E. Armand, “Equisses / Sketches” (1923)

Esquisses.…

I

J’ai marché dans la vie, comme on marche en un rêve…
Je préfère, déserte et lointaine, la grève,
La cime solitaire et le pic désolé,
La cabane à l’écart, le sentier isolé,
Le bois infréquenté que le touriste ignore,
L’heure où la nuit pâlit et fait place à l’aurore.
J’aime dans les cités, passant silencieux,
Les quartiers noyés d’ombre, aux coins mystérieux
Où des cris des marchand ne vous parvient à peine
Qu’une rumeur vague, étouffée, incertaine.

Sketches.…

I

I have walked through life as one walks in a dream…
I prefer, remote and deserted, the beach,
The solitary summit and desolate peak,
The cabin set apart, the isolated path,
The unfrequented wood that the tourist does not know,
The hour when the night pales and gives way to the dawn.
I love, in the cities, passing silently,
The shadowy districts, with mysterious spots
Where the shouts of the merchants barely reach you
But as a vague, muffled, uncertain murmur.

II

Dans la foule à Paris, j’aime égarer mes pas,
A l’aventure errer, des heures, jamais las.
Je n’entends point le bruit, je suis sourd aux paroles;
Mille chars se croisant à des allures folles
De leur tapage en vain échauffent-ils les airs :
Je me sens, parmi tant de tumultes divers,
Aussi seul qu’en plein cœur d’une forêt obscure,
Je n’aperçois personne et nul de moi n’a cure.
Il m’arrive parfois, tel un simple badaud,
Tombant de quelque songe où je planais bien hauts
D’écouter, amateur rempli de complaisance,
D’un chanteur ambulant la nouvelle romance,
Je me surprends alors au milieu d’inconnus :
Flâneurs, commis, trottins, manœuvres aux bras nus,
Ouvrières enfuies de la plus proche usine,
Ménagères qu’au fond de leur sombre cuisine
Le chant a poursuivi comme un écho d’antan;
Tout ce monde au refrain s’égosille.… Pourtant,
Malgré son beau succès, la complainte s’achève,
Le groupe s’éparpille et je reprends mon rêve…

II

In the crowd, in Paris, I love to lose my way,
To wander aimlessly for hours, never tiring.
I do not hear the noise; I am deaf to the words;
A thousand carts crossing at mad speeds
Heat the air in vain with their racket:
I feel myself, among so much and such varied tumult,
As alone as if I were deep in the heart of a dark forest,
I see no one and nothing touches me.
I find myself sometimes, like a simple onlooker,
Falling from some dream where I soared on high
Listening, an indulgent connoisseur,
To a singer hawking the new love song,
I find myself then in the midst of strangers:
Loafers, assistants, errand boys, barefooted laborers,
Workers fleeing from the nearest factory,
Housewives who, within their somber kitchens,
Have followed the song like an echo of days gone by;
Each one sings the refrain at the top of their voice.… And yet,
Despite its fine success, once the lament is finished,
The group disperses and I resume my dream…

III

J’ai marché dans la vie comme on marche en un rêve.….
Et les ans ont passé se pourchassant sans trêve,
Si c’est l’automne encor, la nuit tombe moins tard.
De plaisirs s’il est vrai que j’ai goûté ma part,
Que de jours j’ai vécus, marqués par la souffrance!
La douleur m’a hanté, bien plus que l’espérance ;
Je ne me prétends pas de ceux que rien n’abat;
J’ai frémi, mais non point deserté le combat…
Vaincu, certes, souvent; blessé, mais non point lâche,
J’ai pleuré, j’ai douté, faibli devant la tâche ;
Mais dans l’adverse camp nul ne m’a découvert
Sacrifiant aux dieux que je niais hier…

III

I have walked through life as one walks in a dream…
And the years have passed chasing one another down without respite,
If it still autumn, the nightfall lingers less.
Of pleasures, it is true that I have tasted my share,
But how many days I have lived marked by suffering!
Sorrow has haunted me, much more than hope;
I cannot claim to be one of those whom nothing brings down;
I have trembled, but not abandoned the fight…
Defeated, of course, often; wounded, but not a coward,
I have cried, I have doubted and weakened in the face of the task;
But no one has discovered me in the opposing camp
Sacrificing to the gods that I denied yesterday…

IV

Eh bien, malgré des ans l’insipide menace
Le rêve sur moi garde une emprise tenace ;
Et si l’âge plus tard faisait fléchir mon corps
Tout courbé, je voudrais songer, rêver encor.
Artiste à ma façon et poète quand même,
De l’amour chérissant jusqu’à l’ombre elle-même,
Fasciné par la forme, ému par la couleur,
La neige au front peut-être, et le soleil au cœur,
D’un bond, je veux franchir mon étape dernière
Et m’en aller, les yeux tout remplis de lumière.

(Maison centrale de Nimes).

E. Armand

IV

Well, despite the bland threat of the years,
The dream maintains a tenacious grip on me;
And if, later, age should make my body bend
All bent, I would like to think, to dream still.
Artist in my way and poet anyhow,
Of love, cherishing even just the shadow,
Fascinated by the form, moved by the color,
Snow on the brow, perhaps, and sun in the heart,
With a bound, I want to pass my last stage
And go my way, eyes full of light.

(Maison centrale de Nimes.)

E. Armand

E. Armand, “Equisses…,” L’En dehors 2 no. 6 (début Février 1923): 2.

[Adapted to English by Shawn P. Wilbur]

 

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