Félix Frenay, “The Law” (1864) (FR/EN)

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La loi

II est vraiment intéressant d’observer que pendant la série des siècles que l’histoire nous permet de sonder, l’esprit humain, dans sa marche lente mais continue, en sapant les institutions, les croyances, les préjugés, en attaquant toutes les monstruosités enfin, a cependant toujours fait une exception. En effet, quand toutes les religions sont tombées ou chancellent sur leur base, une seule est restée debout et ferme… c’est la loi.

On a poli les mœurs, on a adouci les législations en leur enlevant des aspérités trop choquantes, mais qui a jamais attaqué la loi dans son essence même? qui? Nous pourrions presque répondre : personne. Et cependant n’est-ce pas une iniquité !

Comment, quelques hommes se réunissent et forgent des constitutions, des codes, des règlements, auxquels ils donnent le nom de lois et qu’ils imposent ensuite aux autres sous peine de mort ou de prison, et cela ne serait pas une tyrannie!

Cependant la moindre notion du juste et de l’injuste suffit pour faire comprendre que, si l’on peut aliéner son bien, il n’est pas permis de disposer de celui des autres, et que, partant de ce principe, une loi ne pourrait être légitime que si, par impossible, une nation entière, puisque nation il y a, pouvait se réunir, s’entendre et tomber d’accord pour la rédiger; encore ne le serait-elle que pour une génération. Donc, faites des lois à votre fantaisie et tant que vous voudrez, mais pour vous seuls bien entendu, aliénez votre liberté mais respectez la nôtre.

Qu’est-ce que la loi ? Prescription émanée de l’autorité souveraine, dit le dictionnaire. Mais de quel droit prescription ? et de quelle autorité ?

Loi implique justice, harmonie, et pourtant qui dit la loi dit la violence et l’oppression.

La définition la plus exacte du mot loi c’est justice imposée. Mais la justice imposée par la force cesse par cela même d’être la justice. D’ailleurs la justice s’impose d’elle-même, et n’a nullement besoin, comme la loi, de s’appuyer sur des baïonnettes, d’avoir une escorte de gendarmes, et la loi véritable se trouve écrite dans la conscience de l’homme libre et éclaire bien mieux que dans les codes enfantés par des esprits malades ou obscurcis par des préjugés.

Donc, ce qu’on est convenu d’appeler la loi ne peut être la justice car la justice est une, et les subtilités libérales du relatif ne peuvent aucunement lui être appliquées, car ce qui est juste l’est partout, aussi bien en Belgique et en France, qu’en Prusse, en Turquie ou au Japon, contrairement à la loi, qui condamne dans tel pays ce qu’elle permet dans tel autre.

D’un autre coté, et dans le langage scientifique moderne, loi a une définition plus rationnelle et signifie : nécessité, inévitable ; ainsi tous les corps obéissent aux lois qui régissent la matière et ne peuvent s’y soustraire.

Peut-on faire qu’un corps soulevé en l’air puis abandonne a lui-même ne tombe pas vers la terre, qui est son centre d’attraction. Peut-on faire que la lumière ne se transmette pas en ligne droite, et que l’ombre d’un corps soit du coté qui fait face au foyer lumineux ? Non, les lois de la nature s’y opposent. Il1 est impossible que cela ne soit pas ainsi, et, par conséquent, il n’est pas nécessaire que quelqu’un veille à ce que la loi soit observée car la loi c’est la chose elle-même… La loi c’est l’harmonie et ne ressemble en aucune façon à ces absurdités humaines que l’on ne parvient à imposer et à faire observer un peu qu’à grand renfort de sergents de ville, et qui exigent un luxe effrayant de tribunaux et de condamnations.

Nous savons parfaitement que beaucoup, en nous lisant, crieront à l’abomination, et cela parce que nous attaquons les idées routinières, qui sont celles de la majorité, et que la majorité doit toujours avoir raison et être dans le vrai. Pourtant, quand la minorité devient majorité comme cela se voit presque toujours, s’en suit-il que ce qui était juste et vrai hier peut être demain injuste et faux?… comment concilier tout cela avec cet axiome admis par tout le monde que le juste et le vrai sont immuables?

