No. 1 (June, 1945)
- E. Armand, “Le fil renoué,” L’Unique 1 no. 1 (Juin 1945).
- E. Armand, “Variétés: Pluralité,” L’Unique 1 no. 1 (Juin 1945).
- E. Armand, “Défi,” L’Unique 1 no. 1 (Juin 1945). (FR/EN)
- Tendances et thèses principales du centre « L’Unique »
Le fil renoué
Sauf de rares exceptions, chacun de ceux auxquels ce bulletin est adressé a reçu une circulaire lui annonçant la publication d’un organe destiné à se substituer à « l’en dehors » », supprimé, comme on sait, à la fin de 1939.
Exprimer notre joie à la pensée de rentrer, après une si longue séparation, en relation avec nos anciens abonnés, cela dépasse nos capacités d’écrivain. Ce qu’il importe, c’est de déterminer à l’usage de qui est destiné « l’unique » [1].
Il est évident que les circonstances s’étant modifiées, nos campagnes pourront être autres que celles que nous menions avant la catastrophe de 1939. Sur certaines questions, nous avons dit tout ce que nous avions à dire. D’autres préoccupations nous accaparant, les sujets que nous entendons développer différeront peut-être quelque peu de ceux que nous exposions alors. Non pas que nous abandonnions un pouce de notre programme de toujours : négation de l’archisme, c’est-à-dire de la nécessité de la contrainte ou de l’immixtion étatiste, gouvernementale, administrative pour établir ou régler les accords ou les rapports entre les hommes,. Nous restons ce que nous avons toujours été.
Avant d’aller plus loin, je tiens à remercier — car je considère la reconnaissance et la gratitude incluses dans la pratique de la camaraderie « pour de vrai » — tous ceux qui m’ont permis de faire paraître ce bulletin et sans l’aide desquels je n’aurais certes pas pu le faire. Qu’ils nous aient remis ou envoyé dix francs ou mille francs, je leur en sais un gré très vif. Sans eux, nous n’aurions pu renouer le lien qu’avait rompu l’épouvantable tuerie qui vient de finir, en Europe pour commencer.
Voyons maintenant à qui s’adresse « l’unique » :
Ce bulletin est destiné, en principe, à une certaine catégorie de personnes sélectionnées dans l’ambiance sociale et que, faute d’un vocable plus approprié, nous nous obstinons à désigner sous celui d’« individualistes à notre façon » — les seuls individualistes qui nous intéressent, bien entendu. L’individualiste « à notre façon » est, par rapport à l’éthique et à l’esthétique de la bourgeoisie, des écoles, ou du plus grand nombre, ou de l’environnement social, un non-conformiste, un « en dehors », un « en marge ». Il a réfléchi, il a débarrassé son cerveau de tous les « fantômes » abstraits ou métaphysiques qui le hantaient quand il flottait au gré du courant, emporté comme un bouchon sur les flots du « comme tout le monde », du moins, il s’est efforcé de le faire. » Il s’est créé une personnalité qui « résiste », c’est-à-dire qui ne se laisse pas entamer par les clameurs, les emballements, les vociférations ou les sursauts de la foule. Il veut savoir où il va, non sans avoir médité longuement quant à la route à suivre, sans jamais perdre de vue que ce qu’il appelle sa « liberté » est conditionné par sa « responsabilité ».
Qu’est-ce encore que « notre » individualiste ? C’est celui qui est uni à ceux de « son monde » par la camaraderie, laquelle est considérée ici comme « une assurance volontaire que souscrivent entre eux des individualistes pour s’épargner toute souffrance inutile ou évitable ». Or, cette définition date de 1924, c’est-à-dire compte plus de vingt ans. « Notre conception de la camaraderie — écrivais-je dans « l’e.d. » d’août-septembre 1939, le dernier fascicule paru — est POSITIVE et non négative, CONSTRUCTIVE et non destructrice. » C’est pourquoi elle est créatrice de bonne volonté, de paix, de contentement, de plaisir, d’entente, d’harmonie, etc. C’est pourquoi elle tend et veut sans cesse réduire au minimum la douleur de vivre, et cela dans un conglomérat social qui, pratiquement, s’en insoucie. « Et cela sans faire appel ni à la protection de l’État, ni à l’intervention du gouvernement, ni à la médiation de la loi. »
L’individualiste « à notre façon » n’est pas seulement cerveau, esprit, pensée. Il n’est ni sec, ni indigent de coeur. Exclusivement raisonnable ou raisonneur, il s’avère incomplet, d’où nécessité pour lui d’être également sensible et sentimental. C’est ce qui explique son dessein d’éliminer de « son monde » la souffrance inutile ou évitable. Il a compris que cela est possible quand on parle et entend « le langage du coeur », quand on préfère l’entente à la lutte, l’abstention au déclenchement d’actions dictées par l’amertume, l’animosité ou la rancune.
L’individualisme tel que nous le concevons et l’exposons se conçoit sérieusement, sans équivoque, passionnément. Il postule la rectitude, la constance, la réciprocité, le support, la compréhensivité, voire la pitié. Il implique la fidélité à la parole donnée, quel que soit le domaine que concerne l’obligation, le souci de ne s’immiscer sous aucun prétexte dans les affaires (à moins d’une intervention sollicitée) ou d’empiéter sur l’acquis d’autrui-camarade, ni de lui retirer cet acquis un fois accordé, sauf en cas de confiance trahie. Cet individualisme-là ne veut pas faire couler les larmes, produire d’inquiétude, de tracas, de tourment, de déconvenue, de désillusion. Sa liberté d’affirmation s’arrête là où elle menace d’être pour autrui-camarade un facteur de peine ou un instrument d’éviction.
Qu’on ne se méprenne pas pourtant sur le compte de l’individualiste à « notre façon ». Ce n’est pas un moraliste. Il répugne aux « mensonges conventionnels », aux faux-semblants petit-bourgeois. Il a fait, litière des idées préconçues, des opinions toutes faites, il a basé sa cause sur « rien » d’extérieur à lui. Mais il sait aussi qu’en général « un sain individualisme est parfois fort exigeant ». Il n’ignore pas que le contrat tacite lie bien davantage que le contrat rédigé en bonne et due forme, la loi non écrite que la loi écrite.
Il répudie la violence, l’imposition, la contrainte, ce qui ne veut pas dire qu’il accepte d’être exploité, dupé, bafoué, infériorisé, peu importe son apparence extérieure ou le stade d’existence qu’il parcourt. Il ne voudrait recevoir plus qu’il ne donne, ni donner moins qu’il ne reçoit. Il est fier. Il a conscience de sa valeur personnelle, il « se fait valoir », il ne lui plaît pas qu’on lui fasse affront, qu’on le diminue, qu’on le traite en parent pauvre. Contre ceux qui l’humilient, l’abaissent, le rabrouent, l’éclaboussent, lui manquent de parole, il réagit en se considérant comme en état de légitime défense… Ceux qui en pâtissent n’ont qu’a s’en prendre à eux-mêmes.
