Jenny P. d’Héricourt, “Philosophical Letters on Tolerance and the Critique of Hypotheses” (1863-64)

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Première lettre.)

Si quelque honorable du sexe barbu a surpris la suscription de la lettre que je reçois de vous, chère Madame, il n’a pas manqué de se dire in petto: Une Genevoise demandant à une Parisienne: Quelle couleur sera réputée de bon goût cet hiver? Quelle sera la forme la plus élégante des manteaux? Les crinolines conserveront-elles l’envergure qui a rendu nécessaire la presque démolition de Paris et l’élargissement de ses rues, élargissement si peu pittoresque et qui doit, un jour ou l’autre, multiplier les oculistes en multipliant les ophtalmies? Notre monsieur serait bien surpris, et peut-être assez mal satisfait, même étant dans les rangs de l’émancipation féminine, de trouver, à la place que doivent occuper ces questions, les trois points d’interrogation que vous dressez devant moi comme trois têtes de Méduse.

1° Quels sont à votre avis, me demandez-vous, les principes rationnels de la tolérance?

2º Dans quel ordre de considérations puiseriez-vous les principes de critique des hypothèses de toute nature?

3º Distinguez-vous entre les personnes et les doctrines en fait de critiqué et de tolérance; et si oui, dans quelle mesure et d’après quelles maximes?

Serais-je indiscrète de vous demander quel génie ennemi de mon repos vous a soufflé de m’adresser cette trinité de questions? Et ne pouviez-vous lui représenter, avec tous les égards dus à un génie, que vous n’avez nul besoin de moi pour les résoudre; que ce n’est pas auprès d’un esprit impatient et batailleur qu’il est précisément sage de se renseigner sur la tolérance, et qu’il est peu charitable de contraindre les gens à faire de la gymnastique rationnelle sous prétexte qu’on s’intéresse à leur santé ? Vous n’avez voulu rien dire de tel, soit : ma vengeance est prête; je vais vous servir une telle dose de philosophie, que vous en avalerez votre langue d’ennui, et je serai sans miséricorde : vous n’aurez pas à vous plaindre; vous l’aurez voulu, Perrin Dandin!

La tolérance consiste, nous le savons, à respecter les croyances que nous ne partageons pas, sans cesser d’obéir, envers ceux qui les professent, aux maximes de justice et aux sentiments de bienveillance qui doivent relier entre eux les membres de la famille humaine.

Quelques personnes sont tolérantes par lymphatisme, d’autres par douceur de cœur unie au bon sens, un très-grand nombre par indifférence pour toute doctrine, un très-petit parce qu’elles doutent de tout ce qui n’est pas du domaine des faits, et considèrent la foi comme une maladie mentale constitutionnelle de notre espèce, dont il faut prendre pitié; enfin, de rares privilégiés sont tolérants par vertu, c’est-à-dire par suite de leur obéissance à certaines maximes de la raison logique et morale. Je crois pieusement que vous êtes de cette dernière catégorie.

Avant de songer à guérir quelqu’un, il faut connaître les symptômes de son mal, les causes qui l’ont produit et l’entretiennent. Diagnostiquons donc l’intolérance sur un sujet profondément atteint de cette triste et dangereuse monomanie.

Voyez-vous cet homme grave, sombre, souvent au teint bilieux? Ecoutez-le penser. Je possède la vérité; le critère sur lequel elle s’appuie, est de nature à saisir toute intelligence qui n’est pas obscurcie par une volonté mauvaise. Donc, quiconque repousse la vérité et son critère, est, ipso facto, atteint de mauvaise volonté.

Mais la volonté n’est pervertie que par de honteuses passions; donc, quiconque repousse la vérité et son critère, est convaincu, ipso facto, d’être possédé de honteuses passions. Si l’on ne s’en aperçoit pas, il est légitime d’induire qu’à leur orgueil ou autres vices ils joignent l’hypocrisie.

Quel est le devoir de tout sectateur de la vérité et de la vertu? C’est, d’abord, de catéchiser les autres; puis, d’employer toute son influence à favoriser l’action des disciples de la vérité, et à paralyser celle des sectateurs de l’erreur et du vice.

Les principes posés, on les applique selon le siècle où l’on vit et la position que l’on occupe. Vit-on dans le bon temps? on mure dans l’in pace, on massacre, on brûle les rebelles à la vérité : c’est œuvre sainte que de débarrasser la terre de tels scélérats? Vit-on dans un déplorable siècle de raison, de tiédeur des croyants? on perd pieusement ses adversaires par des demi-mots, des réticences, des soupirs et des signes, qui donnent à penser bien autrement qu’une accusation nettement formulée; ne pouvant relever le bûcher, on invente la sainte diffamation de la prière pour tel et tel impie. Tout est permis pour faire triompher la vérité : on s’efforce donc d’acquérir pouvoir, richesse, influence; de former un parti compact et puissant pour donner des emplois aux croyants ou à ceux qui, tout au moins, consentiront à la pratique en attendant la foi, qui ne peut manquer de venir, d’après l’avis de Pascal et des Jésuites. Quant à ceux qui refusent de subir cet essai, comme ils ne peuvent être brûlés, que la faim les élimine!

Tels sont les symptômes de la maladie d’intolérance. Les causes en sont faciles à saisir : elles se résument toutes dans la certitude qu’on possède la vérité et qu’il existe un critère. Guérir un esprit de cette double erreur par l’analyse des fonctions et des limites de la raison, celle de la question de la certitude et de ses objets, est évidemment le seul moyen de l’amener à la tolérance. Point n’est besoin de contester les objets de sa foi il peut la conserver, si cela lui plaît; qu’il soit conduit à reconnaître qu’elle est une hypothèse privée de véritable critère, cela suffit.

Voulez-vous, chère Madame, que nous essayions ce traitement sur l’évêque de Marseille ou le révérend père Veuillot, que nous supposerons de sincères intolérants pour les besoins de la discussion? Consentez à être juge du camp, et dites-moi lequel vous désirez que je vous amène, et, bon gré, mal gré, dans quelques instants il sera devant vous. Vous consentez : je vous quitte donc pour revenir avec l’un des deux.

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

Philosophical letters on tolerance and the criticism of assumptions.

(First letter.)

If some honorable member of the bearded sex overheard the superscription of the letter that I received from you, dear Madam, he would not fail to say in petto: A Geneva woman asking a Parisian: What color will be deemed to be in good taste this winter? What will be the most elegant shape of coats? Will crinolines retain the scale which made necessary the near-demolition of Paris and the widening of its streets, a widening so unpicturesque and which must, one day or another, multiply the oculists by multiplying the ophthalmia? Our gentleman would be very surprised, and perhaps not very satisfied, even being in the ranks of women’s emancipation, to find, in the place that these questions should occupy, the three question marks that you place before me as three heads of Medusa.

1. What are in your opinion, you ask me, the rational principles of tolerance?

2. From what order of considerations would you draw the principles of criticism of hypotheses of all kinds?

3. Do you distinguish between people and doctrines in terms of criticism and tolerance; and if so, to what extent and according to what maxims?

Would I be indiscreet to ask you what genie, enemy of my peace, prompted you to address me this trinity of questions? And could you not represent to him, with all the respect due to a genie, that you have no need of me to resolve them; that it is not from an impatient and combative mind that it is precisely wise to learn about tolerance, and that it is uncharitable to force people to do rational gymnastics under the pretext that we are interested in their health? You didn’t want to say anything of the sort, so be it: my vengeance is ready; I will serve you such a dose of philosophy that you will swallow your tongue with boredom, and I will be without mercy: you will have no reason to complain; you will have wanted it, Perrin Dandin!

Tolerance consists, we know, of respecting the beliefs that we do not share, without ceasing to obey, towards those who profess them, the maxims of justice and the feelings of benevolence that must connect the members of the human family together.

Some people are tolerant out of lymphaticism, others out of gentleness of heart united with common sense, a very large number out of indifference to all doctrine, a very few because they doubt everything that is not in the domain of the facts, and consider faith as a constitutional mental illness of our species, for which we must take pity; finally, a privileged few are tolerant by virtue, that is to say as a result of their obedience to certain maxims of logical and moral reason. I piously believe that you are in the latter category.

Before thinking of curing someone, you must know the symptoms of their illness, the causes that produced it and maintain it. Let us therefore diagnose intolerance on a subject deeply affected by this sad and dangerous monomania.

Do you see this serious, dark man, often with a bilious complexion? Listen to him think. I possess the truth; the criterion on which it is based is capable of grasping all intelligence that is not obscured by an evil will. Therefore, anyone who rejects the truth and its criterion is, ipso facto, affected by bad will.

But the will is only perverted by shameful passions; therefore, anyone who rejects the truth and its criterion is convicted, ipso facto, of being possessed of shameful passions. If we do not notice this, it is legitimate to infer that they add hypocrisy to their pride or other vices.

What is the duty of every follower of truth and virtue? It is, first of all, to catechize others; then, to use all their influence to favor the action of the disciples of truth, and to paralyze that of the followers of error and vice.

The principles established, we apply them according to the century in which we live and the position that we occupy. Are we living in good times? We wall up in peace, we massacre, we burn the rebels to the truth: is it holy work to rid the earth of such villains? Are we living in a deplorable century of reason, of lukewarmness among believers? one piously loses one’s adversaries by half-words, reluctance, sighs and signs, which give one to think much differently than a clearly formulated accusation; unable to raise the stake, they invent the holy defamation of prayer for this and that impious person. Everything is permitted to make the truth triumph: we therefore strive to acquire power, wealth, influence; to form a compact and powerful party to give jobs to believers or to those who, at least, will consent to the practice while waiting for faith, which cannot fail to come, according to the opinion of Pascal and the Jesuits. As for those who refuse to undergo this test, as they cannot be burned, let hunger eliminate them!

These are the symptoms of the disease of intolerance. The causes are easy to grasp: they all boil down to the certainty that we have the truth and that there exists a criterion. Curing a mind of this double error by analyzing the functions and limits of reason, that of the question of certainty and its objects, is obviously the only way to bring it to tolerance. There is no need to contest the objects of its faith; it can preserve it, if it pleases; that it is led to recognize that it is a hypothesis deprived of a true criterion, that is enough.

Do you want, dear Madam, that we try this treatment on the Bishop of Marseille or the Reverend Father Veuillot, whom we will assume are sincerely intolerant for the purposes of the discussion? Consent to be judge of the camp, and tell me which one you want me to bring to you, and, whether you like it or not, in a few moments he will be before you. You agree: I am therefore leaving you to return with one of the two.

Jenny P. D’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Deuxième lettre.)

