Albert Libertad, “The Legend of Christmas” (1899)

The Legend of Christmas,

Dedicated to the Grandchildren of the Year 3000 (or later)

Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, vers l’an 1900, un gros amas de pierres et de boue que les naturels d’alors appelaient Paris.

C’était la capitale d’un pays favorisé par un climat tempéré et où les céréales, les vignobles, les plus beaux fruits poussaient en abondance.

En s’approchant de ces amas de pierres, vainquant les odeurs pestilentielles qui s’en dégageaient, on le voyait sillonné de voies de toute sortes : les unes larges, bondées de belles maisons ; les autres, étroites, avec, de chaque côté, rangées et serrées, des maisons aux allures de souricières.

Ce jour-là, l’année se terminait ; c’était fête par cette ville, mais la nature paraissait bouder et la neige tombait à gros flocons. Malgré cela, tout le long des rues, les magasins jetaient des flots de lumière et les yeux étaient attirés par des amas de victuailles bizarrement achalandés.

Les promeneurs, les acheteurs étaient nombreux : les uns, recouverts de chaudes fourrures, allaient riant béats, se moquant de la froidure ; les autres, au contraire, marchaient craintivement, ils étaient recouverts de loques, au travers desquelles se dessinaient leurs os ou se montraient leur chair.

De temps en temps, les seconds prenaient devers les premiers des attitudes suppliantes, que vous ne connaissez pas, chers enfants, mais qui consistaient à tendre la main en prononçant des paroles sans suite, d’un ton dolent. Ils demandaient l’aumône, c’est-à-dire qu’ils priaient les heureux de leur donner une part de leur superflu afin de pouvoir acquérir du nécessaire pour eux et leurs enfants.

Les trois quarts des bien-vêtus passaient indifférents ; d’autres, parcimonieusement, cherchaient en leur poche la plus petite offrande pour leur donner.

Quand les loqueteux se montraient trop entreprenants, des hommes habillés tous de même sorte, bien chaudement, les rudoyaient et les chassaient des larges voies ; quelquefois même ils les emmenaient après leur avoir mis des chaînes aux mains.

Et il y avait, en même temps, si peu d’humanité, si peu de respect de la dignité humaine, que les gens bien vêtus faisaient cercle et jetaient des lazzis aux pauvres hères ainsi traités, et que les mal-vêtus courbaient la tête, effaçaient leurs épaules, tâchant de faire oublier leur crime d’être pauvres en acquiesçant aux actes des hommes en uniforme.

Ces derniers s’appelaient des agents de la force publique, on les entretenait gros et gras ; ils avaient mission de défendre les bien-vêtus, les bien-nourris, contre les loqueteux, les miséreux. Ils étaient, ce qui vous étonnera, de cette classe si malheureuse.

Mais nous causons beaucoup sans entrer dans le sujet.

Une femme était perdue dans cette foule. La souffrance se lisait sur ses traits, et la misère sur les pauvres hardes qui la recouvraient. Mais en l’examinant, on la sentais jeune, on la voyait belle. Mainte fois sa main avait dessiné le geste de l’aumône, jamais elle n’avait eu la force de terminer. Une fierté dernière rayonnait en ses yeux, tout son être se révoltait contre l’avilissement, la supplication.

Souvent déjà des bien-vêtus l’avaient coudoyée et lui avaient jeté des appels grossiers et, comme elle s’attardait devant un étalage garni de mets succulents et tentateurs, elle sentit dans son cou l’haleine chaude d’un homme qui lui soufflait : « Si tu veux monter, la chambre et la pièce ronde. »

C’est à peine, chers enfants, si vous osez comprendre ces paroles, tant elles vous paraissent surprenantes. La dignité de la femme, son libre choix, en ces temps barbares, n’étaient pas plus respectés que la dignité et la liberté humaine. La beauté, la grâce, la jeunesse des femmes pauvres étaient achetées par les bien-vêtus, les riches. Nul de leurs goûts n’était respecté et les plus vieux, les plus laids à fourrures avaient, presque pour un morceau de pain, les plus jeunes et les plus jolies femmes.

On affectait alors une plus grande morale et une grande pudeur et nos unions libres de maintenant étaient fort bannies : l’amour se faisait toujours par intermédiaires, ou se vendait en des marchés spéciaux. Notre pauvre inconnue rougit, se retourna. L’homme était vieux, il était laid, des yeux enfoncés dans la graisse de ses joues, deux ou trois mentons, un gros ventre…Ô sa jeunesse à ce vieillard, à ce laid jouisseur. Elle hésita, puis parut sur son beau visage une contraction, elle haussa les épaules… elle accepta.

Elle suivit l’homme dans un hôtel, en quelque rue voisine de la grande artère. Et dans une chambre banale où se sentaient les ruts vénaux, elle vendit son corps aux caresses bestiales du passant.