Ah ! certes, l’individualiste « à notre façon » aime la vie. Il proclame la joie, il magnifie la jouissance de vivre — le plus souvent discrètement, sans accompagner cette exaltation de démonstrations bruyantes et extérieures. Il reconnaît sans détours qu’il a pour lui son bonheur. Il vibre à tout ce qui contribue à le rendre plus émotif, plus appréciateur des produits de l’imagination humaine ou des utilités naturelles. Point ascète, la mortification lui répugne. Il a conscience de se dignité personnelle. Il se recueille et il se dépense. Il inédite et il se prodigue. Il s’insoucie du qu’en dira-t-on. Il n’est ni jeune ni vieux : il a l’âge qu’il se sent. Et tant qu’il lui reste une goutte de sang dans les veines, il combat pour conquérir et maintenir sa place au soleil.
Mais cette joie, cette jouissance de vivre, cette conquête de la vie hors-préjugés, il n’entend pas l’acquérir, la marchander au prix de la souffrance de son ami, de son camarade, au détriment du plus humble ou du plus déshérité de ceux de « son monde ». Il se refuse, à l’égard de celui-ci, à jouer le rôle d’un fauteur de trouble, d’un artisan de douleur, d’un créateur de ressentiment. Il se révolte à l’idée qu’à cause de lui, l’un des membres de sa « famille d’élection » — ami ou camarade — pourrait être minimisé, désavantagé, situé sur un plan secondaire, frustré dans ses espoirs, refoulé dans ses affections, limité dans ses élans ou ses aspirations. DE PAR SA FAUTE Il ne se pardonnerait jamais d’être tombé aussi bas.
Aussi ne veut-il rien avoir de commun avec ces nietzschéens à la flan ou ces stirneriens à la petite semaine qui s’imaginent — les pauvres hères — avoir « affirmé leur individualité » ; celle-là, par exemple, parce qu’ayant reçu un billet, de cinq cents francs pour faire de la monnaie. la camarade qui le lui avait confié ne l’a plus revue, — celui-ci parce qu’il a « soulevé » l’amie d’un copain embastillé derrière des barreaux ou des barbelés.
En bref, l’individualiste à notre façon a horreur des brutes, des crétins, des tartuffes, des pognonistes, des combinards, des estampeurs, des mufles, des prostitués, des saligauds et des garces de toute espèce et de tout acabit, n’importe l’idéologie derrière laquelle ils se camouflent.
Il sait cependant faire la part du feu. Il suit que la pratique ne suit pas toujours de près la théorie et que « si l’esprit est prompt, la chair est faible ». Il n’en veut pas à ceux de « son monde » de leur impuissance, de leurs inconséquences, de leurs faiblesses. Il excuse volontiers. Les « concessions » lui sont familières. Tout ce qu’il demande, tout ce qu’il réclame, c’est que là où un tort, ou un dommage a été causé, de la souffrance infligée, le nécessaire, tout le nécessaire soit fait pour que soit réparé le tort ou le dommage, apaisée la douleur et rétablie la situation compromise. Mais là-dessus, il ne transige pas.
Au sein d’une ambiance sociale où, malgré les discours pompeux et les déclarations ampoulées, on fait trop souvent fi de l’engagement pris, où l’on traite avec légèreté les problèmes d’ordre éthique ou sentimental, où l’on s’insoucie trop fréquemment de léser, de blesser, d’ulcérer son « prochain », où l’on pratique l’indifférence et l’impassibilité et le « débrouille-toi comme tu pourras » d’écoeurante façon, notre conception de la camaraderie, telle qu’exposée plus haut, se dresse comme une sauvegarde ou, si l’on veut, comme un phare, rappelant qu’il est encore des unités humaines capables de « résister » aux séductions des appétits de bas aloi ou aux enchantements d’un grossier arrivisme.
Nous sommes persuadés que « l’individualiste à notre façon » compte, épars çà et là, des affinitaires partageant les manières de voir exposées ici — et plus nombreux qu’on l’imaginerait au premier abord — tâchant de « sculpter » leur personnalité, de la débarrasser des souillures et des imperfections qui l’empêchent de se produire en pleine clarté, rebelles au déterminisme grégaire et décidés à soumettre idées et faits au prisme de leur propre examen. C’est ce qui nous a fait les désigner comme « une espèce », psychologiquement à part dans le genre humain. C’est à ceux-là que l’unique est destiné.
Nous considérons « l’association » comme une forme concrète de la camaraderie, qu’elle se présente sous un aspect coopératif ou mutuelliste,, etc…, et. pourvu qu’elle soit le fruit de l’étude préalable des tempéraments des futurs associés. Nous savons parfaitement que si dans l’association, notre personnalité s’affirme et multiplie sa force, que si le but recherché est atteint, c’est aux dépens de notre « liberté ». Quand il s’associe, l’individualiste « à notre façon » accepte, avec les avantages, les désavantages qui en découlent. et cela sans maugréer.
L’unique ne s’occupera pas de politique et on ne traitera ici, je suppose, que fort peu d’économie sociale. D’autres organes s’en occupent bien mieux et de façon plus documenté que nous saurions le faire. À quoi bon un double emploi ? Pour « notre » individualiste, la résolution de la question sociale est fonction de la conscience personnelle. On ne trouvera pas non plus ici une seule ligne de polémique à l’égard d’autres mouvements apparentés au nôtre d’une façon ou d’une .autre et poursuivant leur carrière selon le déterminisme de leurs animateurs. Il y a assez de place sur la planète pour que chaque tendance non-conformiste ou an-archiste se déploie selon ses desseins ou ses nécessités. Nous avons toujours oeuvré en « franc-tireur », en « partisan », nous et continuerons, Nous n’envions ni ne jalousons ces mouvements ou ces milieux et leur souhaitons de tout coeur le succès et la réussite que mérite un effort sincère.
Voila un bien long bavardage. Mais songez qu’il y a cinq à six ans que nous nous sommes perdus de vue. Je n’ignore pas que maintes des thèses développées ci-dessus ne sont pas nouvelles pour vous. J’ai pensé cependant qu’après un mutisme aussi prolongé, il n’était pas superflu de les faire sortir de l’ombre où elles sont demeurées si longtemps ensevelies. Et qui sait combien de temps encore il me sera réservé de m’entretenir avec vous ?
TRANSLATION
Défi
Je sais que vous tournez en dérision ceux à qui leurs cheveux blancs n’interdisent pas d’aimer, car je vous connais bien, vous qui prétendez que l’amour n’a qu’un temps, et qui, persiflant, accommoderiez ainsi l’alexandrin du fabuliste : « Passe encor de bâtir, mais aimer à cet âge » s’il était toutefois présent à votre mémoire. Je vous connais bien, mais je ne crains pas de relever le défi ; sournois ou exprimés, vos sarcasmes me laissent indifférent et je ne les redoute pas, car je me sens de la race de ceux qui ont chéri la vie jusqu’à leur soupir ultime et, sages parmi les sages, ont compris que si l’amour ne l’ennoblit pas jusqu’à la fin, elle ne vaut pas la peine d’être vécue.
