OF THE
CREATION OF ORDER
IN HUMANITY
OR
PRINCIPLES OF POLITICAL ORGANIZATION
BY
[These draft translations are part of on ongoing effort to translate both editions of Proudhon’s Justice in the Revolution and in the Church into English, together with some related works, as the first step toward establishing an edition of Proudhon’s works in English. They are very much a first step, as there are lots of decisions about how best to render the texts which can only be answered in the course of the translation process. It seems important to share the work as it is completed, even in rough form, but the drafts are not suitable for scholarly work or publication elsewhere in their present state. — Shawn P. Wilbur, translator]
TABLE OF CONTENTS
Definitions
CHAPTER I. — Religion.
CHAPTER II. — Philosophy.
CHAPTER III. — Metaphysics.
CHAPTER IV. — Political Economy.
CHAPTER V. — History.
CHAPTER VI. — The Functions.
1. J’appelle Ordre toute disposition sériée ou symétrique.
L’ordre suppose nécessairement division, distinction, différence. Toute chose indivise, indistincte, non différenciée, ne peut être conçue comme ordonnée : ces notions s’excluent réciproquement[1].
2. Les idées d’intelligence et de cause finale sont étrangères à la conception de l’ordre. En effet, l’ordre peut nous apparaître comme résultat non prévu de propriétés inhérentes aux diverses parties d’un tout : l’intelligence ne peut, dans ce cas, être assignée comme principe d’ordre. — D’autre part, il peut exister dans le désordre une tendance ou fin secrète : la finalité ne saurait davantage être prise comme caractère essentiel de l’ordre.
D’après cela, la considération de l’univers, au point de vue où l’ont saisi Bossuet, Fénelon, Cicéron, n’est point un argument de l’existence de Dieu ; pas plus que le désordre social, tel qu’il nous est présenté par l’histoire, ne prouve contre la Providence.
3. L’ordre est la condition suprême de toute persistance, de tout développement, de toute perfection.
4. L’ordre, dans ses manifestations diverses, étant série, symétrie, rapport, est soumis à des conditions dans lesquelles il peut être décomposé, et qui en sont comme le principe immédiat, la forme, la raison, le mètre. Ces conditions sont ce qu’on appelle lois. — Ainsi, prenant le cercle comme un tout ordonné, l’égalité fixe du rayon générateur sera la loi. Dans la série arithmétique 3, 5, 7, 9, 11…………., la loi ou raison est 2.
5. L’expression d’une loi, ou sa description, est une formule.
6. Toute loi vraie est absolue et n’excepte rien : l’ignorance ou l’ineptie des grammairiens, moralistes, jurisconsultes et autres philosophes, a seule imaginé le proverbe Point de règle sans exception. La manie d’imposer des règles à la nature, au lieu d’étudier les siennes, a confirmé plus tard cet aphorisme de l’ignorance. — Dans les sciences mathématiques et naturelles, il est admis que toute loi qui n’embrasse pas l’universalité des faits est une loi fausse, une loi nulle : il en est de même pour toutes les autres sciences.
7. L’ordre n’est point quelque chose de réel, mais seulement de formel ; c’est l’idée inscrite dans la substance, la pensée exprimée sous chaque collection, série, organisme, genre et espèce, comme la parole dans l’écriture.
8. L’ordre est tout ce que l’homme peut savoir de l’univers.
Considérant la création selon les trois catégories de substance, cause, relation, nous trouvons que les êtres, perceptibles seulement pour nous par les rapports que nous soutenons avec eux, nous demeurent impénétrables dans leur substance ; que les causes, insaisissables dans leur principe et leur origine, ne nous laissent entrevoir que la succession de leurs effets. Les rapports des choses, l’ordre et le désordre, le beau et le laid, le bien et le mal, voilà tout ce qui tombe sous l’observation de l’homme, tout ce qui fait l’objet de sa science.
Des trois faces de l’univers, une seule nous est donc intelligible : les deux autres sont, de notre part, l’objet d’une foi aveugle, fatale. L’ontologie, en tant que science des substances et des causes, est impossible[2].
9. Nous ne connaissons des êtres que leurs rapports : toutefois, comme il est nécessaire, pour les besoins de la science, de distinguer sous chacune de ses faces ce grand tout que nous nommons Univers, on a donné des noms spéciaux aux choses connues et aux inconnues, aux visibles et aux invisibles, à celles que l’on sait et à celles que l’on croit.
Ainsi l’on appelle substance la matière, quelle qu’elle soit, de toute série, de toute organisation ; le principe de toute inertie ou résistance. Dans une horloge, par exemple, la substance est le fer, le cuivre, en un mot les matériaux divers dont cette horloge est composée[3].
10. On entend par cause la force primitive qui détermine un changement d’état, une production d’ordre ou de désordre, en un mot un mouvement. — Les philosophes, par abus de langage, considérant les différents termes d’une suite mobile comme cause les uns à l’égard des autres, ont cru pouvoir, à l’aide de ces prétendues causes secondes, s’élever jusqu’à la connaissance des premières. Mais il est aisé de voir combien, en prenant des rapports pour des causes, ils se faisaient illusion. La cause qui fait marcher l’aiguille d’une horloge, d’après leur manière de voir, est une roue qui tourne ; la cause qui fait tourner la roue est une chaîne roulée sur un pivot ; la cause qui fait dérouler la chaîne est un poids qui la tire ; la cause qui fait tomber le poids est l’attraction ; la cause de l’attraction… est inconnue. Or, toutes ces causes sont les termes d’une suite mécanique produite dans le domaine de la force, comme un polyèdre de cire ou d’ivoire est un ordre géométrique produit dans le domaine de la substance. De même que la matière ne change pas avec les figures qu’on lui donne et les usages auxquels on l’emploie ; de même la force ne varie pas non plus, c’est-à-dire ne se classe pas, selon les séries dont elle peut être le substratum, le sujet. L’erreur n’est donc point de nommer la substance et la cause[4] ; mais seulement d’aspirer à les connaître et de prétendre les expliquer.
11. Propriété, qualité, mode et phénomène sont autant d’expressions corrélatives de substance et de cause, et servant à désigner ce en quoi l’une et l’autre sont perceptibles, c’est-à-dire l’ordre ou le désordre qu’elles présentent.
12. D’après ces notions, l’ordre, ou ce qu’il y a de purement formel dans la nature, étant la seule chose accessible à la raison, l’unique objet de la science, devient par cela même la seule réalité pour la raison. Il y a un ordre, ou système naturel des corps célestes, démontré par Newton ;
Un système des plantes, reconnu par de Jussieu ;
Un système de zoologie, dont Cuvier est le principal inventeur ;
Un système de chimie, que Lavoisier a plus ou moins complètement formulé ;
Un système de numération, admis dès la plus haute antiquité ;
Des systèmes de composition moléculaire, de reproduction organique, de cosmogonie, de grammaire, d’art et de littérature, encore peu connus, mais qui tous tendent à se dégager des voiles qui les couvrent et à se constituer d’une manière absolue.
Pareillement il existe un système naturel d’économie sociale, entrevu ou pressenti par les législateurs, qui se sont efforcés d’y conformer leurs lois : système que chaque jour l’humanité réalise et que je me propose de reconnaître.
13. L’ordre se produit, dans les êtres inorganisés ou privés de raison, en vertu de forces inconscientes, aveugles, infaillibles, et selon des lois inconnues d’eux-mêmes ; — dans les êtres raisonnables, en vertu de forces qui se sentent, par cette raison qui sont sujettes à dévier, et selon des lois que ces êtres sont appelés à connaître.
En d’autres termes, les êtres bruts obéissent à leurs lois sans en avoir l’intelligence : l’Humanité ne s’organise que par la connaissance réfléchie, et, si je puis ainsi dire, par l’élaboration qu’elle fait elle-même de ses lois.
Or, cette intelligence de nos lois, nous ne l’obtenons pas d’une manière instantanée et par une perception machinale, mais par un long effort de contemplation, de recherche et de méthode. De là trois grandes époques dans la formation de la connaissance humaine, la Religion, la Philosophie, la Science.
14. J’appelle Religion l’expression instinctive, symbolique et sommaire par laquelle une société naissante manifeste son opinion sur l’ordre universel.
En d’autres termes, la Religion est l’ensemble des rapports que l’homme, au berceau de la civilisation, imagine exister entre lui, l’Univers et Dieu, l’Ordonnateur suprême.
D’un point de vue moins général, la Religion est en toute chose le pressentiment d’une vérité.
Le principe de toute religion est le sentiment ; son caractère essentiel, la spontanéité ; ses preuves, des apparitions et des prodiges ; sa méthode, la foi. La démonstration analytique et la certitude rationnelle sont l’opposé de l’esprit religieux.
Il suit de là que la Religion est de nature immobile, rêveuse, intolérante, antipathique à la recherche et à l’étude, qu’elle a horreur de la science comme des nouveautés et du progrès. Car douter ou philosopher aux yeux de la religion, c’est se placer volontairement dans la disposition prochaine de ne plus croire ; raisonner, c’est prétendre à découvrir les secrets de Dieu ; spéculer, c’est abolir en soi les sentiments d’admiration et d’amour, de candeur et d’obéissance qui sont le propre du croyant ; c’est taxer d’insuffisance la révélation primitive, affaiblir les aspirations de l’âme vers l’infini, se défier de la Providence et substituer à l’humble prière de Philémon la révolte de Prométhée.
15. J’entends par Philosophie cette aspiration à connaître, ce mouvement de l’esprit vers la science qui succède à la spontanéité religieuse et se pose comme antithèse de la foi : aspiration et mouvement qui ne sont encore ni science ni méthode, mais investigation de l’une et de l’autre. De là le nom de philosophie, amour ou désir de la science : de là aussi la synonymie primitive des mots philosophe et sceptique, c’est-à-dire chercheur.
Le principe de la Philosophie est l’idée de causalité ; son caractère spécial, la superstition ; son procédé, la sophistique : j’en expliquerai le mécanisme et le mystère[5].
16. La religion et la philosophie ont ceci de commun qu’elles embrassent l’univers dans leurs contemplations et leurs recherches, ce qui leur enlève toute spécialité et par là même toute réalité scientifique ; que dans leurs élucubrations ou leurs rêveries elles procèdent à priori, sans cesse descendant, par un certain artifice rhétorique, des causes aux effets, ou remontant des effets aux causes, et se fondant constamment, l’une sur l’idée hypothétique et indéterminée de Dieu, de ses attributs, de ses desseins ; l’autre sur des généralités ontologiques, dépourvues de consistance et de fécondité.
Mais la religion et la philosophie diffèrent, en ce que la première, produit de la spontanéité, ouvrage quelquefois d’un instant, est de sa nature immuable et ne reçoit de modification que par l’influence de causes étrangères : tandis que l’autre, produit de la curiosité et de la réflexion, varie selon les objets, change au gré de l’expérience, et toujours étendant le cercle de ses idées, rectifiant ses procédés et ses méthodes, finit par s’évanouir dans la science.
17. J’appelle Science la compréhension, claire, complète, certaine et raisonnée de l’ordre.
Le caractère propre de la Science est, au rebours de la religion et de la philosophie, d’être spéciale, et, selon cette spécialité, d’avoir une méthode d’invention et de démonstration qui exclut le doute et ne laisse rien à l’hypothèse.
Relativement à la religion et à la philosophie, la Science est l’interprétation des symboles de la première, la solution des problèmes posés par la seconde.
Sur quelques parties de son vaste domaine, la Science ne fait encore que de poindre ; sur d’autres, elle s’élabore ; sur presque toutes, il ne nous est pas donné de l’achever. Mais, telle que nous pouvons l’acquérir, la Science suffit à l’exercice de notre raison, à l’accomplissement de notre mission terrestre, aux immortelles espérances de nos âmes.
Partout où la Science n’a pas planté ses premiers jalons, il y a religion ou philosophie, c’est-à-dire ignorance ou déception[6].
18. J’appellerai Métaphysique la théorie universelle et suprême de l’ordre, théorie dont les méthodes propres aux diverses sciences sont autant d’applications spéciales. Ainsi la géométrie et l’arithmétique sont deux dépendances de la métaphysique, qui leur donne à chacune la certitude et les embrasse dans sa généralité.
L’objet de la métaphysique est : 1o de donner des méthodes aux branches d’études qui en manquent, et par conséquent de créer la science là où la religion et la philosophie l’appellent ;
2o De montrer le critérium absolu de la vérité ;
3o De fournir des conclusions sur la fin commune des sciences, c’est-à-dire sur l’énigme de ce monde, et la destinée ultérieure du genre humain[7].
19. J’entends par Progrès la marche ascensionnelle de l’esprit vers la Science, par les trois époques consécutives de Religion, Philosophie, et Métaphysique ou méthode.
D’après cela, le Progrès ne s’entend pas de l’accumulation des découvertes que le temps amène en chaque spécialité, mais de la constitution et de la détermination même des sciences.
L’observation du Progrès, en beaucoup de cas, est indispensable à la découverte de l’Ordre : voilà pourquoi nous ferons précéder nos éléments de métaphysique d’une revue sommaire de la religion et de la philosophie ; pourquoi plus tard la science sociale ne marchera qu’à l’aide de la législation comparée et de l’histoire[8].
DEFINITIONS
1. I call Order every seriated or symmetrical arrangement. Order necessarily presupposes division, distinction, difference. Nothing undivided, indistinct, undifferentiated, can be understood as ordered: these notions are mutually exclusive. [1]
2. The ideas of intelligence and final cause are foreign to the idea of order. In fact, order can appear to us as an unforeseen result of properties inherent in the various parts of a whole: intelligence cannot, in this case, be designated as a principle of order. — Besides, a secret tendency or aim can exist in disorder: purpose can also not be taken as an essential character of order.
Accordingly, the consideration of the universe, from the point of view grasped by Bossuet, Fénelon, and Cicero, is not an argument for the existence of God, any more than social disorder, as it is demonstrated to us by history, disproves Providence.
3. Order is the ultimate condition of all persistence, all development, and all perfection.
4. Order, in its various manifestations, being series, symmetry, and relation, is subject to conditions in which it can be broken down, which are like its immediate principle, form, reason, meter. These conditions are what we call laws. — Thus, taking the circle as an ordered whole, the fixed equality of the generative radius will be the law. In the arithmetic series 3, 5, 7, 9, 11…………., the law or reason is 2.
5. The expression of a law, or its description, is a formula.
6. Every true law is absolute and without exception: only the ignorance or inanity of the grammarians, moralists, jurists and other philosophers has dreamed up the proverb: No rule without exception. The mania for imposing rules on nature, instead of studying its own laws, has confirmed that ignorant aphorism. — In the mathematical and natural sciences, it is accepted that every law which does not embrace the totality of the facts is a false law, an invalid law: it is the same for all the other sciences.
7. Order is not something real, but only something formal; it is the idea inscribed in substance, the thought expressed in each collection, series, organism, genus and species, like word in writing.
8. Order is all that man can know of the universe. Considering creation according to the three categories of substance, cause, and relation, we find that beings, perceptible to us only by the relations that we sustain with them, remain impenetrable to us in their substance; that causes, elusive in their principle and origin, let us glimpse only the sequence of their effects. The relations of things, order and disorder, beauty and ugliness, good and evil, are all that we can observe, all that is the subject of its science.
Thus, of the three faces of the universe, only one is intelligible to us: the two others are, for us, the object of a blind, fateful faith. Ontology, as a science of substances and causes, is impossible. [2]
9. We know beings only by their relations: however, as it is necessary, for the needs of science, to distinguish in each of its aspects this great whole that we call the UNIVERSE, we have given special names to things known and unknown, to the visible and invisible, to those that we know and that we believe.
Thus we call substance the material, whatever it may be, of every series, of every organization; the principle of all inertia or resistance. In a clock, for example, the substance is the iron, the copper, in short the various materials of which the clock is composed. [3]
10. By cause we mean the primitive force that determines a change of state, a production of order or disorder, in short a movement. — The philosophers, by an abuse of language, considering the different terms of a mobile sequence as causing one another, have thought they could, with the aid of these alleged secondary causes, raise themselves to knowledge of the first. But it is easy to see how much they fool themselves, taking relations for causes. The cause which makes the hands of a clock move, according to their way of seeing, is a wheel which turns; the cause which makes the wheel turn is a chain rolling on a pivot; the cause which makes the chain unwind is a weight which pulls it; the cause which makes the weight fall is attraction; the cause of the attraction… is unknown. Now, all these causes are the terms of a mechanical sequence produced in the domain of force, as a polyhedron of wax or ivory is a geometric order produced in the domain of substance. Just as the material does not change with the shapes that we give it and the uses to which we put it; just so the force does not vary, it is not classified, depending on the series of which it may be the substratum, the subject. The error is therefore not to name the substance and the cause [4] ; but only to aspire to know them and to claim to explain them.
11. Property, quality, mode and phenomenon are so many correlative expressions of substance and cause, and serve to designate in what way both are discernible, the order or disorder that they show.
12. According to these notions, order, or that which is purely formal in nature, being the only thing accessible to reason, the only subject of the science, becomes for that reason the only reality for reason. There is an order, of natural system of celestial bodies, demonstrated by Newton;
A system of plants, identified by Jussieu;
A system of zoology, of which Cuvier is the principal inventor;
A system of chemistry, which Lavoisier has more or less completely formulated;
A system of numeration, recognized from the earliest times;
Some systems of molecular composition, organic reproduction, of cosmogony, grammar, art and literature, still little known, but which all tend to clear themselves from the veils which cover them and to be formed in an absolute manner.
In the same way, there exists a natural system of social economy, glimpsed or sensed by the legislators, who must strive to adapt their laws to it: a system that humanity fulfills each day and that I propose to recognize.
13. Order is produced, in unorganized beings or those deprived of reason, by virtue of unconscious, blind, unerring forces, and according to laws unknown to them; — in reasoning beings, by virtue of forces that are felt and that are, for that reason, prone to deviate, and according to laws that these beings are called upon to know.
In other words, the brute beings obey their laws without any understanding of them: Humanity is only organized by rational knowledge, and, if I can put it this way, by the elaboration that it makes of its own laws.
Now, that understanding of our laws is not obtained by us in an instantaneous manner and by an automatic perception, but through a long effort of contemplation, research and method. Hence, three great eras in the formation of human knowledge, Religion, Philosophy and Science.
14. I call Religion the instinctive, symbolic and summary expression by which a new society manifests its opinion on the universal order.
In other words, Religion is the ensemble of relations that men, in the cradle of civilization, imagine exists between themselves, the Universe and God, the supreme Organizer.
From a less general point of view, Religion is in all things the intuition of a truth.
The principle of every religion is sentiment; its essential character is spontaneity; its proofs, apparitions and prodigies; its method is faith. Analytic demonstration and rational certainty are the opposite of the religious spirit.
It follows from this that Religion is by nature immobile, daydreaming, intolerant, inimical to research and study, that it has a horror of science and the novelties of progress. For, in the eyes of religion, to doubt or to philosophize is to dispose oneself willingly to soon no longer believe; to reason is to pretend to discover the secrets of God; to speculate is to abolish within oneself the sentiments of admiration and love, of innocence and obedience that are proper to the believer; it is to charge the primitive revelation with insufficiency, to weaken the aspirations of the soul towards the infinite, to liberate oneself from Providence and substitute the humble prayer of Philemon with the revolt of Prometheus.
15. I mean by PHILOSOPHY that aspiration to know, that movement of the mind towards the science that follows religious spontaneity and presents itself as the antithesis of faith: an aspiration and a movement that are still neither science nor method, but the investigation of both. Hence the name philosophy, love or desire for science: hence also the primitive synonymy of the words philosopher and skeptic, which is to say seeker.
The principle of Philosophy is the idea of causality; its special character, superstition; its process, sophistry: I will explain its mechanism and its mystery. [5].
16. Religion and philosophy have this in common, that they embrace the universe in their contemplations and their researches, which removes from them all specialty and by the same token all scientific reality; that in their flights of fancy or their reveries they proceed à priori, ceaselessly descending, by a certain rhetorical artifice, from causes to effects, or ascending again from effects to causes, and se fondant constantly, the one of the hypothetical and imprecise idea of God, his attributes, and his designs; the other on ontological generalities, deprived of consistency and fruitfulness.