« Quand un système de morale et de politique est établi sur un peuple, dit Paul de Jouvencel, que ce système soit vrai ou faux, juste ou inique, s’il a des soldats, des magistrats et des bourreaux, il faut obéir. En vain la conscience de l’homme se révolte-t-elle justement contre l’iniquité absurde; on soutient a cet homme que c’est sa conscience qui est criminelle , et on le lui prouve en lui lisant l’article du code qui le déclare criminel ;et, pour que la preuve soit plus efficace, on le jette dans un cachot, on le pend, on le brûle, on le fait tirer à 4 chevaux ou on lui coupe la tête, selon la coutume du pays et les prescriptions du code gardien du système de morale.

« Il n’y à donc guère d’espoir que cela finisse. Au contraire, après un certain temps on s’y accoutume : on tient pour juste ce que dit le code et pour injuste ce qu’il défend. Enfin, pour avoir la paix, on tache de faire comme il est ordonné et de ne pas faire ce qui est défendu. Et alors le temps qu’a duré cette obéissance forme une sorte de prescription, et sert au besoin de preuve et d’appui au système de morale et de politique. »

L’enfant naît. La loi en prend note, plane sur son berceau, comme une menace, au grand désespoir de la mère, le garde, l’épie, le guette, attendant avec une patience implacable qu’il soit assez grand et assez fort. Puis quand le jeune homme sort de l’adolescence, qu’il devient utile à ses semblables, qu’il commence à aider sa famille ou à en créer une nouvelle, voilà que tout-à-coup la loi paraît, et il est arraché à ses affections, à son avenir. On lui met dans les mains une arme qu’on lui apprend à manœuvrer absolument comme un automate. On lui lit un règlement dont, lui dit-on, il ne peut s’affranchir sans déshonneur. Il lui est défendu de penser, de parler, d’aimer, de se mouvoir. Il faut qu’il fasse abstraction de toutes les facultés qui font l’homme. Il faut qu’il abdique son individualité, devienne machine, et, comme la machine, obéisse aveuglement. Telle est la loi militaire : obéissance passive… et stupide.

Et voilà un homme qui devient, malgré lui, membre de ce corps sans âme qu’on appelle l’Armée.

Et voila un être vivant de (a vie individuelle, un homme qui ne demandait que de développer ses facultés, ravalé tout-à-coup au rang des zoophytes, car qu’est-ce que le régiment, sinon un être collectif comme le corail, dont il a l’intelligence à défaut de l’immobilité ? Oui, voilà un individu qui ne peut plus marcher comme tout le monde ni saluer comme vous et moi ; un individu à qui l’on coupe les cheveux d’une certaine manière et la barbe d’une certaine façon, qui mange, boit, dort, et, au besoin, tue, et tout cela selon des règles ; bref, c’était un homme… c’est une brute.

La loi est-elle égale pour tous ? Non, elle souffre des accommodements ; a, surtout, un faible pour l’argent. Elle n’est inexorable que pour le pauvre. Pour celui-là la société n’a rien, ni instruction, ni science, ni nourriture, ni vêtements, ni abri, rien que mépris et rudesse. Elle pousse le misérable à l’abîme, puis le frappe de toute la rigueur de ses lois. En cela elle ressemble à cet imbécile qui plonge son chien dans l’eau et ensuite le bat parce qu’il est mouillé.

Dans une société particulière il existe un règlement, le plus souvent absurde, il est vrai, mais que l’on vous fait connaître avant de vous recevoir, et auquel on se soumet de son plein gré. Dès lors les vexations et les amendes peuvent pleuvoir sans que l’on paisse y trouver à redire. Ne s’est-on pas engagé en connaissance de cause ? Mais que dirait-on d’une société où l’on se trouverait introduit malgré soi et soumis à toutes les vexations d’un règlement d’autant plus pesant qu’on ne pourrait s’y soustraire ? On rirait, tant cela dépasserait la mesure de l’inique et de l’absurde, et l’on briserait règlement et société. Pourtant c’est ainsi que nous sommes dans la grande société, ou la souveraineté individuelle est en honneur. Nous nous trouvons régis par un arsenal de codes et de règlements que, loin d’avoir faits nous mêmes, nous ne parvenons même jamais à connaître, quoique nous en sentons parfaitement les effets.