Je me sens de la race de ceux qui, jusqu’au bord du noir abîme dont nul n’est jamais remonté, sont capables de tendresse et d’amour et de fidélité à leur tendresse et à leur amour. Je veux qu’il en soit ainsi, archer qui tend à l’extrême l’arc de sa volonté, je le veux parce que j’obéis ainsi à l’impulsion de mon énergie naturelle, je le veux ainsi, parce qu’en cette obéissance, j’affirme ma personnalité. Sans doute ai-je de l’amour une autre conception que la vôtre, car j’ai surpris plusieurs d’entre vous s’entretenant de ces choses si bassement ,qu’il m’est arrivé d’avoir honte d’appartenir à l’espèce humaine, de me dégoûter d’être un homme !
Ah ! ne me parlez plus de la Grèce et du miracle grec ! Ces sources sacrées et ces collines inspirées et toutes ces forces de la nature que les grecs avaient déifiées, elles existaient depuis que le monde était monde et n’avaient rien perdu de leur fraîcheur. L’émersion de l’Ida, celle de l’Olympe, remontait à quelque lointain plissement géologique, Apollon, Dionysos, Eros, Pan, les nymphes, les satyres, les faunes, les sylvains n’avaient point permis au temps de mordre sur leur éternité, et ce miracle grec qui n’a jamais effleuré votre front de son aile, consista à douer de tant d’immortelle jeunesse les dieux les plus anciens, que lorsqu’ils aimaient ils avaient toujours vingt ans ! !
E. ARMAND.
20 novembre 1941
Challenge
I know that you mock those whose white hair does not forbid [them from] loving, for I know you well, you who maintain that love has only a time, and who, mocking, would thus adapt the alexandrine of the fabulist—“It is one thing to build, but to love at that age!”—if you happened to remember it. I know you well, but I am not afraid to take up the challenge; underhandedly or openly expressed, your sarcasm leaves me indifferent and I do not fear it, for I feel I am part of the race of those who have cherished life to their last breath and, wisest of the wise, have understood that if love has not ennobled life until its end, it has not been worth living.
I count myself among the race of those who, right to the edge of the black abyss from which no one has ever climbed back out, are capable of tenderness and love, and of fidelity to their tenderness and love. An archer who stretches the bow of his will to the utmost, I want it to be this way; I want it because in this way I obey the impulsion of my natural energy; I want it this way because in this obedience I affirm my personality. Doubtless I have a different conception of love than your own, for I have caught several among you talking of these things in such base terms that I have felt ashamed to belong to the human race, disgusted to be a man!
Ah! do not speak to me of Greece and the Greek miracle! These sacred springs and these inspired hills and all these forces of nature that the Greeks had deified, they had existed since the world began and had lost none of their freshness. The emergence of Ida, like that of Olympus, dated back to some far-off geological folding. Apollo, Dionysos, Eros, Pan, the nymphs, satyrs, fauns and sylvans had not allowed time to bite into their eternity, and this Greek miracle, which has never brushed your brow with its wing, consisted in endowing the oldest gods with so much eternal youth that when they loved they were always twenty years old!!
E. ARMAND
November 20, 1941.
Tendances et thèses principales du centre « L’Unique » (Les Amis d’E. Armand)
Culture et éducation individuelle. — La vie comme volonté et responsabilité. — La violence, (dominisme, imposition, exploitation, etc.,) comme origine des guerres. — La réciprocité comme éthique de la sociabilité. — En attendant un monde où la souffrance aura été réduite à un minimum infime, son élimination des rapports conditionnés par l’amitié et la camaraderie. — Fidélité à la parole donné et aux clauses des pactes librement consentis, et ce dans tous les domaines. — Associationisme, cooperatisme, mutuellisme volontaires et contractuels dans toutes les branches de l’activité humaine — Libération des préjuges concernant la race, l’apparence extérieure, l’inégalité des sexes, la condition social, etc. — La vie personnelle comme une oeuvre d’art. — Le non-empiètement sur le rayon d’activité d’autrui comme limite de l’expansion de la personnalité. — Eugénisme raisonné et Naturisme réfléchi. — Combat contre la prostitution sous toutes ses formes et contre l’idée de la femme considérée uniquement comme une « nécessité physiologique ». — La sensibilité, l’esprit de compréhension et de conciliation, la lutte centre le « tant pis peur toi » facteurs de vitalité intérieure. — Pratique du « balayer d’abord devant sa porte » avant de s’occuper des affaires d’autrui. — Intérêt aux milieux libres, colonies libertaires, écoles hors-série. — Pluralisme des amitiés, exclusif des préférences et des privilèges. — Au cas d’attention spéciale dans un sens quelconque, celle-ci joue incontestablement en faveur de qui a souffert davantage à cause de la diffusion ou de la réalisation de l’une ou l’autre ou plusieurs des thèses ci-dessus.
TRANSLATION
No. 2 (July, 1945)
- E. Armand, “La course au pognon,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “Nos disparus,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “Entre nous,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “Variétés: Pluralité,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “« L’Unique », les familles d’élection et les amitiés multiples,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “Poème pour l’amie,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
- E. Armand, “L’imprimé, la scène, l’écran, les expositions,” L’Unique 1 no. 2 (Juillet 1945).
La course au pognon
On a beaucoup ergoté et discouru sur les méfaits de l’argent. On l’a stigmatisé comme le séducteur et le corrupteur par excellence. Que n’obtient-on avec cet ardent métal — ou plutôt avec ces billets assez ternes dont les derniers mis en circulation ne brillent pas par leur esthétisme ? Avec de l’argent on achète les consciences, selon un cliché bien connu, c’est-à-dire qu’on arrive à faire dire ou écrire à maints écrivains ou orateurs le contraire de leur pensée ou de leur opinion. L’« à droite » se mue en « à gauche », le partisan des systèmes totalitaires se transforme en un farouche anti-totalitariste, l’incroyant en croyant, le révolté en chien de garde de tel ou tel capitaliste. L’argent fait pencher la balance de Thémis du côté du nanti ou du bien-pensant. Il n’est jusqu’à la femme dite « honnête » qui ne consente, pour un chèque, à servir de déversoir au trop plein des génitoires de quelque mâle pourvu d’un dépôt bancaire respectable. Pour de l’argent, le politicien renie volontiers ses promesses, on ne le sait que trop. Et nous savons aussi qu’il est des contrées où l’on n’évalue l’individu qu’en fonction de son compte en banque.
« Faire de l’argent », à n’importe quel prix, de n’importe quelle façon, telle est la préoccupation majeure de nombre de nos contemporains, chenus ou à peine sortis de l’enfance. On se procure tant d’objets — utiles et très souvent inutiles — avec de l’argent. Les pognonistes sont devenus légion et le pognonisme atteint les membres de milieux ou de groupements qui, par leur origine, leurs aspirations ou leur raison d’être, semblaient devoir être â l’abri de la contamination. Ma « longue expérience » m’a permis d’en rencontrer de ces ex-camarades, plus ou moins enrichis par le négoce ou l’industrie, qui ne s’intéressaient plus à aucun mouvement d’idées, qui s’insouciaient de la culture de leur personnalité, qui ne songeaient plus qu’à « bien vivre », comme ils jargonnent. Le portefeuille bien garni, élégants et désinvoltes, ils traversaient la chaussée, afin d’éviter de reconnaître tel de leurs anciens copains, lequel, parce qu’il avait refusé de sacrifier au veau d’or, déambulait sur le même trottoir qu’eux, mal rasé, le veston élimé, le pantalon rapiécé et les brodequins fatigués. D’autres, plus hypocrites, continuaient à mener une vie sans apparat, à s’intéresser à des idées généreuses, à en discuter, si besoin était, avec des amis moins fortunés, mais cela sans cesser d’exhausser la pile de banknotes qui s’amoncelait dans leurs coffres. Or, il était évident que, même pour vivre confortablement, une telle accumulation n’était pas nécessaire et que la toujours plus grande extension donnée à leurs affaires ne se justifiait plus, l’avoir qu’ils avaient acquis leur permettant de vivre sans se soucier du lendemain.