But religion and philosophy differ, in that the first, a product of spontaneity, the work sometimes of an instant, is by its nature immutable and receives modification only through the influence of external causes: while the other, product of curiosity and reflection, varies according to the objects, changes at the mercy of experience, and always extending the circle of its idea, rectifying its procedures and methods, ends by disappearing into science.
17. I call Science the clear, complete, certain and reasoned comprehension, of order.
The proper character of Science is, as opposed to religion and philosophy, to be special, and, according to that specialty, to have a method of invention and demonstration that excludes doubt and leaves nothing to hypothesis.
Relative to religion and philosophy, Science is the interpretation of the symbols of the first, the solution of the problems posed by the second.
In some parts of its vast domain, Science still only starts to emerge; in others, it is developed; in nearly all, it is given to us to complete it. But, as we can acquire it, Science is sufficient for the exercise of our reason, for the accomplishment of our earthly mission, for the immortal hopes of our souls.
Everywhere Science has not planted its first milestones, there is religion or philosophy, that is to say ignorance or deception [6].
18. I will call METAPHYSICS the universal and supreme theory of order, a theory of which the methods proper to the various sciences are so many specific applications. Thus, geometry and arithmetic are two annexes of metaphysics, which gives certainty to each and embraces them in its generality.
The object of metaphysics is: 1) to give methods to the branches of study that lack them, and consequently create science there where religion and philosophy call for it;
2) To show the absolute criterion of truth;
3) To furnish conclusions regarding the common aim of the sciences, on the mystery of this world, and the subsequent destiny of the human race [7].
19. I mean by PROGRESS the ascending march of the mind towards Science, through the three consecutive eras of Religion, Philosophy, and Metaphysics or method.
Accordingly, Progress does not mean the accumulation of discoveries that time brings about in each specialization, but the constitution and determination of the sciences themselves.
The observation of Progress, in many cases, is indispensable to the discovery of Order: that is why we will preface our elements of metaphysics with a summary review of religion and philosophy; why, later, the social science will only proceed with the aid of comparative legislation and of history [8].
20. Nous ne pouvons ni pénétrer les substances ni saisir les causes : ce que nous percevons de la nature est toujours, au fond, loi ou rapport, rien de plus. Toutes nos connaissances sont en définitive des perceptions de l’ordre ou du désordre, du bien ou du mal ; toutes nos idées des représentations de choses intelligibles, partant, des éléments de calcul et de méthode. Nos sensations même ne sont qu’une vue plus ou moins claire de rapports soit extérieurs, soit intérieurs, soit sympathiques. Voir et sentir sont une seule et même chose : nous en avons une preuve frappante dans les songes. En sorte que, le moi ne possédant réellement pas, de quelque façon qu’il s’approche des objets par les sens, ne pénétrant et ne s’assimilant rien, le bonheur pour nous, la jouissance, la plus haute félicité se réduisent à une vision. L’homme a beau faire : sa vie est tout intellectuelle ; l’organisme et ce qui s’y passe ne sont que le moyen qui rend cette vision possible.
Dans notre condition actuelle, la trop faible énergie de nos facultés ne nous permet qu’en partie de suppléer par l’entendement aux sensations ; mais qui sait si, dans un autre système d’existence, le plaisir et la douleur ne seraient pas pour nous des choses purement intelligibles, et dont la perception, n’ayant besoin d’aucune excitation organique, ne dépendrait plus que d’un acte de la volonté ?
Mais écartons la psychologie.
21. Concevons un moment où l’Univers ne soit qu’un tout homogène, identique, indifférencié, un chaos pour tout dire : la Création nous apparaîtra sous l’idée de séparation, distinction, circonscription, différence ; l’Ordre sera la série, c’est-à-dire la figure, les lois et les rapports, selon lesquels chaque être créé se séparera du tout indivis. Quelles que soient donc et la Nature divisante et la Nature divisée, la cause efficiente et la matière, l’agent et le patient, nous ne pouvons rien nier, rien affirmer de l’un ni de l’autre. L’esprit involontairement les suppose et s’élance jusqu’à eux : cet élan de l’intelligence nous révèle une réalité substantielle et une réalité causatrice, et nous verrons plus tard comment, sans les connaître jamais, nous pouvons acquérir la certitude de ces deux réalités. Mais notre science n’en demeure pas moins limitée à l’observation de l’ordre, des rapports et des lois : par conséquent toute dispute sur l’éternité de la matière ou son extraction du néant ; sur l’efficacité de la cause première pour produire cette extraction et le mode de l’acte créateur ; sur l’identité ou la non-identité de la force productrice et de la chose produite, de la cause et du phénomène, du moi et du non-moi, doit être bannie de la science et abandonnée à la religion et à la philosophie.
Pour notre intelligence, en un mot, créer c’est produire de l’ordre : dans ce sens, on peut dire que la création ne s’est pas bornée aux six jours de Moïse et que l’œuvre du septième jour, le plus grand des travaux de l’éternel Poëte, l’ordre dans la société, est en train de s’accomplir.
La production de l’ordre, tel est l’objet de la métaphysique.
22. Placé en face des choses et mis en rapport avec l’Ordre universel ou le Monde, d’abord l’Homme s’étonne et adore ; peu à peu sa curiosité s’éveille, et il se met à détailler le grand tout dont l’aspect au premier moment le subjugue, lui ôte la réflexion et la pensée.
Bientôt le sentiment de son activité personnelle lui faisant distinguer la force de la substance et le phénomène de la cause, après avoir adoré la Nature, l’Homme se dit que le monde qu’il admire n’est qu’un effet ; qu’il n’est point cette cause intelligente que cherchent son cœur et sa pensée ; et c’est alors que son âme s’élance au delà du visible et plonge dans les profondeurs de l’infini.
L’idée de Dieu dans l’homme est l’objet d’un infatigable travail, incessamment rectifié, incessamment repris. Cet Être suprême, l’homme le traite comme tous les autres êtres soumis à son étude : il veut le pénétrer et dans sa substance et dans son action, c’est-à-dire dans ce que les créatures elles-mêmes ont de plus impénétrable. De là cette multitude de monstres et d’idoles que l’esprit humain a décorés du nom de divinités et que le flambeau de la science doit faire évanouir à jamais.
Déterminer par la méthode universelle, sur les données de toutes les sciences et d’après les réformes successives qu’aura subies l’idée de Dieu en passant par la religion et la philosophie, ce que la raison peut affirmer de l’Être souverain que la conscience croit et distingue du monde, mais que rien ne lui fait apercevoir, voilà ce que doit, ce que peut être une théodicée.
23. Religion, Philosophie, Science ; la foi, le sophisme et la méthode : tels sont les trois moments de la connaissance, les trois époques de l’éducation du genre humain.
Consultez l’histoire : toute société débute par une période religieuse ; interrogez les philosophes, les savants, ceux qui pensent et qui raisonnent : tous vous diront qu’ils ont été, à une certaine époque, et plus ou moins de temps, religieux. On a vu des nations s’immobiliser dans leurs croyances primitives ; pour celles-là point de progrès. — On rencontre tous les jours des hommes opiniâtres dans leur foi, quoique fort éclairés d’ailleurs : pour eux point de science politique, point d’idées morales, point d’intelligence de l’homme. Des sentiments, des contemplations, des terreurs et des rêves, voilà leur partage.
D’autres, après avoir fait quelques pas, s’arrêtent aux premières lueurs philosophiques ; ou bien, effrayés de l’immensité de la tâche, désespèrent de marcher et se reposent dans le doute : c’est la catégorie des illuminés, des mystiques, des sophistes, des menteurs et des lâches.
COROLLARIES TO THE DEFINITIONS
20. We can neither penetrate substances nor to grasp causes; what we perceive of nature is always, at bottom, law or relation, nothing more. All our knowledge is ultimately from perceptions of order or disorder, good or evil; all our ideas from the representations of intelligible things, therefore, from the elements of calculation and method. Our very sensations, are nothing but a more or less clear view of relations external, internal, or sympathetic. To see and to feel are one and the same thing: we have a striking proof of it in dreams. So that, the self not really possessing, in some way which it approaches the objects by the senses, not penetrating and assimilating anything, happiness for us, pleasure, the highest felicity are reduced to a vision. Man acts in vain: his life is completely intellectual; the organism and what happens to it are nothing but the means which makes this vision possible.
In our present condition, the feeble energy of these faculties enables us to compensate only partially by understanding the feelings; but who knows if, in another system of existence, pleasure and pain would not be for us purely intelligible things, the perception of which, having no need of any organic excitation, would no longer depend on anything but an act of the will?
But let us put aside psychology.
21. Let us conceive a moment when the Universe is nothing but a homogeneous, identical, undifferentiated whole, a chaos, in short: creation will appear to us under the idea of separation, distinction, circumscription, difference; Order will be the series, i.e. the figure, the laws and the relations, according to which each created being will be separated from the undivided whole. Whatever Nature dividing and Nature divided may be, the efficient cause and the material, the agent and the patient, we can neither deny nor affirm anything of either. The spirit involuntarily presupposes them and thrusts itself at them: this spark of intelligence reveals to us a substantial reality and a causal reality, and we will see later how, without ever knowing them, we can acquire the certainty of these two realities. But our science remains no less limited to the observation of order, of relations and laws: consequently, any argument on the eternity of the matter or its extraction from nothing, on the efficacy of the first cause to produce this extraction and the manner of the act of creation, on the identity or the non-identity of the creative force and thing created, the cause and the phenomenon, the ego and the non-ego, must be banished from science and abandoned along with religion and philosophy.
For our intelligence, in a word, to create is to produce order: in this sense, one can say that the creation was not limited to the six days of Moses and that the work of the seventh day, the greatest of the works of the eternal Poet, that of order in society, is still being achieved.
The production of order: such is the object of metaphysics.
22. Set before things and placed in relation to the universal Order or the World, initially Man is astonished and worships; little by little, his curiosity awakens, and he starts to scrutinize the great whole whose face had initially enthralled him, taking reflection and thought from him.
Soon, the feeling of his personal activity makes him distinguish the force from the substance and the phenomenon from the cause, and from having once worshiped Nature, Man comes to think that the world he admires is only an effect, that it is not the intelligent cause that his heart and thought seek; at this point in time, his soul leaps beyond the visible and plunges into the depths of the infinite.
The idea of God in man is the object of an untiring work, ceaselessly rectified, ceaselessly resumed. Man treats this supreme Being like all the other beings subject to his study: he wants to understand its substance and its action, i.e. what is most impenetrable about the creatures themselves. Hence this multitude of monsters and idols that the human brain has decorated with the names of divinities and that the torch of science must make disappear forever.
To determine, by means of universal method, on the basis of the data of all the sciences and according to the successive reforms that the idea of God has undergone in passing from religion into philosophy, what reason can affirm of the sovereign Being that the conscience believes in and distinguishes from the world, but that nothing makes it see: this is what a theodicy must be, what it can be.
23. Religion, Philosophy, Science; faith, sophism and method: such are the three moments of knowledge, the three epochs of the education of mankind.
Consult history: every society begins with a religious era; question the philosophers, the scientists, those who think and reason: all will tell you that they were, at a certain period, and for a longer or shorter time, religious. One sees nations immobilized in their primitive beliefs: for these, there is no progress. — Every day we encounter men who are obstinate in their faith, though otherwise extremely enlightened: for them, there is no political science, no moral ideas, no understanding of man. Sentiments, contemplations, terrors, and dreams: this is their portion.
Others, after having taken a few steps, halt at the first glimmers of philosophy; or, frightened by the vastness of the task, despair at going forward and rely on doubt: such is the category of the visionaries, the mystics, the sophists, the liars and the cowards.
NOTES:
- D’après les éclectiques, l’ordre est l’unité dans la multiplicité. Cette définition est juste : toutefois il me semble qu’on pourrait la critiquer en ce qu’elle traduit la chose, mais ne la définit pas. Qu’est-ce qui produit l’unité dans la multiplicité ? La série, la symétrie.
- Les animaux sont au-dessous de la condition de l’homme ; ils ne perçoivent pas les rapports des choses, ils ne savent rien. Ce qui se passe en eux, et que nous prenons pour intelligence, n’est qu’un instinct perfectionné par l’habitude, une sorte de rêve provoqué par le milieu environnant, et qui ne suppose ni méditation ni science. Comme chez le somnambule, la pensée dans les animaux ne se connaît pas ; elle est organique et spontanée, mais non pas consciente ou réfléchie.
- Essence a plutôt rapport à la disposition et au but qu’à la matière, et s’entend de l’ensemble des parties, non des éléments constituants de la chose. La substance d’une horloge peut être la même que celle d’un tournebroche : mais l’essence de la première consiste dans une combinaison dont le but est de marquer les divisions du temps ; l’essence du second est simplement de produire un mouvement de rotation continu, sans périodicité.
- Voir plus bas, chap. iii, § 7.
- La philosophie, ainsi entendue, est ce que M. Auguste Comte appelle métaphysique. (Note de l’éditeur (*).)
(*) Les Notes de l’éditeur qu’on trouvera dans le courant de l’ouvrage avaient été ajoutées par Proudhon lui-même dans une nouvelle édition publiée en 1849. - Le statuaire, chez les anciens, écrivait sur ses ouvrages le mot faciebat, travaillait, pour indiquer qu’il ne les regardait jamais comme finis : ainsi l’ami de la vérité, toujours en garde contre le sophisme et l’illusion, peut se dire philosophe ; savant, jamais. Mais la vanité moderne a rendu la dénomination de philosophe ambitieuse et celle de savant modeste : les savants d’aujourd’hui ne s’estiment qu’autant qu’ils se croient philosophes ; le plus pur de la science, ils l’appellent philosophie.
- La métaphysique est ce que M. Auguste Comte nomme philosophie positive. (Note de l’éditeur.)
- Lorsque dans le cours de cet ouvrage je me sers des mots prêtres, philosophes, hommes du pouvoir, etc., je ne désigne point sous ces noms des classes de citoyens et ne fais aucune catégorie de personnes. J’entends par là des personnages abstraits, que je considère uniquement du point de vue de leur état, des préjugés qui lui sont propres, du caractère et des habitudes qu’il donne à l’homme : je ne décris pas des réalités, ni ne fais le procès à des individus.
Ainsi, bien que l’esprit religieux soit contraire à la science, à la charité et au progrès, je sais qu’il est des prêtres fort savants, fort tolérants, et singulièrement progressifs : j’ose même dire que le clergé, ne fût-ce que pour la défense de ses doctrines, est de toutes les corporations la plus curieuse de science, et que la plupart de nos prêtres commencent à n’être plus prêtres.
Pareillement, en dépit de l’ontologie et de la sophistique, qu’ils sont chargés d’enseigner, il ne manque pas de philosophes riant de la philosophie, et savants autrement qu’en paroles : j’affirme même qu’aujourd’hui tout philosophe honnête homme n’est point du tout philosophe.
Dirai-je que les agents du pouvoir, malgré leur caractère officiel de conservateurs et de bourgeois sont, par l’esprit et la tendance de leurs fonctions, tout près de la démocratie et de l’égalité ? J’avoue, quant à moi, que je suis du nombre de ceux qui, à tort ou à raison, n’ont pu se défaire, à l’égard de la bourgeoisie, de certaines préventions ou défiances : je reconnais volontiers cependant que beaucoup de choses s’y passent dans un sens tout a fait réformiste, et qu’en bien des cas la bourgeoisie peut se dire plus progressive que le socialisme.
Enfin, pour compléter cette apologie, faudra-t-il convenir qu’il est des savants de mœurs détestables et d’un odieux caractère ? Mais qu’est-il besoin de rappeler le mal, lorsqu’il y a tant de bien à dire ? Non, je n’ai point à m’excuser auprès des hommes, puisque je ne fais la guerre qu’aux préjugés. Les hommes sont bons, bienveillants, excellents ; ils ne me voudront jamais de mal : je ne crains que leurs préjugés et leurs costumes.
Dans ce temps de pouvoirs mal définis, d’institutions défaillantes, de lois équivoques et de sciences fausses, j’avais besoin de faire cette déclaration.
NOTES ON THE DEFINITIONS
[1] According to the eclectics, order is the unity in multiplicity. That definition is fair: however, it seems to me that on could critique it, in that it conveys the thing, but does not define it. What is it that produces the unity in multiplicity? The series, symmetry.
[2] The animals are beneath the condition of man; they do not perceive the relations between things; they know nothing. What occurs within them, and what we take for intelligence, is only an instinct perfected by habit, a sort of dream provoked by the surrounding milieu, which implies neither thought nor science. As with sleepwalkers, thought in animals does not know itself; it is organic and spontaneous, but not conscious or reflective.
[3] Essence relates to the disposition and the purpose, rather than the material, and is expressed by the ensemble of the parts, not by the constituent elements of the thing. The substance of a clock can be the same as that of a rotating spit: but the essence of the first consists in a combination whose purpose is to mark the divisions of time; the essence of the second is simply to create a movement of continuous rotation, without periodicity.
[4] See below, chap. iii, § 7.
[5] Philosophy, thus understood, is what M. Auguste Comte calls metaphysics. (Editor’s note (*).) (*) The Editor’s notes that are found in of the course of the work were added by Proudhon himself in a new edition published in 1849.
[6] Among the ancients, the sculptor wrote on his works the word faciebat, was working, to indicate that he never regarded them as finished: thus the friend of truth, always on guard against sophistry and illusion, can call themselves a philosopher; a savant [scholar, scientist], never. But modern vanity has made the name of philosopher ambitious and that of savant modest: the savants of today only respect themselves to the extent that they believe themselves to be philosophers; the more pure the science, they call it philosophy.
[7] Metaphysics is what Auguste Comte calls positive philosophy. (Editor’s note.)
[8] When, in the course of this work, I make use of the words priests, philosophers, men of power, etc., I do not designate by these names classes of citizens and I make no categories of persons. I mean by those words abstract figures, which I consider only from the point of view of their condition, of the prejudices that are proper to them, of the character and habits that their condition gives to a man: I do not describe realities, nor conduct the trial of individuals.
Thus, although the religious spirit is contrary to science, to charity and to progress, I know that there are priests who are very learned, very tolerant and singularly progressive: I even dare say that the clergy, if only for the defense of its doctrines, is of all the associations [corporations] the most curious about science, and that the majority of our priests begin to no longer be priests.
Similarly, in spite of the ontology and the sophistry, which they are charged with teaching, there is no lack of philosophers laughing at philosophy, and learned in more than words: I even maintain that today every philosopher who is an honest man is not a philosopher at all.
Would I say that the agents of power, despite their official character as conservative and bourgeois are, through the spirit and tendency of their functions, very close to democracy and equality? I confess, for my part, I am one of those who, rightly or wrongly, has not been able to rid myself, with regard to the bourgeoisie, of certain aversions or suspicions: I readily recognize that many of things move in an entirely reformist direction, and that in many cases the bourgeoisie can call themselves more progressive than socialism.
Finally, to complete this apology, is it suited to scientists of detestable manners and odious character? But what is the need of recalling the bad, when there is so much good to say? No, I have no apologies for these men since I only make war on biases. These men are good, benevolent, excellent; they never wish me wrong: I fear not their biases and suits.
Finally, in order to complete this apologia, would it be necessary to admit that there are savants with detestable habits and an odious character? What need is there to recall the evil, when there is so much good to say? No, I have nothing to apologize for in the eyes of men, since I only make war on prejudices. The men are good, benevolent, excellent; they would never wish me evil: I only fear their prejudices and their customs.
In these times of ill-defined powers, inadequate institutions, ambiguous laws and false sciences, it has been necessary for me to make this declaration.
CHAPITRE PREMIER
LA RELIGION
§ I. — La Religion impuissante à découvrir l’ordre
24. La Religion est hostile à la science et au progrès : cette proposition, qu’on pourrait croire dictée par l’impiété et la haine, est presque un article de foi.
Autre chose est de croire, dit un théologien, autre chose de juger ce qui mérite créance : Aliud credere, aliud judicare esse credendum. Il veut dire que le premier est de l’homme, et le second de Dieu ou de l’autorité qu’il a divinement établie pour enseigner les hommes. — Quelle est la règle de la foi ? demande un autre. C’est de s’attacher à ce qui a été cru de tous, partout et toujours : Quod ab omnibus, quod ubique, quod semper.
Voilà bien, d’une part, la foi opposée au raisonnement ; de l’autre, l’immobilité dans la foi prescrite. Déjà l’on avait séparé le spirituel du temporel ; il ne restait plus qu’à le séparer du rationnel, et à faire de la science de l’homme, de la société, de Dieu même, une chose de tradition. Quand on est arrivé là, il faut mourir : on n’a plus rien à faire au monde et à dire aux hommes.
