Éloge de l’égoïsme
Une éloge de l’égoïsme peut paraître une gageure.
J’aborderai prudemment ce débat par une question. Pourquoi tant d’hommes et tant de femmes dont la jeunesse fut passionnée d’une idée, pourquoi se résignent-ils trop tôt à la médiocrité d’une vie sans élan ? Je ne crois pas qu’il en faille accuse les difficultés matérielles. Au contraire, c’est à ces difficultés là que chacun ne cesse de faire face, c’est aux conditions de cette lutte que les jeunes s’attachent tout d’abord. Mais ils ne font que, lorsqu’ils sont doués d’un minimum d’intelligence sensible, dans une perspective qui va au-delà des besoins quotidiens. Ils rêvent d’une vie prospère dans un monde pacifié.
D’où viennent donc les scepticismes et les abandons si ce n’est de la faillite des moyens ? A la vérité, la condition de l’homme dont on a trop dit qu’elle est absurde, cette condition paraît justifier l’acharnement à prendre et à jouir des voraces et des rusés. Il ne reste d’autre choix, à qui n’est pas un carnassier, que le retrait sur soi ou bien la foi dans un monde en progrès et qui ne serait mauvais que parce qu’il est inachevé. C’est sur ce thème illusoire qu’on travaillé et travaillent encore les bâtisseurs de royaumes idylliques.
Depuis des millénaires, les hommes impulsifs et les hommes fervents se sont égarés dans ces royaumes vaporeux. C’est là que les voraces ont organisé le ramassage des butins de pouvoir et d’argent. Est-ce à dire que la force de l’esprit est un leurre ? Si je le pensais je ne prendrais pas la peine d’en parler. L’esprit, comme la matière, vaut ce que l’on en fait. Une matière explosive fait un obus ou un moteur. L’esprit embellit le réel ou bien le détériore.
Tel est le problème de l’être pensant : savoir embellir ce qui est et non pas espérer que se concrétise la facticité des mythes. Oh ! certes, un mythe peut-être la beauté d’un poème. Il est préférable qu’on ne le dégrade pas et qu’il reste la poésie du rêve. On a dit justement que le rêve est un refuge. Je ne comprends pas qu’on en veuille faire un tremplin. Il est le champ de l’imaginaire comme il l’était déjà pour les peintres magiciens des grottes du quaternaire.
Je sais qu’on m’accusera tout à l’heure d’abaisser l’esprit au niveau du pragmatisme. Nous en reparlerons. Aussi bien, je pourrais demander tout de suite si c’est en faisant monter l’idée à partir du réel ou en la faisant retomber des écrans du ciel que l’on abaisse l’esprit.
Laissons les images et venons au concret. Le concret se définie sans doute dans la technique et dans l’économique. Mais la façon de l’organiser, la manière d’en user ressortissent au politique et, par conséquent, à des directives qui sont à la fois d’ordre religieux et d’ordre philosophique. Elles déterminent et réglementent la moralité du citoyen et aménagent l’immoralité du pouvoir. A voir comment le monde évolue, il faut bien convenir que les principes essentiels et leur trucage ne varient que fort peu dans le temps. Le progrès des techniques ne modifie guère que les apparences des comportements. Les impulsions intimes ne font que changer d’objet.
Les corrections que deux mille ans d’évolution sociale et de révolutions scientifiques ont introduites dans la morale chrétienne qui nous gouverne nous pas atteint, même chez les athées, des préjugés qu’il est malséant de mettre en cause. Cela va des incontinences du sexe à la respectabilité des philanthropes. Les sentiments que l’on dit hautement humains sont tabous de consentement général. On n’a le droit de les juger que dans leurs conséquences. C’est donc par là que j’aborderai le tabou chrétien d’amour du prochain pour aller, si vous me le permettez, à une vue qui, pour être anarchiste, n’en est pas moins conséquente et mieux assurée que le dogme de la charité.