Voici notre intolérant qui s’avance: de la gravité, Madame; je n’ai pu vous servir l’évêque; quand je lui ai proposé un paisible entretien sur la raison, il m’a montré poliment sa porte. Le père Veuillot, de son côté, m’a montré les talons, après m’avoir dit Je connais le raisonnement, mais la raison… qu’est-ce que cela?…. Connais pas. J’ai dû me rabattre sur un inconnu plein de confiance en lui-même, et que je crois un intolérant de fort bonne foi.

— Asseyez-vous, mon bon Monsieur, et convenons du terrain sur lequel nous allons nous placer, sans nous permettre, ni l’un ni l’autre, d’en sortir; il nous est commun, c’est la raison. Vous admettez que la foi doit être raisonnable, c’est-à-dire doit s’appuyer sur des preuves discutées et admises par la raison?

— Je l’admets, Madame.

— Ne pensez-vous pas qu’avant de m’exposer les titres raisonnables de votre croyance, il serait sage de nous mettre d’accord sur ce qu’il faut entendre par la raison? de l’analyser, afin d’en bien préciser les fonctions et les limites?

— Je n’ai aucune objection à y faire; voyons donc ce que c’est que la raison.

― La raison faisant partie de cet ensemble de facultés que vous nommez l’âme et que j’appelle la conscience, si nous analysions d’abord rapidement cette âme?

— J’y consens; mais pourquoi changez-vous un nom reçu?

— Pour n’avoir maille à partir avec personne: sous le nom d’âme on met une substance caractérisée par des attributs métaphysiques, tandis que le mot conscience ne préjuge rien de la nature intime du moi; il se contente de le désigner par sa forme la plus générale, sentiment de son unité, distinction du moi d’avec le non-moi, et vous savez que par l’observation nous ne le connaissons qu’ainsi.

— J’en conviens, mais il n’est pas que ce que nous le connaissons.

— Je ne nie ni ne préjuge rien; seulement, étant d’humeur pacifique, je vous le répète, j’aime mieux m’exprimer de manière à ne point me quereller.

La conscience se présente à l’observation et à l’expérience intime sous quatre formes: sensation, intelligence, passion, volonté.

Je pense que vous n’aurez aucune objection à me faire, si je dis que, par la sensation, la conscience s’éveille, qu’elle naît de son contact, de son rapport avec le non-moi, qu’elle n’est que la distinction et l’identification du moi et du non-moi, la solution d’une antinomie.

— Quel singulier langage! qu’est-ce qu’une antinomie hors de votre style d’Outre-Rhin? Et comment voulez-vous que je vous accorde que l’âme n’existe pas par elle-même, que, pour exister, elle a besoin du monde ?

— Je ne vous parle pas de l’âme en soi que nous ne connaissons ni l’un ni l’autre, mais de la conscience ou moi, se sentant et se constatant différer du monde, conscience que nous connaissons tous; vous admettez bien, j’espère, qu’en général nous ne pensons que parce qu’en général nous sommes en relation avec autre chose que nous ?

— Oui, je l’admets.

— Vous admettez encore que notre imagination, notre mémoire ne nous sont manifestées à nous-même comme facultés que parce qu’elles contiennent les images et idées de ce qui n’est pas elles?

— Je l’admets encore.

— Eh bien! vous admettez donc que nous n’avons la révélation de nous-même, que nous n’avons conscience de nous que par le non-nous, et que nos facultés ne nous sont connues que par leur identification avec ce qui n’est pas elles. Quant aux antinomies, ce sont deux termes contraires qui se concilient dans un troisième : ainsi hors de la connaissance, on ne sait évidemment pas ni ce que c’est que le monde ou non-moi ni ce que c’est que la conscience ou le moi; mais il faut qu’ils existent pour soutenir des rapports; ils sont contraires, ils s’opposent et ils se concilient dans la conscience.

— Je vous comprends et j’admets, pourvu qu’il soit bien entendu que vous ne considérez pas votre conscience comme un pur reflet du monde.

— Je commettrais une erreur d’observation: la conscience enferme le monde dans ses concepts, impose ses formes aux sensations; donc elle ferait plutôt le monde qu’elle n’en serait le reflet; nous voilà d’accord sur un premier point.

L’intelligence est cette forme de la conscience qui donne des lois à la sensation, image, combine des idées, se ressouvient et formule tous les principes.

La passion, que quelques-uns nomment sentiment, est ce qui pose instinctivement des fins, pousse à les poursuivre; c’est le centre de la vie, la chaleur de la conscience, comme l’intelligence en est la lumière; elle se manifeste sous forme de désir et de crainte, d’amour et de haine, et ne se manifeste, comme l’intelligence, qu’identifiée avec l’idée de son objet; de même qu’on ne pense que quelque chose, l’on n’aime, l’on ne désire, l’on ne hait que quelque chose; il n’y a pas plus d’amour que de pensée en général, c’est-à-dire dans le vide.

— Ceci est très-évident.

— De même que la passion n’existe qu’en vue d’une fin, la volonté n’existe que comme cause; si l’une est la finalité de la conscience, l’autre en est la causalité, puisque sa fonction est de faire que ce qui n’était pas, soit.

— Fort bien; mais admettez-vous que cette causalité soit libre, ou, en d’autres termes, que nous jouissions du libre arbitre?

— Nous nous jugeons libres et, si nous ne l’étions pas, le remords, l’espoir, le regret, la louange, le blâme, l’estime, le mépris, les lois, tous basés sur la foi profonde en des futurs indéterminés qui peuvent ou non recevoir l’être de notre volonté, ne seraient que des erreurs, disons mieux, des non-sens dans un monde où tout serait préordonné, même la conscience qui nie cette préordination, et est ainsi un démenti à l’ordre auquel elle appartiendrait. En en vertu de quoi conteste-t-on la valeur d’un jugement universel? en vertu d’un ordre éternel qu’on ne connaît pas, en vertu de lois dont on ignore l’existence, en vertu d’une substance mystique dont on ne peut avoir ce qu’on appelle une idée: or il me paraît fort peu raisonnable de nier le connu au nom de l’inconnu inconnaissable.

J’admets donc le libre arbitre tel qu’il nous est donné dans l’observation et l’expérience, c’est-à-dire que je crois que la volonté est libre de choisir entre plusieurs impulsions celle qu’elle préfère; entre plusieurs fins qui lui sont posées par les passions, celle qu’elle met un intérêt plus grand à réaliser; entre plusieurs choses possibles au même moment celle à laquelle elle se résout par un motif bon ou mauvais à donner l’exister et que dans tous ces cas, elle n’est contrainte d’aucune manière par la passion la plus forte, et peut donner la préférence à la plus faible. La liberté a donc pour conditions de manifestations l’impulsion des passions, les intérêts divers et la possibilité des choses, contenue dans les lois et phénomènes ambiants; je ne la conçois que sous ces conditions, parce qu’elle n’apparaît qu’avec elles; la liberté en soi, la liberté d’indifférence des écoles, n’est qu’une idole métaphysique placée au-delà de toute conception raisonnable; elle vaut la détermination fatale: la liberté relative, telle qu’elle nous apparaît, suffit à notre pleine responsabilité, et son existence en nous doit nous donner de salutaires terreurs. Voilà, Monsieur, ce que je pense de la volonté et de la conscience en général; admettez-vous l’exactitude de cette rapide analyse ?

— Jusqu’ici nous sommes, je crois, d’accord, puisque vous vous tenez soigneusement sur le terrain de l’âme phénoménale, c’est-à-dire telle qu’elle peut être saisie dans l’observation interne, et que vous ne préjugez rien de la nature de l’âme.

— Alors, Monsieur, vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que nous abordions la question qui, directement, nous intéresse, celle des fonctions et des limites de la raison humaine?

— J’y consens très-volontiers.

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

(La suite prochainement).

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Second letter.)

Here is our intolerant who comes forward with gravity, Madam; I could not serve you the bishop; when I offered him a peaceful conversation about reason, he politely showed me his door. Father Veuillot, for his part, showed me the heels, after telling me I know the reasoning, but the reason… what is that?…. He did not know. I had to fall back on a stranger full of confidence in himself, who I believe to be an intolerant in very good faith.

— Sit down, my good sir, and let us agree on the ground on which we are going to place ourselves, without allowing either of us to leave it; it is common to us, that is the reason. Do you admit that faith must be reasonable, that is to say, must be based on evidence discussed and accepted by reason?

— I admit it, Madame.

— Don’t you think that before explaining to me the reasonable grounds for your belief, it would be wise to agree on what is meant by reason? to analyze it, in order to clearly specify its functions and limits?

— I have no objection to it; let us therefore see what reason is.

― Reason being part of that set of faculties that you call the soul and that I call consciousness, what if we first quickly analyzed this soul?

— I agree; but why do you change a received name?

— To have no quarrel with anyone: under the name of soul we put a substance characterized by metaphysical attributes, while the word consciousness prejudges nothing of the intimate nature of the self; it is content to designate it by its most general form, the feeling of its unity, the distinction of the self from the non-self, and you know that through observation we only know it in this way.

— I agree, but it is not just what we know it to be.

— I neither deny nor prejudge anything; only, being in a peaceful mood, I repeat, I prefer to express myself in such a way as not to quarrel.

Consciousness presents itself to observation and intimate experience in four forms: sensation, intelligence, passion, will.

I think that you will have no objection to me if I say that, through sensation, consciousness awakens, that it is born from its contact, from its relationship with the non-ego, that it is only the distinction and identification of the self and the non-self, the solution of an antinomy.

— What strange language! What is an antinomy outside your style from across the Rhine? And how do you expect me to grant you that the soul does not exist by itself, that, to exist, it needs the world?

— I am not talking to you about the soul in itself, which neither of us knows, but about the consciousness or self, feeling and seeing itself different from the world, consciousness that we all know; you admit, I hope, that in general we only think because in general we are in relation to something other than ourselves?

— Yes, I admit it.

— Do you also admit that our imagination, our memory are only manifested to us as faculties because they contain images and ideas of what is not them?

— I also admit it.

– Well! You therefore admit that we only have the revelation of ourselves, that we are conscious of ourselves only through the non-we, and that our faculties are only known to us through their identification with what is not them. As for antinomies, these are two contrary terms that are reconciled in a third: thus outside of knowledge, we obviously do not know either what the world or non-self is or what consciousness or the self is, but they must exist in order to support relationships; they are contrary, they oppose each other and they are reconciled in consciousness.

— I understand you and I admit, provided it is clearly understood that you do not consider your consciousness as a pure reflection of the world.