On m’a objecté que dans la société telle qu’elle est constituée — et il faut bien, en attendant, la prendre comme elle est, — l’argent assure l’indépendance individuelle. Je ne nie pas la part de vérité que renferme cette assertion : les revues atteignent un prix élevé, les livres se vendent très cher, les voyages sont coûteux, etc. Et je ne parle pas de l’habillement, l’apparence vestimentaire ne nous intéressant que médiocrement. Enfin, il y a la question de l’alimentation, celle du logement, des distractions. Tout cela est vrai. Mais l’individualiste à notre façon s’aperçoit bien vite que la course au pognon, loin d’assurer l’indépendance au poursuivant, a tôt fait de le réduire en esclavage. C’est que, dans la majorité des cas, les coureurs ne font pas halte, une fois un but atteint, un but raisonnable. Ils ne se montrent jamais satisfaits. Il y a toujours quelque chose d’autre à acquérir — un quelque chose d’autre qui, à la réflexion, ne s’avère nullement indispensable à la vie quotidienne — un quelque chose de parfaitement inutile à la culture ou au perfectionnement de la personnalité. Et les voilà volant vers un nouvel objectif, c’est-à-dire vers un nouvel empilement de papier-monnaie. Ce nouveau but conquis, ils repartent, sous un prétexte quelconque, et recommencent, recommencent, recommencent…
Il en est qui ne thésaurisent pas, qui dépensent au fur et à mesure de ce qu’ils amassent — l’argent étant fait pour rouler, comme ils disent ; mais, quelle qu’en soit la raison, le montant de leurs dépenses s’accroît sans cesse, dépasse toujours celui de leurs recettes, d’où nouvel effort en vue de collecter les fameuses vignettes, originairement destinées à leur affranchissement. Les uns et les autres — thésauriseurs ou prodigues, avares ou dépensiers — ne sont au fond que des esclaves, de misérables esclaves, incapables de se libérer d’une obsession qui les enveloppe, les étreint, les possède, leur fait accepter toutes sortes de servitudes, d’humiliations, de bassesses, les fait consentir à toutes sortes de déchéances. Incapables de réagir, ce ne sont plus que de pauvres pantins, des marionnettes auxquelles l’appât d’une liasse de billets de banque fera perdre toute fierté, toute dignité personnelle.
Il va de soi que l’individualiste n’acceptera jamais de se laisser actionner ou manoeuvrer par une passion aussi avilissante et absorbante que « la course au pognon » ; il sait se retirer a temps de l’arène — au moment exact où il se rend compte qu’il risque d’être incapable de maîtriser son attelage. Mais, à parler net, « notre » individualiste a-t-il jamais pris part a celte course dégradante ? Ses besoins sont modestes, ses appétits facilement apaisables, ses goûts simples. La mondanité, la superfluité, le luxe, le tape à l’oeil, le clinquant, le « chiqué », en bref le superficiel, tout cela lui est étranger. Que ferait « notre » individualiste dans le camp ou la compagnie des « pognonistes » ? Ils n’ont jamais été, ils ne sont pas, ils ne seront jamais de son monde.
TRANSLATION
Nos disparus
Actorie (Roland), de Saint-Ouen. — Arnaud, de Gennevilliers. — Arnyvelde, (André). — Barbedette (L.). — Barier, d’Orléans. — Bastien, d’Amiens. — Bécan. — Benoît, de Montauban. — Noélie Besse, de Bergerac. — Bonneau, de Tours. — Capatana d’« Artistocratie ». — Paul Caubet. — Fanny Clar. — Raoul Colin, d’Orléans. — Richard Delrieux, d’Octeville. — Jean Desthieux, de Nice. — André Dupeyre, d’Orange. — Sébastien Faure. — Emile Flaincain, du Pecq. — Blanche Fortin. — Albert Fua. — Auguste Galinier, de Lezignan. — Clotaire Gigault, de Vennecy. — Giraut, de Loches. — Gabriel Gobron. — Henri Grand, de Limoges. — Docteur Grémillon (Mariavé). — Maurice Heine.—Jean-F. Hérail, de Paris. — A. Huleux, de Villeparisis. — P. Ironde, de Clamart. — Claude Journet. — Jean Kernanec, de Paris. — Lemaire, d’Olivet. — Albert Lecomte, de Romorantin. — René Maserier, d’Elbeuf. — Maurice Magre. — Victor Margueritte. — Marcel Martinet. — Pierre Mille. — A. Mosnier, de Paris. — Jules Neugues, de Pommiers. — L. Normand, d’Epernay. — Gustave Pampouille, du Bouscat. — Roger Parsonneau, de La Rochelle. — Félix Pélissier, de Paris. — Alfred Perdrix, de Puteaux. — Alexandre Pesté, d’Alger. — Philippon, dit Philippe. — Anna Reboul, d’Arles. — V. Spielmann, d’Alger. — Paul Vigné, d’Octon. — Maurice Wullens. — Henri Zisly.W. -A. Adrien, de Paris. — Bertie Albrecht, décapitée à la hache à Fresnes. — Haushalter, de Genève. — Eugène Humbert, victime d’un bombardement, à Amiens, la veille de sa libération. — Le Normand, de Houilles. — R. Lepoil, de Paris. — Léon Marinont. — Denys Parazols, de Marseille, mort à Bry-sur-Marne. — M. Ryan, de Bazarnes. — Gustave Lanoire, de La Réole. — Pierre Ramus (Grossmann) mort à bord du navire le conduisant au Mexique.Elisée Perrier, d’Aimargues. — Sébast. Boulet, d’Ayguatébia. — Odile Laurent, de Nogent (S.). — André Delchet, de Mulhouse. — Antoinette Benedictus, de Paris. — Hervé Coatmeur, de Brest. — Elisée Raynard, d’Andrézieux. — L.-E. Carré, d’Angicourt. — Jean Vignez, de Penhars. — Marius Méneï, de Belgentier. — Mree. Godaert., de Levallois-Perret. — Balanec, de Couéron. — Ed. Pasquet, de Gris-Bleu. — G. Deschamps, de Valenciennes. — Raymond Lhéridand, instituteur, de Bieuzy-Lanvaud, par Pluvigner., fusillé par les Allemands le 21 juin 1944. — Jeannot, de Landivisiau. — Michel Francart, de Verviers, fusillé.
On trouvera dans ce fascicule un article de P. Caubet qui devait paraître dans l’e d. si celui-ci n’avait pas été supprimé. Le N° 1 contenait une fantaisie de Roland Actorie, dans le N° 3 sera insérée une étude de L. Barbedette. Nous devions bien cela à leur mémoire. Je reviendrai sur la vie et l’oeuvre de Zisly, dont j’ai déjà dit quelques mots dans un récent numéro de « Ce qu’il faut dire ».