Ne disons qu’un mot de la fallacieuse Église des pauvres qui sépare puisqu’elle distingue. Tout s’arrange du reste : aux pauvres l’Église du Ciel, aux riches l’Église temporelle. Mais que deviennent, dans ces Églises séparées, les dogmes fondamentaux que sont la fraternité des hommes et l’amour du prochain ? S’ils ont fait la gloire du christianisme, s’ils sont encore la fierté des chrétiens, ils sont aussi un exemple de la sottise heureuse de soi, non point par la grâce de Dieu mais celle des idéologies. Les bons sentiments ont si bien camouflé cette morale incongrue que des rationalistes – et non des moindres – se sont intégrés. Ils ont accusé les chrétiens, les chrétiens notables s’entend, de trahir leur enseignement. Ces rationalistes trop bien pensants reconnaissent de la sorte à ces tricheurs une habilité qui les exonérait de la sottise commune. Il est vrai que cette habilité ne fait pas non plus défaut à certains rationalistes de politique qui font volontiers dans la fraternité.
Ah ! la fraternité des hommes ! Parlons-en ! On croirait, à lire saint Paul et les évangélistes, que ces Juifs s’étaient dé-judaïsés au point d’en avoir oublié le fraternel assassinat d’Abel et l’histoire de Joseph vendu par ses frères. On s’assassinait beaucoup dans le monde biblique, en famille et entre voisins. Si les Esséniens, qui nous ont laissé les manuscrits de la mer Morte, s’accordaient mieux entre eux, ils eurent le tort, en inspirant le christianisme, de conclure du particulier au général. Le général n’a pas ratifié et les généraux pas davantage. En deux mille ans de christianisme, il n’est point de jour où des chrétiens n’aient pas été fraternellement en guerre quelque part. Le principe n’en fut pas pour autant rendu caduc. Les porte-parole de l’Église étant accrédités dans tous les camps, l’efficacité de leurs bénédictions se contrebalançait. Même dans les guerres de religion, jamais une atrocité ne fut commise qui ne se réclamât d’un père commun.
Cette excessive fraternité n’a plus de référence à présent que les peuples, unis par les avions, ont multiplié les pères, sans parler des athées qui se déclarent sans vergogne issus de père inconnu. Il est permis de penser qu’il est expédient et plus efficace d’inciter ces gens à se supporter pour de simples raisons d’intérêt commun. Sans doute est-ce encore une vue pragmatique. Je conviens que ce n’est pas avec des arguments de cet ordre que l’on prépare la glorification des héros. En revanche, on diminue d’autant la commémoration des victimes.
J’en viens à l’amour. Voilà bien le vocable le moins fait pour aider à s’entendre tant il emprunte de significations. En ne retenant, avec un grand A, que le sens chrétien qui est celui de charité, on ne se comprend pas mieux, les théologiens lui donnant également des mobiles différents. Je me bornerai donc aux deux définitions de bas que voici : l’amour de Dieu est une vertu inspirée par le baptême. D’où il suit que l’amour est un devoir envers le prochain puisque tout prochain est notre frère en Dieu.
Nous avons vu ce que donne l’amour entre frères, mêmes s’ils le sont en Jahvé. En ce qui touche le sentiment chrétien, il faut bien admettre qu’une vertu inspirée par le baptême ne concerne que les baptisés. A supposer qu’elle les incite à aimer les hommes d’autres religions, c’est-à-dire les trois quarts de l’humanité, cela n’implique pas la réciprocité surtout lorsque le bien d’autrui porte à le convertir. Le ciel n’est vraiment pas un lieu de rencontre. L’amour de Dieu a un objet si particulier qu’il ne saurait fonder une morale universelle.
Au reste, l’amour, qu’il soit vice ou qu’il soit vertu, est un sentiment spontané. C’est cette spontanéité qui lui donne sa chaleur, qui en fait la beauté, parfois le tragique et parfois la grandeur dans le sacrifice. Il serait immoral, il serait décevant de le galvauder. Je ne me vois pas contraint d’aimer un prochain dont les actes m’écœurent. Ce serait nier mon droit à la révolte et confondre le pardon des offenses avec la résignation.
Laissez moi dire en passant que les bonnes intentions sont faites de cette farine malaxée dans les pétrins des démagogues. C’est de ces pétrins que sortent des préjugés qui ne sont que des idées moisies. On ne veut pas le savoir et les honnêtes gens sont complices de ces idées ancrées par une éducation falsifiée. Cela me rappelle comment je mettais en de grandes colères mon adversaire et néanmoins ami, le feu chanoine Viollet, lorsque j’opposais l’égoïsme à la charité chrétienne.