Peut-on faire un pas sans se heurter à la loi ? un mouvement sans sentir ses vexations? ne pèse-t-elle pas sur nous dans tous les actes de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort ? Assurément. Par conséquent la loi est un lien, une camisole de force et ne peut se concilier avec liberté, pas plus que ténèbres avec lumières.—Voilà notre conclusion.

Il ne serait peut-être pas superflu de rechercher quelles pourraient être les causes de cette manie de suivre une règle, dont les esprits les plus indépendants même ont tant de peine à s’affranchir. Mais comme c’est une étude qui sort un peu du cadre de cet article, nous la remettons à plus tard, en promettant toutefois de l’aborder, ainsi que celle autre question qui vient a la suite : La loi peut-elle ou doit-elle être supprimée brusquement ou par gradation ? Nous nous bornerons, pour le moment, à protester contre toutes les lois, oppressives ou protectrices, n’importe comment on veut les appeler, contre tous les codes, règlements et prescriptions, comme étant incompatibles avec la liberté, et déclarons mettre au-dessus du principe de la souveraineté du peuple celui de la souveraineté de l’individu.

Bruxelles, décembre 1864.

Félix FRENAY.

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The Law

It is truly interesting to observe that over the course of the centuries that history allows us to nous survey, the human mind, in its slow, but continual march, while undermining institutions, beliefs and prejudices, while attacking all the abominations, has always made one exception. Indeed, when all the religions have fallen or totter on their foundations, one alone will remain upright and solid… and that is the law.

We have polished manners and softened legislations, ridding them of the most shocking asperities, but who has ever attacked the law in its very essence? Who? We could almost respond: no one. And, yet, isn’t it an injustice!

A few men gather and devise constitutions, codes and rules, to which they give the name of laws and which they then impose on others under penalty of death or prison. How is this not tyranny?!

The least idea of justice and injustice is enough to make us understand that, if we can sacrifice our own interests, we are not allowed to dispose of those of others, and that, according to this principle, a law could only be legitimate if, against all odds, an entire nation, since there is a nation, could gather, hear one another out and reach agreement to draw it up; still, it would only be legitimate for a generation. So make as many laws as you like, but obviously only for yourself; give up your own liberty, but respect ours.

What is the law? A dictate emanating from sovereign authority, says the dictionary. But dictated by what right and by what authority?

Law implies justice, harmony, and yet whoever says law says violence and oppression.

The most precise definition of the word law is imposed justice. But justice imposed by force ceases, by that very fact, to be justice. Besides, justice imposes itself, and has no need, like law, to rely on bayonets, to have an escort of gendarmes. True law is written in the consciousness of free people, where it illuminates much better than in codes produced by minds that are sick or clouded by prejudices.

Thus, what we are accustomed to call the law cannot be justice, car justice is one, and the liberal subtleties of the relative can in no way be applied to it, for what is just is just everywhere, as much in Belgium as in France, as in Prussia, Turkey or Japan, unlike the law, which condemns in one country what it permits in some other.

On the other hand, and in modern scientific language, law has a more rational definition and means: necessity, inevitable; thus all bodies obey the laws that govern matter and non can escape from them.

Can we make a body raided in the air and then left to itself not fall toward the earth, which is its center of attraction? Can we make a light that is not transmitted in a straight line and a shadow that would be on the side of a body facing the source of light? No, the laws of nature oppose it. It is impossible that is should not be thus and, consequently, it is not necessary that someone makes sure that the law is observed, for the law is the thing itself… The law is harmony and does not resemble in any way the human absurdities that we manage to impose and enforce a bit only by means of a large cohort of police, and which demand a frightening abundance of courts and condemnations.

We know full well that man, reading this, will cry “abomination,” because we attack the conventional ideas, which are those of the majority, and that the majority must always be right and true. And yet, when the minority becomes the majority, as we almost always see, does it follow that what has just and true yesterday can be unjust and false tomorrow?… How are we to reconcile all that with the universally accepted axiom that justice and truth are immutable?