Satisfait, l’homme s’en allait à d’autres plaisirs. Elle devant l’hôtel, regardait la « pièce ronde » comme égarée, puis elle se ressaisit. L’acte qu’elle venait de commettre, c’était pour ce métal. Ce métal, c’était du pain pour l’enfant qui avait faim ; ce métal c’était du charbon, pour l’enfant qui avait froid…pour son enfant, là-bas, dans la mansarde.

Elle entra en coup de vent, dans un magasin où s’étalait le pain doré sous toutes ses formes. Des servantes qui s’empressaient près des bien-vêtus, la dévisagèrent soupçonneusement : « Une livre de pain, s’il vous plait. » Car le pain, chers enfants, cette indispensable nourriture, se vendait ainsi que tout. On la servit et, heureuse d’avoir du pain à elle, la pauvresse, elle jeta la pièce sur le comptoir. Elle rendit un son mat…Une voix méchante disait : « fausse, il faut pas nous la faire, ma petite. » Des mains brutales lui arrachaient le pain et la poussaient dehors.

Elle comprit : elle avait été volée, trompée. Le sacrifice dernier de la mère pour l’enfant avait été inutile. Des injures venaient à sa bouche contre le goulu qui avait mangé sa chair, respiré sa jeunesse, sans vouloir lui laisser une bride de son bien-être.

Mais sa tête vite se courba, de grosses larmes coulèrent le long de ses joues ; découragée, lasse, elle prit le chemin des voies étroites, des maisons noires, laissant loin derrière elle le quartier de luxe et de pléthore.

Et, dans la plus étroite rue, devant la plus noire maison, elle s’arrêta, elle suivit une longue allée, monta l’escalier, et, tout en haut, retenant sa respiration, doucement elle ouvrit la porte de sa chambre.

Ô l’affreuse mansarde, ô le noir taudis. Par terre un matelas sur lequel deux ou trois sacs étaient jetés, tout près une table aux planches mal jointes, un fourneau dont les trois trous béants semblaient jeter du froid, une malle grise en un coin et c’était tout. Un jour blafard se glissait par une lucarne dont la vitre cassée laissait souffler la bise. C’était tout, disions-nous ? Non. Dans un coin, jetant presque une note gaie, un berceau. Dans ce berceau tout l’amour maternel se dessinait vainqueur ; des milles riens embellissaient ce nid. Un enfant de cinq ou six ans y reposait.

Le premier regard de la femme fut pour lui. Hélas !elle rentrait comme elle était partie, les mains vides, pas de pain, pas de bois, c’était la mort, l’inévitable mort. Sa mort, celle du chérubin, de cet avenir. Ses yeux ruisselèrent de larmes, elle s’approcha à pas lent du berceau. Ô ironie, l’enfant en son rêve, souriait à la vue de quelque lointain paradis, du vôtre, ô chers enfants.

Alors, elle retint son souffle, mais un désir de baiser cette chair innocente, cette chair de sa chair, naquit, impérieux, et elle posa ses lèvres sur le front de l’enfant.

Celui-ci ouvrit lentement ses grands yeux encore plein de joie extatique, les jeta sur sa mère en larmes, sur la table vide, sur le poêle éteint, et tout triste : « Ô maman !ce n’était qu’un rêve… mais quel beau rêve ! Nous n’avions plus faim… Nous n’avions plus froid… jamais. »

Once upon a time, a long time ago, around the year 1900, there was a big heap of rocks and mud that the natives at that time called Paris.

It was the capital of a country favored with a temperate climate where cereals, vineyards, and the most beautiful fruits grew in abundance.

Approaching these heaps of stone, overcoming the pestilential odors given off by them, one saw that it was crossed by roads of all sorts: some wide, packed with fine houses, and others narrow, with, on each side, houses with the look of mousetraps, arranged in tight rows.

That day was the end of the year. It was celebrated by that village, but nature appeared to be sulking and the snow fell in large flakes. Despite this, all along the streets, the shops spread waves of light and eyes were drawn by the mass of oddly stocked victuals.

The strollers and buyers were numerous. Some, wrapped in warm furs, laughed blissfully, mocking the cold. Others, on the contrary, walked fearfully; they were covered in rags, through which their bones appeared or their flesh showed.

From time to time, the latter assumed supplicant attitudes before the former, which is unfamiliar to you, dear children, but which consisted of holding out their hand while speaking disjoint words in a doleful tone. They begged for alms, which means that asked the fortunate for a portion of what they do not need so that they could acquire necessities for themselves and their children.

Three-quarters of the well-dressed passed by unmoved; some others, frugally, searched their pockets for the smallest offering they could give them.