— I would be committing an error of observation: consciousness locks the world into its concepts, imposes its forms on sensations; therefore it would rather make the world than be its reflection; here we are in agreement on a first point.

Intelligence is that form of consciousness that gives laws to sensation, images, combines ideas, remembers and formulates all the principles.

Passion, which some call sentiment, is what instinctively sets goals, and pushes us to pursue them; it is the center of life, the warmth of consciousness, as intelligence is its light; it manifests itself in the form of desire and fear, love and hatred, and only manifests itself, like intelligence, when identified with the idea of its object; just as we only think about something, we only love something, we only desire desire, we only hate something; there is no more love than thought in general, that is to say in a vacuum.

— This is very obvious.

— Just as passion exists only with a view to an end, so will exists only as a cause; if one is the finality of consciousness, the other is its causality, since its function is to make what was not, be.

— Very well; but do you admit that this causality is free, or, in other words, that we enjoy free will?

— We judge ourselves free and, if we were not, remorse, hope, regret, praise, blame, esteem, contempt, laws, all based on deep faith in future indeterminate which can or cannot receive the being of our will, would only be errors, let us say better, nonsense in a world where everything would be preordained, even consciousness, which denies this preordination and is thus a denial of order to which it belonged. By virtue of what do we contest the value of a universal judgment? By virtue of an eternal order that we do not know, by virtue of laws of which we do not know the existence, by virtue of a mystical substance of which we cannot have what we call an idea: but it seems to me very unreasonable to deny the known in the name of the unknowable unknown.

I therefore admit free will as it is given to us in observation and experience, that is to say, I believe that the will is free to choose between several impulses the one it prefers; between several ends that are posed to it by the passions, the one that it takes a greater interest in achieving; between several possible things at the same moment the one to which it resolves by a good or bad motive to give existence, and that, in all these cases, it is not constrained in any way by the strongest passion, and can give preference to the weakest. Freedom therefore has as its conditions of manifestation the impulse of the passions, the various interests and the possibility of things, contained in the laws and ambient phenomena; I only conceive it under these conditions, because it only appears with them; freedom in itself, freedom of indifference of the academics, is only a metaphysical idol placed beyond all reasonable conception; it is worth the fatal determination: relative freedom, such as it appears to us, is sufficient for our full responsibility, and its existence in us must give us salutary terrors. This, Sir, is what I think of the will and consciousness in general; do you admit the accuracy of this quick analysis?

— So far we are, I believe, in agreement, since you stand carefully on the ground of the phenomenal soul, that is to say such as it can be grasped in internal observation, and as you do not prejudge anything about the nature of the soul.

— So, Sir, you see no problem in our addressing the question that directly interests us, that of the functions and limits of human reason?

— I agree very willingly.

Jenny P. d’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Troisième lettre.)

— Une observation générale qui doit prendre place ici, Monsieur, c’est que la conscience, sous toutes ses formes, est relative.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez me dire, Madame.

— J’entends qu’elle ne sent, ne connaît et pense, n’aime ou ne hait, ne veut ou refuse que ce qui est limité, déterminé par le genre: ainsi la sensation ne perçoit dans le particulier que le général, c’est-à-dire la qualité qui n’appartient pas qu’au cas dont il est question; la passion ne s’attache à la poursuite d’un objet que par un ensemble d’attributs dont aucun n’est propre à cet objet; la volonté ne se détermine de même qu’en vue d’une fin caractérisée par un ensemble d’attributs plus ou moins généraux dans leur application enfin l’intelligence ne connaît, ne définit les choses que par des qualités qui ne leur sont pas exclusives; et elle ne peut avoir l’idée d’une chose que dans l’espèce des attributs. Ainsi la conscience humaine tout entière fait profession de ne sentir, de ne connaître, de n’aimer, de ne vouloir dans les choses que ce qui ne leur est pas exclusif; et de ne sentir, de ne connaître, de n’aimer, ni de ne vouloir l’essence intime d’aucune chose. N’est-ce pas piquant de saisir en soi-même une pareille profession de foi déclarant que tout est relatif?

— Halte-là, s’il vous plaît, Madame; parlez pour votre conscience particulière, mais pas pour la conscience en général, qui possède tout aussi bien l’idée de l’absolu, de l’infini.

— J’attendais cette protestation. Non, Monsieur, aucune conscience ne possède l’idée de ces choses, mais leur notion.

— Idée ou notion, c’est tout un.

— Non pas, Monsieur : la notion est le moule des idées; l’idée est ce qui y est contenu: l’étendue est une notion, les choses étendues sont des idées: la notion est générale, sans limite précise, l’idée est toujours limitée ou déterminée. Parmi les notions, il est encore sage de distinguer les notions pleines des notions vides, c’est-à-dire celles qui contiennent des idées, de celles qui n’en contiennent pas: donnons aux premières le nom de concepts ou de catégories de la raison, ou de lois de la connaissance, pour les distinguer des notions vides, et constatons, puisque c’est la conscience prise sur le fait, que tout ce qu’on peut connaître et imaginer, est contenu dans les premières, tandis qu’il n’y a rien absolument, en fait d’idée, dans les notions de l’absolu, de l’infini. Votre raison, pas plus que la mienne, convenez-en, ne peut contenir rien qui ne soit déterminé, conséquemment rien d’absolu, rien d’illimité; ce qui serait cela, ne pourrait être saisi par l’esprit, dont la fonction essentielle est de déterminer des relations; et cela est tellement vrai que, pour avoir un concept de votre Dieu, censé absolu et infini, vous essayez de le déterminer, d’en faire un tout caractérisé par des attributs métaphysiques contradictoires et logomachiques, lorsqu’on tient à comprendre ce que l’on dit.

— Alors les notions de l’infini et de l’absolu n’ont pas de raison d’être, à votre avis?

— Si vraiment, puisqu’elles sont; et comme il est certain qu’elles ne contiennent pas d’idée, nous aurons à rechercher leur signification et leur mode de formation dans la pensée, ce qui nous ramène directement à l’analyse de notre sujet, la raison.

— Nous donnerons le nom de raison à cette faculté qui contient les principes et axiomes, et qui, d’autre part, spécifie et signifie. Avant de rechercher ses fonctions et ses limites, nous ferons bien d’indiquer le terrain dans lequel elle pose ses fondements: ce terrain est celui de la foi, c’est-à-dire de la croyance en des choses qui ne sont ni démontrées ni démontrables. Lesquels sont les objets de la croyance naturelle de la raison, croyance sans laquelle il n’y aurait aucune pratique possible? Les voici, tels qu’on les retrouve dans toute raison, moins celle de quelques philosophes.

1º Foi profonde en la réalité du monde extérieur et des lois qui régissent les choses;

2º Conviction qu’en général nos facultés ne nous trompent pas, que les choses sont bien telles que ces facultés nous les font percevoir;

3º Certitude que nous agissons sur ce qui n’est pas nous, et pouvons le modifier, comme il peut nous modifier;

4º Enfin, affirmation de notre liberté de choisir, parmi les choses possibles, celle a laquelle nous préférons donner l’exister.

Or, il faut convenir, n’est-ce pas, qu’aucune de ces affirmations capitales n’est ce qu’on appelle prouvée, que nous n’avons aucun critère pour nous assurer qu’elles sont l’expression des faits: ce sont de purs actes de foi, que nous convenons même d’ériger en critères, ce à quoi ma raison consent, sans oublier que le critère est conditionnel, que, fondé sur la foi, il n’a de valeur que relativement à la raison humaine, non quant au fond des choses.

Cet acte de foi fait, la raison entre en exercice; elle reconnaît et constate, après de longues observations, que les idées sur lesquelles elle opère, lui sont fournies par des moules intellectuels ou des concepts: les choses n’apparaissent que frappées des lois de la connaissance, toutes dans l’espace et la durée, qui sont les deux intuitions fondamentales. Rien n’est perçu, conçu, pensé, qui ne soit étendu ou dans l’étendue, la durée, le repos ou le mouvement, soumis fondamentalement aux lois du nombre: ce qui n’est pas dans ce cas, n’est ni connu ni concevable. Mais ces relations générales confondent les choses; d’autres concepts moins généraux, les uns naturels à la raison, les autres résultant de l’expérience, se présentent pour déterminer ce qu’on connaît ou conçoit or, tous les concepts sont essentiellement des abstraits, des termes qui conviennent à un plus ou moins grand nombre de choses; et la raison, dans ses définitions et ses jugements, ne se sert que de ces abstractions; elle perçoit, définit et juge le particulier par le général; elle ne connaît et ne juge des choses que par ce qui ne leur est pas exclusif. De ce qui leur est propre, l’observation interne et externe ne lui apprend rien. La conscience sent un lien intérieur dans l’ensemble des relations qui constituent un être; mais ni les lois de l’entendement, ni la raison qui spécifie en déterminant l’individu par le genre, ne disent rien de ce lien. Lorsqu’elle signifie, c’est-à-dire donne des signes aux idées, c’est encore en conséquence de l’ensemble de relations ou rapports qui constituent les choses, et point en vue du lien qui les retient ensemble, et rassemble ainsi plusieurs genres pour former un tout. Il est donc premièrement certain que nous ne connaissons ni ne pouvons rien connaître de l’essence intime des choses, que nous ne connaissons et ne pouvons connaître et penser que des relations et des ensembles de relations qu’on appelle des êtres, qu’il est interdit à la raison d’aller au-delà, puisque l’intelligence ne pouvant lui fournir que des relations, et étant elle-même un ensemble de relations qu’elle constate par son contact avec les choses, il est clair que la raison qui opère sur ces éléments pour signifier et spécifier, ne peut, sans franchir les limites naturelles de ses fonctions, tenter d’opérer sur autre chose.

— Et si, dans les principes et axiomes qu’elle contient, elle puise des motifs incontestablement légitimes d’en agir autrement, le lui interdirez-vous, Madame?

— Incontestablement légitimes…., c’est à examiner.

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

(La suite prochainement).

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Third letter.)

— A general observation that must be made here, Sir, is that consciousness, in all its forms, is relative.

— I don’t understand what you mean to tell me, Madame.

— I mean that it only feels, knows and thinks, loves or hates, wants or refuses that which is limited, determined by the genre: thus sensation perceives in the particular only the general, that is to say the quality that does not belong only to the case in question; passion is only attached to the pursuit of an object by a set of attributes, none of which is specific to this object; the will is determined in the same way only with a view to an end characterized by a set of attributes more or less general in their application; finally, intelligence only knows and defines things by qualities that are not exclusive to them; and it can only have the idea of a thing in the species of attributes. Thus the entire human conscience professes to feel, to know, to love, to want in things only what is not exclusive to them; and not to feel, not to know, not to love, nor to want the intimate essence of any thing. Isn’t it prickly to grasp in oneself such a profession of faith declaring that everything is relative?