E. A.
TRANSLATION
Entre nous
Pour toutes sortes de raisons, mon intention première était de ne sortir l’Unique qu’en octobre, c’est-à-dire après la période dite des vacances, mais devant les marques d’encouragements suscitées par l’envoi de notre circulaire, informant la plupart des anciens abonnés de « l’en dehors » de mon dessein de reprendre notre activité, j’ai cru bon de lancer un premier numéro en juin. Cependant le prochain fascicule portera la date d’août-septembre et ne paraîtra que dans la première quinzaine de septembre.
Dans ce fascicule, nous entretiendrons nos abonnés des frais occasionnés par l’envoi des circulaires dont il est question plus haut, du coût de « l’Unique », des frais de port auxquels son expédition donne lieu, etc.
E. A.
TRANSLATION
Pluralité (2)
Lionel. – Badiner avec l’amour, en plaisanter est le propre de la bête de troupeau ou de l’assidu des maisons closes. Traiter à la légère des sentiments est le propre des esprits superficiels, frivoles, qui ne savent pas ce que c’est qu’aimer, se sentir complété, achevé, accompli par un autre être à un point tel que, sans lui, — sans eux, quand il y a pluralité, — votre vie vous apparaît mutilée, vide, dénuée de tout ce qui peut la rendre supportable, douce, fleurie, illuminée. Je plains les sous-hommes qui ne voient dans l’amour que la satisfaction d’une nécessité d’ordre physique, et même en serait-il ainsi que je ne comprendrais pas qu’on en plaisante davantage que de toute autre nécessité physiologique. Qu’on me qualifie de moraliste, je m’en moque, mais je n’ai que pitié pour les incultes, les faiseurs de bons mots, qui tournent en ridicule les sécrétions de l’organisme humain, quelles qu’elles soient.
Fabienne. – Voilà ce qui me plaît tant en vous deux, en toi en Roland. C’est que vous répugne l’amour envisagé comme un simple impératif physiologique… Rien ne m’éloigne plus d’un homme ou d’une femme que la conviction qu’il considère son partenaire comme un instrument de plaisir, c’est-à-dire, pour l’homme, quand on y réfléchit bien, comme le déversoir d’un trop-plein glandulaire gênant.
Claire. – Non pas – et je te sais d’accord avec moi là-dessus – que la volupté qui résulte des manifestations amoureuses – et j’ajoute : peu importe le moyen par quoi elle est obtenue, cette volupté – comporte quoi que ce soit de répugnant ou de blâmable en soi, mais ce qui me fait horreur, c’est l’amour physique envisagé comme une fin en soi, c’est-à-dire considéré autrement que comme l’accompagnement du duo que constitue l’attraction éprouvée et voulue de deux êtres sélectionnés en raison de leurs qualités de coeur et d’esprit – et on peut remplacer duo par trio ou quatuor. Qu’est l’amour physique s’il n’est pas l’accompagnement d’une éthique et d’un sentiment ? Une harpe sans cordes, un vaisseau sans mâture, un aigle sans ailes…
Roland. – Voyez-vous, l’amour est bien recherche de complément éthique, sentimental, physique, attirance vers tels ou tels êtres affinitaires, mais il est aussi autre chose. C’est un véritable dédoublement de la personnalité, au cours duquel les êtres que vous aimez se muent en autant d’autres vous-mêmes, où vous vous transformez en autant d’autres eux-mêmes. L’amour égale consommation mutuelle, si je puis me servir de ce terme à la Stirner. Ces êtres vous consomment sans rencontrer en vous de réticences ou de dérobades ; vous les consommez sans rencontrer en eux de réserves ou d’hésitation. Vous leur abandonnez tout, ils ne gardent rien. Et si, pour tous ceux qu’on aime, il en va autrement, on n’obtient que tourments et larmes.
Lionel. – Aimer, c’est renoncer à se tenir sur la défensive à l’égard des aimés. En amour, il n’est pas d’empiétement possible sur la personnalité des aimés. Puisqu’il y a autant de vous en eux que d’eux en vous. Sans cette interpénétration psychologique, il n’est pas d’amour, de véritable amour.
Fabienne. – Et., cependant, il n’y a, dans cette interpénétration réciproque, ni dépendance ni sujétion.
Lionel. – Évidemment. Il n’y a qu’à en revenir aux liens qui nous unissent, tous les quatre ; à notre petite alliance. Ne sommes-nous pas parvenus à ce point d’intercompréhension mutuelle que nous ne saurions concevoir que l’un de nous soit une occasion de soucis pour n’importe lequel des trois autres, lui cause une peine quelconque ? Ne sommes-nous pas, pris individuellement, pour chacun d’entre nous, ce que celui-ci attend que nous soyons : affectueux, aimant, caressant, tendre et passionné à la fois ?
Claire. – Oui, c’est bien le secret de notre entente : amis et amants à la fois. Oui, chacun de nous est exactement pour chacun des autres ce que celui-ci demande qu’il soit. C’est bien là le résultat concret de ce dédoublement dont tu viens de parler, mon cher Roland. Une partie de chacun de nous, parce qu’il les aime, a pris logement chez les autres ; c’est pourquoi il ne lui est pas difficile de prévoir ce que chacun de ces autres attend de lui. Il n’y a là ni sacrifice, ni renoncement, mais bonne volonté et réalisation compréhensive, effort que l’affection que nous nous portons les uns aux autres rend d’une aisance élémentaire.
