en réchapperons vivants,
Comprenez-vous, ô honnêtes gens,
O honnêtes gens qui nous laissez croupir et pourrir dans ce cercle de damnés,
Que ce sera notre vengeance de ne point nous repentir,
De reprendre nos métiers inavouables, nos professions ignobles.
O honnêtes gens, l’effroi que nous vous inspirons,
Vos inquiétudes, vos méfiances, vos suspicions et jusqu’à vos nuits sans sommeil
C’est notre vengeance, à nous les rejetés de la société !
— Oh! que ce vent nous fait mal ! —
Certes, nous préférons aller achever notre misérable destin dans les bagnes de la Guyane
À renoncer à cette vengeance,
— La seule que nous puissions savourer, ô honnêtes gens —
De savoir qu’à votre tour vous grelottez et vous frissonnez — mais de peur —
Parce que nous ne nous sommes pas avoués vaincus.
Nimes, Maison centrale, février 1919.
E. Armand.
VI
The wind whistles, whistles, whistles!
We are advised, once released, to live as “honest men”
— Ah! Easier said than done! —
They tell us that, having been treated worse than beasts, we must forget,
Recall no longer the months and years of torment that you have lived,
We are advised to be all the more gentle, obedient, docile and servile as we have been mistreated.
— Ah! Easier said than done! —
A good number of us will doubtless leave our bones here;
And, as for the rest of us, those others who come through living,
Do you understand, you honest people,
Honest people who left us to languish and decay in this circle of the damned,
That is will be our vengeance to not repent,
To again take up our guilty trades, our vile professions.
Oh, honest people, the fright that we inspire in you,
Your worries, your mistrust, your suspicions and even your sleepless night
That is our vengeance, we the rejects of society!
— Oh! How this wind hurts us! —
Indeed, we would prefer to go and fulfill our miserable destiny in the penal colony of Guyana
To renouncing that vengeance,
— The only one that we can savor, honest people —
To know that, in your turn, you tremble and you — but with fear —
Because we do not admit defeat.
Nimes, Maison centrale, February 1919.
E. Armand.
E. Armand, “La passion patibulaire,” L’En dehors 2 no. 7 (fin Février 1923): 2.
[English adaptation by Shawn P. Wilbur]
Note: The term patibulary refers to the gallows, so the transformation of the Passion of Christ and the Stations of the Cross to this prison-Passion, with its stations on the way, perhaps, to the gallows, is perhaps not so big a thing.