Mais ceci ne concerne que la morale et la théodicée (et ce n’est pas peu de chose, puisque la morale embrasse l’économie politique et la famille, et que la théodicée résulte des plus hautes conclusions de la métaphysique) : il faut montrer que l’antipathie de la religion pour la science est générale.
FIRST CHAPTER
RELIGION
§ I. — Religion powerless to discover order
24. Religion is hostile to science and progress: this proposition, which one might believe dictated by impiety and hatred, is almost an article of faith.
It is one thing to believe, says a theologian, another thing to judge what merits belief: Aliud credere, aliud judicare esse credendum. He means that the first is for man, and the second for God or for the authority that he has divinely established to teach men. — “What is the rule of faith?” another asks. It is to cling to what has been believed by everyone, everywhere and always: Quod ab omnibus, quod ubique, quod semper.
Here indeed, on the one hand, is faith opposed to reasoning; on the other, immobility in the prescribed faith. Already the spiritual had been separated from the temporal; all that remained was to separate it from the rational, and to make the science of man, of society, of God himself, a thing of tradition. When you get there, you must die: you have nothing more to do in the world or to say to men.
But this only concerns morals and theodicy (and this is no small thing, since morals embraces political economy and the family, and theodicy results from the highest conclusions of metaphysics): it is necessary to show that the antipathy of religion for science is general.
25. Quelques esprits d’élite se sont imaginé de nos jours qu’en fécondant par la science les restes encore palpitants du catholicisme, on opérerait une heureuse révolution dans la société, en même temps qu’on servirait la Religion. On a pu se convaincre de la profonde répugnance de celle-ci pour le mouvement et la pensée. Des chrétiens, trop prévoyants pour le repos de leur foi, offraient de mettre au service de la religion tout ce que nous avons acquis de science historique, économique, naturelle : — et le pape a désavoué M. de Lamennais, imposé silence à M. Bautain ; les théories progressives et tendancielles de M. Buchez donnent l’alarme aux feuilles catholiques ; M. de Genoude commence à déplaire par son royalisme semi-démocratique et sa foi gallicane ; l’abbé Lacordaire, inspiré dans ses prônes par les idées du siècle autant au moins que par la Bible, a paru dangereux. Prêtres imprudents, qui vous croyez sages ! voulez-vous plaire aux hommes de religion ? N’apprenez rien, ne parlez pas, bouchez vos oreilles, brûlez tous vos livres, et récitez votre bréviaire.
Voilà pour l’application de la science à la théologie : voici pour la science en elle-même.
25. Some elite minds have imagined in our time that by fertilizing with science the still palpitating remnants of Catholicism, we would bring about a happy revolution in society, at the same time as we would serve Religion. We were able to convince ourselves of the profound repugnance for movement and thought of the latter. Christians, too far-sighted for the epose of their faith, offered to put at the service of religion all that we have acquired in historical, economic and natural science — and the pope disavowed M. de Lamennais, imposed silence on M. Bautain; the progressive and tendential theories of M. Buchez give alarm to the Catholic papers; M. de Genoude begins to displease with his semi-democratic royalism and his Gallican faith; the Abbé Lacordaire, inspired in his preaching by the ideas of the century at least as much as by the Bible, seemed dangerous. Imprudent priests, who you think are wise! Do you want to please the men of religion? Learn nothing, don’t speak, close your ears, burn all your books, and recite your breviary.
So much for the application of science to theology: so much for science in itself.
26. Rien de nouveau sous le soleil, répètent les prédicateurs depuis l’Ecclésiaste, comme s’il s’agissait du fait, et non pas de l’observation ! Ils ne savent pas, ces déclamateurs, qu’aux yeux du physicien la nature est toujours nouvelle, et que, pour l’historien philosophe, chaque jour amène du nouveau. — J’ai vu tout, s’écrie le prétendu Sage, et j’ai dit : Tout est vanité. Et quand vous parcourez le sommaire de sa science, vous apercevez qu’il n’a rien vu, excepté ses eunuques et ses femmes. Cependant il n’en faut pas plus à l’évêque auteur des Oraisons funèbres pour ranger la science, la seule réalité accessible à l’homme, l’unique source de son bonheur, parmi les choses vaines et affligeantes[1].
26. Nothing new under the sun, the preachers have repeated since Ecclesiastes, as if it were a question of fact, and not of observation! They do not know, these declaimers, that in the eyes of the physicist nature is always new, and that, for the philosophical historian, each day brings something new. — I have seen it all, exclaims the so-called Sage, and I have said: All is vanity. And when you go through the summary of his science, you see that he saw nothing, except his eunuchs and his wives. However, nothing more is needed for the bishop, author of the Oraisons funèbres to rank science, the only reality accessible to man, the only source of his happiness, among vain and distressing things. [1]
27. Dialogue entre un Théologien et un Raisonneur :
« Th. Le maître l’a dit.
R. Le maître s’est trompé. »
Commentaire de J.-B. Say :
« La sagesse des siècles n’est guère que l’ignorance des siècles. »
Les habitants de Minorque, au lieu de greffer leurs arbres comme ils le voyaient pratiquer aux Anglais, répondirent que personne ne savait mieux que Dieu comment les arbres devaient croître. — Sous Louis XI, la peste et la famine ayant désolé la France, le seul remède qu’on sut opposer à ces maux fut d’ordonner des prières et des processions. Empirisme, routine, respect de l’antique foi, religion et superstition, c’est toujours la même fin de non-recevoir opposée à la science, le même entêtement. L’homme dont la foi est invincible ressemble à l’animal plongé dans un air désoxygéné : en respirant il étouffe.
27. Dialogue between a Theologian and a Reasoner:
Th. — “The master said so.”
R. — “The master is mistaken.”
Comment by J.-B. Say:
“The wisdom of the centuries is little more than the ignorance of the centuries.”
The inhabitants of Menorca, instead of grafting their trees as they saw the practice of the English, replied that no one knew better than God how trees should grow. — Under Louis XI, the plague and famine having devastated France, the only remedy that could be opposed to these evils was to order prayers and processions. Empiricism, routine, respect for the ancient faith, religion and superstition, it is always the same flat refusal of science, the same stubbornness. The man whose faith is invincible resembles an animal immersed in deoxygenated air: by breathing he suffocates.
28. Mais si, d’après la définition que nous en avons donnée, la Religion n’est que la première impression produite sur l’esprit de l’homme par le spectacle de la nature, il semble qu’elle n’exclue pas nécessairement l’examen, comment donc se fait-il que partout on ait prétendu consacrer à jamais les inventions religieuses ?
Longtemps il a été de mode d’attribuer cette conjuration aux prêtres et aux rois : rien n’est plus injuste.
28. But if, according to the definition we have given of it, Religion is only the first impression produced on the mind of man by the spectacle of nature, it seems that it does not necessarily exclude examination, how is it that everywhere people have claimed to consecrate religious inventions forever?
For a long time it was fashionable to attribute this conspiracy to priests and kings: nothing could be more unjust.
29. La Religion, essayant à sa manière de rendre raison des choses, s’exprimant par figures et allégories, et secondée en cela par la vive imagination de sociétés jeunes, produisit dès l’origine de vastes épopées cosmogoniques, et tout un monde de fantômes. Incapable d’observer et de définir, elle se réfugiait dans le symbolisme. Or qu’est-ce que le symbole ? la matérialisation de l’idée, une sorte d’hiéroglyphe tenant lieu de formule. Que prouve-t-il ? l’impuissance de généraliser et d’abstraire, l’oppression de l’esprit par le fait de la substance.
29. Religion, trying in its own way to explain things, expressing itself through figures and allegories, and seconded in this by the lively imagination of young societies, produced from the outset vast cosmogonic epics and a whole world of ghosts. Unable to observe and define, it took refuge in symbolism. But what is the symbol? The materialization of the idea, a sort of hieroglyph serving as a formula. What does it prove? The inability to generalize and abstract, the oppression of the mind by the fact of substance.
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre, |
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre, |
a dit le poëte de la raison. Tous les faits naturels, psychologiques et sociaux, ont été taillés par la Religion sur le même moule. Ainsi,
-
Les bouleversements du globe furent un déluge envoyé pour laver les crimes du genre humain.
-
L’origine du mal, — la pomme d’Ève et la boîte de Pandore.
-
L’esprit de conquête, — des géants nés du commerce des anges et des femmes.
-
Les révolutions des empires, — la statue de Nabuchodonosor[2].
-
Les causes de la ruine d’un peuple, — le festin de Balthasar.
-
La législation, — les oracles du Sinaï, et les réponses de la nymphe Égérie.
-
La pudeur conjugale, — Junon sur le mont Ida, Marie vierge et mère tout ensemble.
-
Les trois règnes de la Nature, — Dieu en trois personnes.
-
La diversité des idiomes, — la tour de Babel.
-
La parole, — le Verbe, seconde personne de la Trinité.
-
La réforme sociale, — l’initiation par le bain.
-
La fraternité de tous les hommes, — l’eucharistie ou manducation de Dieu.
-
La théorie des délits et des peines, — les clefs de saint Pierre.
-
La sanction des lois, — le Poul-Serrho, ou le jugement universel[3].
30.
It’s no longer the steam that produces the thunder,
It’s Jupiter armed to frighten the earth,
said the poet of reason. All natural facts, psychological and social, have been cut by Religion from the same mould. Thereby,
The upheavals of the globe were a deluge sent to wash away the crimes of the human race.
The Origin of Evil — Eve’s Apple and Pandora’s Box.
The spirit of conquest,—giants born from the commerce of angels and women.
The revolutions of empires, — the statue of Nebuchadnezzar [2] .
The Causes of the Ruin of a People—Balthasar’s Feast.
Legislation, — the oracles of Sinai, and the answers of the nymph Egeria.
Conjugal modesty — Juno on Mount Ida, Mary virgin and mother all together.
The three kingdoms of Nature, — God in three persons.
The diversity of languages, — the tower of Babel.
Speech, — the Word, second person of the Trinity.
Social reform—initiation by water baptism.
The brotherhood of all men, — the eucharist or eating of God.
The Theory of Crimes and Punishments—The Keys of Saint Peter.
The sanction of the laws, — the Poul-Serrho, or the universal judgment. [3]
31. Telles furent les premières compositions par lesquelles l’esprit humain, essayant ses forces, répondait aux grandes questions de cosmogonie et d’anthropologie. Les miracles et théophanies faisaient partie essentielle de ces récits, dont les acteurs, abstractions personnifiées, revêtirent des formes fantastiques, pareilles à ces monstres dont les artistes du moyen âge chargeaient leurs sculptures : sphinx, dragons, lions ailés, chimères, centaures, démons, etc.
Or, telle était la base, non-seulement des croyances, mais de la morale et des lois. Qu’on juge, dès lors, si ces fables ou mythes étaient chères aux peuples, et précieuses aux législateurs ! Avec quel dédain on dut accueillir les premiers qui s’avisèrent d’en révoquer en doute la réalité ! Qui êtes-vous, hommes nouveaux, leur disait-on, pour substituer les pensées de votre cœur à la parole de Dieu, à la foi de nos pères ? Nos pères ont été témoins de ces miracles ; ils ont reçu ces révélations ; et nous savons qu’à Dieu rien n’est impossible……
Combien ensuite la foi religieuse dut se fortifier, lorsqu’on vit la philosophie elle-même échouer dans la solution des problèmes qu’elle accusait la Religion de travestir !
31. Such were the first compositions by which the human mind, testing its strength, answered the great questions of cosmogony and anthropology. Miracles and theophanies were an essential part of these stories, whose actors, personified abstractions, took on fantastic forms, like those monsters with which medieval artists loaded their sculptures: sphinxes, dragons, winged lions, chimeras, centaurs, demons, etc.
Now, such was the basis, not only of the beliefs, but of the morals and the laws. Judge, therefore, if these fables or myths were dear to the people, and precious to the legislators! With what disdain they must have received the first who took it into their heads to cast doubt on its reality! Who are you, new men, they were told, to substitute the thoughts of your heart for the word of God, for the faith of our fathers? Our fathers were witnesses to these miracles; they have received these revelations; and we know that with God nothing is impossible…
How much then religious faith must have been fortified, when we saw philosophy itself fail in the solution of the problems that it accused religion of misrepresenting!
32. Le symbolisme, loin d’être une réponse aux problèmes dont je parle, n’a fait, pour ainsi dire, que les mettre en scène. Une erreur très-commune de nos jours est de s’imaginer que ces mythes cachent une philosophie profonde et de hautes formules métaphysiques, tandis qu’ils attestent l’impuissance même de la pensée, et la nullité de la science.
Plus on creusera l’esprit du dogme et les traditions, plus on se convaincra que la Religion roule perpétuellement dans un cercle d’idées concrètes dénuées de profondeur et de généralité ; plus on verra, chose singulière ! que la Religion ne comprend rien à ses propres mystères et à ses cérémonies, qu’elle s’ignore elle-même autant qu’elle méconnaît la fin de l’homme et le but de la Société.
32. Symbolism, far from being a response to the problems of which I speak, has, so to speak, only staged them. A very common error nowadays is to imagine that these myths hide a deep philosophy and lofty metaphysical formulas, while they attest to the very impotence of thought, and the nullity of science.
The more one digs into the spirit of its dogma and traditions, the more one will be convinced that Religion rolls perpetually in a circle of concrete ideas devoid of depth and generality; the more we shall see—singular thing!—that Religion understands nothing of its own mysteries and its ceremonies, that it is unaware of itself as much as it misunderstands the end of man and the goal of Society.
33. Quel est le sens du sacrifice ? La nécessité de l’expiation après le délit, et l’élévation du cœur à la vue de la nature, en signe de reconnaissance et d’amour. Idées sublimes, que le progrès des sciences ne fait que développer de plus en plus. Qui croirait que nos prêtres ne sont guère plus avancés sur ce point que les sauvages ?
Le sauvage brise son idole quand il ne peut rien en obtenir, dans Homère, les héros cherchent à se rendre les dieux favorables par de magnifiques promesses ; au Pentateuque, on voit le dieu des Juifs régler lui-même sa part de gâteaux et de carbonnades. Aujourd’hui la basse messe coûte 15 sous, la grand’messe 3 francs ; partout le sacrifice assimilé à un échange, dont le prêtre est l’agent. Certes il est loin de ma pensée de reprocher aux curés leur modique casuel, qu’eux-mêmes dédaignent le plus souvent, et maudissent à l’égal d’une simonie : mais que le peuple vienne à penser que Dieu ne vend pas ses dons, qu’il pleut sur les fidèles et sur les mécréants, qu’il reçoit également dans sa miséricorde les âmes pour qui l’on offre des messes et celles qui n’en ont pas, et que devant lui la dévotion n’est rien sans les œuvres : alors adieu les messes salariées, adieu les profits de fabriques et le commerce des sacristies.
33. What is the meaning of sacrifice? The necessity of expiation after the crime, and the elevation of the heart to the sight of nature, as a sign of gratitude and love. Sublime ideas, which the progress of science only develops more and more. Who would believe that our priests are hardly more advanced on this point than the savages?
The savage smashes his idol when he can obtain nothing from it. In Homer, the heroes seek to make the gods favorable to themselves by magnificent promises; in the Pentateuch, we see the god of the Jews regulating himself his share of cakes and stews. Today low mass costs 15 sous, high mass 3 francs; everywhere the sacrifice is assimilated to an exchange, of which the priest is the agent. Certainly it is far from my thought to reproach the priests for their modest remuneration, which they themselves most often disdain, and curse as simony. But let the people come to think that God does not sell his gifts, that it rains on the faithful and the disbelievers alike, that he equally receives in his mercy the souls for whom masses are offered and those for whom they are not not, and that in his eyes devotion is nothing without works: then farewell to salaried masses, farewell to the profits of the factories and the commerce of the sacristies.
34. Voici, sur le sacrifice, la doctrine du plus profond des écrivains catholiques :
« La foi nous apprend qu’il a fallu, pour effacer le péché inhérent à la nature de l’homme, une victime théandrique. Peut-être les inventeurs des sacrifices humains avaient-ils appris cette vérité par quelque tradition vague, et les rites qui nous révoltent n’étaient de leur part qu’une tentative pour trouver cette victime. »
Quand l’homme, dit B. Constant, a sacrifié tout ce qu’il lui est donné d’offrir, les plantes, les fruits, les animaux, l’homme, le plaisir, la pudeur, la vertu même, il finit par immoler ses dieux.
34. Here, regarding sacrifice, is the doctrine of the most profound of Catholic writers:
“Faith teaches us that in order to erase the sin inherent in the nature of man, a theandric victim was required. Perhaps the inventors of human sacrifice had learned this truth from some vague tradition, and the rites that revolt us were only an attempt on their part to find this victim.”
When man, says B. Constant, has sacrificed everything he has to offer, plants, fruits, animals, man, pleasure, modesty, even virtue, he ends up immolating his gods.
35. Qu’est-ce que la prière ? une méditation, le plus souvent toute faite, que l’homme grossier, ignorant, distrait, sans idées liées, apprend à répéter, et sur laquelle sa faible intelligence s’appuie pour s’élever à des pensées consolantes et généreuses. La prière, en un mot, pour des esprits peu exercés, est un auxiliaire de la réflexion, un commencement de philosophie. Les prêtres en ont fait une psalmodie ennuyeuse : rosaire, litanies, antiennes, guirlandes d’Oremus et d’Ave Maria, avec remise des peines temporelles et hypothèques pour l’autre vie.
Ce que la Religion renferme de profond et de divin, la Religion ne le sait pas : et pourquoi ? toujours parce qu’elle se renferme dans le symbole, dans le sens littéral, et qu’elle ne peut passer du concret à l’abstrait.
35. What is prayer? A meditation, most often ready-made, which the coarse, ignorant, distracted man, without linked ideas, learns to repeat, and on which his feeble intelligence relies in order to rise to consoling and generous thoughts. Prayer, in a word, for untrained minds, is an aid to reflection, a beginning of philosophy. The priests made a boring psalmody out of it: rosary, litanies, antiphons, garlands of Oremus and Ave Maria, with remission of temporal sorrows and mortgages for the other life.
What religion contains that is profound and divine, religion does not know. And why? Always because it encloses within the symbol, in the literal sense, and because it cannot pass from the concrete to the abstract.
36. J’ai signalé l’incurie de la Religion à l’égard de la science et son ignorance d’elle-même : voyons comment elle entend la société. Je prends mes exemples chez les Juifs, d’abord parce que le sacerdoce figurait chez eux comme corps politique, et partie prépondérante de la nation ; puis, parce que notre clergé reconnaît Aaron et les lévites pour ses prédécesseurs.
Sennachérib, après une défaite, périt assassiné : c’est Jéhovah qui l’a frappé…… Toujours, selon les rédacteurs de la Bible, Jéhovah punit, toujours il tue. Il ne leur vient point à l’esprit de chercher la cause des catastrophes dont ils sont témoins dans le défaut d’unité et de centralisation, dans l’absence de constitution politique et de garanties, dans les jalousies de petits peuples que leur intérêt commun devait unir : de pareilles idées sont trop profanes pour le style des hommes de Dieu, trop timides pour la hauteur de leurs conceptions. À leurs yeux, le mal qui arrive est nécessairement une preuve que Dieu est irrité : donc, malheur au vaincu ! Damas tombe : anathème à Damas. Tyr est vaincue : anathème à Tyr. Babylone périt : anathème à Babylone. Moab est menacé : anathème à Moab. Samarie et Jérusalem succombent à leur tour ; oh ! le prêtre patriote va reculer devant son argument parricide ! non, non ; c’est Jéhovah qui a tué son peuple infidèle ; anathème à Samarie, à Jérusalem ; anathème !
36. I have pointed out the negligence of Religion with regard to science and its ignorance of itself: let us see how it understands society. I take my examples from the Jews, first because the priesthood figured among them as a body politic, and a preponderant part of the nation; then, because our clergy recognize Aaron and the Levites as their predecessors.