Fabienne. – Pour ce qui est de Lionel et de moi, nous n’y sommes pas arrivés du premier coup. Te souviens-tu, Claire, du temps qu’il m’a fallu pour comprendre tout cela ? Je ne pouvais me faire à lui, les affinités entre nous me paraissaient si peu consistantes ; je m’imaginais aussi qu’y répondre entraînerait je ne sais quelle mainmise sur ma personnalité. Et je le savais malheureux et que ma froideur le désespérait. Il n’ignorait rien de ce qui se passait en moi, des causes de ma réserve, des motifs de mes réticences. Il savait que mes hésitations, ma répugnance – c’est pourtant le terme exact – avaient leur source dans une sorte de « phobie » nerveuse, involontaire, incontrôlable, stupide même…
(S’adressant à Lionel :)
Lionel, je n’avais pas le moindre doute que tu m’aimais et que ne fût sincère ton amour, et qu’aucune circonstance ne pourrait l’ébranler ; j’étais convaincue qu’il était solide et durable. Ah ! je souffrais, moi aussi, tu peux le croire. Je me rendais compte qu’au début de nos relations, quand tu t’es déclaré, j’aurais dû t’écarter, loyalement, mais résolument. Me laisser aimer par toi sans te le rendre, ma fierté ne s’en accommodait pas. Il m’était tellement désagréable de recevoir de toi sans te rendre ce que tu attendais de moi ! J’avais horreur de cette situation de débiteur qui ne peut faire honneur a la lettre de change tirée sur lui sans que le tireur la fasse jamais protester. Je me sentais humiliée, honteuse de moi-même. Je savais que « l’amour ne peut se payer que par de l’amour » – je puis, moi aussi, citer du Stirner. On pourrait donner tout ce que l’on possède, se dépouiller entièrement, ce ne servirait de rien : l’amour appelle l’amour. Mon remords était grand de t’avoir laissé t’engager à fond au lieu de t’avoir éloigné dès l’abord. Que je me sentais coupable à ton égard ! Tu avais tant de peine et aucun raisonnement ne pouvait tenir contre cette voix intérieure qui me répétait : « C’est ta faute. » Et quand je pense que cela a duré des années ! Jusqu’au jour où mes yeux se sont décillés. Par la réflexion, en faisant appel au bon sens, aussi par un effort de volonté insistante, je me suis débarrassée de cette malheureuse phobie dont, en mon for intime, je ne pouvais nier le caractère injurieux pour toi. Je me suis persuadée enfin qu’aucune considération ne pouvait tenir contre le fait que j’avais laissé croître ton amour pour moi et que, étant donné ton tempérament, le temps n’avait fait que le cimenter. Je sentais le poids de ma responsabilité. Je me jugeais insensible, cruelle, impitoyable même… Enfin, à force de m’interroger, de me condamner, j’ai mis fin à ce désaccord qui m’était insupportable. Alors, tout est devenu aisé et clair dans nos relations… Je sais bien que tu mas pardonné tout ce que je t’ai fait endurer…
Lionel. – .Je ne t’en ai jamais voulu, Fabienne, même aux heures les plus sombres. Je te trouvais parfois si dure, si inexorable, que ma douleur était inouïe. Mais je t’aimais et, malgré mon immense chagrin, malgré ce que je laissais extérioriser de la désolation qui me déchirait, il m’était impossible de t’en vouloir. Quelqu’un qui n’aurait pas connu la véritable profondeur de mes sentiments pour toi m’aurait volontiers accusé de capituler, mais puisqu’il me semblait que tu ne me comprenais pas comme je souhaitais que tu la fisses, il n’y avait pas capitulation de ma part, mais persévérance. Je ne pouvais même pas t’en vouloir de ne pas saisir les raisons qui me dictaient mon attitude envers toi d’autant plus que je n’ignorais rien de ce qui se passait en toi, ni des phénomènes nerveux que tu ne pouvais alors surmonter. Faute de les regarder bien en face, de te colleter avec eux, si j’ose employer cette métaphore. J’acceptais une situation fausse, bien sûr, qui me déchirait sentimentalement et sensuellement, c’est entendu, mais je t’aimais, je tenais à toi, et bien loin de capituler, j’avais foi en mon amour pour toi. Intérieurement, une voix me disait, à moi, qu’un jour viendrait où tu me comprendrais, où tu me paierais de retour. Et cela aussi, parce que j’avais approfondi ta bonté d’âme naturelle.
(à suivre)
E. Armand
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Poème pour l’amie
N’ajoute pas à la souffrance de qui souffre,
Ne rends pas plus amer le coeur triste et déçu,
Ne creuse pas encor plus profond l’affreux gouffre
Où se débat celui qui n’avait point conçuQue d’un destin cruel il dût subir l’atteinte.
Ne sois pas cause qu’un seul pleur s’ajoute aux pleurs
Que verse qui gémit, angoissé par la crainte.
À la douleur n’ajoute pas d’autres douleurs.Prends garde d’élargir la béante blessure,
De faire encor saigner l’ulcère mal guéri.
Que douce soit ta main, que ton geste rassure :
Faute d’un tendre mot, tant d’espoirs ont péri.Les soucis de l’ami, qu’ils soient les tiens ; ses peines
Prends-en ta pleine part comme tu la prendrais
Si la joie éclairait ses jours, si dans ses veines
À l’appel du bonheur un sang plus fort coulait.
E. Armand, Camp de Chibron, 11 mars 1941.
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No. 3 (August-September, 1945)
- E. Armand, “Entre nous,” L’Unique 1 no. 3 (Août-Septembre 1945).
- E. Armand, “Nos disparus,” L’Unique 1 no. 3 (Août-Septembre 1945).
- E. Armand, “La stupide querelle des âges,” L’Unique 1 no. 3 (Août-Septembre 1945).
- E. Armand, “Variétés: Pluralité,” L’Unique 1 no. 3 (Août-Septembre 1945).
- E. Armand, “Poèmes pour l’amie,” L’Unique 1 no. 3 (Août-Septembre 1945).
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No. 4 (October, 1945)
- E. Armand, “Entre nous,” L’Unique 1 no. 4 (Octobre 1945).
- E. Armand, “Montaigne et l’amitie,” L’Unique 1 no. 4 (Octobre 1945).
- E. Armand, “La polygamie chez les premiers chrétiens,” L’Unique 1 no. 4 (Octobre 1945).
- E. Armand, “Poèmes pour l’amie,” L’Unique 1 no. 4 (Octobre 1945).
- E. Armand, “Quelques précisions nécessaires,” L’Unique 1 no. 4 (Octobre 1945).
Quelques précisions nécessaires
Les individualistes à notre façon passent volontiers pour amoraux, alégaux, asociaux.
AMORAUX, c’est entendu, mais par rapport à la morale imposée du dehors, à la morale conventionnelle, à la morale bourgeoise, à l’hypocrisie moralitéiste ; ce qui ne les empêche pas de se construire une ligne de conduite personnelle, voire une éthique collective, dont les postulats de moralité sont fréquemment, dans la pratique, beaucoup plus exigeants que les impératifs de la morale courante.
ALEGAUX, c’est entendu, mais par rapport à la loi imposée de l’extérieur, à la loi écrite, celle des textes ; ce qui ne les empêche pas de se conformer aux sommations d’une loi intérieure le plus souvent plus rigide que les articles, des Codes les plus draconiens, et de prévoir de sévères sanctions morales à l’égard, de ceux des leurs qui, sans motifs légitimes et dûment justifiés, ont fait fi d’engagements contractés volontairement, trahi la confiance mise en eux ou usé de fraude ou de dol dans leurs rapports avec ceux de leur monde.
ASOCIAUX, c’est entendu, mais par rapport. au grégarisme imposé, au sociétarisme obligatoire, ce qui ne les empêche pas de s’associer volontairement et, s’ils y sont poussés par leur tempérament, de rechercher les occasions de s’associer pour toutes sortes d’activités, d’être fidèles aux clauses des accords qu’ils ont souscrits en dehors de toute pression extérieure et de s’interdire toute résiliation des ententes conclues, autre que les cas mentionnés au contrat d’association. Asociaux, mais sociables.
E. A.
Some Necessary Clarifications
The individualists of our type appear willingly as amoral, alegal and asocial.
AMORAL, you understand, but in relation to morals imposed from outside, to conventional morality, to the bourgeois morality and the moralitist hypocrisy; which does not prevent them from constructing a policy of personal conduct, or even a collective ethic, in which the postulates of morality are frequently, in practice, much more demanding than the imperatives of the common moral systems.