C’est que ce malencontreux égoïsme, vu sous un certain angle, a de telles vertus que pour s’en protéger on en a fait un vice. On ne devrait pas oublier, lorsqu’on attaque l’égoïsme au plan de l’éthique, qu’il est exactement l’instinct de conservation de l’individu et qu’il est aussi facteur de solidarité. En tant qu’instinct de conservation, ne le voit-on pas se manifester, de façon irréfragable, chez le jeune enfant qui rapporte tout à soi ? Il a fallu beaucoup d’astuce et une longue tradition dans l’art de conditionner les jugements pour transformer en défaut un instinct à ce point vital. C’est pourtant ce qu’on fait des générations de vaticinateurs, en dépit des philosophies rationnelles qui ont dès longtemps situé l’égoïsme dans sa nature vraie que je ne fais que rappeler. Mais que peut la sagesse quand les bons sentiments sont braqués au nom de l’amour ? Or, est-il égoïsme plus passionné que l’amour ? N’est-ce pas cette passion qui en fait le plus puissant des sentiments ?
Que l’individu n’ait pas toujours à s’en féliciter, on le sait. Mais je n’ai pas dit que l’excès de passion ne tourne jamais à mal, pas plus que je ne confonds le bouquet du bourgogne avec le gros vin du troquet. Les excès ne condamnent pas l’usage et il n’est pas nécessaire d’insister sur la primauté de l’égoïsme comme instinct de défense. Je retiens davantage son caractère social autant qu’anti-social, ses facultés à la fois de compétition et d’absorption, d’entraide et d’expansion.
Que l’on me permette une remarque à propos de leçons qui condamnent l’égoïsme sous le prétexte qu’il porte à l’individu à vouloir absorber plus que sa juste part, à user de violence et de fourberie dans les compétitions. Ces leçons n’ont pas, que je sache, en aucun temps, éliminé les déprédations de toutes sortes de malfaiteurs publics ou privés. Je dis qu’au contraire elles leur laissent un champ d’autant plus ouvert que les justes, en se gardant chrétiennement de tout égoïsme, ne le condamnent qu’en paroles au lieu de les contrer en actes.
Voilà l’exemple type des morales inconséquentes qui ne se fondent pas sur le réel relativé. Non seulement elles échouent parce qu’elles vont à contre-nature, mais, plus gravement peut-être, elles détournent l’attention des solutions que l’on trouve dans la nature même, à la condition de les en dégager.
Si j’appelle de leur nom propre l’avarice, la rapacité, l’autoritarisme, la violence, je combats ces vices pour ce qu’ils sont, des égoïsmes dépravés. Si je retire l’adjectif dépravé, tout égoïsme est condamné, y compris précisément cette arme naturelle qui est en chacun et qui oppose chacun à l’autre dès que l’autre abuse.
Par-là vous saisissez tout de suite qu’un égoïsme clairvoyant et mesuré est le moyen premier, le moyen irremplaçable, de conquérir, d’affirmer, de défendre sa liberté personnelle. Et quoi que puissent prétendre les définitions conformes, s’il est, au pluriel, des libertés politiques et sociales toujours contingentes, il n’est de liberté qui vaille la liberté individuelle. Et elle vaut ce que vaut l’individu, c’est-à-dire sa pensée volontaire, exactement son ego.
Que l’on ne s’étonne pas si toutes les sortes de pouvoirs, toutes les sortes de scribes courtisans et profiteurs des pouvoirs, se sont attachés à juguler chez les assujettis une force essentielle dont ils se gardent bien, quant à eux, de ses déposséder. Une personne avertie ne s’en laisse pas ainsi conter et c’est pourquoi un anarchiste appuie sur l’égoïsme comme sur un bouton d’alarme. Mais les échos de cette alerte se perdent dans la foule, plus accessible aux mythes de sentiment qu’elle n’est ouverte à la rigueur des idées claires.