Sennacherib, after a defeat, perishes, assassinated: it is Jehovah who struck him… Always, according to the writers of the Bible, Jehovah punishes; he always kills. It does not occur to them to seek the cause of the catastrophes they witness in the lack of unity and centralization, in the absence of a political constitution and guarantees, in the jealousies of small peoples whose common interest should unite: such ideas are too profane for the style of the men of God, too timid for the loftiness of their conceptions. In their eyes, the evil that happens is necessarily a proof that God is angry: therefore, woe to the vanquished! Damascus falls: anathema to Damascus. Tyr is defeated: anathema to Tyr. Babylon perishes: anathema to Babylon. Moab is threatened: anathema to Moab. Samaria and Jerusalem succumb in their turn; Oh! The patriotic priest will recoil before his parricidal argument! No no; it was Jehovah who killed his unfaithful people; anathema in Samaria, in Jerusalem; anathema!
37. Veut-on un échantillon des lumières prophétiques sur les causes de la corruption des mœurs, les besoins de la société, et la tendance des esprits ? J’ouvre Isaïe :
« Cieux ! écoutez ; Terre, prête l’oreille : l’Éternel a parlé. »
Bien : qu’a-t-il dit ?
« J’ai nourri des enfants, je les ai comblés de gloire : et ils me méprisent !
« Le bœuf connaît son maître, et l’âne son étable, Israël ne me connaît plus ; mon peuple est sans intelligence.
« Malheur à la nation pécheresse, au peuple d’iniquité, à la race adultère, aux enfants du crime… »
Le reste est sur ce ton. Étonnez-vous après cela que les prophètes n’aient recueilli que le dédain ; que leurs réclamations aient été méprisées de tout ce qui n’était pas dévot et se souciait peu des intérêts du culte. Nous croyons posséder les monuments les plus précieux de la littérature hébraïque, nous n’avons guère que des homélies de missionnaires. Les écritures publiques et les ouvrages profanes ont péri : les prêtres, par l’énergie de leur institut ayant survécu à la ruine universelle, nous ont conservé leurs rapsodies, qu’ils eussent dû enfouir avec l’arche de leur dieu. Quand nous jugeons les mœurs et l’esprit des Hébreux d’après la Bible, c’est comme si nous raisonnions de la politique de Richelieu d’après les Sermons de Bourdaloue et le Petit Carême de Massillon.
37. Do we want a sample of the prophetic lights on the causes of the corruption of mores, the needs of society, and the tendency of minds? I open Isaiah:
“Heavens! Listen; Earth, give ear: the Eternal has spoken.”
Good: what did he say?
“I fed children, I filled them with glory: and they despise me!
“The ox knows his master, and the donkey his stable, but Israel no longer knows me; my people are without intelligence.
“Woe to the sinful nation, to the people of iniquity, to the adulterous race, to the children of crime…”
The rest is in this tone. No wonder after that if the prophets received only disdain; no wonder that their claims were scorned by all who were not devout and cared little for the interests of the cult. We believe we have the most precious monuments of Hebrew literature; we have only missionaries’ homilies. The public writings and the profane works have perished: the priests, having survived the universal ruin through the vigor of their institute, have preserved their rhapsodies for us, which they should have buried with the ark of their god. When we judge the mores and the spirit of the Hebrews according to the Bible, it is as if we reasoned about the policy of Richelieu according to the Sermons of Bourdaloue and the Petit Carême of Massillon.
38. Toutefois, à travers ce flux de prosopopées et d’injures, on aperçoit çà et là quelques vérités.
« Tes gouvernants sont des coquins et des larrons, qui aiment les présents et recherchent les pots-de-vin. »
Le sacerdoce, comme tous les partis ambitieux, s’efforce de capter la bienveillance du peuple, en attaquant les désordres et les dilapidations du gouvernement. Le secret est vulgaire, et exige peu de génie : mais des principes, des lois, des moyens, des remèdes, n’en demandez pas aux prophètes ; ils n’en connaissent d’autre que de se convertir et de faire pénitence.
38. However, through this flow of prosopopeia and insults, we see here and there some truths.
“Your rulers are rogues and thieves, who love presents and seek bribes.”
The priesthood, like all ambitious parties, endeavors to capture the benevolence of the people, by attacking the disorders and the dilapidations of the government. The secret is vulgar, and requires little genius: but for principles, laws, means, remedies, do not ask the prophets; they know nothing other than to convert and do penance.
39. Interrogez maintenant leurs successeurs : après trois mille ans ils rebattent les mêmes choses, trois mille ans ne leur ont rien appris.
« Nulle institution, dit de Maistre, ne peut durer si elle n’est fondée sur la religion. » D’autres ont remarqué, au contraire, qu’un peuple est d’autant moins politique et législateur, qu’il est plus religieux.
Mais qu’entend-il par religion ? Les commandements de l’Église, les sept sacrements, l’abstinence du vendredi et le repos du dimanche, avec la soumission au prince et au clergé. Or, qu’y a-t-il de commun entre l’organisation du travail et la communion pascale ? entre la division des pouvoirs et le culte de la madone ? entre la liberté de la presse et la confession auriculaire ? entre la boîte aux agnus et le problème de la répartition des richesses ?…
« Si la science, ajoute le théosophe, n’est mise après la religion, nous serons abrutis par la science. » Il veut dire que nous n’aurons plus de religion. Mais quel danger y aurait-il si les prêtres, au lieu de sacrements, parlaient un peu d’égalité ; au lieu de rémission des péchés, enseignaient la rémission des usures ; au lieu de chanter en latin des vêpres délaissées, travaillaient à moraliser les théâtres ; au lieu de confréries, organisaient des sociétés scientifiques et littéraires ? Ignorent-ils que plus l’homme travaille, moins il lui faut de pénitences ; que plus il raisonne, moins il a besoin de prier ? Que les prêtres nous montrent enfin, par une expérience décisive, l’efficacité de leurs pratiques : après dix-huit siècles il n’est pas trop tôt.
39. Now ask their successors: after three thousand years they keep repeating the same things; three thousand years have taught them nothing.
“No institution,” says de Maistre, “can last if it is not founded on religion.” Others have remarked, on the contrary, that a people is so much the less political and legislative as it is more religious.
But what does he mean by religion? The commandments of the Church, the seven sacraments, abstinence on Friday and rest on Sunday, with submission to the prince and the clergy. Now, what is there in common between the organization of work and the Easter communion? Between the division of powers and the cult of the Madonna? Between freedom of the press and auricular confession? Between the boîte aux agnus and the problem of the distribution of wealth?…
“If science,” adds the theosophist, “is not placed after religion, we will be stupefied by science.” He means that we will have no more religion. But what danger would there be if the priests, instead of the sacraments, spoke a little of equality; instead of remission of sins, taught remission of usury; instead of singing neglected vespers in Latin, labored to moralize the theaters; instead of brotherhoods, organized scientific and literary societies? Are they ignorant that the more a man works, the fewer penances he needs; that the more he reasons, the less he needs to pray? Let the priests finally show us, through a decisive experience, the effectiveness of their practices: after eighteen centuries it is not too early.
40. Incapable de pénétrer la raison des choses, la religion est plus impuissante encore à réaliser l’ordre dans la société. L’humanité, saisie dès le berceau par la religion, a grandi et s’est développée sous ses ailes ; mais le progrès de son intelligence, le perfectionnement de ses mœurs et l’amélioration de son sort, l’homme ne le doit point à sa nourrice ; nulle part la religion n’a parlé à la raison.
Partout où apparaît la religion, ce n’est point comme principe organisateur, mais comme moyen de maîtriser les volontés. Indifférente à la forme du gouvernement, c’est-à-dire à l’ordre politique, la religion consacre ce que le législateur lui demande de consacrer ; maudit ce qu’il lui prescrit de maudire : la raison d’État fait la loi, la religion sanctionne cette loi, imprime le respect et la terreur, commande l’obéissance.
40. Incapable of penetrating the reason of things, religion is still more powerless to bring about order in society. Humanity, seized from the cradle by religion, has grown and developed under its wings; but man does not owe to his nurse the progress of his intelligence, the improvement of his mores and the amelioration of his lot; nowhere has religion spoken to reason.
Wherever religion appears, it is not as an organizing principle, but as a means of controlling wills. Indifferent to the form of government, to the political order, religion consecrates what the legislator asks it to consecrate; curses what he commands it to curse. The reason of state makes the law, religion sanctions this law, imprints respect and terror, commands obedience.
41. Dans l’Inde, la religion partage avec la noblesse et la royauté les priviléges de caste, tandis qu’en Grèce elle chante la liberté et l’égalité. Subalternisée en Égypte par un gouvernement occulte qu’elle feint de dominer ; à Rome elle ne sert plus qu’à sanctifier les décrets du forum et la politique du sénat : là oppressive et mystérieuse, parlant un langage surhumain ; ici humble servante, réduite à un vain cérémonial et à des fonctions culinaires.
41. In India, religion shares with nobility and royalty the privileges of caste, while in Greece it sings of liberty and equality. Subordinated in Egypt by an occult government, which it pretends to dominate; in Rome it serves only to sanctify the decrees of the forum and the policy of the senate: there oppressive and mysterious, speaking a superhuman language; here a humble servant, reduced to empty ceremonial and culinary duties.
42. A la Chine, où l’esprit public, malgré l’isolement de la nation, a fait de si remarquables progrès, on ne connaît, depuis une très-haute antiquité, ni culte officiel ni religion de l’État. La société subsiste là, depuis plus de 2,000 ans, inaltérable dans sa forme, sans prêtres, sans dogme, sans autel, sans sacrifice[4].
Toutefois, ce développement prématuré de la raison a nui au progrès des Chinois autant qu’aurait pu faire une religion positive : l’esprit, trop tôt débarrassé de l’enveloppe religieuse, s’est enfoncé dans une sophistique inextricable, et, perdu dans un océan de subtilités et de minuties, malgré de belles découvertes, n’a jamais pu s’élever à la vraie science.
42. In China, where the public spirit, in spite of the isolation of the nation, has made such remarkable progress, they have not known, since a very remote antiquity, either official cult or religion of the State. Society has existed there for more than 2,000 years, unalterable in its form, without priests, without dogma, without altar, without sacrifice. [4]
However, this premature development of reason harmed the progress of the Chinese as much as a positive religion could have done: the spirit, too soon rid of the religious envelope, sank into an inextricable sophistry, and, lost in an ocean of subtleties and minutiae, despite beautiful discoveries, has never been able to rise to true science.
43. Moïse peut être regardé comme l’inverse de Confucius. Au lieu de soustraire complétement l’État à l’influence religieuse, il fit de ses institutions politiques la religion elle-même. Pour lui, Dieu ou la Loi, ce devait être tout un. Le résultat fut une immobilité absolue : malgré les éléments les plus riches et les germes les plus précieux, l’idée d’une révélation divine arrêtant tout développement (qui eût osé toucher à l’œuvre de Dieu ?), le système mosaïque périt faute de mouvement et de vie.
43. Moses can be viewed as the reverse of Confucius. Instead of removing the state completely from religious influence, he made religion itself from its political institutions. For him, God or the Law must have been all one. The result was absolute immobility: despite the richest elements and the most precious seeds, the idea of a divine revelation stopping all development (who would have dared touch the work of God?), the Mosaic system perished for lack of movement and life.
44. Quant à Jésus, son rôle de destructeur de la religion n’est pas équivoque : il raille les dévots, se moque des prêtres, prétend que la religion est faite pour l’homme, non l’homme pour la religion, donnant à entendre que, quand la religion est inutile, il convient de s’en défaire.
Mais quand on le vit prescrire de rendre à César ce qui était à César, et déclarer que son royaume n’était pas de ce monde ; maintenir une vieille formule d’initiation, instituer en guise de sacrifice un repas commémoratif, parler de sa doctrine sous les termes métaphoriques de nourriture et de breuvage, opposant ainsi figure à figure, et parabole à parabole : au lieu de comprendre qu’il s’agissait d’une réforme sociale, par opposition à un changement politique ou religieux, on s’imagina qu’il était venu apporter un dogme nouveau, des mystères plus profonds, des cérémonies nouvelles ; et de moraliste populaire qu’il était, on en eut bientôt fait un révélateur, un dieu. Les efforts du Galiléen pour dégager la société des langes de la superstition devinrent les matériaux d’une superstition nouvelle ; et le plus hardi des raisonneurs fut transformé en thaumaturge et en mythologue. Une semblable méprise est presque incroyable : elle est attestée par chaque verset de l’Évangile. Je ne crains pas de le dire : c’est la manie religieuse qui a faussé le christianisme et perdu le fruit de cette immense révolution. Mais le siècle n’était pas mûr ; les temps n’étaient pas arrivés ; l’esprit humain ne pouvait encore marcher qu’à l’aide de mythes et de symboles. Si, trois siècles auparavant, la réforme tentée par Socrate ne réussit pas, c’est que Socrate resta Socrate ; pour se faire écouter des hommes, il fallait que Jésus-Christ fût Dieu.
44. As for Jesus, his role as destroyer of religion is not ambiguous: he mocks the devotees, makes fun of the priests, claims that religion is made for man, not man for religion, giving it to be understood that, when religion is useless, it is advisable to get rid of it.
But when he was seen ordering to render to Caesar what was Caesar’s, and declaring that his kingdom was not of this world; to maintain an old formula of initiation, to institute a commemorative meal as a sacrifice, to speak of his doctrine under the metaphorical terms of food and drink, thus opposing figure to figure, and parable to parable: instead of understanding that it was a social reform, as opposed to a political or religious change, it was imagined that he had come to bring a new dogma, deeper mysteries, new ceremonies; and from the popular moralist that he was, he was soon made into a revealer, a god. The efforts of the Galilean to extricate society from the swaddling clothes of superstition became the materials of a new superstition; and the boldest of reasoners was transformed into a miracle-worker and a mythologist. Such a mistake is almost incredible: it is attested by every verse of the Gospel. I am not afraid to say it: it is the religious mania that distorted Christianity and lost the fruit of this immense revolution. But the century was not ripe; the times had not arrived; the human mind could only work with the help of myths and symbols. If, three centuries earlier, the reform attempted by Socrates did not succeed, it was because Socrates remained Socrates; to make himself heard by men, Jesus Christ had to be God.
§ II. — La religion cause de relâchement et de stérilité.
45. Voyez l’ancienne Égypte, enlacée dans ses superstitions et ses hiéroglyphes, et consumant vingt siècles dans l’immobilité ; l’empire d’Orient, depuis Constantin jusqu’au dernier Paléologue, s’abîmant dans les disputes de théologie ; le moyen âge courbé sous la féodalité et la foi, et ne déposant sa rouille qu’en secouant l’une et l’autre ; les nations mahométanes, d’abord florissantes, et tuées à la longue par le fatalisme ; les Indous résignés à l’oppression pourvu qu’on respecte leurs pagodes, et la morale relâchée des jésuites, et les missions du Paraguay, et le gouvernement du Pape. Comparez ces troupeaux humains avec la Grèce artiste et philosophe, Rome législatrice, la jeune Amérique, partagée entre cent cultes divers, preuve qu’elle ne tient à aucun ; l’Europe moderne, où l’Église, respectée comme une relique, ne subsiste plus que sous le bon plaisir de la science, qui ne daigne pas s’occuper d’elle, et où la société marche à la conquête de l’ordre en délaissant les croyances catholiques : et dites-moi s’il ne vous semble pas que religion et liberté, religion et science, religion et mœurs, religion et progrès, soient choses antipathiques, ou du moins essentiellement hétérogènes ?
Pénétrez plus avant, et sans vous occuper des personnes, comparez encore la Politique tirée de l’Écriture sainte avec l’Esprit des lois ; le Télémaque avec le Contrat social ; l’Inquisition avec les Parlements ; l’Université avec l’ancienne Sorbonne, Henri IV et Richelieu avec le cardinal Fleuri et Louis XV ; la première moitié du règne de Louis XIV avec la seconde ; Mirabeau et l’abbé Maury, la République et la Restauration : et dites encore si, d’après ces exemples, le génie politique habite avec la pensée religieuse ?
§II. — Religion cause of laxity and sterility.
45. Behold ancient Egypt, entwined in its superstitions and hieroglyphics, and consuming twenty centuries in immobility; the Empire of the Orient, from Constantine to the last Paleologus, wrecking itself with theological disputes; the middle ages bent under feudalism and faith, and only shaking off its rust by shaking both; the Mohammedan nations, flourishing at first, and eventually killed by fatalism; the Hindus, resigned to oppression provided their pagodas are respected, and the loose morality of the Jesuits, and the missions of Paraguay, and the government of the Pope. Compare these human herds with artistic and philosophizing Greece, legislating Rome, young America, divided among a hundred different cults, proof that she is attached to no one; modern Europe, where the Church, respected as a relic, no longer exists except by the good pleasure of science, which does not deign to concern itself with it, and where society marches on to conquer order by abandoning Catholic beliefs: and tell me if it does not seem to you that religion and freedom, religion and science, religion and mores, religion and progress, are antipathetic things, or at least essentially heterogeneous?
Penetrate further, and without concerning yourself with persons, again compare Politics Drawn from Holy Scripture with The Spirit of the Laws; Telemachus with The Social Contract; the Inquisition with the Parliaments; the University with the old Sorbonne; Henri IV and Richelieu with Cardinal Fleuri and Louis XV; the first half of the reign of Louis XIV with the second; Mirabeau and the Abbé Maury, the Republic and the Restoration: and say again whether, according to these examples, political genius dwells with religious thought?
46. Le spirituel est incapable de donner des règles de conduite pour le temporel : cela est si vrai, que la Religion n’a jamais su appliquer ses propres maximes. D’où vient que le christianisme n’a pu réaliser sa loi de charité et de fraternité ? si ce n’est que, l’expression de cette loi étant toute mystique, au lieu d’y voir un principe que la réflexion devait développer, les fidèles n’y trouvèrent qu’un précepte divin auquel la raison devait se soumettre. Toujours, dans la sphère religieuse, l’indivision de l’idée, la symbolisation du concept, le fait brut, et la lettre qui tue, oppriment la pensée et empêchent l’analyse. J’admire les premiers chrétiens : avides de martyre, prompts à livrer leurs richesses, humbles, fervents, austères, enthousiastes, l’établissement de l’égalité leur eût moins coûté que toutes leurs vertus et n’eût pas fait une victime : ils ne surent le comprendre. Au lieu de chercher par le menu la règle des droits et des devoirs, ils s’arrêtent à contempler cette belle, mais infructueuse parole : Aimez-vous les uns les autres, aimez votre prochain comme vous-mêmes ; et bientôt, faute de théorie et d’organisation, l’amour et la fraternité disparurent. Quelque temps on essaya de la communauté : bientôt le dégoût survint, et tandis que l’héroïsme de la foi et le zèle de la propagande allaient croissant, on laissait tomber les agapes. Nulle part le christianisme n’a réalisé ses idées : Syriens, Arabes, Arméniens, Juifs, Persans, Druzes, au milieu desquels il a passé, sont restés ce qu’ils étaient. Mais, ô profondeur de l’esprit de religion ! parce que la vie commune se trouva impraticable, on la jugea trop parfaite pour la multitude : la difficulté d’accomplir le précepte fut rejetée sur la corruption de la nature ; et les couvents, séjours de cabales et de jalousies, de tristesse et d’ennui, furent réservés pour les élus. Dès lors, il fut convenu que les hommes, égaux devant Dieu, ne pouvaient l’être sur la terre ; une éternité de délices fut promise en échange des privations d’ici-bas, et l’aumône, l’aumône avare, remplaça la douce fraternité. En revanche, on inventa la théologie, qui a damné plus de chrétiens que la charité n’en a nourri.
46. The spiritual is incapable of giving rules of conduct for the temporal: this is so true that Religion has never been able to apply its own maxims. How is it that Christianity has not been able to realize its law of charity and fraternity? except that, the expression of this law being wholly mystical, instead of seeing in it a principle that reflection had to develop, the faithful found in it only a divine precept to which reason had to submit. Always, in the religious sphere, the indivision of the idea, the symbolization of the concept, the raw fact, and the letter that kills, oppress thought and prevent analysis. I admire the first Christians: eager for martyrdom, quick to give up their riches, humble, fervent, austere, enthusiastic, the establishment of equality would have cost them less than all their virtues and would not have caused a victim: they did not know how to understand it. Instead of searching through the menu for the rule of rights and duties, they stop to contemplate this beautiful, but fruitless speech: Love one another; love your neighbor as yourselves; and soon, for lack of theory and organization, love and fraternity disappeared. For some time they tried community: soon disgust set in, and while the heroism of the faith and the zeal for propaganda increased, they dropped the feasts. Nowhere has Christianity realized its ideas: Syrians, Arabs, Armenians, Jews, Persians, Druzes, among whom it has passed, have remained what they were. But, O depth of the spirit of religion! because the common life was found impracticable, it was considered too perfect for the multitude: the difficulty of fulfilling the precept was blamed on the corruption of nature; and the convents, abodes of cabals and jealousies, of sadness and boredom, were reserved for the elect. From then on, it was agreed that men, equal before God, could not be so on earth; an eternity of delights was promised in exchange for the privations here below, and alms, miserly alms, replaced sweet fraternity. On the other hand, theology was invented, which has damned more Christians than charity has nourished.