— Stop there, please, Madame; speak for your particular consciousness, but not for consciousness in general, which possesses just as much the idea of the absolute, of the infinite.

— I was waiting for this protest. No, Sir, no consciousness has the idea of these things, but their notion.

— Idea or notion, it’s all one.

— No, sir. The notion is the mold of ideas; the idea is what is contained there: extension is a notion, and extended things are ideas. The notion is general, without precise limit; the idea is always limited or determined. Among the notions, it is still wise to distinguish full notions from empty notions, that is to say those that contain ideas, from those which do not: let us give to the former the name of concepts or categories of reason, or laws of knowledge, to distinguish them from empty notions, and note, since it is consciousness taken in the act, that everything that can be known and imagined is contained in the former, while there is absolutely nothing, in terms of ideas, in the notions of the absolute, of the infinite. Your reason cannot, any more than mine, you will agree, contain anything that is not determined, consequently nothing absolute, nothing unlimited; that which would be of that character could not be grasped by the mind, whose essential function is to determine relationships; and this is so true that, in order to have a concept of your God, who is supposedly absolute and infinite, you try to determine it, to make it a whole characterized by contradictory and logomachic metaphysical attributes, when we want to understand what one has said.

— So the notions of infinity and absolute have no reason to exist, in your opinion?

— Yes really, since they are; and as it is certain that they do not contain an idea, we will have to search for their meaning and their mode of formation in thought, which brings us directly back to the analysis of our subject, reason.

— We will give the name reason to this faculty that contains the principles and axioms, and which, on the other hand, specifies and signifies. Before investigating its functions and its limits, we will do well to indicate the ground on which it lays its foundations: this ground is that of faith, that is to say, of the belief in things which are neither demonstrated nor demonstrable. What are the objects of the natural belief of reason, a belief without which there would be no possible practice? Here they are, such as we find them in all reason, minus that of a few philosophers.

1. A deep faith in the reality of the outside world and the laws that govern things;

2. A conviction that in general our faculties do not deceive us, that things are indeed such as these faculties make us perceive them;

3. A certainty that we act on what is not us, and can modify it, as it can modify us;

4. Finally, an affirmation of our freedom to choose, among possible things, the one to which we prefer to give existence.

Now, we must agree, mustn’t we, that none of these capital assertions is what we call proven, that we have no criteria to ensure that they are the expression of facts: they are pure acts of faith, which we even agree to establish as criteria, to which my reason consents, without forgetting that the criterion is conditional, that, based on faith, it only has value relative to human reason, not as to the substance of things.

This act of faith accomplished, reason comes into play; it recognizes and notes, after long observations, that the ideas on which it operates are provided to it by intellectual molds or concepts: things only appear when subject to the laws of knowledge, all in space and duration, which are the two fundamental intuitions. Nothing is perceived, conceived, thought, that is not extended or in extent, duration, rest or movement, fundamentally subject to the laws of number: that which is not in this case, either known or conceivable. But these general relationships confuse things; other less general concepts, some natural to reason, others resulting from experience, present themselves to determine what we know or conceive; however, all concepts are essentially abstract, terms that are suitable for a greater or lesser number of things; and reason, in its definitions and judgments, uses only these abstractions; it perceives, defines and judges the particular by the general; it only knows and judges things by what is not exclusive to them. Of what is specific to them, internal and external observation teaches it nothing. Consciousness feels an inner connection in all the relationships that constitute a being; but neither the laws of the understanding, nor the reason that specifies by determining the individual by genus, say anything about this link. When it signifies, that is to say gives signs to ideas, it is still as a consequence of the set of relations or relationships that constitute things, and not in view of the link that holds them together, and brings together thus several genera to form a whole. It is therefore firstly certain that we do not know and cannot know anything about the intimate essence of things, that we only know and can know and think of the relations and sets of relations that we call beings, that it is prohibited to reason to go beyond, since intelligence can only provide it with relations, and being itself a set of relations that it notes through its contact with things, it is clear that reason that operates on these elements to signify and specify, cannot, without crossing the natural limits of its functions, attempt to operate on anything else.

—A nd if, in the principles and axioms it contains, its finds incontestably legitimate reasons to act otherwise, will you forbid it to do so, Madame?

— Incontestably legitimate…., that needs to be examined.

Jenny P. d’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Quatrième lettre.)

— Nous avons vu que la raison ne connaît et ne peut connaître que ce qui est déterminé, c’est-à-dire limité par des rapports de ressemblance et de dissemblance avec autre chose; nous avons dit qu’elle se borne à déterminer des rapports dans ses fonctions spécificatrice et significatrice: examinons ce qu’elle contient en tant que dépositaire et conservatrice des principes.

Et, d’abord, qu’est-ce qu’un principe en général? C’est un commencement, une origine : les principes contenus dans la raison sont le commencement, l’origine de la vie pratique sous tous les rapports. Après une analyse minutieuse et prolongée, on est bien obligé de reconnaître qu’ils n’ont pas tous la même valeur, puisque les uns sont aprioriques et les autres apostérioriques; que les uns tiennent à la constitution de l’entendement et de la raison, tandis que les autres ne sont que des inductions, des conclusions tirées de l’expérience, de la pratique, sous l’influence de préjugés, de passions, de fausses analogies.

Les principes, que deux choses égales entre elles sont égales à une seule et même troisième, que tous les rayons d’uu cercle sont égaux, que le tout est plus grand que la partie, sont évidemment des principes ou axiomes qui se formuleront dans toute raison: ils tiennent à sa constitution même. Le jugement apriorique, qui lie, dans le rapport de cause à effet, la pratique de la vertu avec le bonheur, tout singulier qu’il paraisse, n’en est pas moins dans toute conscience; mais les principes et maximes de la moralité ont varié selon le développement de la raison et du cœur ; et si tous admettent qu’il y a un bien et un mal, qu’il faut se soumettre au premier et fuir l’autre, il est certain, d’après les faits, que toutes les raisons n’ont pas placé le bien ni le mal dans les mêmes choses, et que les maximes ont varié: or les maximes sont les vrais principes de la vie pratique, et l’on sait combien l’intérêt et la passion contribuent à y introduire de spécieux sophismes. Disons la vérité vraie c’est que tous les principes apostérioriques, toutes les maximes fondées sur la pure expérience mêlée aux sentiments, doivent être sévèrement critiqués par la raison elle-même réduite par la critique à ses fonctions et limites légitimes. On doit d’autant plus en sentir la nécessité, que les maximes se heurtent de conscience à conscience, et souvent dans la même. D’autre part, on fait en soi une véritable tour de Babel, appelant principe ce qui n’en est pas: ainsi on entend des gens affirmer de bonne foi que l’absolu, l’infini, sont des principes, que la substance est un principe. Eh! mes amiss principes de qui ou de quoi, s’il vous plaît ? Les avez-vous vus, pour en parler si pertinemment? Contentez-vous de les appeler des notions, et je me charge de vous faire convenir qu’elles sont vides.

— Eh! Démontrez-le-leur donc, Madame.

— Très-volontiers. Je vous prie donc de répondre catégoriquement et sans embages à cette question: Avez-vous jamais vu, odoré, goûté, entendu la substance?

— Je ne le prétends pas.

— Donc vous convenez qu’elle ne vous est point donnée dans l’intuition des sens, et n’est contenue dans aucune des lois intellectuelles qui donnent forme à cette intuition; en d’autres termes, vous convenez qu’elle ne vous est pas connue: qu’elle idée vous en formez-vous douc?

— L’idée d’une chose nécessaire pour m’expliquer la réalité des êtres individuels. Nous ne saisissons que des qualités, comme vous l’avez dit; mais, et vous l’avez dit encore, il faut entre elles un lien pour constituer un être, un support de qualités, et c’est ce support que j’appelle substance, essence intime.

— Quelle idée avez-vous de cette substance ou essence intime?

— Qu’elle est le contraire du phénomène, c’est-à-dire, une, simple, indivisible, permanente?

— C’est-à-dire que vous n’en avez aucune idée; car vous ne la rapportez à aucune des catégories relatives de votre intelligence; vous ne la définissez que contradictoirement.

— Comment cela, s’il vous plaît?

— Vos catégories ne vous donnent rien qui ne soit multiple, composé, divisible, contingent; donc vous ne pouvez avoir d’idée que de cela. Le un, le simple, l’indivisible, l’absolument nécessaire ou permanent ne vous est donné ni dans l’observation ni dans l’expérience interne ou externe: ce sont des mots destinés à mettre en relief vos catégories positives, qui n’auraient pas de nom, qui ne seraient pas définies et distinctes pour nous sans cela. Dans l’observation et l’expérience, toute unité est multiplicité et toute permanence est unie à la contingence; nous ne pouvez pas dire non. Votre substance est donc définie par des négations du positif, c’est-à-dire qu’elle ne l’est pas du tout.

— Quoi! vous prétendez que les catégories du simple, de l’un, etc., n’ont pas la même valeur que leur opposée ? mais il suffirait de l’observation de nos propres facultés pour vous contredire.

— Non pas: tout au contraire, cette observation est pour moi. La mémoire, par exemple, est une combinaison de ma conscience avec des idées sous la catégorie de durée; mon attention, une combinaison de ma conscience, relativement permanente, avec des idées qu’elle fixe pour les contempler; mon imagination, une combinaison de ma conscience avec des images; le jugement, une combinaison de ma conscience en mouvement avec des idées qu’elle fait mouvoir; et ainsi de suite. Cette même conscience est elle-même une unité multiple, puisqu’elle est à la fois sentiment d’elle-même et connaissance de ses facultés; et elle unit la permanence à la contingence, puisque, sans cesser d’être elle, elle se fait autre par le mouvement de la pensée, et par ces éclipses quotidiennes qu’on nomme le sommeil. Donc il est acquis que la conscience et ses facultés tombent sous les catégories positives, ou plutôt, disons-le, est la solution des antinomies qui s’établissent entre les deux termes, lesquels sont également vrais dans leur synthèse, et n’ont aucun sens pris séparément. Il n’y a donc pas plus d’unité en soi que de multiplicité en soi. Dans l’expérience, tout est à la fois un et multiple; la simplicité n’est que relative, comme la divisibilité, si nous nous tenons sur le terrain des faits concrets et des faits de conscience. Or comme dans votre définition de la substance, vous ne vous tenez pas dans le relatif, que vous donnez à des concepts une valeur absolue qu’ils n’ont pas dans la raison qui les contient, et qui vous porte à nier leur solution dans les réalités, il est clair que vous ne pouvez avoir aucune idée de la substance, et que vous faites une tentative vaine pour donner un corps à un sentiment: celui du lien qui constitue la nature propre de chaque être particulier. Vous me permettrez bien, tout en sentant ce lien comme vous, de me taire sur sa nature: je ne la connais pas, et j’aime mieux demeurer dans mon ignorance que de me payer de définitions logomachiques et contradictoires. Chacun son goût, n’est-ce pas, cher Monsieur?