ALEGAL, you understand, but in relation to law imposed from outside, to written law, that of texts; which does not prevent them from complying with the summons of an internal law, often more rigid than the articles of the most draconian Codes, and to foresee severe moral sanctions with regard to those among them who have, without legitimate and duly justified motives, thumbed their noses at engagements voluntarily contracted, betrayed the confidence put in them, or used fraud or misrepresentation in their relations with those in their circle.
ASOCIAL, you understand, but in relation to the imposed gregariousness, to the obligatory societarism, which does not prevent them from associating voluntarily and, if they are poussés by their temperament, from seeking occasions to associate for all sorts of activities, to be faithful to the clauses of agreements to which they have subscribed without any external pressure and to prohibit any termination of the agreements reached, except in the cases mentioned in the contract of association. Asocial, but sociable.
E. A.
No. 9 (April, 1946)
Encore des précisions
Je me souviens de certaines réflexions qu’émettait, à propos de la vulgarisation des idées anarchistes, l’animateur d’une petite revue hebdomadaire, publiée en province, assez bien rédigée d’ailleurs, réflexions que le hasard me met sous les yeux. Cela date de 1912.
« Commencer par ruiner dans l’esprit de la multitude — écrivait-il — le prestige de la loi écrite, avant de préparer des consciences qui affirment et appliquent naturellement l’équité, c’est faire de la civilisation à l’envers et collaborer à l’oblitération des consciences ; c’est travailler à faire des inadaptés. »
Il admettait que certains êtres peuvent se passer de « loi, écrite ». Ce sont « les personnes cultivées » chez lesquelles il y a « un ensemble de notions communes qui leur permettent d’être justes des unes envers les autres sans recourir à l’application des lois écrites ».
« Ces personnes sont susceptibles d’agir le mieux possible, dans la plupart des cas, sans invoquer le moins du monde l’autorité. Elles sont donc déjà des anarchistes. Pourquoi ? Parce qu’elles savent exactement ce qu’il convient de faire pour être respectivement et réciproquement justes. Elles ont la loi dans la conscience ».
« La loi extérieure avec tous les moyens sociaux de la faire respecter (police, tribunaux, etc.) est inutile pour ces personnes : non point parce qu’elles méprisent les lois, mais bien au contraire parce qu’elles ont dans leurs consciences la compréhension vive des principes qui ont déterminé les lois écrites. »
En fin de compte, concluait-il, on ne vulgarise pas des idées de synthèse.
⁂
Je voudrais répliquer ici à ces observations qui sont toujours d’actualité.
D’abord nous, individualistes, nous n’entrevoyons nullement « dans un avenir indéfini, une humanité parfaite, devenue absolument juste par l’équivalence de toutes les consciences ».
Rien, au contraire, ne nous ferait davantage horreur, qu’un milieu où toutes les consciences s’équivaudraient ; la variété dans les expériences individuelles esthétiques ― l’esthétique étant considérée comme une catégorie de l’éthique — risquerait fort d’y être absente, puisque tous les composants de ce milieu se répéteraient moralement.
Nous ne disons pas non plus que tous ceux que nous croisons sur notre route soient aptes à vivre sans lois écrites. Ce que nous prétendons et affirmons, c’est que l’aptitude à la « vie libre » n’est pas uniquement l’apanage des classes cultivées. Celles-ci, d’ailleurs, si elles se passent de loi écrite pour régler leurs différends — et la lecture de la chronique des tribunaux suffit à démontrer le contraire — ne se font point faute d’y avoir recours à l’égard de ceux qu’elles n’estiment pas de leur bord. Nous affirmons et maintenons qu’ici et là sommeillent, ignorantes, nombre d’individualités capables de s’adapter à une existence libérée de l’entrave des mensonges conventionnels, des préjugés sociaux, des contrats imposés, — individualités qu’il ne s’agit que de réveiller — par le verbe ou la plume — pour qu’elles se révèlent à elles-mêmes.
Une fois sélectionnés, ces individualistes qui s’ignoraient — tout « gens du commun et incultes » qu’on les catalogue — sont aussi capables, dans leur vie de tous les jours, de se passer de codes et de juges que les « cultivés ». Et même mieux, car ils ne font pas de la question économique leur exclusif souci, leur préoccupation de la liberté rejetant au second plan celle du bien-être.
Nous affirmons que l’individualisme à notre façon n’est pas un concept uniquement réservé à l’usage des surhommes. Il est pour tous ceux que leur tempérament ou leurs conclusions ou leur conception de la vie amènent ou incitent à être de « notre monde ».
Nous savons bien que par la suite, un tri se produit ; les inadaptés à l’individualisme, tel que nous le concevons, font fausse route, ou s’en vont ailleurs. Les adaptés demeurent.
Adaptés, bien entendu, à notre conception individualiste. Inadaptés pour le reste ; autrement dit des êtres qui, forcés de demeurer dans la société, n’y appartiennent par aucune fibre de leur cœur, aucune cellule de leur cerveau.
Pour que ce soit faire de la « civilisation à rebours » il faudrait que nous fussions convaincus que la civilisation actuelle est « morale », ce contre quoi nous protestons de toute notre force. Est notre adversaire toute civilisation qui, pour garder l’équilibre, a recours au contrat social imposé, à la coercition morale, à l’hypocrisie légale, à la fiction majoritaire ou grégaire, à la violence sous une forme quelconque.
Et notre propagande de sélection, nous ne l’avons jamais poursuivie mus par un intérêt sordide. Parce que nous espérions une place en vue, une situation matérielle privilégiée, des honneurs ou de la gloire. Mais bien parce que, naturellement, nous nous y sentions poussés, donc par plaisir ; ou bien parce que nous considérions comme normal de nous reproduire psychologiquement, c’est-à-dire de continuer « l’espèce individualiste anarchiste » ; ou encore parce qu’estimant la connaissance de nos idées bonnes pour nous, nous nous imaginions qu’elles pourraient être également bonnes pour d’autres ― pour quelques autres.
Pour terminer, il ne nous est jamais venu à l’esprit de considérer l’individualisme à notre façon comme une « synthèse » mais bien comme une méthode de vie personnelle ou plurale, comme une attitude individuelle de critique et de négation par rapport au fonctionnement du milieu constrictif et restrictif, comme un système de culture intérieure du moi tendant à le maintenir indépendant de toutes les influences du non-moi.
E. Armand
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No. 10 (May, 1946)
Ce qu’on peut faire
On peut courtiser la gloire, faire antichambre dans les salons de la renommée, mériter et ramasser, en flattant ses manies, les applaudissements de la foule ; On peut, en se courbant bien bas, décrocher les honneurs, les distinctions, la notoriété, passer tous ses jours a croître à l’ombre des grands de ce monde, trouver le but de sa vie à faire du bruit autour de soi et ne se complaire que dans la recherche de la célébrité, même malsaine !
On peut n’avoir, comme but de ses efforts, que de faire de bonnes affaires, sacrifier toute autre considération à l’accumulation des billets de banque, n’envisager êtres, bêtes et choses qu’au point de vue du bénéfice qu’on en peut tirer, être prêt à immoler chacun et tous sur l’autel de ses intérêts pécuniers, suer sang et eau, peiner le jour et veiller la nuit pour remplir ses coffres,être poursuivi jusqu’en ses songes par l’appât de l’argent !