47. « Il est impossible, s’écrie Herder, d’imaginer combien la pensée humaine en fut longtemps altérée, et quelle empreinte la croix laissa sur le front des peuples. Pendant des siècles les pisciculi christiani nagèrent dans des flots bourbeux ; le plus ingénieux des peuples de la terre, les Grecs, changés par mille ans d’infortunes, perfides, ignorants, superstitieux, devinrent les misérables esclaves des prêtres et des moines, à peine capables de comprendre le génie de leurs ancêtres. Ainsi finit le premier et le plus brillant État de la chrétienté : puisse-t-il n’en reparaître jamais d’autres ! »
47. “It is impossible,” cries Herder, “to imagine how long human thought was altered by it, and what imprint the cross left on the brows of the peoples. For centuries the pisciculi christiani swam in muddy waves; the most ingenious of the peoples of the earth, the Greeks, changed by a thousand years of misfortune, perfidious, ignorant, superstitious, became the wretched slaves of priests and monks, barely capable of understanding the genius of their ancestors. Thus ended the first and most brilliant State of Christendom: may no other ever reappear!”
48. Loin d’avoir en elle-même aucune force évolutive et créatrice, la religion n’a pu vivre qu’en s’appropriant la politique profane et les lois civiles.
Le christianisme est tout romain : je n’ai pas besoin de dire que je prends ce nom dans un autre sens que le catéchisme. La fraternité primitive n’ayant pu se soutenir, il fallut pourvoir d’une autre manière au gouvernement de l’Église ; on se modela sur la république. Chaque évêque devint une sorte de proconsul, ayant ses lieutenants, ses questeurs, ses édiles, ses légats et sa milice. Des synodes simulèrent les délibérations du sénat, et ne produisirent pas moins de troubles ; l’élection populaire des évêques, usitée dans les commencements, figura les comices, pendant que l’imposition des mains rappelait la transmission des faisceaux. Enfin, il y eut un empereur ecclésiastique, et, lorsque l’empire se fut divisé, il y en eut deux. Ce mouvement d’imitation s’étendit à tout : encycliques, extravagantes, canons, décrétales, définitions, rappelèrent les décrets du peuple, les sénatus-consultes, les édits du préteur, et les rescrits de l’empereur : la diplomatie pontificale et la hiérarchie ecclésiastique furent prises de celles des césars. Il n’y eut pas jusqu’à la vieille formule sacer esto, de la loi des douze tables, qui ne reparût dans l’anathema sit, par lequel on préluda tant de fois au supplice des hérétiques.
48. Far from having in itself any evolutionary and creative force, religion could live only by appropriating profane politics and civil laws.
Christianity is entirely Roman: I need not say that I take this name in a different sense from the catechism. The primitive fraternity not having been able to maintain itself, it was necessary to provide in another manner for the government of the Church; they modeled themselves on the republic. Each bishop became a sort of proconsul, having his lieutenants, quaestors, aediles, legates and militia. Synods simulated the deliberations of the senate, and produced no less trouble; the popular election of bishops, used at the beginning, stood in for the comitia, while the laying on of hands recalled the transmission of the fasces. Finally, there was an ecclesiastical emperor, and when the empire was divided, there were two. This movement of imitation extended to everything: encyclicals, extravagances, canons, decretals, definitions, recalled the decrees of the people, the senatus consulta, the edicts of the praetor, and the rescripts of the emperor: papal diplomacy and the ecclesiastical hierarchy were taken from those of the Caesars. There was not even the old formula sacer esto, from the law of the twelve tables, which reappeared in the anathema sit, which served as a prelude so many times to the execution of heretics.
49. Peu à peu, la morale de l’Évangile se modifia sur la jurisprudence : tandis que les premiers Pères, les grecs surtout, imbus d’idées esséniennes et platoniques, vantent la communauté, s’élèvent contre le tien et le mien, propagent l’égalité civile ; les latins maintiennent et consacrent la propriété, le fermage, et se bornent à appeler usure l’intérêt de l’argent[5]. — Un passage de l’Évangile mal entendu fait condamner le divorce : l’Église supplée aussitôt à cette lacune en établissant une foule d’empêchements dirimants. Par une fiction théologique, elle ne cassait pas le mariage, elle disait qu’il n’y avait pas eu de mariage. — Enfin, la monogamie, enseignée par l’Évangile, trouva un auxiliaire puissant dans les mœurs grecques et romaines : on ne l’a pas encore assez remarqué. La monogamie était une institution latine, longtemps avant la prédication de Jésus : et lorsque des sectes chrétiennes, originaires d’Orient, se mirent à attaquer le mariage, la famille, la procréation des enfants, et à pratiquer une dégoûtante promiscuité, l’unité et la sainteté du mariage trouvèrent leur plus ferme appui dans les Églises de la Gaule et de l’Italie.
49. Gradually, the morality of the Gospel was modified on jurisprudence: while the first Fathers, the Greeks especially, imbued with Essene and Platonic ideas, praised the community, rose up against the thine and mine, propagated civil equality; the latins maintained and consecrated property, rent, and limited themselves to calling usury interest on money. [5]. — A misunderstood passage of the Gospel condemns divorce: the Church immediately makes up for this deficiency by establishing a host of disqualifying obstacles. Through a theological fiction, it did not shatter marriage; it said that there had been no marriage. Finally, monogamy, taught by the Gospel, found a powerful auxiliary in Greek and Roman customs: this has not yet been sufficiently noticed. Monogamy was a Latin institution, long before the preaching of Jesus, and when the Christian sects, originating in the East, began to attack marriage, the family, the procreation of children, and to practice a disgusting promiscuity, unity and the sanctity of marriage found their firmest support in the Churches of Gaul and Italy.
50. Maintenant, comme autrefois, le christianisme emprunte de tous côtés, s’assimilant ce qu’il juge lui convenir ; et avec quel discernement, grand Dieu ! Aux philosophes il prend la logique ; aux géologues il demande des conclusions favorables à la Genèse ; aux philologues, une théorie des langues qui confirme l’histoire de Babel[6] ; aux géomètres, la vérification des mesures de l’arche de Noé ; aux chimistes, de prouver que l’or dissous est potable, afin de sauver la vraisemblance de la légende du veau d’or ; aux astronomes, une explication du miracle d’Isaïe, qui fit, dit-on, rétrograder l’ombre d’un gnomon, le soleil avançant toujours[7] : il permet aux phrénologistes de dire que les têtes du Christ et de la Vierge sont l’idéal de la bonté unie à la sagesse, et de la maternité jointe à la pudeur ; mais il les condamne quand ils font des facultés et des passions le résultat de l’organisme.
Le christianisme, en un mot, ne comprend, n’admet la science que comme démonstration de ses mythes. Pourvu que l’histoire exalte les triomphes de l’Église, que la morale paraphrase le catéchisme, que le gouvernement soit le bras visible du pouvoir spirituel ; pourvu que l’art serve à élever des temples et parer des autels, le christianisme encouragera l’étude. Hors de là, il juge la science inutile ; et il n’est pas rare d’entendre des prêtres, des prêtres dont la mission est d’enseigner, accuser le gouvernement d’imprudence parce qu’il multiplie les écoles et propage l’instruction.
Comment le christianisme oserait-il encore afficher des prétentions à l’originalité et au progrès ? Et que veulent dire ceux qui parlent de développer ses principes ?… Est-ce qu’une religion a des principes ?
50. Now, as in the past, Christianity borrows from all sides, assimilating what it deems fit; and with what discernment, great God! From the philosophers it takes logic; from geologists it asks conclusions favorable to Genesis; to philologists, a theory of languages that confirms the story of Babel [6] ; to surveyors, verification of the measurements of Noah’s ark; to chemists, to prove that dissolved gold is drinkable, in order to save the credibility of the legend of the golden calf; to astronomers, an explanation of the miracle of Isaiah, which is said to have made the shadow of a gnomon retrograde, the sun always advancing [7]: it allows phrenologists to say that the heads of Christ and of the Virgin are the ideal of goodness united with wisdom, and of maternity joined with modesty; but it condemns them when they make faculties and passions the result of the organism.
Christianity, in a word, only understands and admits science as a demonstration of its myths. Provided that history exalts the triumphs of the Church, that morality paraphrases the catechism, that government be the visible arm of spiritual power; provided that art serves to erect temples and adorn altars, Christianity will encourage study. Beyond that, it considers science useless; and it is not rare to hear priests, priests whose mission is to teach, accuse the government of imprudence because it multiplies schools and propagates instruction.
How could Christianity still dare to display claims to originality and progress? And what do those mean who speak of developing its principles?… Does a religion have principles?
51. Il se passe en ce moment, au sein du catholicisme, un mouvement extraordinaire. Les prêtres ont entendu les reproches qui s’élèvent contre eux de toutes parts, d’obstination dans des préjugés usés, de résistance aux lumières, de contradiction au siècle ; reproches bien injustes, vraiment, car l’opposition aux idées suppose l’intelligence des idées, et l’ordre est lettre close pour tout dogmatisme religieux. Ne confondons pas la force d’inertie avec la négation philosophique. Et voici que les prêtres s’inquiètent, sentent leur foi qui chancelle, interrogent la science, qui s’est faite sans eux et qui les dépasse, observent les oscillations de cette politique à laquelle ils ne comprennent rien, et s’efforcent de faire tourner à leur profit des révolutions qu’ils n’ont pas prévues, et qui les emportent dans leur tourbillon. Voici que les prêtres s’avisent de prêcher rénovation et réforme ! Mais, comme ils n’ont point marché avec la civilisation, et qu’il n’est donné à personne de franchir les intervalles marqués par la nature, les prêtres, dans leurs projets réformistes, se trouvent les plus arriérés de tous les hommes. Quelques-uns parmi eux, fatigués de l’immobilisme chrétien, se détachent brusquement de l’Église, et abjurent leur foi : mais tous, orthodoxes et dissidents, subjugués dès longtemps par la forme religieuse, et s’imaginant dès les premiers pas avoir parcouru un immense chemin, entreprennent bravement de refaire la société sur un plan qu’ils croient neuf, et qui n’est jamais qu’une figure morte, ou prête à s’évanouir. Sous toutes les formes usées des vieux systèmes politiques, il y a en ce moment conspiration de l’impuissance sacerdotale contre la réalisation de l’ordre. Du reste, toujours même dogmatisme, couvert des grands noms de Dieu, de Providence, de Tradition, d’Autorité ; toujours même style, celui des oracles. Pour achever de les peindre, je ne puis mieux faire que de les imiter.
51. At this moment there is an extraordinary movement taking place within Catholicism. The priests have heard the reproaches that are raised against them from all sides, of obstinacy in worn-out prejudices, of resistance to enlightenment, of contradiction to the age; very unjust reproaches, really, for the opposition to ideas presupposes the intelligence of ideas, and order is a closed letter for all religious dogmatism. Let us not confuse the force of inertia with philosophical negation. And now the priests are worried, feel their faith wavering, question science, which was made without them and which is beyond them, observe the oscillations of this policy of which they understand nothing, and strive to make turn to their advantage revolutions that they did not foresee, and which carry them away in their whirlwind. Behold, the priests take it into their heads to preach renewal and reform! But, as they have not advanced with civilization, and as it is not given to anyone to cross the intervals marked by nature, the priests, in their reformist projects, find themselves the most backward of all men. Some of them, tired of Christian immobility, abruptly detach themselves from the Church, and abjure their faith: but all, Orthodox and dissenters, subjugated for a long time by the religious form, and imagining themselves from the first steps having traveled an immense path, bravely undertake to remake society on a plan that they believe to be new, but which is never more than a dead figure, or ready to vanish. In all the worn forms of the old political systems, there is at this moment a conspiracy of priestly impotence against the realization of order. For the rest, always the same dogmatism, covered with the great names of God, of Providence, of Tradition, of Authority; always the same style, that of the oracles. To finish painting them, I can do no better than imitate them.
52. Voici ce que dit l’Esprit d’ordre, le Génie aux ailes de flamme, qui veille aux destinées de la France :
Fils de l’homme !
Écris au prêtre Lacordaire, ultramontain :
Quoi ! tu parles de liberté, fils de Dominique ! tu annonces un siècle nouveau, toi disciple du bourreau de mes premiers élus ! Mais, peux-tu recueillir le sang répandu il y a sept siècles, ressusciter une race exterminée, retirer les proscrits d’Innocent et de Grégoire des bûchers de Montfort et de Castelnau ?… Le sang innocent crie vers moi contre l’Église ! Jadis elle employa le fer et la flamme contre les bons hommes ; et maintenant les maximes des bons hommes sont dans sa bouche ! Mais j’en jure par le sang des martyrs, la fraternité ne viendra pas de l’Église, et je n’aurai pour l’orgueilleuse que mépris et sifflets : Ridebo et subsannabo.
52. Here is what the Spirit of Order says, the genius with the wings of flame, who watches over the destinies of France:
Son of man!
Write to the priest Lacordaire, ultramontane:
What! you speak of liberty, son of Dominique! You announce a new century, you disciple of the executioner of my first elect! But, can you collect the blood spilled seven centuries ago, resuscitate an exterminated race, remove the outlaws of Innocent and Grégoire from the pyres of Montfort and Castelnau?… Innocent blood cries out to me against the Church! Formerly it used iron and flame against good men; and now the maxims of good men are in hitsis mouth! But I swear by the blood of the martyrs, fraternity will not come from the Church, and I will have for the proud only contempt and jeers: Ridebo et subsannabo.
53. Écris à l’abbé de Genoude, légitimiste :
Quand le peuple demandait la liberté, pourquoi criâtes-vous à l’insolence ? Quand il réclamait l’égalité devant la loi, pourquoi répondîtes-vous par la menace ? Quand il voulut mettre l’ordre dans l’Église et dans l’État, pourquoi l’accusâtes-vous d’usurpation ? Et maintenant vous parlez d’ordre, de constitution, de liberté ! Instruisez-vous, hommes des siècles antiques ; marchez au bruit de mes pas, vétérans d’une royauté dont je ne me souviens plus : c’est moi qui ai brisé le sceptre du grand roi, proscrit sa race, amoindri ses nobles et ses prêtres, parce qu’ils refusaient d’entrer dans ma route… Qui donc es-tu pour faire mentir le destin ? Tes révélations viennent trop tard ; ta politique est un mensonge : tourne-toi, aveugle, et marche.
53. Write to the Abbé de Genoude, legitimist:
When the people demanded liberty, why did you cry out for insolence? When it demanded equality before the law, why did you respond with threats? When it wanted to put order in the Church and in the State, why did you accuse it of usurpation? And now you are talking about order, constitution, freedom! Educate yourselves, men of ancient ages; march to the sound of my footsteps, veterans of a royalty that I no longer remember: it was I who broke the scepter of the great king, proscribed his race, belittled his nobles and his priests, because they refused to travel my path… Who are you to prove fate wrong? Your revelations come too late; your policy is a lie: turn around, blind man, and walk.
54. Écris à l’abbé de Lamennais, démocrate :
Je connais tes œuvres, ange de contradiction, je lis tous tes livres. Vingt ans tu défendis le Christ et son Église, vingt ans tu détruiras ton ouvrage. Tes colères contre les indifférents et les incrédules m’ont réjoui ; je disais alors : Tu seras incrédule et indifférent. Tu t’es fait l’émule et l’adversaire de Rousseau : c’est pour cela que tu t’es arrêté à Rousseau. Tu t’écriais d’après l’Évangile : Que celui qui n’écoute pas l’Église soit regardé comme païen et publicain ; tu dis maintenant, d’après Rousseau : Que celui qui n’écoute pas l’assemblée du peuple soit regardé comme rebelle. Tu combattis la légitimité de la raison ; tu invoques la liberté de la pensée. Tu dis au peuple : Vous êtes esclaves ; vos maîtres sont infâmes, stupides et lâches ; vous n’avez ni religion ni morale ; votre dissolution approche. Et quand le peuple demande la règle des mœurs, tu lui contes des paraboles ; quand il cherche les conditions de l’ordre et de la liberté, tu lui réponds qu’il est souverain. Tu n’as rien ajouté à ton modèle : ta philosophie se tait où les difficultés commencent, prêtre jadis par le cœur, prêtre aujourd’hui par la raison, prêtre toujours.
54. Write to Abbé de Lamennais, democrat:
I know your works, angel of contradiction. I have read all your books. Twenty years you defended Christ and his Church; twenty years you will destroy your work. Your anger against the indifferent and the incredulous has rejoiced me; I said then: You will be incredulous and indifferent. You made yourself the emulator and adversary of Rousseau: that is why you stopped at Rousseau. You cried out from the Gospel: Let him who does not listen to the Church be regarded as a pagan and a publican; you say now, according to Rousseau: Let him who does not listen to the assembly of the people be regarded as a rebel. You fought against the legitimacy of reason; you invoke liberty of thought. You say to the people: You are slaves; your masters are infamous, stupid and cowardly; you have neither religion nor morals; your dissolution is approaching. And when the people ask for a rule for mores, you tell them parables; when they seek the conditions of order and freedom, you answer that they are sovereign. You have added nothing to your model: your philosophy is silent when the difficulties begin, once a priest by heart, a priest today by reason, a priest always.
55. Écris à l’abbé Constant, communiste :
Qui t’a chargé de dire mes justices et de prophétiser en mon nom l’incendie et le carnage ?… Infortuné ! tu fais des révélations, parce que tu ne peux soutenir le travail qui donne l’intelligence ; tu appelles le martyre, et il n’y a plus d’autre martyre que celui de la patience. Tu invoques la paix, la fraternité, l’amour : et ton œur est plein de fiel, tes lèvres sont chargées d’écume et les mains dégouttantes de sang ; tes chants d’amour sont des chants de libertinage. Malheureuse victime du sacerdoce, âme égarée par d’horribles lectures, je ne t’impute pas ta folie : mais garde pour toi tes visions impies, ou je te marquerai au front du signe de Caïn, je t’affligerai dans ton cœur, et le ver de ta conscience ne mourra pas. Tais-toi.
55. Write to Abbé Constant, Communist:
Who charged you to speak of my justice and to prophesy fire and carnage in my name?… Wretch! You make revelations, because you cannot support the work that gives intelligence; you call for martyrdom, and there is no longer any other martyrdom than that of patience. You invoke peace, fraternity, love: and your heart is full of gall, your lips are laden with foam and your hands are dripping with blood; your love songs are songs of licentiousness. Unhappy victim of the priesthood, soul led astray by horrible reading, I do not impute your madness to you: but keep your impious visions to yourself, or I will mark you on your forehead with the sign of Cain, I will afflict you in your heart, and the worm of your conscience will not die. Shut your mouth.
56. Écris à l’abbé Pillot, athée :
Je suis le prince des génies qui se tiennent devant le trône de Dieu. Mais tu dis : C’est l’idée de Dieu qui enfanta l’esclavage ; la liberté ne connaît point d’Être suprême. La vie et la mort de l’homme sont comme la vie et la mort de la brute : citoyens ! détruisez ces temples, ces châteaux et ces chaumières : construisez-vous des demeures communes ; à bas le tien et le mien, à bas tout ce qui s’élève, à bas ! — Et moi, je suis l’Esprit d’ordre et de liberté ; j’ai fondé les religions afin d’exciter la pensée par le symbole : et j’élèverai d’autres temples à mon Dieu ; je révélerai à l’homme un pacte nouveau ; je donnerai les châteaux des rois à des sociétés d’hommes libres ; je changerai les chaumières en solitudes de délices ; et les princes seront les forts au travail, et les prêtres des anges de perfection. Religion et Royauté sont des paroles de promesse : le Dieu de l’humanité aurait-il parlé en vain ?