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

(La suite prochainement).

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Fourth letter.)

— We have seen that reason only knows and can know what is determined, that is to say limited by relationships of resemblance and dissimilarity with something else; we have said that it is limited to determining relationships in its specifying and signifying functions: let us examine what it contains as depositary and preserver of principles.

And, first of all, what is a principle in general? It is a beginning, an origin: the principles contained in reason are the beginning, the origin of practical life in all respects. After a careful and prolonged analysis, we are obliged to recognize that they do not all have the same value, since some are a priori and others a posteriori; that some relate to the constitution of understanding and reason, while others are only inductions, conclusions drawn from experience, from practice, under the influence of prejudices, passions, false analogies.

The principles, that two things equal to each other are equal to one and the same third, that all the radii of a circle are equal, that the whole is greater than the part, are obviously principles or axioms that will be formulated in any reason: they are due to its very constitution. The aprioric judgment, that links, in the relationship of cause and effect, the practice of virtue with happiness, however singular it may appear, is no less in every consciousness; but the principles and maxims of morality have varied according to the development of reason and the heart; and if everyone admits that there is good and evil, that one must submit to the first and flee the other, it is certain, according to the facts, that all reasons have not placed good nor evil in the same things, and that the maxims have varied: now the maxims are the true principles of practical life, and we know how much interest and passion contribute to introducing specious sophisms into them. Let us tell the true truth that all a posteriori principles, all maxims based on pure experience mixed with feelings, must be severely criticized by reason itself reduced by criticism to its legitimate functions and limits. We must feel the necessity all the more, as the maxims collide from conscience to conscience, and often in the same one. On the other hand, we create in ourselves a veritable Tower of Babel, calling a principle that which is not: thus we hear people affirm in good faith that the absolute, the infinite, are principles, that the substance is a principle. Well, my friends! Principles of who or what, please? Have you seen them, to speak of them so pertinently? Just call them notions, and I will make you agree that they are empty.

— Well! So show it to them, Madame.

— With pleasure. I therefore ask you to answer this question categorically and unequivocally: Have you ever seen, smelled, tasted or heard substance?

— I don’t claim that.

— So you agree that it is not given to you in the intuition of the senses, and is not contained in any of the intellectual laws that give form to this intuition; in other words, you agree that it is not known to you. What idea do you have of it?

— The idea of something necessary to explain to me the reality of individual beings. We only grasp qualities, as you said; but, and you said it again, a link is necessary between them to constitute a being, a support of qualities, and it is this support that I call substance, intimate essence.

— What idea do you have of this intimate substance or essence?

— That it is the opposite of the phenomenon, that is to say, one, simple, indivisible, permanent?

— That is to say, you have no idea; because you do not relate it to any of the relative categories of your intelligence; you only define it contradictorily.

— What do you mean, please?

— Your categories give you nothing that is not multiple, compound, divisible, contingent; so you can only have an idea of that. The one, the simple, the indivisible, the absolutely necessary or permanent is not given to you either in observation or in internal or external experience: these are words intended to highlight your positive categories, which would not have a name, which would not be defined and distinct for us without it. In observation and experience, all unity is multiplicity and all permanence is united with contingency; we cannot say no. Your substance is therefore defined by negations of the positive, that is to say it is not at all.

— What! You claim that the categories of the simple, the one, etc., do not have the same value as their opposite? But it would be enough to observe our own faculties to contradict you.

— Not at all. Quite the contrary, this observation is for me. Memory, for example, is a combination of my consciousness with ideas under the category of duration; my attention, a combination of my consciousness, relatively permanent, with ideas that it fixes in order to contemplate them; my imagination, a combination of my consciousness with images; judgment, a combination of my consciousness in motion with the ideas it sets in motion; And so on. This same consciousness is itself a multiple unity, since it is both feeling of itself and knowledge of its faculties; and it unites permanence with contingency, since, without ceasing to be itself, it becomes other through the movement of thought, and through these daily eclipses that we call sleep. So it is understood that consciousness and its faculties fall under the positive categories, or rather, let us say that it is the solution of the antinomies that are established between the two terms, which are equally true in their synthesis, and have no meaning taken separately. There is therefore no more unity in itself than there is multiplicity in itself. In experience, everything is both one and multiple; simplicity is only relative, like divisibility, if we stand on the ground of concrete facts and the facts of consciousness. Now as in your definition of substance, you do not stay in the relative, as you give to concepts an absolute value that they do not have in the reason that contains them, which leads you to deny their solution in realities, it is clear that you can have no idea of substance, and that you are making a vain attempt to give body to a feeling: that of the link that constitutes the proper nature of each particular being. You will allow me, while feeling this link like you, to remain silent about its nature. I do not know it, and I prefer to remain in my ignorance than to pay myself with logomachic and contradictory definitions. Everyone has their own taste, don’t they, dear sir?

Jenny P. d’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Cinquième lettre.)

— En établissant que la substance n’est pas donnée dans l’intuition, qu’elle ne peut être dès lors connue, que d’autre part la définir contradictoirement aux lois de toute connaissance relative, ce n’est pas s’en donner une idée, avons-nous nié le lien qui constitue les êtres ? Nullement, Monsieur: nous avons constaté qu’il n’est ni connu ni connaissable, qu’il est au-dessus des fonctions de la raison, et que, si l’on s’en préoccupe, il faut bien se rendre compte qu’on entre à pleines voiles dans la grande mer des hypothèses; puis, si l’on est sage, on fera bien, dans une construction hypothétique quelconque, de n’imaginer que ce qui est conforme à la constitution de la raison. Maintenant, vous plaît-il que nous abordions la question de l’absolu et de l’infini, qui semblent vous tenir grandement au cœur?

Notre Monsieur n’est pas content; il me répond d’un ton rogue: Comme il vous plaira. Vous savez aussi bien que moi, Monsieur, que la conscience, née d’une relation, solution d’un antinomie, est relative sous toutes ses faces, et que la grande fonction de la raison est de reconnaître, de rechercher et de constater des rapports. Or, pour qu’elle le fasse avec succès, c’est-à-dire intelligiblement, il faut qu’elle soit antinomique elle-même: aussi l’est-elle essentiellement en théorie et en pratique; elle ne porte pas un jugement, sans en porter un implicitement contraire; elle ne se pose pas une abstraction, sans créer autour d’elle du clair obscur pour la mettre en relief; et ce clair obscur est sous forme de négation de l’abstraction établie. Son affaire étant de distinguer, elle ne se soucie pas de savoir si le terme négatif correspond à une réalité comme le terme positif : c’est ainsi qu’en face de la lumière, du bruit, elle pose les ténèbres et le silence, qui ne sont en définitive que l’absence des premiers, et encore relativement, puisqu’il n’y a dans la réalité des choses ni ténèbres complètes, ni silence absolu, mais seulement par comparaison et relativement à nous. Mais il faut des oppositions à l’intelligence et à la raison : elle ne perçoit pas une idée, elle n’a pas une notion sans cela; elle ne peut se faire une idée, elle ne peut lui donner un nom, que par la création d’une idée et d’un nom contraires; la lumière n’aurait aucun sens sans les ténèbres, le bruit sans le silence; ce qui est seul et continu sans comparaison, cesse d’être perçu et même senti.

— Ceci me paraît juste.

— D’autre part, une propriété fondamentale de la raison, c’est d’abstraire, de généraliser. L’intelligence, par ses catégories, est, on le sait, un appareil d’abstraction, puisque ses lois principales enferment une multitude de choses sous les mêmes attributs. La raison active tend par sa propre nature à généraliser tout ce qui tombe sous l’observation et l’expérience, et à donner corps à ces généralités par des noms. Elle voit tous les graves tendre vers la terre, elle perd de vue ces graves et personnifie leur commune tendance sous le nom de gravitation ou d’attraction; le phénomène de mouvement qui s’opère dans les corps, est personnifié, et on lui oppose l’inertie qui n’est pas; absolument parlant, les mouvements particuliers qui se passent dans les corps organisés, sont appelés la vie, et à cette vie l’on oppose la mort. A mesure qu’on généralise les faits positifs, on leur oppose des notions négatives: c’est ainsi que, généralisant l’idée de limite donnée par tous les corps, on crée l’idée positive du fini, du déterminé, et qu’aussitôt, pour la finir, on lui oppose l’idée négative d’infini; que de la généralité positive relatif naît la généralité négative absolu; qu’enfin de la généralité positive contingence surgit la généralité négative nécessité. Donc la raison, prise sur le fait, abstrait de plus en plus, s’élève de plus en plus, ayant pour piédestal et pour matière les phénomènes et les lois, et arrive à résumer en quelques abstractions suprêmes ce qui leur est commun à tous relatif, fini, contingent et, par une nécessité de sa nature, place en face de ces termes, absolu, infini, nécessaire. Tout va bien jusque-là: seulement la raison doit sévèrement se demander si le terme antinomique qu’elle crée, a la même valeur de réalité que celui qu’elle construit d’après les données positives de l’expérience et des lois de l’entendement; et si elle se soumet de bonne foi à ce sévère interrogatoire, et qu’elle analyse le contenu de ses termes antinomiques, elle est bien obligée de s’avouer qu’ils sont loin d’avoir la même valeur; que tout d’abord il y en a de simplement contraires, également vrais et souvent conciliables dans une synthèse, tandis que d’autres sont inconciliables, parce qu’ils sont contradictoires. Ainsi le moi et le non moi ont une même valeur de réalité, puisqu’ils se concilient dans la conscience; l’unité et la multiplicité ont une même valeur, puisqu’elles se concilient dans la totalité, qui est une unité multiple; mais peut-on tenter, sans renoncer à la raison, à concilier un oui absolu avec un non absolu, c’est-à-dire l’absolument infini avec l’absolument fini, le tout relatif avec le tout absolu? dire à la fois que tout est limité et que rien n’est limité, que tout est relatif, déterminé, et que cependant tout est absolu, c’est-à-dire comparable à rien, indéterminé et indéterminable par nature? que le monde est, en tant qu’unité et synthèse des phénomènes et des lois, le contraire de ce qu’est toute synthèse? et qu’en tant que tout, il est la négation de ce qu’il est en tant qu’analyse? Donc admettre l’absolu et l’infini comme réels, c’est nier le relatif et le fini, que seuls nous saisissons; c’est se servir du raisonnement pour nier la raison et le monde. L’absolu et l’infini étant contradictoires au relatif et au fini, ne peuvent donc se concilier, et il faut ou affirmer les premiers en niant le monde tel que nous le connaissons, et nier notre raison; ou bien il faut affirmer ce monde et cette raison en niant l’absolu et l’infini en tant que réalités; l’option est forcée. Mais si l’on choisit le premier parti, sur quoi s’appuiera t-on? Ce n’est évidemment pas sur la raison, nos facultés et nos connaissances.