When the ragged folk showed themselves to be too eager, some men, all dressed in the same manner, very heartily chastised them and chased them from the main streets; sometimes they even took them away after chaining their hands.

And there was, at the same time, so little humanity, so little respect for human dignity, that the very well dressed folks circled round and threw taunts and the poor wretches thus served, and the poorly dressed bowed their heads and squared their shoulders, trying to hide their crime of being poor by acquiescing to the acts of the men in uniform.

Those men were called agents of law enforcement, and they were kept big and plump; they had a mission to defend the well-dressed, the well-fed, against the ragged and destitute. They were, you will be astonished to learn, members of that same unfortunate class.

But we chatter on without getting to the subject.

A woman was lost in that crowd. Suffering was visible in her features, and poverty in the shabby rags that covered her. But on looking closely, on sensed that she was young, one saw that she was beautiful.

Many times her hand had traced the begging gesture, but she had never had the strength to finish. A last bit of pride shown in her eyes, her whole being rebelled against the debasement, the supplication. Often already well-dressed sorts had brushed past her, making rude appeals, and, as she lingered before a stand well stocked with succulent and tempting dishes, she felt at her neck the hot breath of a man who whispered: “If you want to go upstairs, there’s the room and a round bit in it.”

Dear children, you will hardly dare to understand these words, so surprising will they seem to you. In these barbaric times, the dignity of woman, her free choice, was no more respected than human dignity and liberty. The beauty, grace and youth of poor women were purchased by the well-dressed, the rich. None of their tastes were respected and the oldest, the ugliest—in furs—had the youngest and most beautiful women for not much more than a piece of bread.

In those days, they affected a greater morality and a great modesty. The free unions of the present were firmly excluded: love was always made through intermediaries or sold in special markets. Our poor unknown reddened, turned around. The man was old. He was ugly, with eyes sunk into the fat of his cheeks, two or three chins, a fat belly… Oh, her youth to this old man, to this ugly pleasure-seeker. She hesitated, then her beautiful face tightened. She squared her shoulders… She accepted.

She followed the man into a hotel, in some lane close to the high street. And in a plain room, where venal ruts were just as ordinary, she sold her body to the bestial caresses of the passer-by.

Satisfied, the man went on to other pleasures. She stood in front of the hotel, looking at the “round bit” as if lost, then gathered herself. The act that she had just committed was for this metal. This metal was for bread, for the child that was hungry; this metal was for coal, for the child who was cold… for her child, over there, in the attic room.

In a whirlwind, she entered a shop where the golden bread was spread out in all its forms. Some servants, who gathered around the well-dressed, stared at her suspiciously: “A pound of bread, please.” For bread, dear children, that indispensable sustenance, was sold like everything else. Someone served her and, happy to have bread of her own, the poor woman, she tossed the coin on the counter. It made a dull sound… A nasty voice said: “False. We can’t take that, my dear.” Brutal hands snatched the bread and pushed her outside.

She understood: she had been robbed, cheated. The last sacrifice of the mother for the child had been useless. Harsh words came to her mouth, against the gluttons who had eaten her flesh, breathed in her youth, without wishing to leave her a scrap of her well-being.

But her head quickly bowed and big tears poured down her cheeks; discouraged, weary, she made her way to the narrow lanes and bleak houses, leaving far behind her the quarter of luxury and abundance.

And, in the narrowest road, before the bleakest house, she stopped, followed a long alley, climbed the staircase, and, right at the top, catching her breath, softly she opened the door to her room.

Oh, the dreadful attic. Oh, the dismal slum. On the floor, a mattress, on which two or three sacks were thrown, close by a table of poorly joined planks, a stove whose three gaping holes seemed to emit cold, a gray trunk in one corner and that was all. A wan light crept in by a dormer whose broken pane let the breeze blow in. Did we say that was all? No. In one corner, almost sounding a cheerful note, a child’s bed. In this bed all the material love appeared triumphant; a thousand little things embellished this nest. A child of fix or six years slept there.

The woman’s first look was for him. Alas! She had returned as she had left, hands empty, no bread, no wood, it was death, the inevitable death. His death, that of the little cherub, of that future. Her eyes streamed with tears; she approached the bed with slow steps. Oh, irony, the child in his dream, smiled at the sight of some far-off paradise, of your paradise, dear children.

Then, she held her breath, but a desire to kiss that innocent flesh, that flesh of her flesh, arose, imperious, and she placed her lips on the brow of the child.

The child slowly opened his big eyes, still full of ecstatic joy, casting them on his tearful mother, on the bare table, on the cold stove, and cried out sadly: “Oh, mama! It was only a dream… But what a fine dream! We were no longer hungry… we were no longer cold… ever.”

[Working Translation by Shawn P. Wilbur]

About Shawn P. Wilbur 2709 Articles
Independent scholar, translator and archivist.