56. Write to Father Pillot, an atheist:
I am the prince of the geniuses who stand before the throne of God. But you say: It is the idea of God that gave birth to slavery; freedom knows no Supreme Being. The life and death of man are like the life and death of the brute: citizens! destroy these temples, these castles and these cottages: build yourselves common residences; Down with yours and mine, down with everything that rises, down! — And me, I am the Spirit of order and freedom; I founded the religions in order to excite thought through the symbol: and I will raise other temples to my God; I will reveal to man a new pact; I will give the castles of the kings to the societies of free men; I will change the cottages into solitudes of delight; and princes will be the strong in work, and the priests angels of perfection. Religion and Royalty are words of promise: has the God of humanity spoken them in vain?
57. Écris à l’abbé Châtel, antipape :
Je t’ai fait prêtre de la canaille, afin que tu serves d’exemple aux ambitieux et aux charlatans. Tu as été ta première dupe, la dupe de ton ignorance et de ton orgueil. Tu croyais qu’au nom de liberté, le peuple en foule courrait à ton autel, et que tu serais pontife de la France raisonneuse. Tu t’es trompé, téméraire ! tes mascarades font pitié, tes scandales soulèvent le dégoût. Tu le sais, et tu t’obstines : mais plus tu étales d’impudence, plus ton cœur est abîmé ; et plus je sens redoubler ma joie.
57. Write to Fr. Châtel, anti-pope:
I have made you a priest of the rabble, so that you may serve as an example to the ambitious and the charlatans. You were your first dupe, the dupe of your own ignorance and pride. You believed that in the name of liberty, the people would crowd to your altar, and that you would be the pontiff of reasoning France. You were wrong, reckless! Your masquerades cause pity; your scandals arouse disgust. You know it, and you are stubborn: but the more impudence you display, the more your heart is damaged; and the more I feel my joy redoubled.
58. Écris à l’évêque Affre, dynastique :
Si je te livrais les enfants du peuple, parle, que leur enseignerais-tu ? Les sciences ? tu ne t’en soucies guère ; — l’histoire ? elle n’a pas de sens pour toi ; — la morale ? celle de Loyola ou de Jansénius ? vous n’en avez point d’autre ; — la politique ? appelles-tu de ce nom les rêves d’Hildebrand ou les cabales des Médicis et des Borgia ? — l’égalité ? selon toi, il n’y a d’égalité que par l’aumône[8] ; — les langues ? tu n’entends pas même tes écritures… Tu leur enseignerais le chapelet. Écoute : tes catéchismes, tes processions, tes aumônes, tes confréries et tes talismans, sont moins à mes yeux que cet adage : Qui travaille, prie.
58. Write to Bishop Affre, dynastic:
If I delivered the children of the people to you, speak, what would you teach them? Sciences? You hardly care; — history? it has no meaning for you; — morality? that of Loyola or Jansenius? you have no other; — politics? do you call by this name the dreams of Hildebrand or the cabals of the Medici and the Borgia? — equality? according to you, there is no equality except through almsgiving [8]; — languages? you don’t even understand your writings… You would teach them the rosary. Listen: your catechisms, your processions, your alms, your brotherhoods and your talismans are less in my eyes than this adage: Who works, prays.
59. Quittons ce style, dont on a tant abusé, et qui n’est propre qu’à amuser des enfants et des femmes.
Tous ces hommes sont sortis du sanctuaire ; tous ont été formés à l’école mystique, inintelligente et immobile du clergé ; tous également dépourvus de génie inventif et organisateur, saturés de phrases orientales et de fatras théologique, se disent ou se croient révélateurs. Accoutumés aux figures et à la pompe des livres hébreux, ils prennent pour grandeur d’idées l’exaltation de leurs sentiments ; parce qu’ils sont violemment émus, ils s’imaginent que leur intelligence est forte, et toujours, après de magnifiques oraisons, ils retombent, sans idées, dans l’atonie et l’impuissance[9].
59. Let us leave this style, which has been so much abused, and which is fit only to amuse children and women.
All these men came out of the sanctuary; all have been trained in the mystical, unintelligent and immobile school of the clergy; all equally devoid of inventive and organizing genius, saturated with oriental phrases and theological jumble, claim or believe themselves revealing. Accustomed to the figures and pomp of the Hebrew books, they take for the grandeur of their ideas the exaltation of their feelings; because they are violently moved, they imagine that their intelligence is strong, and always, after magnificent prayers, they relapse, without ideas, into atony and impotence [9] .
§ II. — Disparition prochaine de la Religion.
60. L’homme est destiné à vivre sans religion [10] : une foule de symptômes démontrent que la société, par un travail intérieur, tend incessamment à se dépouiller de cette enveloppe désormais inutile.
Sans rappeler ici les institutions religieuses déjà abolies, on m’accordera, je pense, que les religions mahométane, indoue, japonaise, thibétaine, américaines et autres, ne sont point taillées à la mesure de l’homme civilisé : reste par conséquent, our nous autres Européens, le christianisme.
C’est donc sur le christianisme seul que porteront mes remarques : je laisse aux publicistes hétérodoxes à faire à leurs cultes respectifs l’application de ce que je dirai du nôtre. En raisonnant sur une espèce, j’aurai soin de ne rien avancer qui ne convienne au genre : ainsi la généralisation sera légitime [11].
§II. — The Coming Disappearance of Religion.
60. Man is destined to live without religion [10] : a host of symptoms demonstrate that society, through an internal labor, is constantly tending to strip itself of this henceforth useless envelope.
Without recalling here the religious institutions already abolished, I think I will be granted that the Mohammedan, Hindu, Japanese, Thibetian, American and other religions are not cut to the measure of civilized man: there remains consequently, for us Europeans, Christianity.
It is therefore on Christianity alone that my remarks will bear: I leave it to heterodox publicists to apply to their respective cults what I will say of ours. In reasoning about a species, I will take care not to advance anything that does not suit the genus: thus the generalization will be legitimate. [11]
61. Dans toute société en progrès, la Religion fléchit en proportion du développement scientifique : pour trouver une religion permanente, il faut chercher un pays où l’ignorance politique reste inviolée, où les lois et les coutumes n’éprouvent ni amélioration ni changement : il faut aller en Chine, chez les Kalmouks et les sauvages. La philosophie grecque avait tué le polythéisme avant que l’Évangile parût : j’entends qu’à la venue de Jésus-Christ le polythéisme était mort pour tous ceux qui pensaient et raisonnaient. Qu’importe que la canaille et les esclaves y crussent encore ! Nous ne voulons plus parmi nous ni canaille ni prolétaires.
61. In every progressing society, Religion declines in proportion to scientific development: to find a permanent religion, one must seek a country where political ignorance remains inviolate, where laws and customs experience neither improvement nor change. You have to go to China, among the Kalmyks and the savages. Greek philosophy had killed polytheism before the Gospel appeared: I mean that at the coming of Jesus Christ polytheism was dead for all those who thought and reasoned. What does it matter if the rabble and the slaves still believe in it! We no longer want among us either scoundrels or proletarians.
62. Dans l’Europe chrétienne, le vent d’incrédulité s’est levé de bonne heure : en plein moyen âge, l’empereur Frédéric II était accusé par Grégoire IX d’avoir fait le livre des Trois imposteurs. Probablement cet ouvrage n’exista jamais que dans l’imagination épouvantée des prêtres : mais l’idée seule d’un pareil livre prouve qu’un levain d’impiété fermentait dès le commencement du treizième siècle. Vers la même époque parut l’hérésie des Albigeois : la pensée de réformer et de simplifier le culte était un symptôme non équivoque de philosophisme ; l’instinct des inquisiteurs et des papes ne s’y trompa pas. Vinrent ensuite les tentatives de Jean Hus et de Jérôme de Prague : enfin Luther parut, et une large brèche fut faite à la religion, dans les parties les plus ferventes de la chrétienté. Les contrées qui gardèrent la communion de Rome furent précisément celles où la corruption des mœurs était le plus avancée, France, Italie, Espagne : tout le monde peut constater aujourd’hui comment, à mesure que les habitudes d’ordre, de travail, de sobriété, d’économie, se fortifient chez le peuple, le christianisme s’éteint en lui sans retour[12]. Chose singulière, que la foi, étrangère à la science, ne le soit pas moins à la morale !
62. In Christian Europe, the wind of incredulity rose early: in the midst of the Middle Ages, the Emperor Frederick II was accused by Gregory IX of having written the book of The Three Imposters. Probably this work never existed except in the terrified imagination of the priests, but the mere idea of such a book proves that a leaven of impiety was fermenting from the beginning of the thirteenth century. About the same time appeared the heresy of the Albigensians: the thought of reforming and simplifying worship was an unequivocal symptom of philosophism; the instinct of inquisitors and popes was not mistaken. Then came the attempts of John Hus and Jerome of Prague: at last Luther appeared, and a large breach was made in religion in the most fervent parts of Christendom. The countries that kept communion with Rome were precisely those where the corruption of morals was the most advanced: France, Italy, Spain. Everyone can see today how, as habits of order, labor, sobriety economy, Christianity is extinguished there with no hope of return. [12] It is a singular thing that faith, foreign to science, is no less foreign to morals!
63. Depuis lors, la Religion n’a fait que dépérir, et les motifs d’incrédulité que s’aggraver. Le scepticisme de Voltaire est bien plus raisonneur et plus réfléchi que celui de Rabelais, mais moins profond que celui de Rousseau ; et qu’est-ce que le doute de celui-ci, à côté de la négation de Strauss, appuyée sur une exégèse effrayante d’érudition ? Si ce progrès antichrétien entre dans les vues de la Providence, il faut avouer que la Providence a condamné le christianisme.
63. Since then, Religion has only withered away, and the grounds for unbelief only worsened. Voltaire’s skepticism is much more reasoned and thoughtful than that of Rabelais, but less profound than that of Rousseau; and what is the doubt of the latter, next to the negation of Strauss, based on an exegesis of frightening erudition? If this anti-Christian progress enters into the views of Providence, it must be confessed that Providence has condemned Christianity.
64. Telle se développe l’incrédulité dans une nation, telle aussi elle se développe dans l’individu : d’abord fanatique d’impiété comme Labarre ; plus tard libertin et sophiste, moqueur et superficiel ; à la fin sérieux et grave, l’homme au dernier moment étudie la religion, non plus pour lui chercher des ridicules et des crimes, mais afin d’en expliquer le sens et les causes. C’est alors que l’incrédule se prend à aimer la religion comme un souvenir d’enfance, une poésie, un emblème ; pour peu qu’il croie faire plaisir, il ira à la procession et au salut : tel César consultait les poulets sacrés, et Cicéron prenait les augures. Le sphinx deviné, l’homme cesse de le haïr en cessant de le craindre.
64. As incredulity develops in a nation, so also does it develop in the individual: at first a fanatic of impiety like Labarre; later libertine and sophist, mocking and superficial; in the end serious and grave, the man at the last moment studies religion, no longer to look for ridicule and crimes in it, but in order to explain its meaning and its causes. It is then that the unbeliever begins to love religion as a childhood memory, a poem, an emblem; as long as he thinks it is pleasing, he will go to the procession and salute: as Caesar consulted the sacred chickens, and Cicero took the augurs. The sphinx divined, man ceases to hate it by ceasing to fear it.
65. Les efforts des prêtres pour accorder la foi avec la raison et donner à leurs dogmes une apparence de solidité, n’ont servi qu’à mettre en évidence les embarras de leur cause et la faiblesse de leurs moyens. Résumons quelques-uns de leurs arguments.
a) La Religion, disent-ils, est un fait constant, universel ; une chose non inventée, mais créée avec l’homme, existante par cela seul qu’il existe : donc la religion est nécessaire, indestructible. — Cette argumentation est commune aux prêtres et à certains novateurs, qui, désabusés du catholicisme et de toutes les religions connues, rêvent d’une religion nouvelle.
Erreur de critique : la Religion, première forme de la pensée humaine, sorte de préparation à la science, ne tend pas à vivre, mais à mourir. Pour apprécier sa nature transitoire, il faut considérer, non l’universalité de son existence, mais l’universalité de son dépérissement.
b) L’idée de Dieu et de ses attributs est le principe de toute religion : or cette idée ne s’acquiert ni par les sens, ni par induction ; elle nous est révélée de Dieu même. Donc la Religion est divine.
Erreur de fait : l’idée de Dieu est d’autant plus grossière qu’on la prend de plus haut dans la Religion ; elle s’épure, au contraire, à mesure que la philosophie l’en éloigne. La révélation complète de l’idée de Dieu n’est point à l’origine des religions, mais à leur fin.
c) Toute la nature est pleine de mystères : pourquoi reprochera la Religion d’avoir aussi les siens ? — Cette analogie a paru si convaincante, qu’on l’a développée à l’infini.
Oubli des faits : nous ne connaissons pas la cause du mouvement, mais nous le voyons ; nous ne savons pas comment un être organisé en produit un autre, mais nous sommes témoins de cette génération. Or qui a vu la génération du Verbe, et la procession de l’Esprit ? qui a constaté la virginité de Marie ? qui nous garantit la présence réelle ?
d) Les prophéties, les miracles…
Erreurs de faits : on sait aujourd’hui que les prophéties se réduisent à des phrases métaphoriques, mal entendues, mal traduites, détournées de leur application, quelquefois même à des interpolations et des fraudes pieuses. On sait comment se forment les mythes, comment se fabriquent les légendes, comment s’organise un système religieux ; on sait enfin comment les dogmes commencent, comment les dogmes finissent[13].
65. The efforts of the priests to harmonize faith with reason and to give their dogmas an appearance of solidity, have only served to highlight the embarrassments of their cause and the weakness of their means. Let us summarize some of their arguments.
a) Religion, they say, is a constant, universal fact; a thing not invented, but created with man, existing by the mere fact that he exists: therefore religion is necessary, indestructible. — This argument is common to priests and to certain innovators who, disillusioned with Catholicism and all known religions, dream of a new religion.
Critical error: Religion, the first form of human thought, a kind of preparation for science, tends not to live, but to die. To appreciate its transitory nature, one must consider, not the universality of its existence, but the universality of its withering away.
b) The idea of God and his attributes is the principle of all religion: this idea is acquired neither by the senses nor by induction; it is revealed to us from God himself. Therefore Religion is divine.
Error of fact: the idea of God is that much cruder the higher it is taken in Religion; it purifies itself, on the contrary, in proportion as philosophy distances it from it. The complete revelation of the idea of God is not at the origin of religions, but at their end.
c) All nature is full of mysteries: why reproach Religion for also having its own? — This analogy seemed so convincing that it has been developed ad infinitum.
Forgetting the facts: we do not know the cause of the movement, but we see it; we do not know how one organized being produces another, but we are witnesses of this generation. Now who has seen the generation of the Word, and the procession of the Spirit? Who verified Mary’s virginity? Who guarantees us the real presence?
d) Prophecies, miracles…
Errors of facts: we know today that prophecies are reduced to metaphorical phrases, misunderstood, mistranslated, diverted from their application, sometimes even to pious interpolations and frauds. We know how myths are formed, how legends are made, how a religious system is organized; we finally know how dogmas begin, and how dogmas end. [13]
66. Qu’eussent dit Pascal, Nicole, Arnauld, Saint-Cyran, ces illustres défenseurs de la religion, qui distinguaient avec tant de soin les questions de fait des questions de droit, affirmant avec toute l’Église que l’Église éclairée d’en haut pour l’exposition du dogme, peut être trompée sur des faits et des textes ; qu’eussent-ils répondu à qui leur eût démontré que tel est précisément le cas de l’Église, pour tout ce qui concerne les antiquités hébraïques, l’interprétation des Écritures, les causes de la formation du christianisme, et les fondements de sa propre autorité ? Quelle distinction, quelle subtilité nouvelle eussent-ils inventée pour sauver, je ne dis pas la tradition, puisque la tradition est constante ; je ne dis pas non plus le dogme, puisque le dogme étant surhumain ne peut à priori être nié ; mais les motifs de crédibilité du dogme ?
66. What would Pascal, Nicole, Arnauld, Saint-Cyran, those illustrious defenders of religion, who so carefully distinguished questions of fact from questions of right, affirming with the whole Church that the Church, illuminated from on high for exposition of dogma, can be deceived on facts and texts; what would they have replied to someone who had demonstrated to them that this is precisely the case of the Church, with regard to all that concerns Hebrew antiquities, the interpretation of the Scriptures, the causes of the formation of Christianity, and the foundations of its own authority? What distinction, what new subtlety would they have invented to save, I am not saying tradition, since tradition is constant, nor do I say dogma, since dogma being superhuman cannot a priori be denied, but the reasons for the credibility of dogma?
67. Cette manière d’argumenter par les faits est aujourd’hui la seule qui ait cours dans les masses : le peuple ne connaît rien à la métaphysique de Hume, de Rousseau, de d’Holbach ; il a ri des plaisanteries de Voltaire, mais elles ne l’ont pas persuadé. Le peuple vient aux faits.
Jamais on ne parla tant de Jésus-Christ, dans le monde profane, que depuis dix ans : or qu’en font ceux qui en parlent ? un sage, un essénien, un réformateur : personne ne s’avise d’en faire un dieu. Jésus, disent les communistes, fut une âme généreuse, dévorée de l’amour du peuple, et qui mourut pour une vérité sainte, pour le dogme de la fraternité. Dès lors il suffit : Jésus n’est plus qu’un saint révolutionnaire, ayant sa place à côté de Saint-Just, de Babœuf ou de Socrate, selon la dévotion des gens. Cette idée, rapidement popularisée, enlève chaque jour des milliers d’adorateurs à la croix ; et le peuple, qui persiste à se dire chrétien, se trouve tout à coup déiste[14].
Une autre fois on s’empare de l’eucharistie : le redoutable sacrement ne paraît qu’un repas égalitaire, symbole d’association : l’interprétation court, et d’un seul mot le mystère de la communion, qui fit faire de si gros livres, est expliqué.
Chaque formule par laquelle le peuple exprime ses opinions nouvelles sur les dogmes de la religion, est un jugement clair, précis, par lequel il déclare que l’Église a erré, sur quoi ? sur le dogme ? non, mais sur le fait. Aussi cette exégèse nouvelle, simple comme l’esprit du vulgaire, s’empare des intelligences avec une force indomptable : partout où elle pénètre, l’Église compte une défection.
Et, ce qu’il importe de remarquer, le jugement du peuple embrasse le présent et l’avenir : tandis que la philosophie des habiles prédit une restauration religieuse, le rationalisme du peuple exclut toute religion ultérieure. Ainsi la Providence se joue de la sagesse de l’homme ! La religion s’était perpétuée parmi le peuple, malgré les railleries des philosophes : elle finit par la désertion du peuple, malgré les cris des philosophes.
67. This way of arguing by facts is the only one current among the masses today: the people know nothing about the metaphysics of Hume, Rousseau, or Holbach; they laughed at Voltaire’s jokes, but they were not persuaded by him. The people come to the facts.
Never have we spoken so much of Jesus Christ, in the profane world, as the last ten years. Now, what do those who speak of him make of him? A sage, an Essene, a reformer: no one thinks of making a god of him. Jesus, say the Communists, was a generous soul, devoured by the love of the people, who died for a holy truth, for the dogma of brotherhood. From then on that suffices: Jesus is no longer anything but a revolutionary saint, having his place alongside Saint-Just, Baboeuf or Socrates, according to the devotion of the people. This idea, quickly popularized, takes away thousands of worshipers from the cross every day; and the people, who persist in calling themselves Christians, suddenly find themselves deists.
At another time the Eucharist is seized upon: the formidable sacrament appears only to be an egalitarian meal, a symbol of association: the interpretation races on, and with a single word the mystery of communion, which caused so many thick books to be written, is explained.
Each formula, by which the people expresses its new opinions on the dogmas of religion, is a clear, precise judgment, by which they declare that the Church has erred. On what? On dogma? No, but on facts. Also this new exegesis, simple as the spirit of the common people, seizes minds with an indomitable force. Wherever it penetrates, the Church counts a defection.
And, what is important to note, the judgment of the people embraces the present and the future: while the philosophy of the skilful predicts a religious restoration, the rationalism of the people excludes all subsequent religion. So Providence plays with the wisdom of man! Religion had been perpetuated among the people, in spite of the jokes of the philosophers: it ended in the desertion of the people, in spite of the cries of the philosophers.