Mais les notions d’absolu et d’infini existent dans la raison humaine; nous avons vu comment elles se forment naturellement en opposition de l’abstraction exercée sur les choses positives: elles sont donc des négations suprêmes, des notions vides de toute réalité et de toute idée; elles sont là pour témoigner de la grandeur d’une conscience qui dépasse le monde par sa puissance de compréhension; elles sont là pour témoigner que les lois de l’esprit n’ont pas en soi de limites, et que ce qui doit leur en poser, ce sont les réalités du monde et de la conscience; elles sont là pour attester la liberté de notre volonté, qui ne se sent pas enfermée dans les lois nécessaires du monde, dans les lois tout aussi nécessaires de la raison, de l’intelligence, des sensations et des passions, qui peut aller résolument jusqu’à nier tout cela, et peut faire sortir l’univers de notions vides.

JENNY P. D’HÉRICOURT.

(La suite prochainement).

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Fifth letter.)

— By establishing that substance is not given in intuition, that it cannot therefore be known, that on the other hand defining it contradictorily to the laws of all relative knowledge, this is not giving itself an idea, have we denied the link that constitutes beings? Not at all, Sir. We have noted that it is neither known nor knowable, that it is above the functions of reason, and that, if we are concerned about it, we must realize that we enter with full sail into the great sea of hypotheses; then, if we are wise, we will do well, in any hypothetical construction, to imagine only what is consistent with the constitution of reason. Now, would you like us to address the question of the absolute and the infinite, which seem to be very close to your heart?

Our gentleman is not happy; he replied in a harsh tone: As you please. You know as well as I do, Sir, that consciousness, born from a relationship, the solution of an antinomy, is relative in all its aspects, and that the great function of reason is to recognize, seek and note relations. Now, for it to do so successfully, that is to say intelligibly, it must itself be antinomic: so it is essentially so in theory and in practice; it does not make a judgment, without making an implicitly contrary one; it does not pose an abstraction, without creating chiaroscuro around it to highlight it; and this chiaroscuro is in the form of a negation of the established abstraction. Its business being to distinguish, it does not care whether the negative term corresponds to a reality like the positive term: this is how in the face of light, of noise, it poses darkness and silence, which are ultimately only the absence of the first, and even relatively, since in the reality of things there is neither complete darkness nor absolute silence, but only in comparison and relative to us. But there must be oppositions to intelligence and reason: it does not perceive an idea, it does not have a notion without that; it can only form an idea, it can only give it a name, by creating a contrary idea and name; light would have no meaning without darkness, noise without silence; that which is alone and continuous without comparison, ceases to be perceived and even felt.

— This seems fair to me.

— On the other hand, a fundamental property of reason is to abstract, to generalize. Intelligence, through its categories, is, as we know, an apparatus of abstraction, since its main laws enclose a multitude of things under the same attributes. Active reason tends by its own nature to generalize everything that falls under observation and experience, and to give substance to these generalities by names. It sees all the bodies tending towards the earth, it loses sight of these bodies and personifies their common tendency under the name of gravitation or attraction; the phenomenon of movement which takes place in bodies is personified, and we oppose to it the inertia which is not; absolutely speaking, the particular movements that take place in organized bodies are called life, and to this life we oppose death. As we generalize positive facts, we oppose negative notions to them: this is how, generalizing the idea of limit given by all bodies, we create the positive idea of the finite, of the determinate, and how immediately, in order to finish it, we oppose it to the negative idea of infinity; how from relative positive generality arises absolute negative generality; how finally from the positive generality of contingency arises the negative generality of necessity. So reason, taken on the fact, abstracted more and more, rises more and more, having phenomena and laws as its pedestal and subject, and manages to summarize in a few supreme abstractions what is common to them all, relative, finite, contingent and, by a necessity of its nature, places opposite these terms, absolute, infinite, necessary. Everything is going well until then, but reason must seriously ask itself whether the antinomic term that it creates has the same value of reality as the one that it constructs according to the positive data of experience and the laws of the understanding; and if it submits in good faith to this severe interrogation, and if it analyzes the content of its contradictory terms, it is obliged to admit that they are far from having the same value; that first of all there are some that are simply contrary, equally true and often reconcilable in a synthesis, while others are irreconcilable, because they are contradictory. Thus the self and the non-self have the same reality value, since they are reconciled in consciousness; unity and multiplicity have the same value, since they are reconciled in the totality, which is a multiple unity. But can we try, without renouncing reason, to reconcile an absolute yes with an absolute no, that is to say the absolutely infinite with the absolutely finite, the relative whole with the absolute whole? Can we say at the same time that everything is limited and that nothing is limited, that everything is relative, determined, and that yet everything is absolute, that is to say comparable to nothing, indeterminate and indeterminable by nature? That the world is, as a unity and synthesis of phenomena and laws, the opposite of what all synthesis is? And that as a whole it is the negation of what it is as analysis? Therefore, to admit the absolute and the infinite as real is to deny the relative and the finite, which only we grasp; it is using reasoning to deny reason and the world. The absolute and the infinite being contradictory to the relative and the finite, cannot therefore be reconciled, and we must either affirm the former by denying the world as we know it, and deny our reason; or else we must affirm this world and this reason by denying the absolute and the infinite as realities; the option is forced. But if we choose the first part, what will we rely on? It is obviously not reason, our faculties and our knowledge.

But the notions of absolute and infinity exist in human reason; we have seen how they are formed naturally in opposition to the abstraction exercised on positive things: they are therefore supreme negations, notions empty of all reality and all ideas; they are there to testify to the greatness of a consciousness that surpasses the world with its power of understanding; they are there to testify that the laws of the mind have no limits in themselves, and that what must pose limits to them are the realities of the world and of consciousness; they are there to attest to the freedom of our will, which does not feel confined within the necessary laws of the world, within the equally necessary laws of reason, intelligence, sensations and passions, which can resolutely go as far as to deny all this, and can bring the universe out of empty notions.

Jenny P. d’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Sixième lettre.)

Notre intolérant est soucieux, Madame; il ne sent ni ne croit comme nous; mais il ne trouve pas d’arguments solides pour nous contredire, et que vaudraient des arguments contre des faits de conscience, attestés par quiconque s’interroge de bonne foi? On peut croire à la substance, à l’absolu, à l’infini; mais qui oserait dire qu’il connaît ces choses-là et établir, par des faits, que ce sont autre chose que des notions vides? Maintenant que nous lui avons fait avouer que la raison ne connaît que le relatif, essayons de l’arrêter un moment sur les sources et les conditions de la connaissance, de la science et des objets non contestés de la certitude.

Monsieur!…. Il ne m’entend pas…. Monsieur! Vous plairait-il d’aborder le terrain solide de la connaissance?

— Pardon, Madame… notre entretien m’a un peu … comment dirai-je ? secoué, attristé; je crois avoir eu un moment d’absence…

— Entre gens qui discutent, la susceptibilité n’est pas de mise, et la politesse n’est pas enfermée dans les limites de la civilité puérile et honnête: si vous pensez y avoir manqué, vous êtes tout excusé, car je ne m’en suis pas aperçue. Continuons donc notre entretien.

Qu’est-ce que la connaissance? C’est l’état d’une conscience qui perçoit en elle une chose différente d’elle-même, ou considérée comme un non moi; connaître une fleur, c’est avoir en soi l’image de cette fleur; connaître sa mémoire, c’est posséder l’idée d’une de ses facultés à l’état de souvenir.

Qu’est-ce que savoir? c’est connaître analytiquement, après avoir décomposé ce qu’on connaît pour s’en faire des idées plus justes.

Ainsi donc les sciences ne sont que des connaissances analysées, des synthèses élaborées substituées à des synthèses grossières; ce qui est implicitement dans ces dernières, est explicitement dans les premières; donc philosophiquement les sources et les conditions générales de la connaissance et de la science sont les mêmes, n’est-ce pas?

— Il me semble que oui.

— On ne peut connaître, je ne dis pas croire, entendez-vous, je dis connaître, que ce qui est donné dans l’intuition des sens, dans l’observation et l’expérience, interne et externe; ainsi, on connaît les phénomènes et les lois du monde extérieur, parce qu’ils frappent nos sens, que nous nous en formons des images et des idées d’après nos lois intellectuelles, que nous observons ces choses et les expérimentons: s’ils ne nous étaient pas donnés ainsi, ils ne seraient pas pour nous, convenez-vous de cela?

— Parfaitement.

— Comment connaissons-nous ce qui se passe dans notre conscience et nos facultés? c’est en nous observant à l’état de souvenir, c’est en réunissant plusieurs phénomènes de conscience, que nous découvrons et distinguons nos facultés, non pas en tant qu’essence, cela nous échappe, mais en tant que fonctions, en tant que lois de la conscience. Nous savons que nous avons une imagination, parce que nous formons des images; une mémoire, parce que nous rappelons des images et des idées, dont les objets ne sont pas présents; une liberté, parce que nous hésitons entre plusieurs déterminations, etc.;. et les phénomènes de conscience qui ne sont pas observés, ne nous sont pas connus.

— Je conviens encore de cela.

