Jeanne Marie, “What the Socialists Want” (1848)

CE QUE VEULENT LES SOCIALISTES

Parmi les professions de foi que les candidats à la députation répandent de tous côtés pour attirer à eux la faveur populaire, il en est une qui a fixé notre attention plus particulièrement. Ce candidat, dont je tairai le nom, après avoir assuré ses concitoyens de son dévouement à leur cause publique, de son amour pour son pays, du désir immense qu’il éprouve de le voir persévérer dans la voie où l’Europe entière s’efforce de le suivre, termine par ces mots : « Si vous me jugez capable de vous représenter à la chambre, fier de l’honneur que vous m’aurez fait, pour accomplir dignement ma mission, envers et contre tous, je soutiendrai vos droits. Il y aura, dit-on, des socialistes à la chambre ? Eh bien, je m’apprête à combattre ceux-ci comme autrefois j’ai combattu les conservateurs qui se gorgeaient de nos richesses. Cette liberté, que nous avons conquise, à tout prix nous voulons conserver ? La guerre donc, et guerre à mort, à quiconque oserait y porter atteinte. »

Vous avez raison, citoyen ; guerre à mort à la main sacrilège qui tenterait d’ébranler le jeune arbre, planté d’hier, que nous espérons tous voir vieller. Mais permettez à une femme de vous demander si bien longtemps encore vous évoquerez les mots, comme des fantômes ennemis, et viendrez guerroyer contre eux. Vous voulez combattre à outrance les socialistes comme vous avez autrefois combattu les conservateurs ? Vous ne comprenez donc pas qu’ils sont les prophètes de l’avenir ; qu’ayant marché plus vite, sans cesse ils se retournent et vous appellent à eux. Ignorez-vous que ce cri : Liberté ! auquel mille échos répondent, ce sont eux qui, des premiers, l’ont poussé. Ne savez-vous pas que si le peuple s’est montré si résigné dans le privation, si fort et si calme au moment du combat, si plein de mansuétude après la victoire, c’est à leurs enseignements que vous le devez ! Et, d’abord, qu’entendez-vous par ce mot : socialiste ? Le socialiste, c’est vous, c’est moi. C’est le député, c’est l’homme du peuple, c’est la grande dame et la pauvre ouvrière ; c’est la mère et la fille ; c’est le vieillard et l’enfant. Ce sont, enfin, les membres partiels de ce grand tout appelé société. Le mot socialisme, que vous voulez proscrire, dérive de celui de société, admis sans contrôle, et ce n’est pas nous qui l’avons crée ce mot. Jean-Jacques, que vous admirez parce qu’il fut un de ces apôtres d’avenir que vous voulez combattre aujourd’hui, n’a-t-il pas écrit le contrat social ? C’est un des plus beaux fleurons de sa couronne. De tout temps il y a des socialistes comme de tout temps il y a eu des prophètes. Cazotte, en 88, prédisait 93 ; Béranger, il n’y a pas trois mois, prophétisait dans un de sas hymnes immortels le cataclysme qui en cet instant renverse les trônes européens ! Nous ne somme pas tous prophètes, mais nous sommes tous socialistes. Je vais essayer de vous le prouver.

Que réclame depuis dix ans l’école sociale ? L’abolition de la peine de mort pour les condamnés politiques. C’est le premier décret rendu par les honorables chefs du gouvernement provisoire, décret auquel la France entière a applaudi.

Le socialisme a aussi demandé, par les cent voix de la presse, l’association des maîtres et des ouvriers, les diverses corporations de métiers, oubliant les différents de la veille pour ne songer qu’à l’harmonie du lendemain, viennent en foule au Luxembourg demander à M. Louis Blanc (un grand socialiste aussi) de les aider de ses lumières pour créer une organisations nouvelle fondée sur l’association.

Le socialisme à demandé aussi que l’exploitation de l’homme par l’homme ne fut plus chose possible ; que la concurrent qui rend ennemis deux frères appelés à s’aimer, soit remplacée par l’émulation. — Que la part de bonheur auquel Dieu nous a permis d’aspirer, dont il a mis en nous le désir, ne soit plus pour le plus grand nombre, un rêve douloureux, un trompeur mirage ; il a demandé que le faible ne fut plus accablé par le fort ; que la femme ne fut plus l’esclave de l’homme, mas sa compagne ; que sa voix jusqu’alors étouffée put enfin se fair entendre et réclamer contre la tyrannie souvent brutale dont elle subit le joug depuis des siècles ! Il a demandé : que l’enfant, pauvre fleur trop souvent étiolée en serre, pût s’épanouir librement au soleil ; obier à ses tendances sagement dirigées et connaître désormais sans risquer de se tromper ses véritables vocations ! — Il a demandé, que les invalides du travail n’eussent plus pour unique retraite le trottoir boueux en hiver, brûlant en été ; et, pour récompenser d’une vie de labeurs, la misère et l’humiliation. — Il a demandé que les intérêts divergents, depuis tant d’années, s’unissent enfin pour concourir au même but. Ce but le voici : « La plus grande somme de bonheur possible à repartir sur l’humanité toute entière. » c’est à ce banquet céleste, que, depuis bien longtemps, les socialistes vous convient ! Il ne s’agit donc plus de les combattre, mais de les aider. La grande famille humaine marche au but où Dieu la mène. En avant donc vous qui aspirez à l’honneur de la conduire ; secondez nos efforts, mais ne l’entravez pas, vous seriez écrasés !