Et pourtant ! Ce que nous offrent en vain les mythes de charité et de fraternité élaborés dans les empyrées, l’égoïsme franc, exactement compris nous le donne. A chacun de s’en saisir pour soi, il ne sera pas interdit à d’autres. Et si vous me demandez ce que j’entends par l’égoïsme bien compris, je vous répondrai qu’il est l’égoïsme tout simple, tout spontané, mais corrigé par une morale ouverte sur les faits, sur les réalités à notre mesure et qui commandent les actes de notre vie.
Je m’en suis maintes fois expliqué et d’autant plus facilement qu’il ne s’agit que d’un raisonnement tout épicurien dont les maniaques de la transcendance se gaussent et les gens de raison s’inquiètent parce qu’on ne fait pas appel aux sacro-saintes formules de dévouement et d’abnégation.
En fait, la morale d’un égoïsme se définit en trois constatations : l’être absorbe pour subsister; son système nerveux est aux aguets des perceptions qui protègent son corps et informent sa pensée; sa pensée est sa plus sûre richesse. Si un individu sait que sa pensée est richesse, s’il éprouve que sa sensibilité dispose de cette richesse et qu’il n’en jouit qu’en la dépensant, que l’on n’est riche que de ce que l’on disperse, il absorbera tout l’utile à son être, il tiendra en éveil ses sens dispensateurs autant qu’informateurs, il ne cessera d’acquérir afin de donner selon une formule nietzschéenne, de s’enrichir ainsi de sa générosité, de s’agrandir dans le plus haut et le meilleur de soi.
La satisfaction qu’il en éprouve le porte à ne point se laisser spolier, à se faire le compagnon des moins armés, à les aider à se pourvoir afin qu’à ses côtés des êtres soient unis dans une fraternité authentique, celle du cœur et de l’esprit et non pas des conventions sociales.
Cette égoïste lucide vit pleinement et si intensément qu’il est à soi-même une source de joie. J’affirmerai donc pour conclure que c’est sur cet égoïsme là que se construit la solidarité des hommes.
Charles-Auguste BONTEMPS.
In Praise of Egoism
A eulogy for egoism may seem like a challenge.
I will approach this debate cautiously, with a question: Why do so many men and so many women, who in youth were passionate about an idea, resign themselves too soon to the mediocrity of a life without impetus? I do not think that we should blame the material difficulties. On the contrary, it is to these difficulties, which everyone continues to face, it is to the conditions of this struggle that young people first attach themselves. But they only do this when they are endowed with a minimum of sensitive intelligence, with a perspective that goes beyond daily needs. They dream of a prosperous life in a peaceful world.
So where do the skepticism and abandonment come from, if not from the bankruptcy of the means? In truth, the condition of man, which has too often been said to be absurd, seems to justify the relentless determination to seize and enjoy of the voracious and cunning. There remains no other choice, for anyone who is not a carnivore, but withdrawal or faith in a world in-progress, which is only bad because it is incomplete. It is on this illusory program that the builders of idyllic kingdoms have worked and still work.
For millennia, impulsive and fervent men have wandered in these misty realms. This is where the ravenous have organized the collection of the spoils of power and money. Does this mean that the strength of the mind is a trick? If I thought so, I wouldn’t bother to talk about it. Mind, like matter, is worth what you make of it. An explosive material can make a shell or an engine. The mind embellishes the real or damages it.
This is the problem of the thinking being: to know how to embellish what is and not to hope that the artificiality of myths materializes. Oh! Certainly, a myth can have the beauty of a poem. It is preferable that we do not degrade it and that it remains the poetry of the dream. It has been rightly said that dream is a refuge. I don’t understand why people want to make a springboard of it. It is the field of the imagination, as it was already for the magician-painters of the quaternary caves.
I know that I will be accused later of reducing the mind to the level of pragmatism. We will speak about it again. But I could ask right away whether it is by making the ideas arise from the real or by making them fall from the skies that one degrades the spirit.
Let’s leave the images behind and turn to the concrete. The concrete is undoubtedly defined in technology and economics. But the way to organize it, the way to use it comes down to politics and, consequently, to directives that are both religious and philosophical in nature. They determine and regulate the morality of the citizen and arrange the immorality of power. To see how the world evolves, it must be admitted that the essential principles and their attendant illusions vary very little over time. The progress of techniques only modifies the appearances of the behaviors. Personal impulses only change objects.