68. On pourrait résumer en un catéchisme de cinquante pages l’histoire de la Religion, depuis Adam jusqu’à Grégoire XVI, avec l’interprétation de tous ses symboles. Un pareil travail, s’il était bien fait, changerait l’Europe en moins de dix ans. Ce qu’il faut au peuple, ce ne sont point thèses, dissertations, longs discours ; ce sont des pensées sommaires : le peuple retient mieux une formule que les raisonnements qui servent à la démontrer. La profession de foi des douze a fait depuis dix-huit siècles toute la philosophie de plusieurs milliards d’hommes : c’est par un symbole en douze articles qu’il faut attaquer celui des apôtres, en attendant que chaque homme puisse être métaphysicien et savant.
68. One could summarize in a catechism of fifty pages the history of Religion, from Adam to Gregory XVI, with the interpretation of all its symbols. Such work, if done well, would change Europe in less than ten years. What the people need are not theses, dissertations, long speeches. They need summary thoughts: the people retain a formula better than the reasonings the serve to demonstrate it. The profession of faith of the twelve has for eighteen centuries formed the whole philosophy of several billion men: it is by a symbol in twelve articles that we must attack that of the apostles, until each man can be a metaphysician and scientist.
69. Déjà le gouvernement français est entré dans cette voie : l’article 6 de la Charte modifiée a constaté officiellement l’extinction progressive des cultes. En déclarant que la religion catholique, jusqu’alors religion de l’État, n’était plus qu’une religion de majorité, on a eu pour objet, non pas d’indiquer le rapport numérique du catholicisme et des cultes dissidents, mais de mettre, pour ainsi dire, la religion hors la loi. La Charte sans cela n’aurait pas de sens.
En effet, la forme monarchique admise en France comme principe du gouvernement est loi de l’État : ce n’est pourtant qu’une loi de majorité.
Le système électoral est loi de l’État ; ce n’est aussi qu’une loi de majorité.
Toutes nos lois civiles et administratives sont lois de l’État : — cependant elles n’ont été, la plupart, votées qu’à la majorité.
Seulement le gouvernement espère, et il ne peut pas ne pas l’espérer, soit de rallier les dissidents, soit d’améliorer les lois et par là de les faire accepter de tous, soit d’étendre la jouissance des droits politiques. Mais, en attendant, les lois de majorité sont lois de l’État : sans cela elles n’obligeraient pas.
Si donc la religion catholique, religion de majorité, n’est plus religion de l’État, c’est qu’au lieu d’être en voie de progrès et de ralliement, comme les autres institutions de l’État, elle est envoie de décadence et de désertion ; c’est, en un mot, que sa majorité décline, tandis que la minorité philosophe grossit tous les jours.
En France, la loi est athée, a dit Odilon Barrot : cela ne signifie pas, comme on l’a calomnieusement interprété, que la loi française nie l’Être suprême, mais qu’elle exclut toute religion.
69. The French government has already taken this path: Article 6 of the amended Charter officially noted the progressive extinction of religions. In declaring that the Catholic religion, hitherto the religion of the State, was no longer anything more than a religion of the majority, the object was not to indicate the numerical relationship between Catholicism and the dissident cults, but to place religion, so to speak, outside the law. Without that the Charter would have no meaning.
In fact, the monarchical form accepted in France as a principle of government is the law of the state: it is, however, only a law of majority.
The electoral system is state law; it is also only a majority law.
All our civil and administrative laws are laws of the State:—however they were, for the most part, voted in only by a majority.
Only the government hopes, and it cannot fail to hope, either to rally the dissidents, or to improve the laws and thereby have them accepted by all, or to extend the enjoyment of political rights. But, in the meantime, the laws of the majority are laws of the State: otherwise they would not be binding.
If therefore the Catholic religion, religion of the majority, is no longer the religion of the State, it is because instead of being on the way to progress and rallying, like the other institutions of the State, it is on the path of decadence and desertion; it is, in short, because its majority declines, while the philosophical minority increases every day.
In France, the law is atheistic, said Odilon Barrot. This does not mean, as it has been slanderously interpreted, that French law denies the Supreme Being, but that it excludes all religion.
70. L’argument péremptoire contre l’existence ultérieure d’une religion quelconque, c’est qu’aujourd’hui la Religion est une impossibilité, une contradiction dans le progrès.
Selon M. Edgar Quinet, qui n’a fait en cela que résumer, comme il le dit lui-même, la science moderne, il y a eu plusieurs Révélations :
- Révélation par la nature, source du panthéisme indien, la plus ancienne forme religieuse ;
- Révélation par la lumière, d’où sortirent les religions de la Haute-Asie et des patriarches ;
- Révélation par la parole, qui produisit la religion des Perses et des Mèdes ;
- Révélation par la vie organique, qui amena le culte des animaux, religion de l’Égypte ;
- Révélation par la solitude, d’où naquit la religion des Hébreux, monothéiste ;
- Révélation par la beauté, qui donna lieu au polythéisme grec.
Ajoutons :
- Révélation par l’humanité, qui produisit le christianisme.
70. The peremptory argument against the subsequent existence of any religion whatsoever is that today Religion is an impossibility, a contradiction in progress.
According to Mr. Edgar Quinet, who has only summed up, as he himself says, modern science, there have been several Revelations:
Revelation by nature, source of Indian pantheism, the oldest religious form;
Revelation by light, from which came the religions of Upper Asia and the patriarchs;
Revelation by the word, which produced the religion of the Persians and the Medes;
Revelation by organic life, which brought the cult of animals, religion of Egypt;
Revelation by solitude, from which was born the religion of the Hebrews, monotheistic;
Revelation through beauty, which gave rise to Greek polytheism.
Let us add:
Revelation by mankind, which produced Christianity.
41. Mais là ne finit point la série commencée par M. Edgar Quinet. Il y a eu encore :
- Révélation par l’idée de causalité, qui engendra la superstition et suggéra la théorie des causes, l’ætiologie, ou philosophie ;
- Révélation par le doute, qui produisit le scepticisme et l’indifférence : révélation nécessaire, puisqu’elle eut pour objet d’assurer le progrès, en modérant l’essor philosophique ;
- Révélation par l’expérience, qui a constitué successivement toutes les sciences ;
- Enfin nous touchons à la révélation par l’idée d’ordre, laquelle, en donnant la formule absolue du vrai, abolit la religion et la philosophie.
71. But that does not end the series begun by M. Edgar Quinet. There has also been:
Revelation through the idea of causality, which engendered superstition and suggested the theory of causes, aetiology, or philosophy;
Revelation through doubt, which produced skepticism and indifference: a necessary revelation, since its object was to ensure progress, by moderating philosophical development;
Revelation by experience, which successively constituted all the sciences;
Finally we come to revelation through the idea of order, which, by giving the absolute formula of truth, abolishes religion and philosophy.
72. Or il est évident que la première catégorie de révélations, celle développée par M. Edgar Quinet, a un caractère tout objectif, qu’elle vient à l’homme de l’extérieur ; que la dernière, au contraire, celle qui commence à la Révélation par l’idée de causalité, est entièrement subjective, ou donnée par la spontanéité de la raison ; et qu’entre ces deux catégories extrêmes, le christianisme apparaît comme la transition, le lien qui les unit.
Il est évident encore que toutes ces révélations progressent du symbolisme concret au rationalisme libre, du mystère à la raison pure, de l’autorité à la liberté, de la foi à la science.
Donc, dire aujourd’hui, avec les saints-simoniens et les éclectiques, que nous marchons à une nouvelle période religieuse, que le christianisme va ressusciter sous une forme nouvelle, et que la religion sortira de la science, c’est confondre des faits essentiellement distincts, brouiller les idées et les dates[15].
72. Now it is obvious that the first category of revelations, that developed by M. Edgar Quinet, has an entirely objective character, that it comes to man from outside; that the last, on the contrary, that which begins at Revelation through the idea of causality, is entirely subjective, or given by the spontaneity of reason; and that between these two extreme categories, Christianity appears as the transition, the bond that unites them.
It is also evident that all these revelations progress from concrete symbolism to free rationalism, from mystery to pure reason, from authority to liberty, from faith to science.
So to say today, with the Saint-Simonians and the Eclectics, that we are marching in a new religious period, that Christianity will rise again in a new form, and that religion will come out of science, is to confuse fundamental distinct facts, blurring ideas and dates. [15]
73. Par une politique de violence, la Religion peut être brusquement supprimée, mais elle se relève : 1793 et le Concordat le prouvent. Par la science, la Religion périt jusque dans son germe, et irrévocablement. Depuis quarante ans nous la voyons, convaincue d’impuissance et d’erreur, tomber d’une chute accélérée, malgré l’appui des gouvernements, malgré les efforts du clergé, malgré les complaisantes équivoques de la philosophie et la faveur de l’opinion ; et je ne saurais dire quelle triste et douloureuse impression produisit d’abord sur mon cœur le spectacle de cette agonie. Je voyais un peuple irréligieux avant d’être instruit, un gouvernement que rien d’éternel, rien d’absolu ne soutenait ; une société pour qui l’ordre était une convention, le vice et la vertu des idées arbitraires, le passé du genre humain un long mensonge : et cette situation sans exemple, cet avenir sans providence, m’effrayaient. Mais je me rassurai bientôt en démêlant dans les faits les plus vulgaires, et les causes secrètes les révolutions religieuses, et les éléments d’un ordre merveilleux, qui se laissait d’autant moins apercevoir qu’il était plus près de moi. Alors je me dis que le temps était venu d’aider au travail de la nature, et de procurer, par tous les moyens que la raison avoue, la dernière crise de la société.
Que les chrétiens me le pardonnent : si ces recherches ne sont point une illusion du ténébreux esprit, la religion est désormais un non-sens ; si je me trompe, le salut de mon âme ne payera point trop cher ce triomphe de la théologie.
73. By a policy of violence, Religion can be suddenly suppressed, but it recovers: 1793 and the Concordat prove it. Through science, Religion perishes even in its germ, and irrevocably. For forty years we have seen it, convinced of impotence and error, fall with an accelerated fall, despite the support of governments, despite the efforts of the clergy, despite the complacent equivocations of philosophy and the favor of public opinion; and I cannot say what sad and painful impression the spectacle of this agony produced on my heart at first. I saw a people irreligious before being educated, a government supported by nothing eternal, nothing absolute; a society for which order was a convention, vice and virtue arbitrary ideas, the past of the human race a long lie: and this unprecedented situation, this future without providence, frightened me. But I soon reassured myself by sorting through the most common facts, and the secret causes, the religious revolutions, and the elements of a marvelous order, which was all the less noticeable the nearer it was to me. So I tell myself that the time has come to help in the work of nature, and to bring about, by all the means that reason admits, the last crisis of society.
May the Christians forgive me: if these researches are not an illusion of a brooding mind, religion is henceforth nonsense; if I am mistaken, the salvation of my soul will not pay too dearly for this triumph of theology.
74. Plusieurs obstacles retardent l’extinction définitive des religions : le peuple, surtout celui des campagnes, n’est pas prêt ; la science de l’homme et de la société n’existe pas ; la métaphysique est à faire. Il faut une raison forte et longtemps exercée pour se contenter, en attendant la lumière, d’une philosophie négative : le vulgaire ne quitte une croyance que pour une autre ; chez lui, une idée peut seule chasser une idée. C’est ce qui explique la manie, je dirai presque l’hypocrisie de religiosité si commune aujourd’hui, dans l’enseignement, la presse, mais surtout dans le gouvernement. Tandis que les philosophes annoncent une réforme religieuse, que radicaux et conservateurs parlent d’intérêts spirituels, que les proviseurs recommandent à leurs élèves, qui rient, la fréquentation des sacrements, et donnent des prix de religion ; le pouvoir favorise de toutes ses forces l’action du clergé, et prêche volontiers, par ses procureurs généraux et ses préfets, contre l’impiété et les mauvaises doctrines. Étourdi des reproches de corruption et d’anarchie qui s’élèvent de toutes parts, il n’imagine rien de mieux, pour le peuple, qu’un retour à la religion, pour lui-même qu’une royauté absolue. Mais personne n’est dupe : tout le monde rit de ces mines, et le même coup qui abattra le scepticisme finira cette comédie[16].
74. Several obstacles delay the definitive extinction of religions: the people, especially those in the countryside, are not ready; the science of man and society does not exist; metaphysics is yet to be created. It takes a strong and long practiced reason to be content, while waiting for the light, with a negative philosophy: the vulgar only abandon one belief for another; with them, an idea alone can drive out an idea. This is what explains the mania, I would almost say the hypocrisy of religiosity so common today, in education, the press, but above all in government. While the philosophers announce a religious reform, while radicals and conservatives speak of spiritual interests, while the principals recommend to their pupils, who laugh, the keeping of the sacraments, and give religious prizes; the political power favors with all its might the action of the clergy, and willingly preaches, through its attorneys general and its prefects, against impiety and bad doctrines. Stunned by the reproaches of corruption and anarchy that arose on all sides, it imagined nothing better, for the people, than a return to religion, nothing better for itself than an absolute royalty. But no one is fooled: everyone laughs at these expressions, and the same blow that will bring down skepticism will end this comedy. [16]
75. Est-ce que moi, qui suis vieux, je puis rentrer dans le sein de ma mère, et revenir au monde ? disait au Christ le pharisien Nicodème. Génération du dix-neuvième siècle, tu ne saurais non plus rentrer dans le giron de l’Église : la période religieuse est finie pour toi. Que l’avenir n’effraye pas ton courage : ce sont des aveugles ou des désespérés ceux qui te disent : Pouvez-vous vivre sans religion ! Non, ce n’est point en vain qu’ont protesté dès l’origine ces penseurs que le sacerdoce a inscrits parmi ses ennemis, quand il n’a pu les compter parmi ses victimes ; ce n’est point en vain que dix générations ont affaibli pour nous la crainte de l’autel et le respect du trône : incrédules et libres dès le ventre de nos mères, boirons-nous encore, après voir vu le soleil, les eaux de l’amnios ?
75. Can I, who am old, return to my mother’s womb and return to the world? said the Pharisee Nicodemus to Christ. Nineteenth-century generation, you could not return to the bosom of the Church either: the religious period is over for you. May the future not frighten your courage: it is the blind or the desperate who say to you: Can you live without religion! No, it is not in vain that these thinkers have protested from the beginning, whom the priesthood has listed among its enemies, when it could not count them among its victims; It is not in vain that ten generations have weakened for us the fear of the altar and the respect of the throne: incredulous and free from the wombs of our mothers, shall we still drink, after seeing the sun, the waters of the amnion?
76. Qu’un monument s’élève en témoignage du mouvement qui vient de s’accomplir : la révolution française a sa colonne ; que la Religion ait sa pyramide. Jadis, après avoir béni notre naissance, elle priait sur notre cercueil : sachons, aujourd’hui, lui rendre les derniers devoirs. Craindrions-nous, par piété filiale, d’ensevelir notre mère ? Notre émancipation complète ne datera que de ces grandes funérailles. Jusqu’à présent l’homme a marché dans la crainte des dieux et des démons, exhorté par le prêtre, bercé par des fables, et consolé par des symboles : qu’il sache désormais qu’entre Dieu et lui la nature est son seul interprète ; qu’il apprenne à lire ses destinées au grand livre de l’Univers ; que la connaissance de ses rapports avec le monde et avec ses semblables fasse toute son étude ; que le développement des puissances de son être devienne son seul exercice ; qu’il sache enfin que tout problème que sa raison peut se proposer, elle doit tôt ou tard le résoudre ; que par conséquent il n’est pas pour elle de mystères.
76. Let a monument rise in testimony to the movement which has just taken place: the French Revolution has its column; that Religion has its pyramid. Formerly, after having blessed our birth, she prayed over our coffin: let us know, today, how to render her last duties. Are we afraid, out of filial piety, to bury our mother? Our complete emancipation will only date from this great funeral. Until now man has walked in fear of gods and demons, exhorted by the priest, rocked by fables, and consoled by symbols: let him now know that between God and him nature is his only interpreter ; that he learns to read his destinies in the great book of the Universe; let the knowledge of his relations with the world and with his fellows be his whole study; that the development of powers of his being become his only exercise; let him finally know that any problem that his reason can propose to itself, it must solve sooner or later; that consequently there are no mysteries for her.
77. À peine sorti des mains du Créateur, l’homme eut un songe fatidique : il rêva de dieux, d’anges, de génies ; il parcourut en esprit la demeure des âmes, et contempla l’Éternel dans sa gloire. Il vit Dieu, sortant d’un éternel repos, séparer les éléments, semer les étoiles à travers l’espace, répandre de toutes parts la pensée et la vie, peupler les cieux de natures légères, pendant qu’il tirait l’homme du limon, et formait la femme du propre cœur de l’homme. Au même instant il fut ravi avec elle en un lieu de délices ; là ils entendirent des voix mystérieuses, des paroles ineffables et des rires sataniques : puis tout à coup, au moment où ils sortaient, tristes, honteux et nus, du séjour d’innocence, il s’éveilla.
77. Barely out of the hands of the Creator, man had a fateful dream: he dreamed of gods, angels, genies; he wandered in spirit through the abode of souls, and beheld the Eternal in its glory. He saw God, emerging from eternal rest, separating the elements, sowing the stars through space, spreading thought and life everywhere, people the skies with light natures, while he drew man from the silt, and formed the woman from the man’s own heart. At the same time he was caught up with her to a place of delight; there they heard mysterious voices, ineffable words and satanic laughter: then suddenly, just as they were leaving, sad, ashamed and naked, the abode of innocence, he awoke.
78. Longtemps encore l’homme eut des visions pareilles : peu à peu elles devinrent moins fréquentes, et cessèrent tout à fait. Mais jamais sa mémoire n’en perdit le souvenir lugubre : à peine rendu à lui-même, il pose en dogmes ses propres rêves, et s’interdit d’en douter. Source de terreur et de joie, de résignation et d’espérance ; mais principe de discorde, de relâchement et de paresse !… les maux qu’a causés la Religion sont connus : rappelons seulement, à sa dernière heure, ses bienfaits, ses hautes inspirations. C’est elle qui cimenta les fondements des sociétés, qui donna l’unité et la personnalité aux nations, qui servit de sanction aux premiers législateurs, anima d’un souffle divin les poëtes et les artistes, et, plaçant dans le ciel la raison des choses et le terme de notre espérance, répandit à flots sur un monde de douleurs la sérénité et l’enthousiasme. C’est encore elle qui, déjà couverte du voile funèbre, fait brûler tant d’âmes généreuses du zèle de la vérité et de la justice, et, dans les exemples qu’elle nous laisse, nous avertit en mourant de chercher les conditions du bonheur et les lois de l’égalité. Combien elle embellit nos plaisirs et nos fêtes ! quel parfum de poésie elle répandait sur nos moindres actions ! Comme elle sut ennoblir le travail, rendre la douleur légère, humilier l’orgueil du riche, et relever la dignité du pauvre ! Que de courages elle échauffa de ses flammes ! que de vertus elle fit éclore ! que de dévouements elle suscita ! quel torrent d’amour elle versa au cœur des Thérèse, des François de Sales, des Vincent de Paul, des Fénelon ; et de quel lien fraternel elle embrassa les peuples, en confondant dans ses traditions et ses prières les temps, les langues et les races ! Avec quelle tendresse elle consacra notre berceau, et de quelle grandeur elle accompagna nos derniers instants ! Quelle chasteté délicieuse elle mit entre les époux ? La femme vraiment forte et divine est celle en qui l’amour a fait mourir le sens, et qui conçoit sans volupté : la femme à l’état de nature, c’est la prostituée. La Religion a créé des types auxquels la science n’ajoutera rien : heureux si nous apprenons de celle-ci à réaliser en nous l’idéal que nous a montré la première[17].