— Fort bien; les conditions fondamentales de la connaissance sont donc l’observation, l’expérience, l’intuition occasionnée par l’intervention des sens, et la conscience du moi qui s’affirme comme une unité et déclare, au moins implicitement, voir les choses telles par rapport à lui; car il se dépasserait, s’il préjugeait la nature des choses, qui ne lui est pas fournie par ses facultés. Or, qu’est-ce qui est donné à ses facultés, à son observation, à son expérience, aussi bien dans le monde de la conscience que dans celui de la nature? rien autre chose que des phénomènes contingents et des lois qui les enveloppent et les régissent; il ne peut connaître que cela; il ne connaît que cela et ne peut se faire d’idées que de cela. Ajoutons qu’il ne peut affirmer légitimement que ce qui est donné à sa connaissance, que ce qui peut être observé, expérimenté, contrôlé par d’autres consciences; et que ce qui n’est pas dans la raison commune, soumis aux lois de cette raison, est, par le fait, dépouillé d’un titre quelconque à se faire admettre. Et quand je dis raison commune, comprenez bien que je ne dis pas croyance d’un plus ou moins grand nombre de gens, mais faculté analysée, comme nous l’avons fait tout-à-l’heure, dans ses fonctions et ses limites. Si donc on vient me dire qu’il y a une substance, une matière, un esprit en soi, qui sont de telle ou telle nature, comme d’une part rien de tel ne m’est donné dans l’intuition, que, de l’autre, ma raison n’est pas organisée pour saisir autre chose que des relations, je repousse tout cela par une fin de non-recevoir; et, si l’on insiste, je démontre par la raison commune que ces choses ne sont que des abstractions, des artifices logiques de la raison, qu’on prétend transformer d’un coup de baguette de la foi en des réalités aussi incontestables que l’existence de la terre que nous habitons; si l’on me dit qu’un mort est ressuscité ou que le soleil s’est arrêté, je suis de même autorisée à repousser ces dires, parce que jamais, à mon observation et à mon expérience, ne s’est offerte la résurrection d’un mort, bien mort, que, d’autre part, les lois générales de l’univers me paraissent fixes, et que, pour ma pratique, je suis obligée de les croire telles, autant que j’y suis portée par la foi naturelle.

— Ainsi vous repoussez absolument le miracle? vous en signifiez la défense à l’auteur même des lois auxquelles vous croyez?

— A cela j’ai deux choses à vous répondre la première, c’est qu’un auteur des lois de l’univers ne m’étant pas donné dans l’observation et l’expérience, et n’étant pas une donnée de la pure raison, mais une induction dont, par conséquent, la légitimité est fort contestable, je ne suis pas du tout obligée d’admettre cet auteur. La seconde, c’est que, ne connaissant pas toutes les lois de l’univers, je ne conteste pas que le miracle ne puisse se manifester par la présence d’une loi en modifiant une autre; seulement, ce que je dis, c’est qu’il n’est donné ni à mon observation ni à mon expérience, d’avoir vu de telles choses; que la conscience humaine qui a besoin de croire à la fixité des lois pour se porter à l’action, aurait grand tort de se laisser aller au goût du merveilleux, et qu’en fin de compte personne n’est tenu de croire ce qu’il n’expérimente pas, surtout quand il s’agit d’anomalies rapportées par des gens qui ne se doutent pas de ce que c’est qu’un fait, qui sont ignorants des lois scientifiques et ont une vive passion à voir les choses comme ils les désirent.

— Ainsi vous ne croyez qu’à ce que vous voyez?

— Je ne dis pas cela, mais seulement que je ne connais que ce qui est donné à mes facultés et connaissances, ou ce que je puis contrôler.

(La suite prochainement).

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Sixth letter.)

Our intolerant is concerned, Madam; he neither feels nor believes as we do; but he does not find solid arguments to contradict us, and what would be the value of arguments against facts of conscience, attested by anyone who questions them in good faith? We can believe in substance, in the absolute, in infinity; but who would dare say that he knows these things and establish, by facts, that they are anything other than empty notions? Now that we have made him admit that reason only knows the relative, let us try to stop him for a moment on the sources and conditions of knowledge, of science and of the uncontested objects of certainty.

Sir!…. He can’t hear me… Sir! Would you like to approach the solid ground of knowledge?

— Sorry, Madam… our interview made me a little… how shall I put it? shaken, saddened; I think I had a moment of absence…

— Between people who discuss, sensitivity is not appropriate, and politeness is not confined within the limits of childish and honest civility: if you think you have failed in this, you are completely excused, because I didn’t notice it. So let’s continue our interview.

What is knowledge? It is the state of a consciousness that perceives in itself a thing different from itself, or considered as a non-self; to know a flower is to have within oneself the image of that flower; to know one’s memory is to possess the idea of one of one’s faculties in the state of memory.

What is knowledge? It is knowing analytically, after having broken down what we know to form more accurate ideas.

So the sciences are only analyzed knowledge, elaborate syntheses substituted for crude syntheses; that which is implicitly in the latter is explicitly in the former; so philosophically the sources and general conditions of knowledge and science are the same, aren’t they?

— I think so.

— We can only know, I’m not saying believe, you hear, I say know, only what is given in the intuition of the senses, in observation and experience, internal and external; thus, we know the phenomena and laws of the external world, because they strike our senses, because we form images and ideas of them according to our intellectual laws, because we observe these things and experience them. If they were not given to us like this, they would not be for us. Do you agree with that?

— Absolutely.

— How do we know what is happening in our consciousness and our faculties? it is by observing ourselves in the state of memory, it is by bringing together several phenomena of consciousness, that we discover and distinguish our faculties, not as an essence, which escapes us, but as functions, as laws of consciousness. We know we have an imagination, because we form images; a memory, because we recall images and ideas, the objects of which are not present; a freedom, because we hesitate between several determinations, etc.; and the phenomena of consciousness which are not observed are not known to us.

— I also agree with that.

— Very good; the fundamental conditions of knowledge are therefore observation, experience, intuition occasioned by the intervention of the senses, and the consciousness of the self that asserts itself as a unity and declares, at least implicitly, to see such things as they are relative to; because it would surpass itself if it prejudged the nature of things, which is not provided to it by its faculties. Now, what is given to its faculties, to its observation, to its experience, both in the world of consciousness and in that of nature? Nothing other than contingent phenomena and the laws that envelop and govern them; the self can only know that; it only knows that and can only form ideas from that. Let us add that it can only legitimately affirm what is given to its knowledge, only what can be observed, experienced, controlled by other consciousnesses; and that what is not in common reason, subject to the laws of this reason, is, in fact, deprived of any title whatsoever to be admitted. And when I say common reason, understand that I do not mean the belief of a greater or lesser number of people, but a faculty analyzed, as we did earlier, in its functions and its limits. So if someone comes to tell me that there is a substance, a matter, a spirit in itself, which are of this or that nature, as on the one hand nothing of the sort is given to me in intuition, and as, on the other, my reason is not organized to grasp anything other than relationships, I dismiss all of this outright; and, if one insists, I demonstrate by common reason that these things are only abstractions, logical artifices of reason, which one claims to transform with a wave of the wand of faith into realities as incontestable as the existence of the earth we inhabit; if I am told that a dead person has risen or that the sun has stopped, I am likewise authorized to reject these statements, because never, in my observation and in my experience, has resurrection been offered of a dead man, really dead, and because, on the other hand, the general laws of the universe seem fixed to me, and because, for my practice, I am obliged to believe them as such, as much as I am led to do so by natural faith.

— So you absolutely reject the miracle? You mean to forbid this to the very author of the laws in which you believe?

— To this I have two things to answer you. The first is that an author of the laws of the universe not being given to me in observation and experience, and not being a datum of pure reason, but an induction whose legitimacy is therefore very questionable, I am not at all obliged to admit this author. The second is that, not knowing all the laws of the universe, I do not deny that the miracle can manifest itself by the presence of one law by modifying another; only, what I say is that it is not given to my observation nor to my experience to have seen such things; that the human consciousness, which needs to believe in the fixity of laws in order to take action, would be very wrong to indulge in the taste for the marvellous, and that in the end no one is required to believe what he does not experience, especially when it comes to anomalies reported by people who have no idea what a fact is, who are ignorant of scientific laws and have a keen passion to see the things as they want them.

— So you only believe what you see?

— I am not saying that, but only that I only know what is given to my faculties and knowledge, or what I can control.

Jenny P. d’Héricourt.

Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses.

(Septième lettre.)

— Maintenant que nous avons fixé les conditions et les objets de la connaissance, demandons-nous s’il est légitime de se dire certain d’autre chose que de ce qu’on connaît et sait?

— C’est là que je vous attendais!

— Puisque l’humanité tout entière est certaine d’autre chose que de ce qu’elle connaît, il faut bien que ce soit légitime, à moins de déclarer que plusieurs de ses tendances générales ne sont pas naturelles: or le fait de généralité contredit la supposition, et comme celle-ci n’est que l’œuvre de quelques consciences individuelles, il n’y a pas à en tenir compte. Non, la connaissance ne suffit pas à la conscience humaine placée entre deux abîmes de foi: la foi primitive, sur laquelle repose la raison et la pratique et qui fait la certitude des sciences, et la foi consécutive qui, basée sur les sciences telles quelles, les instincts de justice, vise à trouver la place et la destinée de l’être humain dans l’univers et à se faire une idée de ce grand Cosme. Et s’il est légitime à la conscience d’admettre ses premières affirmations sans preuves, pourquoi le serait-il moins d’admettre d’autres affirmations suprêmes également sans preuves? Si la foi primitive est une hypothèse légitime, pourquoi n’y aurait-il que celle-là qui le soit? Vous voyez, Monsieur, que je vous fais la partie belle, que je ne prétends nullement mutiler notre nature.

— Je le constate avec plaisir.

Je déclare donc sans détour que j’admets, en général, que la certitude puisse s’attacher à d’autres choses qu’à la science; mais en même temps je déclare qu’il n’y a pas de critère de certitude, et que cette dernière n’est que l’état d’une conscience individuelle, affirmant sans aucun doute ce qu’elle croit savoir, ce qu’elle désire être vrai et ce qu’elle veut déclarer tel parce qu’elle le croit et le désire.

— Oh! mais une pareille doctrine est effrayante, Madame ! Vous ruinez les fondements de toute vérité; vous introduisez le doute dans toutes les consciences: c’est abominable!

— Là! là! cher et doux Monsieur, ne nous fâchons pas, et dites-moi ce que c’est que la vérité. Eh! quoi! vous demeurez court? Vous n’en savez donc rien? Eh bien! ni moi non plus. Je crois fermement que je la possède; je n’ai pas besoin de le savoir pour cela; vous imaginez-vous qu’on doute de tout parce qu’on repousse tout critère, et qu’on renvoie la certitude à sa place naturelle? Eh! mon cher Monsieur, on est d’autant plus certain, croyez-moi, qu’on cherche et trouve en soi son critère: celui qui nous vient du dehors, ne nous convainc de rien, à moins que nous ne le fassions nôtre. Nous ne sommes pas hétéronomes, mais nous sommes autonomes. Voyons, consentez-vous à ce que je vous établisse la vérité de mes propositions?

— Faites, faites. Vous ne me convaincrez pas.

— Mais vous l’êtes déjà, puisque vous admettez que la foi primitive n’a pas de critère, que nous ne pouvons pas la justifier par les preuves extrinsèques: il ne fallait pas m’accorder cela; mais puisque vous avez mis la tête dans le trou, votre corps y passera tout entier ; la logique a ses lois, vous savez.