The corrections that two thousand years of social evolution and scientific revolutions have introduced into the Christian morality that governs us have not touched, even among atheists, those prejudices that it is improper even to question. These range from the incontinences of sex to the respectability of the philanthropists. Feelings that are said to be highly human are taboo by general consent. We have the right to judge them only in their consequences. It is therefore through this fact that I will approach the Christian taboo of love for one’s neighbor in order to proceed, if you allow me, to a view that, despite being anarchist, is no less consistent and no better assured than the dogma of charity.
Let us say just a word about the fallacious Church of the poor that separates because it distinguishes. Everything is settled: to the poor the Church of Heaven and to the rich the Temporal Church. But what becomes, in these separated Churches, of the fundamental dogmas, which are the brotherhood of men and the love of one’s neighbor? If they have brought glory to Christianity, if they are still the pride of Christians, they are also an example of stupidity happy with itself, not by the grace of God but by that of ideologies. Good feelings have camouflaged this incongruous morality so well that rationalists — and not the least of them — have joined in. They have accused Christians, notable Christians of course, of betraying their teaching. These overly well-meaning rationalists thus recognize in these cheaters an ability that exonerated them of common stupidity. It is true that this skill is not lacking either in certain political rationalists who willingly join forces in the brotherhood.
Ah! the brotherhood of men! Let’s talk about it! One would believe, to read Saint Paul and the Evangelists, that these Jews had become de-Judaized to the point of having forgotten the fraternal assassination of Abel and the story of Joseph sold by his brothers. There was a lot of murder in the biblical world, within the family and among neighbours. If the Essenes, who left us the Dead Sea Scrolls, agreed better among themselves, they made the mistake, in inspiring Christianity, of concluding from the particular to the general. The general did not vindicate them and neither did the generals. In two thousand years of Christianity, there has not been a day when Christians have not been at war somewhere, fraternally. The principle was not, however, rendered obsolete. The representatives of the church being accredited in all camps, the effectiveness of their blessings counterbalanced each other. Even in the wars of religion, there was never an atrocity committed that did not claim a common father.
This excessive fraternity no longer has any reference, now that the peoples, united by airplanes, have multiplied the fathers, not to mention the atheists who shamelessly declare themselves the descendants of fathers unknown. It is reasonable to think that it is expedient and more effective to encourage these people to support one another for simple reasons of common interest. No doubt this is still a pragmatic view. I agree that it is not with arguments of this order that one prepares the glorification of heroes. On the other hand, the commemoration of the victims is diminished just as much.
I come to the topic of love. This is the term least suited to helping people get along, as it borrows so many meanings. In retaining, with a capital L, only the Christian meaning, which is that of charity, we do not understand ourselves any better, as the theologians also give it different motives. I shall therefore confine myself to the following two basic definitions: The love of God is a virtue inspired by baptism; from this it follows that love is a duty towards our neighbor, since every neighbor is our brother in God.
We have seen what love between brothers provides, even if they are in brothers in Yahweh. As far as Christian sentiment is concerned, it must be admitted that a virtue inspired by baptism concerns only the baptized. Supposing that it encourages them to love men of other religions, that is to say three quarters of humanity, this does not imply reciprocity, especially when the good of others leads to conversion. Heaven is really not a meeting place. The love of God has such a particular object that it cannot be the foundation for a universal morality.
Moreover, love, whether it be a vice or a virtue, is a spontaneous feeling. It is this spontaneity that gives it its warmth, that makes it beautiful, sometimes tragic and sometimes great in sacrifice. It would be immoral, it would be disappointing, to overuse it. I don’t see myself forced to love a neighbor whose actions disgust me. It would be denying my right to revolt and confusing the forgiveness of offenses with resignation.
Let me say in passing what good intentions are made from this flour, mixed in the kneeding-troughs of demagogues. It is from these troughs that come prejudices that are only moldy ideas. We don’t want to know about it and honest people are complicit in these ideas rooted in falsified education. It reminds me how I used to infuriate my adversary and nevertheless friend, the late Canon Viollet, when I opposed egoism to Christian charity.