78. For a long time still man had similar visions: little by little they became less frequent, and ceased altogether. But his memory never lost the doleful memory of it: barely returned to himself, he posed his own dreams as dogmas, and forbade himself to doubt them. A source of terror and joy, resignation and hope; but a principle of discord, laxity and laziness!… the evils that Religion has caused are known: let us only recall, at its last hour, its benefits, its lofty inspirations. It is religion that cemented the foundations of societies, that gave unity and personality to nations, that served as a sanction for the first legislators, animated poets and artists with a divine breath, and, placing in the heavens the reason of things and the aim of our hopes, flooded a world of pain with serenity and enthusiasm. It is also seligion that, already covered with the funeral veil, makes so many generous souls burn with the zeal of truth and justice, and, in the examples it leaves us, warns us in dying to seek the conditions of happiness and the laws of equality. How much it embellishes our pleasures and our feasts! What a perfume of poetry it spreads over our slightest actions! How well it knew how to ennoble work, make pain light, humiliate the pride of the rich, and raise the dignity of the poor! What courage it warmed with its flames! What virtues it brought forth! What devotion it aroused! What a torrent of love it poured into the hearts of Therese, Francois de Sales, Vincent de Paul, Fénelon; and with what a fraternal bond it embraced the peoples, mixing in its traditions and its prayers times, languages and races! With what tenderness it consecrated our cradle, and with what grandeur it accompanied our last moments! What delicious chastity it established between spouses! The truly strong and divine woman is the one in whom love has made sense die, and who conceives without voluptuousness: the woman in the state of nature is the prostitute. Religion has created types to which science will add nothing: we are fortunate if we learn from it to realize in ourselves the ideal that it first showed us. [17]
NOTES :
1. Dans la dernière retraite d’un séminaire de province, le sujet principal des discours a été le danger pour les prêtres et l’inutilité de la science. Un philosophe du pays avait-il tort de leur dire : Vous ne savez rien ?
NOTES TO CHAPTER I
1. In the latest retreat of a provincial seminary, the main subject of the discourses was the danger for priests and the uselessness of science. Was a local philosopher wrong to ask them: Do you know nothing?
2. C’est au chapitre ii de Daniel, que Bossuet a pris le thème du Discours sur l’histoire universelle.
2. It is in Chapter ii of Daniel that Bossuet took up the theme of the Discourse on Universal History.
3. J’ai dit, en définissant la Science, qu’elle est l’interprétation des symboles religieux. Les exemples cités dans le texte montrent quel est le sens de cette proposition. La science ne nie point les vérités prêchées par la religion, telles que l’existence de Dieu, les principes de la morale, etc. ; elle rejette seulement la manière dont la religion en rend compte, et les broderies qu’elle y ajoute. Ainsi la science admet que la continence est nécessaire à la paix des familles, au bonheur des mariages, au perfectionnement des personnes : mais elle est peu touchée de ces considérations religieuses, savoir, que nos corps sont les temples du Saint-Esprit ; que Jésus-Christ a voulu naître d’une vierge et mourir vierge ; que par sa virginité la mère de Dieu est devenue la plus parfaite des créatures ; que le célibat est un état plus saint que le mariage ; que la dévotion à Marie est un excellent moyen de conserver la pureté, etc. Toute cette partie théologique est mise par la science au rang des symboles ; et, tandis que le vulgaire n’y voit qu’un accessoire de la religion, je l’appelle, moi, exclusivement religion.
Au reste, je déclare que je n’avance rien dans ce chapitre, que l’on ne professe publiquement dans l’université.
3. I said, in defining Science, that it is the interpretation of religious symbols. The examples cited in the text show the meaning of this proposition. Science does not deny the truths preached by religion, such as the existence of God, the principles of morality, etc.; it only rejects the way in which religion accounts for them, and the embroideries it adds to them. Thus science admits that continence is necessary for the peace of families, for the happiness of marriages, for the improvement of persons, but it is little touched by these religious considerations, namely, that our bodies are the temples of the Holy Spirit; that Jesus Christ willed to be born of a virgin and to die a virgin; that by her virginity the mother of God has become the most perfect of creatures; that celibacy is a holier state than marriage; that devotion to Mary is an excellent means of preserving purity, etc. This whole theological portion is placed by science in the rank of symbols; and while the vulgar see in it only an accessory of religion, I call it exclusively religion.
For the rest, I declare that I advance nothing in this chapter, that is not professed publicly in the university.
4. Des honneurs à la mémoire de Confucius et des ancêtres, honneurs regardés par les Chinois eux-mêmes comme simplement commémoratifs, ne sont pas des cérémonies religieuses. Mais, chose singulière ! tandis que le pape traitait de religion les cérémonies chinoises, l’empereur Khang-Hi ayant ordonné d’informer sur les prédications des missionnaires, le tribunal des rites déclara de son côté que la secte chrétienne n’était pas une religion !
4. Honors in memory of Confucius and ancestors, honors regarded by the Chinese themselves as merely commemorative, are not religious ceremonies. But, a strange thing! while the pope treated the Chinese ceremonies as religion, the emperor Khang-Hi having ordered to inform on the preachings of the missionaries, the court of the rites declared on its side that the Christian sect was not a religion!
5. Voir Bossuet, Traité de l’usure ; La Luzerne, du Prêt de commerce ; Gousset, notes au Dictionnaire de Théologie de Bergier, etc.
6. Voir la conclusion du Discours de Cuvier sur les Révolutions du globe, et les ouvrages des docteurs Bucklaud et Wiseman.
7. Bible vengée de Duclot.
8. Mandement de l’archevêque de Paris sur les inondations du Rhône.
9. Et remarquons-le bien : ce vice ou défaut d’intelligence que nous venons de signaler dans le prêtre, ne vient pas de la nature, mais du métier. Où trouver une imagination plus riche, une éloquence plus pathétique, un art de style plus consommé, qu’en M. de Lamennais ? Quel homme sembla jamais, plus que lui, destiné à représenter son siècle ? Mais la religion a pour jamais comprimé cette grande âme, en l’occupant de ses monstres et de ses chimères.
Ce fut une singulière controverse, que celle soulevée par M. de Lamennais dans l’Essai sur l’indifférence en matière de religion. Entreprendre de prouver à Cicéron, Brutus, Scipion, Atticus, César, Horace, Virgile, Mécène, qu’ils avaient tort de rire de Pluton et des Euménides, de la naissance de Minerve et de l’incarnation de Bacchus ; que Cerbère avec sa triple gueule pourrait bien les dévorer, et qu’il y allait pour eux d’une éternité de peines dans le Tartare, s’ils continuaient à se moquer des augures et des sacrifices, à négliger les ablutions et les féries ; tandis qu’ils jouiraient de la vision béatifique dans l’Élysée, s’ils se montraient humbles et fervents adorateurs d’Ammon ; qu’un homme raisonnable ne pouvait négliger de si précieux intérêts, et que la chose, toute affaire cessante, devait être au plus tôt examinée : une semblable pensée, dis-je, eût été le comble du délire, si la bonne foi du prêtre n’avait excusé l’écrivain. Que d’érudition, d’éloquence et de chaleur d’âme, quel luxe de raisonnement, furent déployés dans cette inconcevable dispute ! Le sacerdoce fut ému ; les libertins tremblèrent, les littérateurs admirèrent le talent de l’orateur, et le monde rit beaucoup. Se pouvait-il, en effet, une plus étonnante alliance de la raison et de l’absurde ? Et admirez la force des mauvaises influences ! Il fallut vingt ans à ce vigoureux génie pour comprendre qu’un honnête homme pouvait très-bien ne pas aller à la messe, jamais ne faire ses pâques, violer les prescriptions de l’Église et mourir sans sacrements, dans la plus parfaite sécurité de conscience. Ceux que possède la crainte du diable sont bien possédés ! Il en a coûté de plus grands efforts à M. de Lamennais, pour quitter le catholicisme que pour composer tous ses ouvrages ; cette abjuration n’a pas fait moins d’éclat, et c’est peut-être en quoi l’illustre converti a eu tort.
Quand ensuite M. de Lamennais, guéri de sa fièvre catholique, apostolique et théocratique, voulut travailler à la cause de la liberté, déjà il n’était plus temps : le froc du prêtre tenait à sa chair comme la chemise empoisonnée du centaure aux épaules d’Hercule. En changeant de cotte, M. de Lamennais ne changea pas de méthode ; et si quelque chose peut troubler ses dernières années, ce sera le regret d’avoir été chrétien trop longtemps.
10. Cette assertion n’a plus rien d’effrayant, après la distinction que nous avons faite de la loi morale et du symbole religieux : celle-là, éternelle et absolue ; celui-ci, variable, transitoire, et n’ayant pour objet que de donner momentanément à la morale une sanction et une base. Or, la science nouvelle doit suppléer partout la religion, et faire mieux que sa devancière ; à cette condition seule, les conclusions que nous allons poser sont légitimes. Ainsi, que les âmes timorées se rassurent. Eh ! qui donc aujourd’hui oserait attaquer la morale ? mais, en revanche, qui se soucie des symboles ? Les pères envoient-ils leurs enfants au catéchisme pour y apprendre à théologiser, ou bien pour y puiser des principes de probité et de politesse ? Toute la question est là.
11. Ce paragraphe n’est, du reste, que la conclusion d’un raisonnement dont on trouvera les prémisses dans le dernier ouvrage de M. Edgar Quinet, du Génie des Religions. Dans cet écrit, auquel on ne saurait reprocher qu’un trop grand luxe de style, le savant professeur, après avoir montré les religions antiques tombant les unes sur les autres, s’est arrêté tout à coup au christianisme : on comprend les motifs de cette réserve.
12. La cessation du culte suit la même marche qu’a suivie autrefois son établissement ; elle commence par les villes, centres de population et foyers de lumières, et s’étend de proche en proche dans les campagnes. On sait que le polythéisme subsista chez les paysans, ou païens, pagani, longtemps encore après la reconnaissance officielle du catholicisme dans tout l’Empire.
13. Titre d’un ouvrage de M. Jouffroy. — Dans ses œuvres posthumes, ce philosophe a confirmé, relativement à la religion, toutes les opinions qu’il avait émises dans ses précédentes publications. Il en résulte que M. Jouffroy admet comme vérités philosophiques, c’est-à-dire, démontrables, mais non comme vérités révélées ou inaccessibles à la raison, les théorèmes de métaphysique enveloppés sous les dogmes religieux, et que ces dogmes eux-mêmes, pris dans leur sens littéral, il les rejette. En d’autres termes, M. Jouffroy, séparant de la religion les vérités générales que suppose la religion, accepte les unes et nie la réalité de l’autre.
14. Les philosophes y mettent plus de façons et moins de franchise : ils croient, ou font semblant de croire que Dieu s’est révélé à Abraham, à Moïse, aux prophètes, et que la divinité était immanente en Jésus ; mais ils soutiennent en même temps que Dieu s’est révélé aussi à Platon, à Bouddha, à Luther, et que tous les hommes sont pleins du Saint-Esprit. Or, si tout est miracle, incarnation et révélation dans la société, il n’y a plus ni révélation, ni incarnation, ni miracle.
15. « La religion de l’avenir sera toute scientifique, dit M. Damiron ; ce sera la découverte rationnelle de l’inconnu par le connu, de l’invisible par le visible. Elle ne se prêchera plus ; elle s’enseignera, se démontrera, au lieu de s’imposer. Ce n’est plus que de cette manière que se forment aujourd’hui, en quoi que ce soit, les idées et les croyances ; et il n’y aura pas d’exception pour les idées et les croyances religieuses. De même donc qu’au temps de la première, de la seconde et de la troisième révélation, c’eût été un contre-sens et une étrange anomalie que la théologie eût été plus philosophique que les autres sciences ; de même aujourd’hui ce serait une inconséquence et une contradiction qu’elle restât étrangère à leurs procédés et à leurs progrès. On sera donc théologien, comme on sera physicien et philosophe ; ou plutôt le théologien se formera du physicien et du philosophe… C’est alors que viendront les conclusions que la science universelle doit mettre à même de tirer relativement à l’être duquel émane toute action, toute vie, tout mouvement… ; et toute une religion sortira du sein de cette vaste philosophie. »
Ainsi, selon M. Damiron, il y aura une quatrième révélation, comme il y en a eu une première, une deuxième et une troisième : or, comme la quatrième révélation sera toute scientifique, et cependant tout humaine, tandis que les trois premières révélations n’eurent rien de scientifique, c’est-à-dire de vrai, quoique divines, il s’ensuit que la révélation de la raison est au-dessus des révélations prophétiques et miraculeuses ; qu’elle les abolit toutes, les déclarant insuffisantes et même fausses.
De plus, comme rien ne sera cru qui ne soit démontré, il y aura une vertu théologale de moins, la foi, partant plus de religion, selon l’Apôtre. Et puisqu’à l’égard de l’avenir, le grand inconnu étant dégagé, comme dit M. Damiron, la science aura conquis la certitude, il n’y aura plus lieu de pratiquer la seconde vertu théologale, l’espérance, partant plus de religion. Et comme les rapports des hommes entre eux seront fixés par une science, la charité, aujourd’hui troisième vertu théologale, ne sera plus vertu, mais plaisir ; en sorte qu’au lieu de religion, nous aurons les joies de la fraternité, en un mot, la béatitude, objet de toute religion. Les théologiens acceptent-ils la religion de M. Damiron ?
16. L’erreur capitale de la secte saint-simonienne a été, dans une nation philosophe, de vouloir tout ramener au sentiment et à la foi, et de se poser comme église et sacerdoce, tandis qu’elle devait considérer sa mission comme un professorat. Jusqu’à présent l’intelligence est née du sentiment et de la passion : désormais c’est le contraire qui aura lieu ; l’intelligence produira l’enthousiasme et la foi, la passion et le sentiment. La secte de Saint-Simon a été punie de sa méprise par l’ineffable ridicule où elle est tombée aussitôt : le rationalisme du siècle, plus encore que la répugnance universelle pour une organisation aristocratique et féodale, a tué le saint-simonisme.
5. See Bossuet, Traité de l’usure; La Lucerne, du Prêt de commerce; Gousset, notes to the Dictionnaire de Théologie of Bergier, etc.
6. See the conclusion of Cuvier’s Discourse on the Revolutions of the Globe, and the works of Doctors Bucklaud and Wiseman.
7. Bible vengée by Duclot.
8. Pastoral letter from the Archbishop of Paris on the floods of the Rhône.
9. And let us note it well: this vice or lack of intelligence, which we have just pointed out in the priest, does not come from nature, but from the trade. Where to find a richer imagination, a more pathetic eloquence, a more consummate art of style, than in M. de Lamennais? What man ever seemed more destined than he to represent his age? But religion has for ever compressed this great soul, occupying it with its monsters and its chimeras.
It was a singular controversy, that raised by M. de Lamennais in the Essai sur l’indifférence en matière de religion. Undertake to prove to Cicero, Brutus, Scipio, Atticus, Caesar, Horace, Virgil, Maecenas, that they were wrong to laugh at Pluto and the Eumenides, at the birth of Minerva and the incarnation of Bacchus; that Cerberus with his triple mouth might well devour them, and that there would be an eternity of trouble for them in Tartarus, if they continued to make fun of augurs and sacrifices, to neglect ablutions and ferias; while they would enjoy the beatific vision in Elysium, if they showed themselves humble and fervent worshipers of Ammon; that a reasonable man could not neglect such precious interests, and that the thing, all business ceasing, should be examined as soon as possible: such a thought, I say, would have been the height of delirium, if the good faith of the priest excused the writer. What erudition, eloquence and warmth of soul, what luxury of reasoning, were displayed in this inconceivable dispute! The priesthood was moved; the libertines trembled, the writers admired the talent of the orator, and the world laughed heartily. Could there be, indeed, a more astonishing alliance of reason and the absurd? And admire the power of evil influences! It took twenty years for this vigorous genius to understand that an honest man could very well not go to mass, never celebrate his Easter, violate the prescriptions of the Church and die without the sacraments, in the most perfect security of life. Those possessed by the fear of the devil are well possessed! It cost M. de Lamennais greater efforts to quit Catholicism than to compose all his works; this abjuration did not cause less shock, and it is perhaps where the illustrious convert went wrong.
When then M. de Lamennais, cured of his catholic, apostolic and theocratic fever, wanted to work for the cause of liberty, it was already too late: the priest’s frock clung to his flesh like the poisoned shirt from the centaur clung to the shoulders of Hercules. In changing his coat, M. de Lamennais did not change his method; and if anything can trouble his last years, it will be the regret of having been a Christian too long.
10. There is nothing frightening in this assertion, after the distinction we have made between the moral law and the religious symbol: that one, eternal and absolute; this one, variable, transitory, and having for object only to temporarily give to morality a sanction and a basis. Now, the new science must supply religion everywhere, and do better than its predecessor; on this condition alone, the conclusions that we are about to draw are legitimate. Thus, may timorous souls be reassured. Well! Who today would dare to attack morality? But, on the other hand, who cares about symbols? Do fathers send their children to catechism to learn there to theologize, or to draw from it the principles of probity and politeness? The whole question is there.
11. This paragraph is, moreover, only the conclusion of a reasoning whose premises will be found in the last work of Mr. Edgar Quinet, of the Genie des Religions. In this writing, which cannot be reproached for being too lavish in style, the learned professor, after having shown the ancient religions falling on top of each other, suddenly stopped at Christianity: we understand the reasons for this reserve.
12. The cessation of the cult follows the same course as its establishment formerly followed; it begins with the cities, centers of population and centers of enlightenment, and extends step by step into the countryside. We know that polytheism persisted among the peasants, or pagans, pagani, long after the official recognition of Catholicism throughout the Empire.
13. Title of a work by M. Jouffroy. — In his posthumous works, the philosopher confirmed, with respect to religion, all the opinions he had expressed in his previous publications. It follows that M. Jouffroy admits as philosophical truths, that is to say, demonstrable truths, but not as truths revealed or inaccessible to reason, the theorems of metaphysics enveloped in religious dogmas, and that, taken in their literal sense, he rejects these dogmas themselves. In other words, M. Jouffroy, separating from religion the general truths that religion supposes, accepts the one and denies the reality of the other.
14. The philosophers put more manners into it and less frankness: they believe, or pretend to believe that God revealed himself to Abraham, to Moses, to the prophets, and that the divinity was immanent in Jesus; but they maintain at the same time that God revealed himself also to Plato, to Buddha, to Luther, and that all men are full of the Holy Spirit. Now, if everything is miracle, incarnation and revelation in society, there is no longer any revelation, incarnation or miracle.
15. “The religion of the future will be entirely scientific,” says M. Damiron; “it will be the rational discovery of the unknown by the known, of the invisible by the visible. It will no longer preach itself; it will teach itself, demonstrate itself, instead of imposing itself. It is only in this way that ideas and beliefs are formed today, in any way whatsoever; and there will be no exception for religious ideas and beliefs. Just as, therefore, at the time of the first, second, and third revelations, it would have been a misconception and a strange anomaly for theology to have been more philosophical than the other sciences; in the same way today it would be an inconsistency and a contradiction if it remained foreign to their processes and their progress. One will therefore be a theologian, as one will be a physicist and a philosopher; or rather, the theologian will be formed from the physicist and the philosopher… It is then that the conclusions will come that universal science must be able to draw with respect to the being from which emanates all action, all life, all movement…; and a whole religion will issue from the bosom of this vast philosophy.”
Thus, according to Mr. Damiron, there will be a fourth revelation, as there has been a first, a second and a third: now, as the fourth revelation will be entirely scientific, and yet entirely human, while the first three revelations had nothing scientific, that is to say true, although divine, it follows that the revelation of reason is above prophetic and miraculous revelations; that it abolishes them all, declaring them insufficient and even false.
Moreover, as nothing will be believed that is not demonstrated, there will be one less theological virtue, faith, hence no more religion, according to the Apostle. And since with regard to the future, the great unknown being released, as M. Damiron says, science will have conquered certainty, there will no longer be any need to practice the second theological virtue, hope, hence no more religion. And as the relations of men among themselves will be determined by a science, charity, today the third theological virtue, will no longer be virtue, but pleasure; so that instead of religion we shall have the joys of fraternity, in a word, beatitude, the object of all religion. Do theologians accept Mr. Damiron’s religion?
16. The capital error of the Saint-Simonian sect was, in a philosophical nation, to want to reduce everything to sentiment and faith, and to pose as church and priesthood, while it had to consider its mission as a professorship. Up to now intelligence has been born of feeling and passion: henceforth the opposite will take place; intelligence will produce enthusiasm and faith, passion and feeling. The sect of Saint-Simon was punished for its mistake by the ineffable ridicule into which it immediately fell: the rationalism of the century, even more than the universal repugnance for an aristocratic and feudal organization, killed Saint-Simonism.
17. En lisant ces dernières pages, on s’aperçoit que l’auteur est plus religieux qu’il ne dit, et surtout qu’il ne veut être (Note de l’éditeur.)
17. Reading these last pages, we realize that the author is more religious than he says, and especially than he wants to be (Editor’s note.)