Donc nous croyons au monde extérieur, qui, au dire de profonds philosophes, pourrait n’être qu’une illusion ou une création de notre esprit; et vous savez qu’à cette heure une grande religion de l’Orient pose en dogme la Maya.

Nous croyons qu’en général nos facultés ne nous trompent pas, malgré la science et l’expérience qui nous prouvent qu’elles nous trompent si souvent.

Nous croyons que le monde et nous sommes en action et réaction; mais cela dépend de l’existence du monde, et elle n’est pas prouvée.

Enfin nous nous jugeons libres; mais le monde peut être préordonné, et notre croyance ainsi prédéterminée.

Vous me direz: mais si les choses ne sont pas telles que nous les croyons, nous sommes une absurdité, une incompréhensibilité radicale; il n’y a qu’illusion; la vérité n’est qu’un mot. Je pense comme vous, mais, car il y a toujours des mais, on peut nous répondre, sans que nous puissions établir le contraire, qu’il n’y a aucune nécessité à ce que nous ne soyons pas une absurdité, et à ce que quelque chose soit réel, soit vrai. Vous ne voulez pas admettre cela, ni moi non plus : nous avons, vous et moi, une passion très-forte qui nous pousse à l’affirmation; notre liberté consent, et le tour est fait. Et comme presque toute l’humanité est bâtie sur le même modèle sous ce rapport, tous disent de même. La foi de tous corrobore celle de chacun ; nous nous congratulons mutuellement et traitons de fous ceux qui doutent et demandent le critère de notre critère. C’est dans l’ordre: tant pis pour les délicats, pour ceux qui veulent le pourquoi du pourquoi.

Nous voilà solidement assis sur la foi, la passion et la volonté : nous observons, nous expérimentons, nous construisons les sciences avec des faits véritables pour tous, répétables à satiété : c’est merveille; nous sommes tous d’accord. Oh! bonheur! nos certitudes sont les mêmes; mais voilà qu’on s’avise de vouloir relier les faits par des théories, de les soumettre à des hypothèses; l’humeur s’en mêle, on diffère, la guerre éclate, mais n’est pas sanglante. Plus loin, des généralisateurs d’une autre espèce, les philosophes, s’emparent de tous les faits, de toutes les hypothèses, tirent de tout cela, qui une induction, qui une autre, et chacun construit à sa guise un système du microcosme et du macrocosme, discourant à perte de vue et d’haleine sur la nature de l’un et de l’autre. Les écoles se forment, s’attaquent à coups d’arguments métaphysiques et remplissent l’humanité de leurs clameurs; chacun s’opiniâtre pour sa vérité. Pour brocher sur le tout, voilà que les religions arrivent, toutes avec des miracles, des merveilles sans seconde, des dieux, des déesses, des démons, des anges, des saints, des enfers, des paradis : alors la confusion est au comble; on se tue, on se brûle pour sa vérité; on se calomnie, on se hait, on s’excommunie au nom de l’absolue certitude de sa foi. Que nous apprend l’ensemble de ces faits? Que tous s’accordent sur ce qui est du domaine de la connaissance, et que la dissidence se prononce en raison de ce qu’on s’en éloigne et qu’on va plus loin sur le terrain de l’hypothèse. Il y a donc deux ordres de certitude qu’il ne faut pas confondre l’un qui comprend le vérifiable, l’autre qui comprend l’inconnu inconnaissable. Si l’une est peu libre, la foi primitive étant admise, l’autre dépend tellement de nos préjugés, de nos passions, de notre éducation, du milieu social dans lequel nous sommes plongés, de notre culture intellectuelle et scientifique, des croyances que nous avons reçues sans examen, et de nos tendances personnelles, qu’on ne peut jamais prévoir positivement à laquelle de ces choses la liberté donnera la préférence, et ce qu’elle consentira d’ériger en critère valable pour elle; car, lorsqu’il s’agit d’hypothèses, il ne peut être question de critère valable et qui soit accepté de tous. Là, les faits ne redressent pas la raison, si elle gauchit. Une hypothèse qui est de certitude pour les uns, est de la dernière absurdité pour les autres; et s’ils consentent à s’en référer à la raison, celle-ci les critique, les démolit quelquefois toutes deux, et la plus grande concession qu’elle puisse faire, est de déclarer l’une moins improbable que l’autre.

(La suite prochainement).

JENNY-P. D’HÉRICOURT.

Philosophical letters on tolerance and criticism of assumptions.

(Seventh letter.)

— Now that we have established the conditions and objects of knowledge, let us ask ourselves if it is legitimate to say that we are certain of something other than what we recognize and know?

— That’s where I was waiting for you!

— Since all of humanity is certain of something other than what it knows, it must be legitimate, unless we declare that several of its general tendencies are not natural. But the fact of generality contradicts the supposition, and as this is only the work of a few individual consciences, there is no need to take it into account. No, knowledge is not enough for the human consciousness placed between two abysses of faith: the primitive faith, on which reason and practice rest and which provides the certainty of the sciences, and the consecutive faith that, based on the sciences as they are, the instincts of justice, aims to find the place and destiny of the human being in the universe and to get an idea of this great Cosme. And if it is legitimate for consciousness to admit its first assertions without proof, why would it be less legitimate to admit other supreme assertions also without proof? If primitive faith is a legitimate hypothesis, why would only this one be legitimate? You see, Sir, that I am giving you the best part, that I in no way intend to mutilate our nature.

— I note this with pleasure.

I therefore declare bluntly that I admit, in general, that certainty can be attached to things other than science; but at the same time I declare that there is no criterion of certainty, and that the latter is only the state of an individual consciousness, affirming without doubt what it believes it knows, what it desires to be true and what it wants to declare to be true because it believes and desires it.

— Oh! but such a doctrine is frightening, Madame! You wreck the foundations of all truth; you introduce doubt into everyone’s conscience: it is abominable!

— There! there! Dear and gentle Sir, let’s not get angry, and tell me what the truth is. Well! What! Do you remain unable? So you don’t know anything about it? Well! I don’t either. I firmly believe that I possess it; I don’t need to know about that. Do you imagine that we doubt everything because we reject all criteria, and that we return certainty to its natural place? Well! My dear Sir, we are all the more certain, believe me, that we seek and find our criterion within ourselves: the one that comes to us from outside convinces us of nothing, unless we make it our own. We are not heteronomous, but we are autonomous. Let’s see, do you agree to me establishing for you the truth of my propositions?

— Go ahead. You won’t convince me.

— But you already are, since you admit that primitive faith has no criteria, that we cannot justify it by extrinsic proofs. You should not grant me that, but since you have put your head in the hole, your entire body will pass through it. Logic has its laws, you know.

So we believe in the external world, which, according to profound philosophers, could only be an illusion or a creation of our mind; and you know that at this time a great religion of the East posits Maya as a dogma.

We believe that in general our faculties do not deceive us, despite science and experience, which prove to us that they so often deceive us.

We believe that the world and we are in action and reaction; but this depends on the existence of the world, and it is not proven.

Finally we judge ourselves free; but the world could be preordained, and our belief thus predetermined.

You will say to me: but if things are not as we believe them, we are an absurdity, a radical incomprehensibility; there is only illusion; truth is just a word. I think like you, but, because there are always buts, we can be told, without us being able to establish the contrary, that there is no necessity for us not to be an absurdity, and for something that is real, to be true. You do not want to admit this, nor do I: we have, you and I, a very strong passion which pushes us to affirmation; our freedom consents, and the trick is done. And since almost all of humanity is built on the same model in this respect, everyone says the same. The faith of all corroborates that of each; we congratulate each other and treat as fools those who doubt and demand the criterion of our criterion. It is in order: too bad for the delicate, for those who want the why of the why.

Here we are firmly seated on faith, passion and will. we observe, we experiment, we construct the sciences with true facts for all, repeatable to satiety: it’s marvelous; we all agree. Oh! Happiness! Our certainties are the same, but now we decide that we want to connect the facts by theories, to subject them to hypotheses; humors are involved, people differ, war breaks out, but is not bloody. Further on, generalizers of another species, the philosophers, seize all the facts, all the hypotheses, draw from all this, some one induction, some another, and each constructs as he wishes a system of the microcosm and the macrocosm, talking as far as the eye can see and breathlessly on the nature of both. Schools are formed, attack each other with metaphysical arguments and fill humanity with their clamors; everyone is stubborn regarding their truth. To top it off, religions arrive, all with miracles, wonders without parallel, gods, goddesses, demons, angels, saints, hells, paradises. Then the confusion is at its height; we kill ourselves, we burn ourselves for our truth; we slander each other, we hate each other, we excommunicate one another in the name of the absolute certainty of our faith. What do all these facts tell us? Let everyone agree on what is in the domain of knowledge, and let dissidence arise because we move away from it and go further into the terrain of hypothesis. There are therefore two orders of certainty that should not be confused, one that includes the verifiable, the other that includes the unknowable unknown. If one is not very free, primitive faith being admitted, the other depends so much on our prejudices, our passions, our education, the social environment in which we are immersed, our intellectual and scientific culture, the beliefs that we have received without examination, and our personal tendencies, that we can never positively predict which of these things freedom will give preference to, and what it will consent to erect as a valid criterion for itself; because, when it comes to hypotheses, there can be no question of a valid criterion that is accepted by all. There, the facts do not straighten out reason if it is distorted. A hypothesis that is certain for some, is of the utmost absurdity for others; and if they agree to refer to reason, it criticizes them, sometimes demolishes them both, and the greatest concession it can make is to declare one less improbable than the other.

Jenny P. d’Héricourt.

[Sadly, this seems to have been the end of the series.]

Working translations by Shawn P. Wilbur


  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (première lettre),” La Rationaliste 3 no. 20 (15 novembre 1863): 305-308.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (deuxième lettre),” La Rationaliste 3 no. 23 (6 décembre 1863): 353-357.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (troisième lettre),” La Rationaliste 3 no. 24 (13 décembre 1863): 369-373.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (quatrième lettre),” La Rationaliste 3 no. 49 (5 juin 1864): 778-781.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (cinquième lettre),” La Rationaliste 3 no. 50 (12 juin 1864): 790-793.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (sixième lettre),” La Rationaliste 3 no. 51 (19 juin 1864): 807-811.
  • Jenny P. d’Héricourt, “Lettres philosophiques sur la tolérance et la critique des hypothèses (septième lettre),” La Rationaliste 3 no. 52 (26 juin 1864): 824-827.
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