joie de vivre
Apprécier la vie, goûter avec joie, avec volupté même à tous les instants infiniment brefs et fuyants, mais dont la succession forme la trame de notre existence, ressentir un plaisir à entamer chaque nouvelle journée ; telle est la manière d’être seule désirable pour un individu qui a tué en lui tout germe de mysticisme, et qui se moque de toutes les formes de l’ascétisme — tenant cette pratique pour contraire au sain équilibre, comme l’apanage des tempéraments nerveux et des estomacs débiles. S’il ne possède ce fonds d’optimisme, la vie, pour l’affranchi, n’a du reste aucune raison d’être.
Envisager la vie, en dépit des religions et des morales passées ou présentes, comme un long jour de fête, allègre et serein, tel est le seul état d’esprit qui nous permette d’accepter d’être.
Mais quels seront les promoteurs et les artistes de cette fête? Aucun apprêt n’est fait. Toutes les circonstances qui nous entourent sont presque toujours hostiles, les difficultés, les luttes lassantes, l’abandon des nôtres sont notre lot — infailliblement. C’est par nos propres moyens, par nos propres forces, qu’il nous est donné de réaliser « la joie de vivre ». Découvrir en la vie un attrait profond, un attachement puissant ne dépend après tout que de nôtre vitalité intérieure, que de notre capacité de nous créer un univers individuel.
Probablement nous passons, ceux d’entre nous qui se réfugient en eux-mêmes, pour être « dans les nuages ». Mais qui énoncent cette ironique remarque ne feraient pas un pas en avant pour contribuer à la satisfaction de nos désirs; du reste, même animés de la meilleure volonté du monde, qu’y pourraient-ils ?
Car la joie humaine ne peut avoir d’autre source que la satisfaction intérieure provenant de l’accomplissement de l’être. Personne n’ignore l’incurable ennui de certains possesseurs de biens que d’autres n’imaginent même pas et n’oseraient même pas convoiter.
Personne ne peut méconnaître l’intensité de vie et la plénitude attentes pur des artistes, des artisans, des voluptueux, bien maigrement favorisés quant à la matérielle, mais possesseurs d’un ardent foyer intérieur.
Rien de nouveau dans ces quelques lignes : tous les sages et les philosophes l’ont répété à peu d’exception près. Si nous revenons quand même sur cette vieille question, c’est en raison de sa primordiale importance pour un individualiste, persuadé que son unique appui est lui-même.
— Catherine Campoursy.
joy of living
To appreciate life, to taste with joy, even with delight all of the infinitely brief and fleeting moments, the succession of which forms the weft of our existence, to feel a pleasure in starting each new day; this is the only way of being desirable for an individual who has killed in themselves every germ of mysticism, and who scoffs at all forms of asceticism — holding this practice to be contrary to healthy equilibrium, as the prerogative of nervous temperaments and weak stomachs. If they do not possess this fund of optimism, life, for the free individual, has no reason to exist.
To envision life, despite past or present religions and morals, as a long day of celebration, cheerful and serene, is the only state of mind that allows us to accept being.
But who will be the promoters and artists of this festival? No preparation is made. All of the circumstances around us are almost always hostile. Difficulties, boring struggles and the abandonment of our own are our lot — infallibly. It is by our own means, by our own strength, that we are given to realize “the joy of living.” Discovering in life a deep attraction, a powerful attachment depends, after all, only on our inner vitality, only on our ability to create an individual universe for ourselves.
Probably we appear, those of us who take refuge in ourselves, to “have our heads in the clouds.” But those who utter this ironic remark would not take a step forward to contribute to the satisfaction of our desires; moreover, even animated by the best will in the world, what could they do?
For human joy can have no other source than inner satisfaction originating from the fulfillment of being. No one is unaware of the incurable boredom of some who possess goods that others cannot even imagine and would not even dare to covet.
No one can ignore the intensity of life and the fullness of pure expectations of artists, craftsmen and the voluptuous, very scantily favored in terms of material goods, but possessors of an intense internal fire.
These is nothing new in these few lines: all wise men and philosophers have repeated their sense with few exceptions. If we come back to this old question regardless, it is because of its paramount importance to an individualist, convinced that their only support is themselves.
— Catherine Campoursy.
Catherine Campoursy, “Joie de vivre,” l’en dehors 12 no. 250-251 (mi-Mars 1933): 71.
[Working translation by Shawn P. Wilbur]