It is because this regrettable egoism has such virtues, when seen from a certain angle, that, in order to protect ourselves from it, we have made a vice of it. We should not forget, when we attack egoism on the ethical level, that it is precisely the instinct of self-preservation of the individual and that it is also a factor of solidarity. As an instinct for self-preservation, do we not see it manifest itself, in an irrefutable way, in the young child who relates everything to themselves? It took a lot of shrewdness and a long tradition in the art of conditioning judgments to turn such a vital instinct into a flaw. Yet this is what we have done with generations of vaticinators, despite the rational philosophies that have long since situated egoism in its true nature, which I am only recalling. But what can wisdom do when good feelings are targeted in the name of love? Now, is there a form of egoism more passionate than love? Is it not this passion that makes it the most powerful of feelings?
We know that the individual should not always congratulate themselves for it. But I didn’t say that excess of passion never turns out badly, any more than I confuse the bouquet of the Burgundy with the cheap wine of the dive. The excesses do not condemn the use and it is not necessary to insist on the primacy of selfishness as an instinct of defense. I retain its social as well as its anti-social character, its faculties of both competition and absorption, mutual aid and expansion.
Permit me a remark about lessons that condemn egoism on the pretext that it leads the individual to want to absorb more than their fair share, to use violence and deceit in competition. These lessons have not, as far as I know, at any time eliminated the depredations of all sorts of public or private malefactors. I say that, on the contrary, they leave them a field all the more open because the just, by abstaining, in the Christian spirit, from all egoism, condemn it only in words, instead of countering them in deeds.
This is the typical example of inconsistent morality that is not based on relativized reality. Not only do they fail because they go against nature, but, more seriously perhaps, they distract attention from the solutions found in nature itself, on condition that they are freed from it.
If I call avarice, rapacity, authoritarianism and violence by their proper names, I fight these vices for what they are, depraved egoisms. If I remove the adjective depraved, all egoism is condemned, including precisely that natural weapon, which is in each and which opposes each to the other as soon as the other abuses.
In this way you immediately grasp that a clear-sighted and measured egoism is the primary means, the irreplaceable means, of conquering, affirming and defending one’s personal freedom. And whatever the conforming definitions may claim, if there are always contingent political and social freedoms in the plural, there is no freedom equal to individual freedom. And it is worth what the individual is worth, that is to say his voluntary thought, exactly his ego.
We should not be surprised if all sorts of powers, all sorts of scribes, courtiers and profiteers of power, endeavored to curb among the subjected an essential force, of which they carefully reframed from dispossessing themselves. A well-informed person does not let themself be fooled in this way and that is why an anarchist presses egoism like an alarm button. But the echoes of this alert are lost in the crowd, which is more accessible to the myths of feeling than it is open to the rigor of clear ideas.
And yet! What the myths of charity and fraternity elaborated in the empyreans offer us in vain, candid egoism, precisely understood, provides us. It is up to everyone to take it up for themselves. It will not be forbidden to others. And if you ask me what I mean by well-understood egoism, I will answer you that it is quite simple, quite spontaneous egoism, but corrected by a morality open to the facts, the realities commensurate with us, which govern the actions of our lives.
I have explained it to myself many times and all the more easily since it is only a matter of an entirely epicurean reasoning, which the maniacs of transcendence make fun of and reasonable people worry about because we do not no appeal to the sacrosanct formulas of devotion and abnegation.
In fact, the morality of egoism is defined in three observations: the being absorbs in order to subsist; its nervous system is on the lookout for the perceptions that protect its body and inform its thoughts; its thought is its surest wealth. If an individual knows that their thought is wealth, if they feel that their sensibility disposes of this wealth and that they enjoy it only by spending it, that individual is only rich from what they disperse, they will absorb everything useful to their being, they will keep their dispensing and their informing senses awake, they will never stop acquiring in order to give according to a Nietzschean formula, thus enriching themselves by their generosity, expanding into the highest and best of themselves.
The satisfaction they experience from this leads them not to allow themseves to be robbed, to become the companion of the less well-armed, to help them provide for themselves so that at their side beings are united in an authentic fraternity, that of the heart and mind and not of social conventions.
This lucid egoist lives fully and so intensely that they is a source of joy to themselves. I will thus maintain in conclusion that it is on this egoism that the solidarity of men is built.
Charles-Auguste BONTEMPS.