“When a system of morals and politics is established over a people,” say Paul de Jouvencel, “that system may be true or false, just or unjust, but if it has soldiers, magistrates and executioners, it is necessary to obey. Vainly the conscience of man makes a just rebellion against the absurd iniquity; they insist to the man that it is his conscience that is criminal, and they prove it by reading the article of the code that declares it criminal; and, in order that the proof be most efficacious, they throw him in a dungeon, hang him, burn him, they have him drawn by 4 horse or they cut off his head, according to the customs of the country and the prescriptions of the code that watches over the system of morals.

“There is little hope that this will end. On the contrary, in time one becomes accustomed to it: one accepts what the code says as just and for what it forbids as unjust. Finally, in order to have peace, one tries to do as they are ordered and not to do what is forbidden. And then the time that this obedience has lasted forms a kind of prescription, and serves, if need be, as roof and support for the system of morals and politics. “

The child is born. The law takes note of it, hovers over his cradle, like a threat, to the great despair of the mother; it guards him, observes him, lies in wait, waiting with an implacable patience until he is big and strong enough. Then when the young man emerges from adolescence, when he becomes useful to his fellows, when he begins to help his family or create a new one, that is when all at once the law appears, and he is torn from his affections, from his future. They put in his hands a weapon, which they teach him to maneuver absolutely like an automaton. They read him regulations, from which, they tell him, he cannot free himself without dishonor. It is forbidden for him to think, to speak, to love and to move. He must disregard all the faculties that make him a man. He must abdicate his individuality, become a machine, and, like the machine, obey blindly. Such is the military law: obedience, passive… and stupid.

And there is a man who becomes, despite himself, a member of the soulless body that we can the Army.

There is a being, living an individual life, a man who only asks to develop his own faculties, suddenly reduced to the ranks of the zoophytes, for what is the regiment, if not a collective being like the coral, which has [un]intelligence instead of immobility? Yes, there is an individual who can no longer walk like everyone, nor greet others like you and me; an individual whose hair must be cut in a certain manner and whose beard must be trimmed according to a certain fashion, who eats, drinks, sleeps and, as needed, kills—all according to the rules. In short, there was a man… there is a beast.

Is the law equal for all? No, it tolerates compromises; it has, above all, a weakness for money. It is only inexorable for the poor. For them society has nothing, neither instruction, nor science, nor food, nor clothing, nor shelter, nothing but scorn and harshness. It pushes the wretch to the brink of the abyss, then strikes him with all the rigor of its laws. In this it resembles the imbecile who plunges his dog in the water and then beats it because it is wet.

In a particular society there exist a rule, most often absurd, it is true, but one made known to you before you are admitted, to which you submit willingly. From then on, humiliations and fines can rain down without anyone being about to find fault with it. Didn’t we make an informed commitment? But what would say of a society where we found ourselves inserted despite ourselves and subject to all the humiliations of a regulation that is that much heavier as we cannot avoid it? We would laugh, as that clearly far surpasses the mark of injustice and absurdity, and we would break both the rules and the society. Yet this is how we are in the great society, where individual sovereignty has pride of place. We find ourselves ruled over by an arsenal of codes and regulations that, far from having been made by us, we never even manage to known, although we most certainly feel their effects.

Can we take a step without bumping up against the law? Make a move without feeling its aggravations? Doesn’t it weigh on us in every act of life, from the cradle to the grave? Assuredly. Consequently, the law is a yoke, a straightjacket and cannot be reconciled with liberty, any more than darkness can be reconciled with light. — That is our conclusion.

It might not be superfluous to seek the causes of this obsession with following a rule, from which even the most independent minds have so much difficulty freeing themselves. But as that is a study that goes beyond the scope of this article, we will set it aside for later, promising however to address, along with that other question comes after it: Can or must the law be eliminated abruptly or gradually? We will limit ourselves, for the moment, to protesting against all the laws, oppressive or protective, no matter what one wishes to call them, against all codes, regulations and prescriptions, as being incompatibles with liberty, and declare that above the principle of the sovereignty of the people we put that of the sovereignty of the individual.

Brussels, December 1864.

Félix FRENAY.

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Félix Frenay, “La loi,” Le Prolétaire 10 no. 1 (January 8, 1868): 2–3.

[Working translation by Shawn P. Wilbur.]

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