Mais on peut aussi tout simplement assigner comme but à son existence de rendre heureux quelqu’un que le destin, comme par hasard, a placé sur votre sentier, quelqu’un qui se morfondait, amer et tourmenté, dans l’ombre, et que votre rencontre a sorti des ténèbres. Quelqu’un pour qui vous êtes ciel ensoleillé, nuit étoilée, compréhension de la vie et joie d’exister. Quelqu’un qui, si vous lui manquiez, retomberait dans les ténèbres et le dégoût d’être. Et cet but-là ne passe-t-il pas la recherche de l’illustration ou de la richesse ?
E. Armand
2 juillet 1942.
What We Can Do
We can court glory, wait for an audience in the salons of the renowned, earn and collect, by flattering their manias, the applause of the crowd; we can, by bowing very low, pick up honors, distinctions and notoriety, pass all our days growing in the shadow of the great ones of this world, finding the purpose of our lives only in creating a hum around ourselves and taking pleasure only in the search for celebrity, even if it is unwholesome!
We can have, as the goal of our efforts, nothing but to do good business, to sacrifice every other consideration to the accumulation of bank notes, consider beings, beasts and things only from the point of view of the profit that we can draw from them, to be ready to sacrifice each and all on the altar of our pecuniary interest, to seat blood and water, to labor through the day and stay awake at night in order to fill our coffers, to be hounded even in our dreams by the lure of money!
But we can also quite simply assign as the aim of our existence to make happy someone whom destiny, as if by chance, has placed in our path, someone who moped, bitter and tormented, in the shadows, and whom our encounter has brought out of the darkness. Someone for whom you are the sunny sky, starry night, understanding of life and joy in existing. Someone who, if you were not there for them, would fall back into darkness and disgust with being. And wouldn’t that aim surpass the search for fame or for wealth?
E. Armand
July 2, 1942.
No. 12 (July, 1946)
« L’Unique » type du nouvel Adam ?
Dans un entrefilet publié dans les « Trois mots aux amis » (no10 de l’Unique) j’avais considéré Stirner et Nietzsche comme de grands idéalistes et le « Surhomme » et « l’Unique » comme des idéaux. Le camarade L. Rigaud m’écrit à ce sujet :
« Tandis que par sa vigoureuse et radicale critique, « L’Unique » de Stirner veut exprimer la constatation d’une réalité : l’individu ― le héros et son culte de Carlyle ainsi que le surhumain, l’homme représentatif d’Emerson, marquent des appréciations ou des interprétations de l’Uebermensch nietzschéen, de simples aspirations enveloppées d’un lyrisme superbe, magnifique : tout cela n’est que pure conception idéale en somme.
« Pourquoi ne pas considérer biologiquement le surhomme, ne pas entrevoir, dans l’échelle ontologique l’être en futurition, aussi supérieurement éloigné de l’humanité (suranimal)que celle-ci l’est de l’animal, etc. »
Je ne vois aucun inconvénient à considérer l’Unique comme l’être destiné à succéder à l’homme actuel, comme l’Adam futur, mais on reconnaîtra que pour le moment ceci reste une vue de l’esprit, car Stirner ne s’est pas préoccupé de l’individu, considéré au point de vue biologique, il nous a proposé un être idéal qu’il voudrait débarrassé de toutes sortes de servitudes spirituelles et morales. Rien donc ne nous prouve que l’être du devenir ressemblerait à celui voulu par Stirner, dont en tout cas, il différerait par l’acquis de connaissances nouvelles.
Stirner, lui-même, ne s’est pas montré, dans la vie quotidienne, un surhomme ― « ni en bien ni en mal ». En dépit de ses outrances, de sa véhémence, de son intransigeance, de sa causticité, ce ne fut « ni un ange ni un démon ». Il a marqué son passage, son court passage, par aucun crime, aucune aventure extraordinaire, aucun exploit hors série, se débrouillant plus ou moins mal au cours de son existence quotidienne ― plutôt mal que bien.
Il reste l’homme qui a écrit « L’Unique et sa Propriété » et nous ne lui en demandons pas davantage. Il nous a conviés à nous dégager des entraves et des pièges des idées du libéralisme bourgeois, puis ayant rejeté ces chaînes, à nous replier sur nous-mêmes, à conclure, enfin à prendre une résolution.
C’est ce que nous avons fait, du moins ceux d’entre nous qui nous sommes donné la peine de réfléchir ; nous nous sommes décidés pour ce qui nous paraissait propre à tirer de notre « moi » le maximum de rendement, même si sur plusieurs ou de nombreux points, nous n’opinions pas comme Stirner lui-même.
Si c’est ce qu’il faut attendre de l’Adam futur (?) ― toutes proportions gardées ―nous y souscrivons volontiers.
E. Armand
TRANSLATION
No. 16 (December, 1946)
La mentalité nouvelle
Ce qui distingue le monde ou l’humanité individualiste an-archiste, c’est qu’il ne consacre pas l’avènement d’un parti — économique, politique, religieux ― d’une classe sociale ou intellectuelle — d’une aristocratie, d’une élite, d’une dictature. Ce monde, cette humanité n’existe qu’en fonction d’une mentalité nouvelle, d’une conception autre que celle qui domine dans la société archiste, d’une façon différente de situer l’unité humaine dans le milieu humain.
La grande, l’ineffaçable caractéristique de cette mentalité nouvelle, c’est la place qu’elle fait à l’unité humaine, considérée comme base de toute activité, de toute réalisation sociale ― à la personne humaine envisagée dans toutes les situations comme intangible, comme inviolable. C’est l’impossibilité absolue pour le social d’opprimer ou de brimer l’individuel. C’est, dans les rapports de toute nature qu’ils peuvent entretenir les uns avec les autres, la mise sur le même pied, à un niveau semblable, des collectivités et des isolés, des totalités et des unités. Autrement dit l’assurance qu’aucun désavantage ou infériorité — en matière d’accords, de tractations, d’ententes, de contrats ou autres ― ne pourra résulter pour la personne humaine du fait de vivre, évoluer, produire ou consommer isolément.
Aucune humanité ne sera du goût de l’individualiste an-archiste si elle ne se fonde pas sur cette « mentalité nouvelle ».
E. Armand
The New Mentality
What distinguishes the world or humanity of the an-archist individualists is that it does not sanction the advent of a party — whether political, economic or religious ― of a social or intellectual class — of an aristocracy, an elite or a dictatorship. This world, this humanity only exists as a function of a new mentality of another conception than that which dominates archist society, of a different means of situating the human unity in the human milieu.
The major and indelible characteristic of that new mentality is the place that it makes for the human unity, considered as the basis of all activity, of every social achievement ― the the human person, considered in all situations as intangible, as inviolable. It is the absolute impossibility for the social of oppressing or bullying the individual. It is, in the relations of every nature that they can maintain with one another, a matter of placing on the same footing, on a similar level, collectivities and isolated individuals, totalities and unities. In other words, it is the assurance that no disadvantage or inferiority — in matters of agreements, negotiations, ententes, contracts, etc. ― could result for the human person from the fact of living, evolving, producing or consuming in isolation.
No humanity will be to the taste of the an-archist individualist if it is not based on that “new mentality.”
E. Armand