Jeanne Marie.

WHAT THE SOCIALISTS WANT

Among the professions of faith that candidates for deputation have spread far and wide to attract popular favor, there is one that has caught our attention more particularly. This candidate, whose name I will not mention, after having assured his fellow citizens of his dedication to their public cause, of his love for his country, of the immense desire he feels to see it persevere on the path along which the whole of Europe tries to follow it, ends with these words: “If you judge me capable of representing you in the chamber, proud of the honor you have given me, in order to accomplish my mission with dignity, I will support your rights before and against all. There will, they say, be socialists in the chamber? Well, I am prepared to fight them as I once fought the conservatives who gorged themselves on our wealth. This liberty, which we have achieved, don’t we want to preserve it at all costs? War, therefore, and war to the death, against anyone who dares to harm it.”

You are right, citizen; war to the death to the sacrilegious hand that would attempt to shake the young tree, planted yesterday, which we all hope to see grow old. But allow a woman to ask you how much longer you will evoke words, like enemy ghosts, and go to war against them. So you want to fight the socialists to the fullest, as you once fought the conservatives? Don’t you understand that they are the prophets of the future; that having advanced faster, they constantly turn around and call you to them. Are you unaware that this cry — Liberty! — to which a thousand echoes respond, was first shouted by them. Don’t you know that if the people have shown themselves so resigned in deprivation, so strong and calm at the time of combat, so full of leniency after victory, it is to their teachings that you owe it! And, first of all, what do you mean by this word “socialist”? The socialist is you, it is me. It is the deputy; it is the man of the people; it is the great lady and the poor worker; it is mother and daughter; it is the old man and the child. The socialists are, finally, the various members of this great whole called society. The word socialism, which you want to proscribe, derives from that of society, you will readily admit, and we are not the ones who created this word. Didn’t Jean-Jacques, whom you admire because he was one of these apostles of the future, whom you want to fight today, write the social contract? It is one of the most beautiful jewels in his crown. There have always been socialists, just as there have always been prophets. Cazotte, in 88, predicted 93; Béranger, not three months ago, prophesied in one of his immortal hymns the cataclysm that at this moment overthrows the European thrones! We are not all prophets, but we are all socialists. I will try to prove it to you.

What has the social school been demanding for ten years? The abolition of the death penalty for political convicts. This is the first decree issued by the honorable heads of the provisional government, a decree that the whole of France applauded.

Socialism also demanded, through the hundred voices of the press, the association of masters and workers, the various trade guilds, forgetting the differences of the day before to think only of the harmony of the next day, come in crowds in Luxembourg ask Mr. Louis Blanc (also a great socialist) to help them with his knowledge to create a new organization based on association.

Socialism also demanded that the exploitation of man by man no longer be possible; that competition, which makes two brothers called to love each other enemies, be replaced by emulation. — That the share of happiness to which God has allowed us to aspire, for which he has placed within us the desire, no longer be for the greatest number, a painful dream, a deceptive mirage. It asked that the weak be no longer overwhelmed by the strong; that woman no longer be man’s slave, but his companion; that her voice, until now stifled, could finally be heard and speak out against the often brutal tyranny to which she has been subjected for centuries! It asked that the child, a poor flower too often withered in a greenhouse, could blossom freely in the sun, obey their wisely directed tendencies and know from now on without risking being mistaken in their true vocations! — It asked that the invalids of labor no longer have as their only refuge the sidewalk, muddy in winter, burning in summer, and, to reward a life of toil, misery and humiliation. — It asked that the interests, divergent for so many years, finally unite to work towards the same goal. This goal is: “The greatest amount of happiness possible to distribute to all of humanity.” It is to this celestial banquet that, for a long time, the socialists have been inviting you! It is therefore no longer a question of fighting them, but of aiding them. The great human family is marching toward the goal to which God leads it. Forward then, you who aspire to the honor of leading it. Support our efforts, but do not hinder them: you will be crushed!

Jeanne Marie.


Jeanne Marie, “Ce que veulent les socialistes,” La Voix des Femmes 1 no. 20 (April 11, 1848): 2.

Note: The identity of “Jeanne Marie” is contested — with Jeanne Deroin and Jenny d’Héicourt among those suggested — but it seems likely, based on what I have read at this point, that she was Jeanne-Marie Monniot.

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